Fiche du document numéro 32132

Num
32132
Date
Mardi 28 avril 1998
Amj
Auteur
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Titre
Audition de M. Patrick Pruvot, chef de la Mission de coopération au Rwanda (octobre 1987-octobre 1992)
Nom cité
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de M. Patrick PRUVOT
Chef de Mission de coopération au Rwanda
(octobre 1987-octobre 1992)
(séance du 28 avril 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
M. Patrick Pruvot a préalablement rappelé que la coopération de
la France avec le Rwanda datait quasiment de l’indépendance de ce pays,
avec le versement en 1963 des premières subventions du Fonds d’aide et de
coopération (FAC), l’octroi en 1979 de prêts de la Caisse centrale de
coopération économique (CCCE) et la mise en place de jumelages, à partir
de 1985, avec les collectivités territoriales françaises.
Il a précisé qu’il ne parlerait que de la période pendant laquelle il fut
Chef de la Mission de coopération et d’action culturelle (MCAC) à Kigali, du
25 janvier 1987 au 31 mars 1992.
Il a tout d’abord souligné les deux contraintes majeures affectant le
Rwanda : la pression démographique et l’enclavement.
La pression démographique est extrême avec une densité moyenne
sur les terres cultivables proche de 400 habitants par km² (des pointes à
700 habitants par km² n’étant pas rares) et un taux d’accroissement annuel de
la population supérieur à 3 %. Ses conséquences en sont un manque de terres
agricoles, une amorce de regroupement urbain anarchique, des risques pesant
sur la santé, une surcharge du système éducatif, des ménages aux revenus
moyens très bas avec, par conséquent, peu de marge de taxation pour l’Etat.
L’enclavement géographique est patent et se traduit par un
isolement des grands circuits de communication et d’information, de lourdes
dépenses dans le domaine des infrastructures routières, le renchérissement
des importations, la difficulté d’exporter et donc l’étroitesse de la base des
ressources fiscales ou douanières qui ne permettent pas à l’Etat de s’assurer
des recettes budgétaires suffisantes.
Ces facteurs prendront une importance cruciale au milieu des années
quatre-vingts. A cette époque, le dogme de l’autosuffisance alimentaire est
remis en question ; fondé sans doute sur la nécessité de pallier les
inconvénients de l’enclavement et de se garder de la fragilité d’exportations
reposant pour l’essentiel sur le café, ce dogme s’effondre avec les cours du
café et sous la pression qui s’exerce sur des terres exploitables saturées ; le
Rwanda glisse alors vers l’ajustement structurel et se retrouve exposé à des
difficultés sociales auxquelles peu de pays d’Afrique ont eu à faire face à ce
degré. Le caractère inéluctable de cette dégradation des conditions de vie
(accentuée par le déferlement du sida), qui semble rendre vains les efforts
acharnés du passé, tout en imposant aux Rwandais une véritable lutte pour la
vie, ne pouvait pas avoir été sans effet sur la détresse de la population et ses
rapports à la mort.
M. Patrick Pruvot a ensuite traité des grands objectifs poursuivis
par la coopération franco-rwandaise : améliorer de manière pérenne le
bien-être de la population sur le plan de ses revenus, de son alimentation, de
sa santé et de son éducation ; donner au Rwanda les moyens de s’ouvrir sur
et à l’extérieur en matière économique et culturelle ; fournir au pays des
ressources nouvelles et stables et des instruments de gestion efficaces, le faire
évoluer progressivement vers une société de droit moderne, plus
démocratique et participative.
Il a indiqué que la stratégie à suivre pour atteindre ces objectifs
devait tenir compte des spécificités du Rwanda. Il a ainsi souligné que ce
pays était habité par une population courageuse et dure au travail, vivant
dans un milieu social très dense, fortement structuré jusqu’à la colline et au
“ rugo ”, type d’organisation qui, du moins pour ce qui regarde la diffusion
des messages formateurs et les possibilités de démultiplication de l’impact
des projets, présentait des avantages. Il a rappelé par ailleurs que les besoins
étaient considérables, en regard de l’importance numérique de la population
et de l’état des ressources disponibles, et que cette situation imposait une
coordination particulière des efforts de toutes les parties prenantes, à savoir
le Gouvernement, les bailleurs de fonds, les organisations non
gouvernementales et, au premier chef, les habitants eux-mêmes qui devaient
être mis en mesure de participer à leur propre développement.
C’est pourquoi, dans l’ensemble des actions financées par la France,
un accent particulier fut mis sur la formation à tous les niveaux : formation
de cadres mais surtout formation de formateurs capables de démultiplier
rapidement les actions entreprises.
