Fiche du document numéro 32221

Num
32221
Date
Vendredi 2 août 2013
Amj
Auteur
Fichier
Taille
116479
Pages
32
Urlorg
Titre
Du Père Guy Theunis : un damné non condamné
Nom cité
Nom cité
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Une conférence de presse a eu lieu à Bruxelles au cours de la quelle le père Guy Theunis a présenté son Livre “Mes soixante –quinze jours de prison à Kigali “. Un certain Musabyimana en a fait un communiqué de presse rapportant qu’« après plusieurs interrogatoires qui ont duré sept mois à raison de deux séances par semaines et de nombreuses investigations, le dossier fut classé sans suite par la justice belge en 2010 ». Le même communiqué a rapporté que Guy Theunis (GUYT.) avait déclaré qu’ « il y a comme une atmosphère de fin de règne au Rwanda  » et qu’il devenait urgent que « hutu et tutsi se mettent ensemble pour préparer la relève au Rwanda » . Voilà . La sortie de ce livre remet à jour « l’affaire Theunis ».

Nous voulons présenter ici les grandes lignes de ce livre. Mais nous n’entrerons pas dans le procès proprement dit puisque le livre n’en dit absolument rien. Il ne parle que du séjour de l’auteur en prison et de ses réflexions et méditations qu’il y a faites. Nous ne sommes pas renseignés sur le dossier en général ni encore moins sur cet interrogatoire qui aurait duré sept mois en Belgique et que l’auteur appelle « son odyssée : l’enquête policière belge » (p.9) mais dont il ne livre pas le contenu. Par contre GUYT. profite de la sortie de son livre pour régler ses comptes au régime actuel rwandais dont il prédit la fin imminente. Il en profite pour se défouler en écrivant même des choses qui n’ont rien à voir ni avec son arrestation et ni avec son accusation. Il est devenu comme un héros qui, après ses exploits, se prononce sur tout et sur rien et se permet même de faire des prophéties. Son passage en prison de Kigali l’a rendu expert en affaires du Rwanda et ce devant Dieu et devant les hommes.

Nous n’entrerons pas dans ses prophéties de malheur, nous nous intéresserons uniquement aux idées de l’auteur contenues dans ce livre, principalement celles en rapport avec les raisons ou hypothèses de son arrestation, avec l’idéologie du génocide, le génocide lui-même, le gacaca et le négationnisme. Mais tout au début, nous brosserons en gros trait l’image qu’on se fait de cet homme à travers la lecture de son livre.

Du Livre et de l’homme



Le livre, avec ses 260 pages, est composé de 28 petits chapitres : GUYT parle d’abord d’un affreux concours de circonstances qui a fait que, bloqué à Kalemie (RDC) en voyage pour Kinshasa, il a dû emprunter la voie de Kigali où il a été appréhendé. Il raconte ensuite son bref passage à la brigade de Remera et son séjour à la Prison centrale de Kigali dont il décrit longuement l’organisation et les diverses activités ainsi que la vie qu’il y a passé: visites reçues, rencontres avec des prisonniers, méditations et prières, lectures et réflexions, auditions du parquet et même soins médicaux. Il parle enfin de sa longue réflexion sur l’idéologie du génocide et passe en revue les hypothèses éventuelles ou « vraies raisons de son arrestations ». Vers la fin, sa méditation qui couvre une douzaine de pages, en rapport avec sa foi face à l’épreuve de prison, clôture ce livre et semble en être la meilleure partie : Guy Theunis se montre tel qu’il est dans ses forces et faiblesses.

Sinon, Guy Theunis réunit sous forme de livre les impressions et les notes prises en 2005. Il y ajoute des points de vue, des prises de position, ses convictions et des déclarations parfois à l’emporte pièce dont on voit qu’au moment de publier le livre il ne s’est pas donné la peine de vérifier ni d’actualiser le contenu. Or ses notes et impressions consignées en 2005 l’étaient dans de mauvaises conditions, peu propices à l’objectivité. Le livre en souffre énormément car il est bourré de beaucoup de contrevérités et de mensonges petits ou gros.

Quant à sa vie en prison, l’auteur avoue y avoir joui d’un traitement de faveur, les conditions de sa détention étant relativement bonnes. Il bénéficiait du minimum nécessaire qu’il prit soin de noter méticuleusement: chambre à part, toilette à l’eau chaude, matelas avec draps et couvertures neuves, chaises et tables, uniforme rose, oreiller, bougie, allumettes, carnet et stylos, nourriture décente, un peu d’argent de poche etc.… Il a profité de nombreuses visites, surtout féminines, note-t-il: 140 personnes dont 61 religieuses en grande majorité rwandaises lui ont rendu visite en 72 jours passés en prison soit en moyenne deux visites par jour. Il a été bien reçu par les prisonniers dont il a apprécié l’accueil, la gentillesse, l’ouverture, l’atmosphère de paix, de convivialité et même d’amitié qui règne à l’intérieur de la prison (p.34). Il a même découvert qu’ « en fait… on ne vole pas en prison » (p.16). Il devient « témoin d’une foi profonde chez la communauté catholique ». Il y a même trouvé de braves gens qui disent « avoir eu des visions de Jésus et de la Sainte Vierge  ». Guy Theunis en fait un commentaire savoureux : « ces visions, note-t-il, aident ces pauvres gens à vivre »(p.55). C’est vrai: de pareilles visions comme tout miracle émergent d’un état d’angoisse, et aident à surmonter les épreuves de la vie. C’est de l’antidote contre le désespoir. Ceci explique d’ailleurs pourquoi « les premiers qui ont eu des visions les ont eues en 1994, face à la mort », comme l’écrit Guy Theunis. Face au vide, on s’invente des visions ou des illuminations. Guy Theunis sortira de prison sans en avoir bénéficié. Il n’en avait pas besoin. Il n’y croit du reste pas. Par contre, il s’est cru avoir « une mission lui confiée par Jésus ». Il se croit « persécuté pour la justice » (p.199) et il est convaincu que son arrestation, astucieusement reconvertie en « persécution », a une dimension plus large « que sa seule personne » et qu’ « elle a, comme beaucoup le disent, une dimension politique » (p.184). Manifestement GUYT.se prend pour un homme investi d’une nouvelle mission. Il se dit même « être devenu une figure nationale » (1990). La preuve avancée est, dit-il, « la façon dont on m’a accueilli en prison, la façon dont on me soutient, la façon dont on se mobilise pour moi » (p.199). Sa soi-disant mission est perceptible à travers tout son livre : régler ses comptes avec le régime actuel rwandais qu’il croit être à bout de souffle, et défendre, mal d’ailleurs, la « cause hutu ». Nous le verrons plus loin.

S’agissant de l’image qui sort de ses propres réflexions, Guy Theunis avoue avoir, entre autres, « des attitudes de timidité, d’arrogance ou d’intolérance, ainsi que certains préjugés de supériorité » (p.218). Il ajoute même que « le plus grand danger qui le guette est celui de l’insensibilité aux autres qui souffrent bien plus que lui »(p.218). Il avoue « avoir été obnubilé par [son] cas et n’a pas pu assez faire attention aux autres en particulier ceux qui venaient le visiter »(p.220). C’est un homme qui a tendance à s’isoler pour à la fois retrouver le sens profond de sa vie et de sa vocation mais aussi, « pour éviter d’autres personnes  » (p.220). Il le reconnait et en demande même pardon.

En lisant son livre, on découvre d’autres aspects assez particuliers de ce personnage mais dans l’ensemble on trouve un classique bourgeois, croyant par tradition, victime des préjugés de son milieu dont il est devenu un otage consentant. Il aime la vie et se comporte comme un enfant gâté qui « aime son café chaud » et « reste dans sa petite maison en écoutant tranquillement les nouvelles de la BBC, de la Voix de l’Amérique ou de la RTBF où l’on vient l’avertir qu’une visite s’annonce ». Comme tout enfant gâté, il se prend pour le centre du monde ; il ne regarde que lui-même, se fâche pour rien et met en avant son assiette et sa cuillère car la culture du manger est trop prononcée chez lui. On le voit: Il est le produit de la société de consommation dont il est issu. Guy Theunis aime tellement la bonne vie, qu’avant son emprisonnement, il lui arrivait de rester à la garde de la maison de l’ambassadeur de Belgique en congé et qu’il en profitait, écrit-il, pour pouvoir « bénéficier de la piscine  » et, bien-entendu, du garde- manger. Son arrestation est considérée par lui comme « une humiliation acceptée » (p.217)

Un homme empêtré dans des mensonges



A lire ce livre, on se demande si jamais le souci d’objectivité a effleuré Guy Theunis, car le livre est parsemé de petits et de grands mensonges dont on se demande s’ils sont dus au souci de se justifier ou de se faire une image de marque. Mais à la fin des fins, tous les écarts qu’il se permet à l’égard de la vérité se retournent contre lui. Que gagne-t-il par exemple à écrire, en 2012, que l’ASBL Dialogue a fait paraître à Kigali seulement deux numéros, un en 2004 et un autre en 2005, alors que la publication se fait régulièrement depuis sept ans ? Guy Theunis est en retard de 18 numéros différents publiés et mis sur le marché. Seuls les lecteurs non avertis pourraient le croire.

Qui pourrait le prendre au sérieux lorsqu’il dit qu’il n’a aucune responsabilité sur les fax qu’il a cosignés avec son supérieur Jef Vleugels sous prétexte que « ces fax ont l’en-tête de la Région [missionnaire], ce qui montre que le père Vleugels en porte la responsabilité  » Oui pour le père Vleugels, mais aussi pour Theunis car ce dernier ne renie pas sa propre signature mais refuse d’en endosser la responsabilité. On le voit: il se dédouane à bon compte comme il peut !