C’est pourquoi aussi la concertation avec nos partenaires et la
transparence dans la préparation et le suivi des actions fut la règle. La
MCAC élaborait son programme en liaison étroite avec la CCCE ; la
préparation des Commissions mixtes était l’occasion d’une intense
concertation avec les ministères rwandais. La MCAC participait à des
échanges de vues réguliers avec la représentation de l’Union européenne,
avec les principales agences du système des Nations Unies, avec ses
principaux partenaires, tant au sujet de l’aide au développement que de l’aide
humanitaire.
Sur le plan interne au dispositif français, des sessions d’information
associaient les coopérants, ainsi que les responsables des principales
organisations non gouvernementales de développement (ONG) et des
jumelages ; ces organisations furent d’ailleurs invitées à participer aux
Commissions mixtes à partir de 1989.
M. Patrick Pruvot a précisé que la Mission de Coopération
établissait chaque année un bilan exhaustif et détaillé des actions menées avec
le soutien de la France, qui était diffusé auprès de tous nos partenaires,
rwandais comme étrangers, bilatéraux comme multilatéraux, publics comme
privés.
Il a ensuite évoqué les secteurs bénéficiant en priorité de la
répartition des crédits de la MCAC, qu’il s’agisse du FAC, de l’assistance
technique ou des appuis aux opérations.
Le secteur éducatif et culturel bénéficiait de 40 % des ressources
sous forme d’assistance technique, de crédits d’appui et de bourses de stage
et d’étude. Toute la pyramide éducative et culturelle était concernée :
l’individu par la diffusion du livre dans un réseau de bibliothèques rurales,
par l’appui au mouvement sportif, par la promotion de la culture rwandaise ;
l’élève par la rénovation de l’enseignement du français dans les écoles
primaires et le soutien accordé à divers lycées ; les maîtres par la formation
dans les écoles normales ; les étudiants par l’enseignement universitaire et le
fonctionnement des accords universitaires.
Le secteur rural recevait 25 % des ressources qui servaient au
financement de projets visant à maintenir la fertilité des terres, à intensifier
les cultures, à améliorer les systèmes agraires (notamment l’élevage et la
bananeraie). La priorité était donnée à la recherche-développement, à la
vulgarisation et à la formation ainsi qu’au recyclage des cadres de
l’agriculture.
Le secteur de la santé se voyait attribuer 10 % des ressources,
consacrées à deux hôpitaux de référence, chargés notamment de former et
recycler les personnels médicaux des régions, à des enquêtes
épidémiologiques et au programme de lutte contre le sida.
Le dernier secteur, moins homogène, concernait principalement les
infrastructures. 20 % des crédits et moyens lui étaient destinés, concentrés
sur les télécommunications, la gestion du réseau routier, l’établissement d’un
fichier foncier, l’informatisation du service des douanes.
M. Patrick Pruvot a précisé que le dispositif de coopération civile,
technique et culturelle était réparti sur de nombreuses communes du
territoire rwandais et concernait la plupart des grands secteurs d’activité. Ce
dispositif comprenait :
— des programmes couvrant l’ensemble du territoire, tels que le
projet d’artisanat rural et d’équipement des écoles en mobilier scolaire, les
bibliothèques circulantes, l’appui aux installations sportives, le projet
d’équipement et de modernisation des télécommunications, les programmes
de recyclage des cadres de l’agriculture et de formation des maîtres d’école,
la formation hospitalière ; mais encore des actions localisées à vocation
nationale telles que l’appui aux universités et au ministère de l’Agriculture ;
— des projets plus localisés mais couvrant plusieurs communes,
voire une région entière, tels que les projets de développement rural dans la
zone de la forêt de Nyungwe, dans les communes voisines de Butare, de
Rushashi, de Masaka, les programmes d’enquête épidémiologique et de
pharmacies rurales dans les régions de Gisenyi et Ruhengeri ainsi que le
projet de formation par les Maisons familiales rurales dans la région de
Gisenyi ;
— des jumelages entre des collectivités françaises et des communes
rwandaises ainsi que des projets de l’Association des volontaires du progrès
(AFVP) dans les préfectures de Kibuye (à l’est), de Butare (au sud), de
Gitarama (au centre), de Byumba et Ruhengeri (au nord) et dans la région de
Bugesera (au sud-est).