Un autre cas :le Parquet lui demande de s’expliquer à propos de la Radio Amahoro que lui et ses amis ont fondée à l’étranger, pour contrebalancer la Radio Nationale rwandaise, en « présentant au Rwanda et dans les pays limitrophes des informations crédibles permettant aux Rwandais de connaitre certains éléments d’information dont les radios actuelles du Rwanda ne font jamais mention »[1]. Guy Theunis s’explique en ces termes : « Je n’ai pas fondé la Radio Amahoro, elle a été fondée par un groupe de Rwandais, une cinquantaine. Je n’ai fait aucune déclaration sur la Radio Amahoro ». Quelqu’un de bonne foi le croirait sur parole car la démarche du père Guy Theunis pour faire vivre cette Radio a été effectivement plus indirecte mais il n’en garde pas moins la responsabilité: il avait participé à la mise en place de l’ASBL AMAHORO «  créée par un groupe de Rwandais issus de la société civile rwandaise et de partenaires d’ONG européennes  »[2] qui a fondé à son tour la Radio Amahoro, et dont c’était l’unique activité. Et Guy Theunis était l’administrateur–délégué de cette ASBL Amahoro c’est-à-dire que c’est lui qui faisait tout au nom de cette association. C’est en cette qualité qu’il avait cherché et obtenu le financement de la Radio Amahoro auprès des ONGs européennes parmi lesquelles on comptait le collectif Eurostep et Amnesty International. Il avait même pris des contacts par écrit avec la Radio allemande Deutsche Welle en y sollicitant de l’appui pour la Radio Amahoro mais la démarche n’avait pas abouti.

Celui qui n’est pas au courant de toutes ces démarches le croirait sur parole mais ce serait par erreur. Sa responsabilité dans la mise sur pied et le fonctionnement de cette Radio est totale. C’est même lui qui a signé le premier communiqué de presse annonçant le démarrage de ses émissions à partir de l’Africa no1 au Gabon et de la Voice of peace à Addis Abeba. Aujourd’hui Guy Theunis rejette toute responsabilité dans la fondation et la promotion de cette Radio alors que des preuves matérielles sont là. Il ne peut le reconnaitre parce que « les éléments d’information dont les radios à l’intérieur du Rwanda ne font jamais mention » étaient compromettantes car hostiles au régime du Rwanda post–génocide qui lui en demande des comptes. C’est pourquoi GUYT. veut en cacher sa responsabilité devant le Parquet. Son livre pourrait induire en erreur celui qui n’est pas au courant des faits. Sa « vérité » est celle d’un homme accusé sur la défensive.

Un dernier exemple de mensonge gratuit: « l’influence juive » au Rwanda. Quelqu’un qui n’est pas au courant de la réalité croirait qu’une quelconque influence juive existe au Rwanda. Or il n’en est absolument rien. Mais Guy Theunis s’arrange pour voir des juifs partout au Rwanda jusqu’à ce que ça l’« inquiète »(p.137). Il y trouve « la présence de personnalités juives, de discours et de monuments qui semblent inspirés de réactions juives à la Shoah » (p.137). Il pose même des questions : « N’y a-t-il d’ailleurs au Rwanda de nombreux liens entre le régime FPR et des organisations juives, y compris sionistes ? » (p.137), se demande-t-il ? Y aurait-il donc un vieil antisémitisme caché chez ce prêtre de la religion d’origine juive ?

On ne voit pas pourquoi Guy Theunis s’invente un fantasme d’« influence juive » au Rwanda dont la présence est invisible à l’œil nu. Elle n’est que dans son imaginaire embrouillé mais il en est tellement obnubilé qu’il trouve cette soi-disant « influence juive » même à l’intérieur de la Prison centrale de Kigali dont, dit-il, l’aspect extérieur et intérieur ressemble à la vieille Jérusalem. Il ajoute ceci : « Ce qui me frappe, écrit-il, c’est l’atmosphère générale. Comme à Jérusalem, les gens se déplacent sans cesse, les rues sont bondées. On trouve de petites boutiques sur leurs côtés. On y vend toutes sortes de choses. L’ambiance générale est à certains endroits pareille à celle d’un souk » (p.35). Difficile d’y croire ! Impossible de croire que Jérusalem ressemble à un « enfer tout en rose « (p.31), à « une prison surpeuplée » (p.45) avec « une vie sans espoir »(p. 51). Non, à force de forcer la comparaison, Guy Theunis entre de pleins pieds dans le ridicule et ce, pour uniquement montrer la soi disant « influence juive »au Rwanda.

Diatribe contre gacaca



Dès que la nouvelle se répandit en prison que Guy Theunis devait comparaitre devant les juridictions Gacaca, de nombreux prisonniers allèrent le voir pour lui prodiguer des conseils afin qu’il sache « à l ’avance comment se déroulent ces séances et quels en sont les pièges. Ils m’avertissent, écrit-il, que je ne dois rien attendre de positif »( p.63). Guy Theunis proteste car, dit-il, il sait « qu’en certains endroits des gacaca ont de bons résultats. Une réconciliation entre voisins est possible. Surtout quand ceux qui y participent se connaissent et se respectent. Mais ce n’est pas le cas partout, loin de là. Les prisonniers, dont beaucoup sont en prison à cause des gacaca, m’en soulignent plutôt les aspects négatifs » (p. 63).

Bien que Guy Theunis sait qu’« en certains endroits des gacaca ont de bons résultats », il tombe vite dans le camp de ceux qui ne voient que « des aspects négatifs » de gacaca jusqu’à aller contre son principe même. « Et cela pour plusieurs raisons, dit-il. D’abord, on ravive les douleurs du passé en mettant en lumière ce qui s’est réellement déroulé ». Il se demande même pourquoi « ce retour continuel de nombreuses autorités politiques sur les événements du passé » (p.64) On le voit: Guy Theunis aurait aimé qu’on tourne la page. Qu’on « ne mette pas en lumière ce qui s’est réellement déroulé ». Qu’on ne parle pas « des événements du passé ». Le génocide l’embête réellement. Il ne veut pas que la vérité factuelle éclate au grand jour et que la lumière soit. En matière de génocide, Guy Theunis n’est partisan ni de la vérité ni de la lumière. Il reste l’homme de l’ombre et de l’obscurité. On dirait, d’après son attitude, qu’il a quelque chose à se reprocher. Sinon pourquoi vouloir cacher la vérité ? Raviver la douleur ne peut être un obstacle à la vérité. On peut bien se demander du reste de qui est cette douleur qu’on se garde de raviver puisque le rescapé, lui, veut connaître absolument la vérité.

La deuxième raison de son refus de vérité est qu’« on révèle aussi des éléments que les gens ignorent, ce qui entraîne de nouvelles rancœurs, et parfois des vengeances  » (p.64), ajoute-t-il. G Theunis aimerait que « des éléments que les gens ignorent » ne soient pas révélés. Encore une fois il cherche à ce que la vérité ne soit pas connue. Que les responsabilités ne soient pas établies, la sienne en premier lieu. Il veut que les procès, y compris le sien, n’aient pas lieu. Donc que l’impunité reste de rigueur. Mais paradoxalement il aimerait que «  la réconciliation  » se fasse sur fond noir sans lumière ni clarté : une réconciliation sur base de l’ignorance des faits et d’une confiance mutuelle biaisée. Elle n’en est pas une.

La 3ème raison pour laquelle Guy Theunis est contre Gacaca est que c’est « l’occasion d’inventer des crimes jamais commis », d’accuser « faussement d’autres et de jeter en prison des innocents  ». Ici Guy Theunis prête à Gacaca l’aspect négatif qu’il reprochait aux prisonniers. Il prétend que « les autorités en profitent d’ailleurs pour chasser des collines les personnes les plus en vue, celles qui ont fait des études secondaires, qui possèdent des biens, qui sont critiques envers le gouvernement actuel ou simplement, qui parlent trop ouvertement, soit en les faisant mettre en prison, soit en leur faisant fuir le pays par peur ! »(p.64). Guy Theunis n’a fait aucune recherche, il avance des opinions sans fondements ; il ne s’est pas aperçu que les juridictions Gacaca étaient l’affaire de toute la communauté qui, réunie en assemblée du village sur les lieux du crime, sous l’autorité des « inyagamugayo », se rappelait des faits, instruisait les dossiers et établissait les niveaux de responsabilités et parvenaient ainsi à séparer les innocents des coupables. Les juridictions Gacaca se sont faites au grand jour, au vu et au su de tout le monde, les autorités n’y avaient aucun mot à dire. Quant à dire que des gens ont fui gacaca, c’est possible mais ils fuyaient justement la justice. Des génocidaires en cavale : ce fut malheureusement le cas.

Les juridictions gacaca ont abouti aux résultats contraires à ceux recherchés par Guy Theunis: la vérité sur les crimes commis pendant le génocide a été révélée, les responsabilités ont été établies, une nette séparation s’est faite entre innocents et coupables et l’impunité a été bannie. Enfin la réconciliation est envisageable, fondée sur des bases saines.

Fausses hypothèses de son arrestation



Une question hante Guy Theunis tout au long de son livre : « Pourquoi cette arrestation ? Quels en sont les motifs réels ? Qui en est responsable »(p. 18). Il y revient à plusieurs reprises et fait plusieurs hypothèses, les unes plus farfelues que d’autres… mais jusqu’à la fin de son livre, il dira qu’il ne connaît toujours pas « la réponse »(p.179). Ni sa comparution devant gacaca de Rugenge ni son audition devant le Parquet ne l’éclairent guère sur le sujet. Il échafaude donc des hypothèses dont certaines sont, dit-il, « très larges » . La première est classique : chaque fois qu’un religieux, prêtre ou autre, est interpellé par la justice, l’intéressé et ses amis font une levée de boucliers en criant à la « persécution de l’Eglise ! ». C’est une stratégie qui consiste à s’attirer la pitié, la force de l’Eglise et des croyants en disant, « Attention, à travers ma personne, c’est vous qui êtes attaqués ! C’est notre sainte Eglise qui est visée !» Le Père Theunis ne fait pas exception à la règle. Il fait appel à la fois à l’Eglise catholique, à sa Congrégation et à l’histoire d’un des évêques du Rwanda, André Perraudin, qui, pour avoir pris position en 1959, serait, d’après Theunis, à l’origine d’une haine héréditaire contre les Pères Blancs et dont lui-même serait aujourd’hui victime.

Parmi les raisons de son arrestation, il avance donc en premier lieu ceci:« je suis prêtre de l’Eglise catholique, missionnaire d’Afrique, et le régime actuel a un contentieux avec l’Eglise, surtout avec les missionnaires d’Afrique, Mgr André Perraudin en tête » (p.179). Pour beaucoup de tutsi les missionnaires d’Afrique seraient, dit-il, à l’origine de la « Révolution sociale de 1959 ». Cette hypothèse est vite écartée car « cela n’est pas suffisant comme raison »(p.179). Il rejette aussi l’hypothèse de « ce qu’il a dit ou écrit sur le génocide qui a fait problèmes au régime de Kigali »(p.179). Il fait ici référence à ce qu’il a écrit dans un livre sous la direction de André Guichaoua[3]. La 3ème hypothèse serait « l’affaire Dialogue »: il s’agit ici d’un contentieux qui a opposé les ex-membres de l’ASBL Dialogue résidant et publiant la revue « Dialogue » à Bruxelles aux membres de la même association résidant au Rwanda dont l’auteur de ces lignes était le porte-parole. Mais Guy Theunis ne semble pas convaincu de cette hypothèse et il a raison. Il revient sur ce qu’il aurait écrit dans Dialogue/Bruxelles notamment dans le no 177 portant sur la liste de 94 prêtres tués au Rwanda entre le 7 avril et le 16 juillet 1994. Mais cela ne le convainc pas davantage.

Il se demande alors si son appartenance à l’Association des droits de l’homme -ADL- y serait pour quelque chose. Les rapports de cette association « ont publié les noms des personnes assassinées, torturées, disparues aussi bien dans la partie du Pays sous le contrôle du FPR que sur le reste du territoire sous le contrôle gouvernemental » (p.182). Cette hypothèse est à son tour rejetée. Il se rapporte enfin à ses déclarations publiques devant le Sénat belge et la commission de l’Assemblée Nationale française à savoir que le FPR serait « responsable de la mort de milliers d’innocents, et ce dès 1991 » (p.183). Cette hypothèse est à son tour écartée, il en échafaude d’autres sans consistance et qu’il écarte lui-même sans difficultés.

Mais arrêtons-nous un peu à ce qu’il a publié dans ADL car c’est une guerre de désinformation qu’un groupe de Pères Blancs a mené au début de la guerre dite d’octobre et que le Père Theunis n’a pas oubliée. Elle est du reste inoubliable du fait qu’elle portait un éclairage particulier sur ce groupe mal intentionné dès le début.

Une guerre de désinformation d’un groupe de Pères Blancs ?



A un certain moment, nous venons de le voir, Guy Theunis crut que son arrestation était en rapport avec ce qu’il avait publié dans les Rapports de l’ADL. Il y avait « publié, écrit-il, les noms des personnes assassinées, torturées, disparues, aussi bien dans la partie du Pays sous contrôle du FPR que sur le reste du territoire sous contrôle gouvernemental »(p.82). Il se fait que ces listes dont il s’inquiétait avaient fait l’objet d’un montage de la part d’un groupe de pères blancs, Jef Vleugels en tête. Il avait manipulé des listes de soi-disant victimes du FPR en vue de les « équilibrer[4]  » avec celles des victimes du régime Habyalimana. La chose s’était passé dans le nord du Rwanda, à Byumba et dans une partie de Ruhengeri. Le père J .Vleugels, supérieur des pères blancs au Rwanda, disposait alors de trois listes de victimes mais dont deux d’entre elles provenaient du FPR. Il disait que « ces deux dernières listes ont été présentées par Mr Pasteur Bizimungu, alors porte-parole du FPR, dans une conférence de presse à Bruxelles, le mardi 13 Aout 1991 »[5]. Il se plaignait du fait que « ces listes ... n’éclairent qu’un côté de la tragédie rwandaise et que le FPR… en sort indemne, les mains propres »[6]. Le FPR n’était donc accusé de rien. Le père Jef Vleugels trouvait cela injuste et qu’il était donc absolument nécessaire d’accuser le FPR.

Il envoya une lettre, le 4 septembre 1991, à tous les pères blancs œuvrant dans cette partie du Pays notamment dans la Région du Mutara et dans une partie de Ruhengeri en les invitant à mener une enquête, par paroissiens interposés, « dans les zones de combat sur les victimes civiles »[7]. Dans cette lettre à ses collègues, il leur fit une recommandation toute spéciale. « Il est urgent, leur suggéra-t-il, d’équilibrer ces informations et de montrer un aspect dont les mass media étrangers surtout ne parlent jamais : les victimes civiles de ces attaques et infiltrations [du FPR] »[8].

Il leur donna même des indications pratiques mais astucieusement orientées et intéressées pour les enquêteurs-enquêtés. Il dit à ses missionnaires qu’ils doivent intéresser la population à cette enquête : « Cette enquête, dit-il à ses amis curés, présentez la comme inspirée par le souci de la paroisse de connaître les familles atteintes dans un de leurs membres. D’ailleurs il est évident que cette liste sera très utile, une fois la guerre terminée, afin d’aider les victimes à obtenir une aide ou une indemnité »[9](I,68). Les pères blancs desservant les paroisses des communes Bwisige, Cyumba ,Kivuye, Kiyombe, Mukarange, Muvumba, Ngarama, Butaro et Kidaho se mirent au travail et produisirent un rapport sur commande et ,quoique non « équilibré », utile à la guerre de désinformation à laquelle se livraient ses promoteurs missionnaires.

Les résultats de l’ enquête furent quelque peu décevants: ils contenaient des données « incomplètes », « non exhaustives » et même ici et là « lacunaires »[10]. Mais surtout ils ne permettaient pas de distinguer les victimes du FPR de celles des Forces Armées Rwandais (FAR). Donc l’équilibre recherché ne s’y trouvait pas. Pourquoi ? Tout simplement la plupart des membres des familles des communes concernées s’étaient dispersés dans différents camps de déplacés, ou s’étaient enfuis chez leurs voisins en Uganda ou, pour certains, restés à l’intérieur des zones contrôlés par le FPR. Il était impossible d’avoir des informations fiables produites par des paysans dispersés non au courant des nouvelles de leurs proches dont ils étaient séparés. Mais peu importe ! Malgré toutes ces difficultés, les listes furent confectionnées comme voulu par Jef Vleugels. L’ADL, sous contrôle du père Guy Theunis, les publia dans son premier Rapport de décembre 1992,tout en les accompagnant de deux gros commentaires mensongers. Le premier mensonge était ainsi libellé : « La liste ne différencie pas toujours les noms des personnes tuées par le FPR et par l’armée rwandaise  ». La vérité, aujourd’hui encore vérifiable[11], est que jamais la liste ne distinguait les éventuelles victimes des deux camps. Pas même par une seule ligne. C’était le vide absolu. Le fameux « pas toujours » doit se traduire par jamais.

Le deuxième mensonge, tout aussi grossier mais aussi méchant, disait que « la grande majorité, bien sûr sont des victimes des attaques du FPR-Inkotanyi »[12]. Face à des informations incomplètes, non exhaustives, lacunaires, ne permettant absolument pas de distinguer les victimes des uns et des autres,le rapport de Guy Theunis se permettait de conclure que « bien sûr la majorité des victimes sont du FPR inkotanyi ». C’était tout simplement une guerre de désinformation à laquelle se livraient les auteurs du Rapport biaisé. Il fera tiquer le père Theunis, 12 ans plus tard. Il se rappelait du Rapport dont lui et ses collègues avaient fait littéralement le montage. C’est pourquoi il l’inclut dans ses hypothèses d’arrestation : en fait, il se souvenait de la fameuse enquête et des mensonges qui l’ont accompagnée. Cette hypothèse n’est pas gratuite, quand l’on en connaît l’arrière fond.

Ceci est d’autant plus grave que quelques mois à peine avant la publication de l’enquête des Pères Blancs, une autre enquête avait été faite cette fois non par des Pères blancs mais par des représentants de deux associations des droits de l’homme, ADL et A.V.P., qui avaient visité les camps de déplacés de Kigogo et de Miyove à Byumba. Leur Rapport de visite avait abouti à une conclusion différente de celui des Pères blancs. Il disait tout simplement que « les inkotanyi n’ont pas fait de mal à la population civile »[13] et « qu’ils font la propagande de leur humanité, jusque dans les endroits de refuge. Ils veulent convaincre les civils qu’ils ne risquent rien avec eux »[14]. Ce même Rapport ajoutait que ceux qui ont approché les inkotanyi « tous affirment que les Inkotanyi ne tuent pas quand ils entrent sur le territoire rwandais. Ils invitent la population à s’écarter des lieux de combats[15] ». Ils affirmaient même que « les Inkotanyi veulent que les paysans reviennent vivre avec eux ; ils ne leur veulent pas de mal. Ils disent que leur mission, c’est de destituer Habyalimana et son régime dictatorial »[16].

Cette image positive des Inkotanyi, construite à partir du Rapport des activistes des droits de l’homme diffère complètement de celle, voulue comme « équilibrée » mais en réalité biaisée, présentée par les Pères blancs de la Région du Mutara en 1991-1992. Or il se fait que tous ceux qui ont approché les combattants du FPR à cette époque dans cette zone, par exemple à Gishambashayo, à Kivuye, à Mukono, à Kiyombe, à Nkana, à Rukomo et ailleurs, se souviennent que les combattants du FPR prenaient grand soin à être en bons termes avec la population locale. Ils en avaient du reste un très grand besoin puis qu’il leur arrivait de cacher leurs blessés dans la bananeraie de ces mêmes paysans dont la complicité était vitale. Mais le gouvernement invitait la population à fuir devant l’avancée du FPR pour que ce dernier ne règne que sur le vide.

Acte d’accusation



En fait Guy Theunis se fait de la peine pour rien en avançant des hypothèses de son arrestation alors que le parquet lui a bien signifié ses huit chefs d’accusation. Mais à travers ces fausses hypothèses il a un message à livrer : régler, en passant, ses comptes à ses supposés ennemis. Sinon les actes d’accusation lui ont été bien signifiés par le Parquet dans son audition du 8 octobre 2005. En fait, d’après le Parquet, Guy Theunis est poursuivi pour[17] :

1) « …avoir incité au génocide par rediffusion d’écrits du journal Kangura

2) « …pour complicité d’assassinat de plusieurs tutsi (70) enlevés à l’Eglise Sainte-Famille entre le 7 et le 9 Avril 1993 et tués par la suite

3) « …n’avoir pas dénoncé le complot d’extermination des tutsi et les menaces contre les belges (alors qu’il en était) au courant

4)« … pour association de malfaiteurs en participant à une réunion organisant les massacres tenue dans une salle de réfectoire à la Sainte-Famille, entre le 7 et le 9 Avril 1994, réunion à laquelle participait Tharcisse Renzaho, Laurent Munyakazi et Wenceslas Munyeshyaka

5) « … pour avoir propagé intentionnellement des informations incomplètes et imprécises en vue de distraire la communauté internationale

6) « … n’avoir pas apporté assistance aux personnes en danger en refoulant les tutsi qui voulaient se réfugier au CELA en date du 7 Avril 1994.

7) « … pour avoir portée atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat rwandais entre 1990 et 1998

8) «  … de crime de négationnisme du génocide rwandais et pour avoir affirmé qu’il n’a pas été planifié. »

Tels sont les 8 actes d’accusation formulés contre Guy Theunis. Comme on le voit, le supposé délit des Pères Blancs à la naissance assistée de la Révolution de 59 n’y figure pas. Du reste la globalisation en ce qui concerne ces derniers est d’une mauvaise foi évidente : la très grande majorité d’entre eux ont consacré leur vie au Bien des Rwandais, ceux qui se sont compromis au cours de leur mission se comptent sur les doigts d’une main. Mgr Perraudin n’est pas plus représentant des Pères Blancs que ne l’est un certain Mgr Vincent Nsengiyumva pour le clergé autochtone. Et ma foi, qui parmi la jeune génération connaît Mgr Perraudin ? Bref l’Eglise catholique n’est pas citée dans les chefs d’accusation du parquet. « L’affaire Dialogue » n’y figure pas, non plus. Les différents écrits et déclarations de Theunis n’y sont pour rien sauf la « Revue de presse ». L’appartenance à l’ADL n’est nulle part évoquée.

A chaque accusation Guy Theunis donne une brève réponse de 4 à 8 lignes. Le lecteur n’est donc pas plus avancé. Mais comme on le voit certaines accusations sont graves. Elles étaient du reste connues du public avant la publication de ce livre. Presque toutes avaient été portées publiquement contre Theunis lors de sa comparution devant Gacaca de Rugenge (Kigali), le 11 septembre 2005, comme par exemple la rediffusion d’écrits du journal extrémiste Kangura, la non dénonciation du complot d’extermination des tutsi et le négationnisme du génocide. Mais le Parquet les présente d’une manière plus ordonnée et plus systématique. Bien sûr sur tous ces points, Guy Theunis se défend comme il peut. Nous évoquerons ici principalement, comme déjà dit, ses points de vue sur la « Revue de Presse », l’idéologie du génocide, le génocide proprement dit et quelques autres points comme le négationnisme et sa malheureuse défense des « hutu ».

Une « Revue de presse » au service du mal



Guy Theunis réfute toutes ces accusations à commencer par celles relatives à la rediffusion du contenu des médias de la haine. Il dit en premier lieu n’avoir « jamais rediffusé les écrits du journal Kangura » (p.172) mais reconnaît que « la revue de presse de Dialogue donnait en résumé et en français, le contenu d’articles de tous les journaux publiés au Rwanda en kinyarwanda. Nous n’avons jamais repris d’articles comme tels » (p.172), dit-il. Il ajoute par ailleurs ceci : « Notre public, au Rwanda et à l’étranger était composé principalement de personnes ne connaissant pas le kinyarwanda (ONG, ambassades etc  » )(p.80).

Pour comprendre le contexte de cette « Revue de presse », il faut en connaître un peu l’historique. Elle a été lancée en janvier 1992 ; jusque fin 1992 elle comptait environ 200 abonnés dont le nombre ira croissant jusqu’en Avril 1994. Elle avait environ 20 pages par exemplaire. Elle a été gérée dès le départ par Guy Theunis qui en était le secrétaire exécutif comme il en était aussi à cette époque directeur de la revue Dialogue. Mais contrairement à cette dernière, la « Revue de presse » n’avait ni un comité de rédaction ni de rédacteur. Seuls, son editeur, ASBL Dialogue, et le responsable du traitement de texte étaient spécifiés. Par contre l’imprimerie d’où sortait cette Revue était gardée secrète bien que tout au début il fut dit que c’était l‘Imprimerie de Kabyayi. Au début le nombre d’exemplaires par tirage était indiqué sur l’une ou l’autre page de la « revue » puis cette précaution fut à son tour supprimée : le nombre d’exemplaires par tirage tomba à son tour dans le domaine du secret. L’information fournie par un ancien traducteur de cette « Revue de Presse » (F.N.) parle de 500 exemplaires par tirage fin 1993-début 1994. La Revue de presse était même parvenue à se soustraire à l’exigence du Parquet obligeant les journaux à imprimer en bas de la page de couverture l’indication suivante : « Le contenu de ces articles engage irrévocablement leurs auteurs ainsi que l’éditeur »[18]. La « Revue de presse » était devenue une affaire prospère de façon que même le salaire des agents commis à son travail avait augmenté de 20% par rapport à celui du début. L’affaire avait prospéré bien qu’elle évoluât dans le flou le plus total. Guy Theunis était seul maître à bord.

Il est absolument faux de dire, comme l’affirme Guy Theunis , que « le public de cette Revue était composé principalement de personnes ne connaissant pas le kinyarwanda  ». Le public étranger bénéficiaire de cette Revue était faible, moins d’une cinquantaine, d’après nos informations. La grande partie d’exemplaires était écoulée et consommée à l’intérieur du Pays par la population intellectuelle rwandaise comme d’ailleurs c’était le cas pour tous les Rapports de L’ADL publiés eux aussi en français avec la collaboration de Guy Theunis. L’avantage de disposer d’une telle « Revue de presse » était que cette dernière condensait en une seule livraison le résumé de principaux journaux parus au cours de la semaine, par ailleurs difficiles à se procurer en même temps et à un prix abordable alors que l’abonnement à la « Revue de presse » ne demandait que de 1000frw par mois.

Le contenu de cette « Revue de presse » de Guy Theunis pose un réel problème aussi bien moral que juridique. De même que le personnage de son promoteur, Guy Theunis en personne, à la fois prêtre et activiste des droits de l’homme qui semble en contradiction avec les visées et le message véhiculés par cette Revue. Le problème réside dans le fait que Guy Theunis ne faisait pas la distinction entre le bien et le mal véhiculés par les médias. Pour lui, aussi longtemps qu’il s’agissait de revue de presse, tout était à tenir en compte et consigné dans sa « Revue de presse » et rediffusé. Tous «  les medias de la haine », tous les journaux extrémistes du « hutuisme »,du « hutu-power », comme les appelle si justement Jean-Pierre Chrétien, tels Kangura, Echo de Milles collines, la Médaille Nyiramacibili, Ikinani, Umurangi, Ijambo, Vérités d’Afrique; Zirikana (CDR) etc., y trouvaient leur place et y trônaient à l’aise au côté de ceux du MDR-Power comme le Courrier du Peuple ou du MRND comme Umurwanashyaka et Kamarampaka [19]. Paradoxalement ces journaux de la haine avaient une importante clientèle durant cette période d’ébullition sociale de notre Pays. Et Guy Theunis se faisait le devoir de les condenser dans une seule « Revue de Presse  » pour laquelle il écrivait en signe de publicité et de promotion, à la première page de chaque numéro, que c’était « l’hebdomadaire qui résume en français les meilleurs articles de tous les périodiques parus au cours de la semaine en Kinyarwanda ». Meilleurs en quoi ? En quoi sont-ils donc les « meilleurs », ces ramassis d’idées de haine et de poison inoculées dans la population ?

Guy Theunis savait en plus que dans « Dialogue » tous les problèmes doivent « être traités dans la perspective Chrétienne ». Cette ligne éditorialiste est à son tour écrite d’une façon permanente, comme philosophie de base à suivre, à la deuxième page de couverture de chaque numéro de «  Dialogue » depuis sa fondation en 1967. C’était l’esprit de son fondateur et des membres de l’Association. Quelle perspective chrétienne trouvait Guy Theunis à rediffuser les insanités des médias de la haine et oser écrire que cette « Revue de presse » était aussi de Dialogue alors qu’elle n’en avait pas la philosophie ? Lorsqu’un jour en 1995, je le lui demandai par écrit, il me répondit par une lettre cosignée avec Charles Ntampaka, qu’ « il ne revient pas à Dialogue d’apprécier le bien-fondé des opinions exprimées, encore moins d’ignorer une publication existante »[20]. Je me suis alors demandé à qui revenait le devoir moral et civique d’apprécier l’exactitude de la ligne éditorialiste et donc le bien-fondé des opinions exprimées si ce n’est à lui comme prêtre d’abord, comme activiste des droits de l’homme ensuite et enfin comme directeur de Dialogue ayant toujours « la perspective chrétienne  » comme philosophie de base.

Enfin en disant qu’« il ne lui revient pas d’apprécier le bien-fondé des opinions exprimées », il mentait puisqu’il écrivait que c’était « les meilleurs articles », donc qu’il leur donnait son appréciation qui malheureusement mettait de côté tout ce qui est en rapport avec une saine moralité. Il participait ainsi à la destruction de la société rwandaise en pleine effervescence en diffusant en son sein des idées susceptibles de mettre de l’huile sur le feu. C’était du poison qu’il distillait à petite dose. Des concepteurs, des planificateurs et de nombreux exécutants du génocide se ressourçaient aux informations qu’il rediffusait. Or ces dernières dont il ne se distanciait pas étaient de nature à aggraver une situation déjà extrêmement explosive. C’est ici où la responsabilité du Père Theunis nous semble totale. Elle réside dans le fait de ne pas se distancier du mal, mais au contraire de mener une action susceptible de l’aggraver. Une partie de son lectorat, surtout parmi ceux qui ne sont pas assez murs pour se faire leur propre opinion, pouvait gober les écrits du père Theunis d’autant plus facilement que sa fonction de prêtre lui accordait gratuitement et facilement un ascendant moral sur les gens ordinaires .

Il était absolument contradictoires de la part de Guy Theunis d’être à la fois activiste des droits de l’homme, et donc en principe contre l’extrémisme, et de publier d’autre part les extraits des journaux de la haine qu’il prétendait combattre. La rediffusion des idées extrémistes de Kangura sans réserves, ni mise en garde ni aucun commentaire n’est pas innocente. Le devoir de réserve, de prudence incombait au prêtre Guy Theunis et à l’activiste des droits de l’homme qu’il prétendait être. Je me suis toujours demandé si, durant la guerre 1940-1945, un curé flamand aurait innocemment fait le résumé des journaux nazis pour les rediffuser auprès de ses ouailles sous prétexte de faire la revue de presse. En tout cas, dans le cas où il s’y serait décidé, il eut fallu prendre toutes les précautions d’usage pour ne pas induire en erreur ses lecteurs qui ne doivent pas penser qu’il cautionne ces informations. Guy Theunis cautionnait celles des médias de la haine en les qualifiant de « meilleurs articles ».

Le refus de reconnaître l’idéologie du génocide



A proprement parler Guy Theunis ne nie pas le génocide: il le manipule comme il peut. A l’accusation du crime de négationnisme, il répond « J’ai toujours parlé (de même à l’écrit) du « génocide » et des « massacres » surtout après que le pape Jean-Paul II a employé ce mot de « génocide » en Avril 1994. J’ai aussi affirmé que tant que j’étais dans le Pays, je n’ai jamais vu aucun signe de sa planification » (p.174). S’agissant du génocide, il a encore explicité son idée en disant que tout est relatif. « Car la vision du génocide est différente pour chaque personne, écrit-il. Ce que l’on en dit, ou écrit, est différent en Belgique et au Rwanda. Et encore faut-il savoir qui en parle, de quel groupe il fait partie et à qui il s’adresse » (p.133). Toute la philosophie de Guy Theunis en matière de génocide se résume en ces lignes. Pour lui, une grande circonspection s’impose à chacun avant de parler de « génocide ». C’est, selon lui, en fonction des individus que l’on a en face.

Cette gymnastique mentale trahit le père Guy Theunis et montre qu’il ne croit pas réellement au génocide des Tutsi rwandais. Pour un cartésien comme lui, cette démarche biaisée met à nu ses convictions profondes. Il est possible qu’il soit partisan du relativisme théologique qui affirme qu’il n’y a pas moyen de distinguer le vrai du faux et donc qu’il n’y a pas de vérité dans aucun domaine. Mais à ma connaissance le Pape Jean Paul II n’a jamais soutenu ce principe, au contraire il en a montré les dangers en invitant ses ouailles à s’en écarter[21] . En fait, disons- le sans détour, un pareil langage ne peut provenir que d’un négationniste sans foi ni loi qui relativise la réalité du génocide en fonction des lieux et des circonstances. Guy Theunis peut par exemple reconnaître cette réalité au Rwanda et la nier en Belgique. Et encore faut-il savoir à qui il s’adresse. Tout dépend …, selon lui. Que dirait-il de quelqu’un qui croirait en Dieu en face des croyants et le nierait en face des non croyants ? L’attitude de Guy Theunis face au génocide des tutsi relève du négationnisme pur et dur.

Mais Guy Theunis essaie de s’expliquer non sur le génocide à proprement parler mais sur l’idéologie de celui-ci. «  Ce que je refuse, dit- il, c’est l’idéologie du génocide » (p.133). « Ce que je n’accepte pas c’est ce que j’appelle l’idéologie du génocide. Celle-ci est cause de division au sein du peuple Rwandais. Au lieu de favoriser la réconciliation, elle approfondit la haine entre les groupes ethniques » (p.135). L’idéologie du génocide fait problème au père Guy Theunis. Ce dernier prétend avoir vécu longtemps au Rwanda (1970-1994). Il ne devrait pas chercher midi à quatorze heures l’idéologie du génocide. Ne s’est-t-il donc pas aperçu de cette idéologie qui s’est toujours traduite par un racisme anti-tutsi dont l’intensité variait au gré des conjonctures, mais toujours permanente, et qui a duré plusieurs années ? Ne s’est-il pas aperçu d’un endoctrinement massif anti-tutsi de la masse, principalement hutu, enseigné dans des meetings politiques, écrits dans la presse locale, propagé par des discours des Autorités à tous les niveaux ? Le racisme anti tutsi aux manifestations desquelles Guy Theunis n’a pas manqué d’assister souvent, fait partie de l’idéologie du génocide.

La deshumanisation du tutsi en tant que tel, les Dix Commandements de Kangura, le discours de Léon Mugesera, les émissions de la Radio RTLM dirigés contre les tutsi font partie de l’idéologie du génocide. C’est cet ensemble d’idées, d’endoctrinement, de conditionnement psychologique invitant une partie de la population à haïr d’abord, à exclure ensuite et enfin à exterminer le tutsi en tant que tel, qui fait l’idéologie du génocide. Guy Theunis l’a vue à l’œuvre. C’est en partie contre elle et contre ses manifestations que lui et ses amis avaient cru bon de mettre sur pied une association de défense des droits de l’Homme -- ADL -- derrière laquelle il s’est caché tout en la trahissant pour mener des actions qui n’ont rien à voir avec sa mission première.

Guy Theunis connaît cette réalité mais il ne veut pas la reconnaître parce qu’il se trahirait. Reconnaître que les journaux comme Kangura dont il rediffusait les idées participaient à la propagation de l’idéologie du génocide reviendrait à reconnaître qu’il a participé à sa diffusion et donc à plaider coupable. Il ne peut ni ne veut l’admettre. Il ne veut pas admettre qu’il y a eu une intense propagande d’idées extrémistes qui ont précédé, accompagné et suivi le génocide qu’il ne nie pas par ailleurs mais qu’il explique à sa façon: le fait que les Tutsi n’étaient qu’une minorité expliquerait leur extermination.

Un génocide non intentionnel !



Guy Theunis ne nie pas le génocide des Tutsi, avons-nous dit, mais sa logique est plus subtile. En fait il dit qu’il y a eu autant de hutu que de tutsi tués mais que, étant donné que les tutsi étaient minoritaires, il s’est avéré qu’après « ces massacres interethniques » on s’est aperçu que les tutsi avaient été exterminés à cause de leur petit nombre. Guy Theunis ne croit pas qu’il y a eu intention mise en œuvre par le Pouvoir d’exterminer les tutsi. Il ne croit pas qu’il y ait eu un génocide dans ce sens et qu’il a même été programmé . « Il faut s’entendre sur la définition du génocide, dit-il. Si l’on y inclut le caractère programmé de l’extermination d’un groupe ethnique, national, religieux ou « racial », je ne suis pas convaincu du caractère programmé du massacre des tutsi au Rwanda avant le 6 Avril 1994. Tant que j’y vivais, je n’en ai vu aucun signe. Et pourtant, grâce aux journalistes que je rencontrais, j’étais au courant d’énormément de choses » (p.134). Guy Theunis dit n’avoir rien vu venir malgré le poste d’observation haut placé qu’il occupait.

Et pourtant Guy Theunis se contredit. L’ADL dont il faisait les Rapports avait noté bien avant avril 1994 que « l’élimination systématique des personnes appartenant à la communauté des Bagogwe avait été entreprise dans le Nord-Ouest entre fin Janvier et mi-mai 1991 »[22] . Cette élimination systématique des tutsi Bagogwe n’était pas un fait spontané. Elle avait été programmée et exécutée par le pouvoir car, comme l’écrivait l’ADL « les militaires en ont été les principaux instigateurs et exécutants dans les communes avoisinantes des camps militaires, avec la complicité des autorités locales. Ailleurs ces dernières ont ordonné à la population locale de tuer ses voisins (tutsi) comme partie de l’Umuganda ou travail communautaire obligatoire »[23]. Ces militaires n’étaient pas en rébellion. Et ce n’étaient pas des cas d’individus isolés. Non, leur chaîne de commandement fonctionnait normalement. L’Umuganda est toujours un acte administratif programmé. Un ordre donné à la population est un acte prémédité. Si l’ADL l’écrit, c’est que Guy Theunis qui publiait son Rapport en était bien au courant et donc qu’il le sait très bien.

Parlant du massacre des tutsi au Bugesera le même Rapport de l’ADL écrit que « l’opération était dirigée par un bourgmestre aidé par les interahamwe, la milice armée du MRND. En outre les soldats du camp Gako, déguisés en civils, ont attaqué les tutsi pendant que des soldats en uniforme désarmaient et dispersaient les gens qui se rassemblaient pour se défendre » [24]. Dans tous les cas, la Commission internationale dont l’ADL publie le Rapport conclut à l’impossibilité de violences spontanées et donne les raisons. « La simultanéité des attaques, la similitude de leur préparation, l’implication des autorités locales et supérieures ainsi que celles de forces armées, de même que l’absence de toute poursuite judiciaire ou autre permettent d’affirmer que ces massacres relèvent d’une politique délibérée [25] » Donc préparée et programmée en avance.

Le même Rapport implique du reste les Autorités de haut niveau. Il fait état de listes et même d’« une liste officielle dressée par des militaires dans plusieurs parties du Pays sous les ordres de l’état major »(I, p. 3). Ces listes de gens à éliminer ont été préparées avant avril 1994 donc avant le départ en Europe de Guy Theunis. En effet « à la fin septembre ou au début d’octobre 1992, l’armée ordonna à toutes ses unités de fournir des listes de complices présumés de l’ennemi »[26]. Guy Theunis ne peut dire qu’ « il ne s’est aperçu d’aucun signe de préparation  » des massacres des tutsi alors que ces même signes figurent dans les Rapports pour lesquels il a participé à la publication. Il sait trop bien que le gouvernement armait des civils dans le programme de ce qu’il appelait « l’autodéfense civile ». Il est au courant d’un communiqué de la Radio Nationale diffusant de fausses informations à la base des massacres des tutsi du Bugesera. Le Rapport de L’ADL avait osé dire que « le président Habyalimana lui-même porte une responsabilité spéciale dans ces massacres [27] ». Ce Rapport explicite a été publié par Le Père Theunis qui nie aujourd’hui que le génocide ait été programmé

Guy Theunis ne dit donc pas la vérité lorsqu’il déclare à deux reprises qu’avant son départ en Avril 1994, il ne s’était aperçu d’aucun signe de préparation du génocide. Quelques faits aideraient à le lui rappeler. Par exemple le racisme, la haine et toute l’idéologie antitutsi étaient bien en place, établis. Les caches d’armes avaient été dénoncées notamment par un certain Jean-Pierre. Les listes et la localisation des tutsi avec la possibilité d’en éliminer 1000 toutes les 20 minutes étaient de notoriété publique[28]. Même Mgr Vincent Nsengiyumva avait dénoncé, en présence du président Habyalimana au cours d’une messe à Nyamirambo (Kigali), la circulation de ces listes. L’entraînement des milices, les discours incendiaires, les médias de la haine des tutsi, la distribution de milliers d’armes étaient connus de tous[29].

Quelques mois avant la date fatidique, le numéro 54 du Journal Kangura de Janvier 1994 avait publié un article de Ngeze qui disait ceci : « Que les Inyenzi aient le courage de comprendre ce qui va se passer et qu’ils sachent que s’ils commettent une petite erreur ils vont être exterminés ; que s’ils commettent l’erreur d’attaquer encore une fois, il n’en restera plus dans tout le Rwanda, même plus un seul complice. Tous les hutus sont unis… »[30] Le Plan de massacres était fin prêt, il ne restait qu’une étincelle. Guy Theunis qui publiait les extraits de ce journal était très bien au courant de pareilles informations.

Le Kangura no 56 de Février 1994 dont le contenu est bien inséré dans « la Revue de presse » du Père Theunis avait même annoncé comment on va chasser les soldats de la Minuar, exactement comme on l’a fait en Somalie qu’il prenait soin de citer nommément en exemple. … « Les troupes de l’ONU continueront à soutenir les Accords d’Arusha parce qu’ils justifient leur présence ici. Ceux qui rejettent ces Accords se vengeront sur ces soldats et les massacreront ; ils leur jetteront des grenades et ils mourront chaque jour. Un jour viendra où ces soldats en auront assez et partiront. Et c’est après leur départ que le sang sera versé. Tous les tutsis et les lâches hutus seront exterminés… ». Ces informations étaient clairement publiées dans le Journal dont Guy Theunis rediffusait le contenu dans sa « Revue de Presse ». Il ne peut pas dire qu’il ne savait pas, qu’il n’y avait pas de préparation ou qu’il n’en était pas informé.

Guy Theunis a même déclaré devant la Commission d’information QuiLès de l’Assemblée Nationale Française et le Sénat Belge que trois semaines avant l’attentat de Habyalimana, il s’était rendu à Gisenyi auprès de l’extrémiste Ngeze de Kangura, et qu’il y avait appris les 4 points du programme de la CDR à savoir: balayer les accords d’ Arusha, recommencer les massacres des tutsi, chasser les belges du Rwanda et bouter le FPR hors frontières. Il savait tout ce qui se préparait et son silence a cautionné cette politique d’extermination. Le reconnaître aujourd’hui reviendrait à avouer sa propre responsabilité, donc à plaider coupable. Il ne peut le faire .

Il n’admet pas qu’il y a une relation directe entre les préparations et les exécutions de massacres des tutsi d’avant Avril 1994 et ceux survenus après cette date alors que seules l’intensité et l’ampleur font la différence, la nature et l’intention étant les mêmes. Mais l’intensité des massacres de l’après 6 Avril 1994 a été due à la mort de Habyalimana qui a donné une impulsion spéciale au génocide en faisant basculer toute une masse de gens dans l’exécution du projet génocidaire préexistant. Cette population n’a fait que tomber dans le piège de la guerre psychologique de désinformation et de manipulation des concepteurs et autres planificateurs du génocide qui se sont servis de la mort de Habyalimana pour mettre en marche leur projet génocidaire, fin prêt.

Un négationnisme ensoutané



Alors que le Pape Jean-Paul II avait reconnu le génocide des tutsi vers fin Avril 1994, le père Guy Theunis s’empêtre dans sa reconnaissance jusque à nos jours. Tout en ne le niant pas, il use, pour en parler, de détours, de faux-fuyants, d’atermoiements. C’est avec grand peine qu’il utilise le terme « génocide » dans ses écrits. Il parle d’ « événements  » . Deux cas en témoignent. La première fois c’est en juillet 1994: G .Theunis participe à une initiative de haut niveau, sous la direction du Professeur André Guichaoua [31] qui réunit 34 intellectuels pour écrire sur les graves crises que traverse la Région des grands lacs. Il produit un papier de 10 pages portant sur le Rwanda, intitulé : « Le rôle de l’Eglise catholique dans les événements récents ». Pas une seule fois dans cette contribution réalisée pourtant après le génocide, il ne parle de celui-ci mais d’ « événements récents ». Jamais cet article consacré pourtant au Rwanda n’a évoqué le génocide des tutsi comme tel. C’est le terme « événements récents » qui revient tout le temps. Guy Theunis cache donc soigneusement la vérité en réduisant le génocide « aux événements récents » alors qu’il dit le reconnaître depuis que le Pape l’a qualifié comme tel en Avril 1994.

La deuxième fois c’était en Aout-Septembre 1994: Guy Theunis publie un numéro de Dialogue / Bruxelles (No 177) auquel il donne le titre de : « Les Evénements d’Avril-juillet 1994 » au Rwanda. Il y consacre un dossier de 100 pages dans lesquelles le terme « génocide » n’est évoqué qu’une seule fois et d’une façon anonyme sur un papier à part introduisant le dossier. Sinon dans le dossier proprement dit, on parle « d’horreur », de « carnage » , de « malheur », d’« enfer  » , de « massacres » et bien sûr d’« événements » mais jamais de génocide. En fait, Guy Theunis ne pouvait reconnaître le génocide alors qu’à cette même époque il publiait toujours dans sa « Revue de Presse » les extraits de Kangura et ce, jusqu’en 1995 alors que le génocide dans lequel les médias de la haine avaient joué un rôle déterminant était totalement consommé et reconnu internationalement. N’avait-il pas encore pris conscience du rôle funeste des médias du génocide ? Il persistait dans le mal. Ce seul fait devrait montrer qui il est réellement: un complice jusqu’au bout des criminels de Kangura dont il faisait même la publicité dans d’autres médias sous sa responsabilité[32].

Guy Theunis s’empêtre encore dans l’emploi des termes « itsembabwoko et itsembatsemba ». Il s’insurge contre le fait qu’ils ne soient plus utilisés comme c’était le cas immédiatement après le génocide quand « on parlait de itsembawoko (génocide) et de itsembatsemba (massacres )» (p.135). Il aimerait que l’on garde cette formulation qu’il traduit par « génocide de tutsi et massacres de hutu » (p.134). On s’étonne que Guy Theunis, expert en kinyarwanda puisqu’il a participé à la traduction de la Bible, persiste à vouloir utiliser le terme aussi ambigu que « gutsembatsemba » pour traduire massacres alors que ce terme a le sens d’ « extermination ». En effet le verbe « gutsemba » et a fortiori « gutsembatsemba » veut dire « kurimbura  » , « kuzimya », « kumaraho ntihagire igisigara »[33], ce qui se traduit par « exterminer sans que rien ne reste  » . Appliqué au genre humain , ce terme a la signification d’extermination et de « génocide ». Il n’est pas le mieux indiqué pour traduire les victimes de la guerre, hutu principalement mais pas uniquement. Le terme « gutsembatsemba » ou « exterminer » prête à confusion et fait de l’amalgame.

Face à une réalité -- le génocide -- que le peuple rwandais n’avait jamais connue et dont il ne possédait pas le terme approprié, il a été préférable d’emprunter un terme étranger, celui de génocide, mieux indiqué pour traduire l’extermination dont le groupe tutsi a été victime. Ce nouveau terme a même été incorporé dans le langage courant actuel. On parle de « jenoside ». Jusqu’à ce jour l’Etat rwandais s’est focalisé sur l’horrible réalité du génocide et n’a pas consacré une attention particulière aux victimes de la guerre. Ni non plus aux soldats tombés au champ d’honneur. Le génocide est un cas à part et l’essentiel est d’éviter tout confusionnisme et tout amalgame qui reviendraient au négationnisme.

C’est pourquoi il convient de bien nommer les choses et d’éviter que « massacres de hutu » n’ait le sens de génocide car le terme « massacre » peut avoir aussi le sens de « génocide » ou s’il y a intention du Pouvoir, d’ « extermination ». [34] Or le groupe hutu n’a pas connu le génocide. Il n’y a pas eu de la part du Pouvoir une volonté politique et une intention délibérée d’exterminer ce groupe hutu en tant que tel même s’il y a eu de nombreuses victimes en son sein. Le terme « gutsembatsemba » est source de confusionnisme, autant l’abandonner. Guy Theunis devrait faire de même s’il veut sortir de l’amalgame. Il faut surtout éviter de faire un parallélisme entre les victimes du génocide et celles de la guerre : ce sont deux réalités sur lesquelles il faut marquer une nette distinction car par nature le génocide est différent de la guerre. Sinon on glissera du confusionnisme le plus total vers le négationnisme le plus regrettable.

De la malheureuse défense des soi-disant « hutu »



Guy Theunis réduit « l’idéologie du génocide » au soi-disant tabou d’utiliser au Rwanda « des expressions hutu et tutsi » (p.135) Il prétend que l’emploi de ces expressions est interdite mais qu’en réalité cela occulte l’injustice faite aux hutu dont il prétend défendre la cause. Voici ce qu’il en dit : « derrière la défense de parler de hutu et de tutsi pour ne plus parler que de rwandais, il y a une autre réalité qui prend corps. Elle ne permet que de placer des tutsi dans tous les organes de décision, de favoriser un groupe au détriment de l’autre par exemple dans l’éducation scolaire, surtout au niveau du secondaire et de l’universitaire » (p.135). On le voit Guy Theunis se bat contre du vent. Il est en retard d’une révolution: il ignore que les Rwandais se sont libérés de tout racisme, de tout ethnisme, de toute exclusion et même de tout équilibrisme et autres sectarismes. L’époque de tels maux est bel et bien révolue. C’est un grossier mensonge que de dire qu’il règne une quelconque exclusion au Rwanda d’aujourd’hui. Tous les groupes de Rwandais sans exclusive se retrouvent dans toutes les organes de décision et ce, à tous les niveaux aussi bien de l’exécutif que des autres organes. Il n’est pas simplement honnête de dire que les hutu sont défavorisés au niveau dans l’enseignement à quel niveau que ce soit. Guy Theunis ne peut produire aucune preuve. Seuls le prendront au sérieux des lecteurs abusés et manipulés.

Guy Theunis est resté prisonnier d’une époque révolue dont il ne fait que reproduire l’écho en miroir déformant. Si « les expressions hutu et tutsi » ne sont pas tabous, ce qui l’est par contre est de chercher à tirer un quelconque intérêt ou avantage politique ou autre de l’utilisation de ces termes. Leur manipulation à des fins politiques est strictement bannie. Il n’y a pas de doute qu’ils resteront dans la mémoire des groupes comme le sont aujourd’hui les noms des clans tels abasinga, abazigaba, abanyiginya etc. Comme le fait d’être Rwandais est supérieur à celui d’être de tel ou tel clan, il en sera de même avec les termes hutu ou tutsi: ils doivent être démystifiés pour ne plus être prétextes de conflits .

Dans sa guerre pour la défense des soi-disant « hutu », Guy Theunis mène à travers son livre toute une guerre d’arrière-garde. Il s’insurge contre le fait que « les rescapés n’appartiennent qu’à la seule ethnie tutsi »(p.136), contre le fait aussi que « depuis la création des gacaca, seuls les hutu sont accusés »(p.136). Toute personne de bonne volonté sait pourquoi les rescapés sont essentiellement des tutsi et pourquoi gacaca a trouvé « sa clientèle » principalement parmi des hutu. L’histoire en avait décidé ainsi. Le Régime d’alors s’était servi de hutu pour exterminer les tutsi. Ce n’est un secret pour personne. Qu’il y ait des rescapés essentiellement parmi ces derniers et des présumés coupables parmi les premiers, c’est fort compréhensible.

Guy Theunis ajoute même que « comme personne ne peut les [hutu] défendre, on en profite de plus en plus pour emprisonner ceux qui ont fait des études secondaires, qui ont de grandes propriétés, de l’argent ou de l’influence « (p. !36). En réalité Gacaca poursuit quiconque -- hutu, tutsi, twa ou étranger -- qui s’est mouillé dans le génocide à quelque niveau que ce soit. Il est même évident que dans ces massacres organisés, leurs dirigeants ont été ceux qui avaient de l’influence due soit à leurs études, soit à leur rang social ou soit à leur niveau de responsabilité. Qu’ils soient appréhendés, quoi donc d’anormal ? Guy Theunis aurait-il aimé que seuls les petits poissons soient poursuivis ?

Guy Theunis parle « du développement à deux vitesses: à l’intérieur du Rwanda, la capitale, Kigali, se développe d’une façon extraordinaire… Par contre, à l’intérieur du Pays, où vivent la majorité de la population des hutu, c’est la misère « (p.137). Bien entendu, Guy Theunis parle des choses dont il n a pas été témoin: il n’a pas visité l’intérieur du pays. Il ne s’est pas aperçu que la majorité des tutsi vivent aussi dans la campagne au côté de leurs voisins hutu avec lesquels ils partagent les mêmes conditions d’existence. Il n’a pas vu de ses yeux « la misère » dont il parle tout en insinuant qu’elle ne frappe que des hutu. C’est du trou de sa cellule de prison qu’il a porté son regard sur le Rwanda profond et qu’il se permet d’émettre des jugements à l’emporte-pièce. Il n’a pas pu remarquer que le processus de développement est en cours dans tout le pays et embrasse tous les domaines et que le niveau de pauvreté a reculé sensiblement : Par exemple il a baissé de 12 points entre 2005/06 et 2010/11. Et plus d’un million et demi de gens ont monté de niveau de vie en une si courte période. C’est énorme.

L’extrême pauvreté elle-même a vu passer son pourcentage de 40% en 2000/01, à 36% en 2005/06 et à 24 en 2010/11[35]. L’éradication de la pauvreté connaît un réel succès. La mutuelle de santé ne se limite pas à Kigali: elle couvre plus de 70% de la population totale [36] et toutes les couches de la population sont couvertes y compris les plus pauvres dont le quantile est servi à 84,5%. Les programmes Girinka, HIMO, SACCO, Ubudehe, VUP, ICT, la lutte antiérosive,la consolidation des terres,la distribution des fertilisants, l’habitat groupé, les coopératives et autres y ont contribué et ont fait que l’élévation du niveau de vie a passé de 220$ par personne en 2002 à 540$ en 2010/11.

Guy Theunis ne s’est aperçu de rien de tout cela, c’est pourquoi il se contente d’écrire n’importe quoi. Il peut se tranquilliser: tous ces programmes couvrent l’ « intérieur du Pays, où vivent la majorité de la population hutu… » Un proverbe de chez nous que connaît bien Guy Theunis dit: « Urusha imbabazi nyina w’umwana ,aba ashaka kumurya » pour dire que la pitié que porte Guy Theunis pour « sa majorité hutu » n’est pas innocente: elle ressemble à celle du loup qui veut dévorer sa victime. Guy Theunis voudrait embrigader sa soi-disant «  majorité hutu » dans la minable idéologie du « grand nombre » dit « nyamwishi ». Il n’aura pas gain de cause.

Voyant qu’il a peut-être poussé trop loin l’exagération et le mensonge, Theunis se croit obligé d’inclure dans sa défense « des tutsi qui n’ont pas quitté le Pays » dont il dit qu’ « eux aussi sont discriminés par les gens au Pouvoir »(p.137). Merci, mais le même proverbe ci-haut cité vaut aussi pour les rescapés. La pitié de Theunis à leur endroit est à faire réfléchir deux fois. Il devrait d’abord reconnaître l’idéologie à la base du génocide qui a exterminé les leurs avant de parler de la soi-disant discrimination dont ils feraient l’objet sous l’actuel régime. Sous quel régime voudrait-il donc que vivent ces rescapés ? Sous celui qui a exterminé leurs proches ou sous celui qui les a tirés du gouffre où les avait précipités le régime précédent au côté duquel Guy Theunis s’est battu dans sa guerre de désinformation et de manipulation des médias de la haine ? Qu’il laisse hutu et tutsi tranquilles, ils s’entendront sans son concours. Il ne devrait pas se prendre pour leur sauveur. Du reste il n’est plus crédible mais faudrait-il qu’il le sache et qu’il s’occupe de ses oignons.

Une tentative avortée de faire « Un Rwanda Virtuel » hors frontières



Je voudrais avant de terminer montrer non l’image de Guy Theunis mais le camp dans lequel il se situe. Il fait partie de ceux qui ont caressé un vieux projet mort né mais dans lequel il s’est fortement investi et mouillé: créer et faire vivre « un Rwanda virtuel » hors du Pays. Ce fut un coup monté et raté mais cette tentative de refaire vivre en exil ce que l’on peut appeler un « Rwanda virtuel » a existé. Certaines personnes y ont cru et l’ont aidé. Les partisans de cette thèse croyaient que même en cas de sa victoire militaire, le FPR ne pouvait que régner sur un désert, la population ayant suivi le gouvernement et ses institutions à l’extérieur du Pays. C’est ainsi que le Gouvernement Sindikubwabo, avec toutes ses Institutions, son armée, sa société civile et une partie de son Eglise prendra en otage la population et l’amènera en exil avec l’arrière pensée de se reconstruire à l’extérieur et de revenir au Rwanda comme force organisée. Des « amis traditionnels » du Rwanda cautionnèrent cette idiote idée et y apportèrent leur minable appui. Guy Theunis fut de ceux-là. Il a même accompagné ce « Rwanda virtuel » dans l’exil. C’est dans ce cadre qu’il apporta sa contribution, si modeste soit-elle, à la remise sur pied et au fonctionnement de ce « Rwanda Virtuel » en matière de société civile. Il aida par tous les moyens à faire revivre la société civile rwandaise en dehors du Rwanda, à Bruxelles d’abord et dans d’autres camps de réfugiés ensuite.

A Bruxelles il tenta de rassembler autour de l’ASBL AMAHORO et de la Radio du même nom les différents morceaux de la société civile Rwandaise en exil en Belgique. Nous en avons parlé ci-dessus. La fameuse Radio Amahoro a effectivement fonctionné jusqu’à sa mort naturelle faute de moyens de survie. La deuxième tentative toute particulière et peu connue fut celle de reconstituer l’Association des Journalistes Rwandais (AJR) dont il avait été un des membres dirigeants au Rwanda d’avant son départ en Europe. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il s’était rendu à Gisenyi chez son collègue Ngeze pour lui demander des nouvelles, trois semaines avant le début de la « Solution Finale ». Ceci n’est pas généralement connu mais Guy Theunis tenta de ressusciter à Bukavu l’Association des journalistes rwandais en exil. Il s’y rendit en 1994 et parvint à mettre sur pied une branche de cette association qui fut de courte durée. Elle connut une disparition brutale dans la guerre du Congo de 1966-1997.

La 3ième tentative de Guy Theunis consista à faire revivre à l’extérieur du Rwanda sa fameuse « Revue de Presse ». L’initiative parvint à prendre corps, la « Revue de Presse  » publia à partir de Bruxelles quelques extraits de journaux Rwandais parmi lesquels le tristement célèbre Kangura retrouva sa place de choix. La « Revue de Presse » cessa à ma connaissance sa publication en 1995. C’est aussi la dernière année de parution de Kangura dont le premier numéro à l’étranger, dans le « Rwanda Virtuel », avait commencé en septembre 1994. C’est le No 60.

La dernière tentative de Guy Theunis, hors du Rwanda, fut la publication à partir de Bruxelles de la Revue Dialogue. La chose marcha quelque temps mais finalement un procès en bonne et due forme fut intenté contre les usurpateurs de cette Revue. C’est ce que l’on appelle « l’affaire Dialogue  » différente complètement du procès Theunis à la base de son livre dont il est question ici. Tout ceci montre que Guy Theunis n’a jamais digéré la défaite du Régime qu’il avait servi et qu’il a accompagné comme il a pu dans ce dernier refuge. Il devrait lui consacrer un bon Requiem et le laisser se reposer en paix. Il n’a aucun intérêt à réveiller les morts qui viendraient « assurer la relève » du régime actuel que Guy Theunis voit déjà se débattre dans une soi-disant « atmosphère de fin de règne ».

Conclusion



Terminons-en avec ce père Theunis. A mon avis il n’y a pas de doute qu’il soit un négationniste de haut niveau. Les faits le montrent à suffisance. Bien qu’il ne nie pas le génocide, il le relativise jusqu’à en vider la substance. Il en nie l’idéologie et l’intention qui sont pourtant à sa base et qui en constituent les principaux piliers. Pour lui ce génocide a été non intentionnel, non voulu, non programmé donc accidentel. C’est, d’après lui, un génocide spontané. Il fait comme s’il n’y a pas eu un racisme anti tutsi, profond, manipulé par des politiciens et des mass-médias à leur solde pour faire basculer une bonne partie de la population dans le projet génocidaire bien programmé et bien huilé en avance .

La responsabilité du Père Theunis dans la publication du contenu des médias de la haine dans sa « Revue de presse » pouvait être bien établie par la justice. A notre niveau nous ne pouvons faire que quelques hypothèses. La première est de le créditer du « droit au bénéfice du doute ». Admettre par exemple qu’en publiant le contenu des journaux de la haine, Guy Theunis ne cherchait tout simplement qu’à faire son métier de journaliste, celui d’informer son public au nom de la liberté d’expression. Ce crédit au droit à la liberté d’expression lui serait donc garanti dans la présente hypothèse et lui permettrait de rediffuser n’importe quoi dans sa Revue.

Mais un problème de fond surgit immédiatement: Tous les droits et libertés comportent des devoirs et des limites notamment en ce qui concerne la sauvegarde de la sécurité nationale et de l’ordre public. Toute information qui risque de les compromettre n’est jamais à publier. Tout écrit en faveur de la haine, du racisme et de la violence est à proscrire. Sur ce point donc le crédit dont devrait bénéficier Guy Theunis a des limites infranchissables. Le fait d’avoir reproduit les idées de la haine avant avril 1994 est donc une chose en soit mauvaise. Le fait d’avoir récidivé après le génocide de 1994 est pire et plaide manifestement en défaveur de tout crédit à accorder au père Theunis. Il a persisté dans le mal dont il savait que c’est un mal. A mon avis, tout crédit devrait lui être retiré à ce niveau.

Une question se pose néanmoins : Peut-on savoir à quel niveau, la rediffusion des idées de la haine a contribué à l’incitation au génocide dont Guy Theunis est accusé ? Ici aussi la justice aurait dû nous éclairer. Faute de cet éclairage, revenons à nos 2 ième hypothèses de profanes. En matière de crime d’incitation au génocide, quatre facteurs sont normalement à tenir en compte: l’intention de l’auteur, le contexte,la causalité de l’écrit et la jurisprudence. On voit vite ici les difficultés: connaître l’intention de Guy Theunis en publiant les extraits des idées de la haine n’est pas facile ,la subjectivité risquant d’entrer en jeu. Mais comme déjà vu, le fait que Guy Theunis ait continué à publier les idées de la haine même après le génocide penche à faire croire que ses intentions n’étaient pas bonnes au départ à moins d’être tellement irresponsable jusqu’à ne pas s’apercevoir du mal causé par les médias de la haine. Une telle irresponsabilité n’est concevable que chez un détraqué donc dangereux. Guy Theunis est à ma connaissance un homme normal qui fait ce qu’il veut en toute connaissance de cause. Il est donc responsable de ce qu’il a fait.

Quant au contexte, celui-ci ne peut nullement plaider en faveur de Guy Theunis. Le contexte dans lequel Guy Theunis lançait ses idées de haine était explosif, donc prêt à s’enflammer pour tout et rien. Le contexte est donc aussi en défaveur de Guy Theunis.

Quant à la jurisprudence, la seule dont nous disposons est celle justement de Ngeze Hassan, propriétaire de Kangura dont Guy Theunis propageait les idées. Ngeze a été condamné pour incitation au génocide par ses publications dans Kangura. Il a été même démontré qu’il y avait un lien de causalité entre la publication de Kangura et les crimes de génocides. L’ auteur des écrits de Kangura ayant été condamné, qu’en serait-il de celui qui les reproduisait et les rediffusait ? A mon avis la jurisprudence plaide aussi en défaveur de Guy Theunis. Celui-ci pourrait même être considéré comme solidaire et complice de l’auteur principal. Car on ne voit pas pourquoi la reproduction de ces idées serait innocentes alors que leur auteur principal a été condamné. Donc que la justice poursuive Guy Theunis n’est que normal. Le fait qu’il a été montré au-delà de tout doute raisonnable que « ces publications ont contribué substantiellement à la commission d’actes de génocide  » ne devrait pas laisser Guy Theunis tranquille alors qu’il en reproduisait le contenu dont il ne s’est jamais distancié d’une façon ou d’une autre. Au contraire, il leur prêtait sa caution en disant que ces articles extrémistes sont « les meilleurs ». Cette caution plaide en défaveur de Guy Theunis. En fait Guy Theunis est condamnable mais il restera impuni.

D’abord Guy Theunis ne sera pas jugé. Non pas parce que le dossier serait « vide »… « ce que confirmera la justice belge en classant le dossier sans suite  », comme c’est écrit sur la dernière page de la couverture du livre. Non, les choses sont plus sérieuses que le soi-disant « vide » confirmé. Il est pour le moins étonnant que la justice belge ait dû travailler durant « sept mois à raison de deux séances par semaine et de nombreuses investigations  » sur un dossier vide. Il est pour le moins étonnant que la justice belge ait dû travailler durant « sept mois à raison de deux séances par semaine et de nombreuses investigations  » sans se rendre au Rwanda sur le lieu du crime, exactement comme avait travaillé en son temps le juge Bruguière .

En tout cas, les « nombreuses investigations  » n’ont pas interrogé les témoins et surtout n’ont pas analysé sur place au Rwanda l’effet produit directement ou non par les idées de haine véhiculées par la « Revue de presse » de Guy Theunis. Cette procédure n’a pas analysé le contexte et n’a pas étudié le lien existant ou ayant existé entre Ngeze de Kangura et Theunis de la « Revue de Presse » et de l’Association des journalistes rwandais. Bref à ce seul niveau les conclusions devraient être revues et corrigées en matière surtout de procédure à l’instar du dossier Bruguière qui constitue désormais une bonne jurisprudence. Quelle qu’en soit l’issue, une telle procédure laisse toujours un goût amer. Elle ne pouvait que déboucher sur un soi-disant «  dossier vide ».

Et pourtant les choses ne seront ni revues ni corrigées. Pour deux raisons. D’abord la loi belge ne reconnaît pas le négationnisme en matière de génocide des tutsi Rwandais. L’accusation de négationnisme dont nous avons montré les tenants et les aboutissants tout au long de cet article n’est pas reconnu par la justice belge. Seule la loi rwandaise le reconnaît et n’est applicable qu’au Rwanda. C’est dire que le négationnisme du génocide tutsi n’est pas punissable en Belgique. Il en va de même avec la loi sur l’idéologie du génocide : elle n’est applicable qu’au Rwanda. Les crimes dont Guy Theunis est accusé ne sont punissables qu’au Rwanda. Donc Guy Theunis est quitte. A moins…

J’ai en poche une dernière raison toute personnelle qui me fait croire que Guy Theunis ne pourrait pas être jugé ni au Rwanda ni en Belgique. En 1996 déjà, le Journal Golias, ayant la preuve que Guy Theunis envoyait chaque semaine un numéro de sa « Revue de presse » au ministère des Affaires étrangères à Bruxelles s’était demandé « à quel titre le père Theunis …faisait ce travail d’informateur »[37]. Le journal s’était demandé si Guy Theunis n’est pas «  un agent de liaison ». Et si jamais, effectivement, Guy Theunis était un agent de renseignement sous soutane ceci expliquerait d’ailleurs pourquoi il avait ses entrées plus que familières à l’ambassade de Belgique à Kigali jusqu’à y passer ses jours et nuits en cas de congé de l’Ambassadeur. Quoi qu’il en soit, un agent de renseignement compromis n’est jamais jugé, il est toujours « négocié » en contrepartie d’avantages réciproques. Guy Theunis ne sera jamais jugé! Le prétexte du « dossier vide » est cousu de fil blanc… Il ne sera éventuellement jugé que par l’histoire. Et là j’ai réellement peur qu’il ne soit condamné d’abord comme prêtre avec une moralité douteuse en matière de revue de presse, ensuite comme activiste des droits de l’homme au service du mal, et enfin comme membre de la revue Dialogue sans nulle « perspective chrétienne ». Priez donc, si vous y croyez, pour ce négationniste invétéré. Sinon laissez-le à sa pauvre misère: c’est un damné non condamné.

[1] Charte pour une Radio libre, indépendante et pluraliste à destination de l’Afrique centrale, annexe à la lettre de Guy Theunis et de T. Musabyimana du 4 octobre 1994.

[2] Lettre de Guy Theunis Administrateur de l’ASBL AMAHORO et de Titien Musabyimana, Directeur de la Radio Amahoro, Bruxelles, du 4 octobre 1994

[3] Andre Guichaoua…

[4] ADL, Rapport sur les Droits de l’homme au Rwanda, septembre1991-septembre 1992 ,p.68

[5] Idem p.67

[6] Idem p.68

[7] Idem p.67

[8] Idem p.67-68

[9] ADL, Rapport Droits de l’Homme, Septembre 1991-septembre 1992

[10] ADL, Rapport ,septembre 1991… op.cit. p.68

[11] Idem, p.69-90: les listes dont le titre est « Victimes civiles de la guerre d’octobre 1990 à décembre 1991 » comprennent uniquement: nom et prénom, commune, secteur, date ou non de décès. On ne parle nulle part de qui a tué qui.

[12] ADL, Rapport, septembre 1991… op.cit. p.68

[13] Idem, p.92

[14] Idem 91

[15] Idem 95

[16] Idem p.95

[17] Guy Theunis, Mes soixante-quinze jours de prison à Kigali, op .cit . p.172-174

[18] TPIR, op. cit.p.39

[19] Jean-Pierre Chrétien (sous la direction), Rwanda : les Médias du génocide, Karthala, Paris 1995 Annexe, p.383-386

[20] Correspondance du 14 juin 1995.

[21] Voir L’Encyclique: La splendeur de la Vérité (1993, AAS85,1128-1228)

[22] ADL, Rapport sur les droits de l’homme au Rwanda, octobre 1992-octobre 1993, Kigali, Décembre 1993, p.65

[23] ADL, idem, p. 65

[24] ADL. ibidem, p.65

[25] ADL, Rapport op.cit .p.65

[26] TPIR, Jugements Nahimana Ferdinand, Barayagwiza Jean Bosco, Ngeze Hassan, Première Instance (Affaire no ICTR-99-52-T), Version en français, p.36

[27] ADL, Idem, op.cit.p.118

[28] TPIR, op.cit. p.36

[29] « A la fin de l’année 1993, des milliers d’armes à feu avaient été distribuées dans toutes les communes, dans le cadre de programmes d’autodéfense, ou données à la police municipale. Après octobre 1993, la distribution d’armes s’accélère, fusils, grenades et machettes étant distribués aux miliciens ou autres », TPIR, op.cit., p.36

[30] TPIR, op.cit. p70

[31] André Guichaoua, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda(1993-1994), Université des Sciences et Technologies de Lille, 1995.

[32] Le Père Theunis a fait la publicité dans Dialogue du contenu des Kangura nos 33, 34, 35, 52, 56 avant juillet 1994 et les nos 60,61,62,63,64,et 74 à partir de septembre 1994 dont il avait rediffusé le contenu dans sa « Revue de presse  »

[33] IRST, Bizimana Simon et Kayumba Charles, Inkoranya y’Ikinyarwanda giciriritse, Butare,2010,p.157

[34] Dictionnaire, Petit Robert ,1977.

[35] National Institute of Statistics of Rwanda, The Third Integrated Household Living Conditions Survey (EICV3)

[36] Idem p.86

[37] Golias Magazine No 48-49 special été 1996 p.59
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