Il a ainsi décrit les moyens qui consistaient en personnel d’assistance
technique et en contributions financières :
— des coopérants, civils et VSN, enseignants et techniciens, au
nombre de 75 à 80, des volontaires et des agents mis à la disposition de la
coopération décentralisée au nombre de 20 à 25, des personnels en poste
dans les écoles françaises et les centres culturels au nombre de 12. Au total,
environ 115 personnes ;
— des moyens financiers de l’ordre de 75 millions de francs en
année courante, se répartissant entre le FAC (28 millions de francs), les
appuis aux opérations (14 millions de francs) et le personnel d’assistance
technique (33 millions de francs), enfin l’aide d’urgence (1 million de francs
en moyenne). A ces financements propres à l’action de la MCAC, il convient
d’ajouter les engagements de la CCCE (entre 20 millions de francs et
120 millions de francs selon le mûrissement des dossiers instruits), puis, à
partir de 1989, la réduction du service de la dette (représentant une
économie de 36 millions de francs pour le budget rwandais) et des aides
budgétaires, notamment pour l’appui à l’ajustement structurel (70 millions de
francs), enfin les engagements propres de la coopération décentralisée (de
l’ordre de 2 millions de francs par an).
Il a souligné que si ces moyens pouvaient paraître modestes en
comparaison des immenses besoins d’un pays de 7 millions d’âmes, la France
tenait pourtant, avec la Belgique, le premier rang des bailleurs bilatéraux,
offrant environ 10 % de l’aide publique reçue par le Rwanda. Elle se devait
donc d’entraîner ses partenaires et de militer pour la concertation. Il a estimé
que la France y était parvenue et que les résultats concrets de notre
coopération étaient là pour le prouver.
Il a enfin signalé que le fonctionnement de la MCAC et la manière
dont les projets étaient gérés furent vérifiés par une mission d’inspection
générale conduite en 1990 par M. Louis Amigues, en liaison avec
l’ambassade et la CCCE.
Abordant le conflit d’octobre 1990, il a déclaré que la situation
militaire allait ajouter au fardeau de la population rwandaise. La menace
s’installe aux marches du nord et l’effort de guerre grèvera de manière
insupportable le budget. Les premiers massacres sont perpétrés. L’insécurité
s’installe partout.
Un plan d’évacuation des personnels sera préparé par la MCAC
avec l’ambassade et les responsables de l’opération Noroît, et présenté à
M. Jacques Pelletier lors de la visite qu’il fera au Rwanda début novembre
1990. Ce plan sera constamment amélioré, mis à jour et articulé avec les
dispositifs d’autres organisations présentes au Rwanda.
Dès le mois de décembre, des dispositions de sécurité seront
arrêtées par la MCAC dans le cadre d’un plan de réaffectation des personnels
destiné à maintenir une utilisation optimale du potentiel d’assistance
technique en cas de troubles localisés.
En conclusion, M. Patrick Pruvot a indiqué que, par deux fois, les
personnels ou leur famille ont dû, à contre coeur, être évacués ; pour des
raisons humanitaires évidentes, certains d’entre eux, les médecins, ont
accepté d’être maintenus. Tous ont repris ensuite leur travail au service de la
population rwandaise avec la même conviction, en fondant leur action sur
l’espoir de la réconciliation et de la paix, et en oeuvrant pour y contribuer. Il
a tenu à leur rendre hommage sans oublier le sacrifice des coopérants morts
dans l’attentat du 6 avril 1994.
M. Jacques Myard, après avoir indiqué à M. Patrick Pruvot que
son successeur avait déclaré à la mission que la France avait agi avec
ignorance et suffisance au Rwanda, lui a demandé s’il pensait que la politique
de propagation de la haine avait été partagée par l’appareil d’Etat rwandais
et quelle avait été l’action des autorités françaises sur place pour tenter
d’apaiser la situation, sachant que la France n’était pas en situation d’imposer
ses vues à un pays souverain.
M. Patrick Pruvot a répondu que la France menait une politique de
coopération avec le Rwanda depuis 1963 ; les premiers jumelages entre
collectivités territoriales rwandaises et françaises datent de 1985 et en 1992,
il y avait quarante demandes de jumelage en attente ; il a estimé que ce bilan
montrait que les Français avaient pu nouer une coopération efficace avec le
Rwanda.
Rappelant que la montée de la haine était ancienne, il a souligné
qu’elle concernait le Rwanda comme le Burundi et indiqué qu’il avait
lui-même assisté aux massacres de 1971 dans ce dernier pays. Il a estimé que,
de ce fait, on ne pouvait pas ne pas être informé de la tension entre Hutus et
Tutsis.
Cependant, son rôle en tant que Chef de la Mission de Coopération
civile était de faire tout ce qui était en son pouvoir pour oeuvrer à
l’accroissement du bien-être de la population rwandaise, et non du
Gouvernement. De ce fait les objectifs poursuivis étaient très clairs et tout à
fait irréprochables, cette appréciation valant pour l’ensemble de la collectivité
internationale. A ce propos, M. Patrick Pruvot a précisé qu’il existait, au
Rwanda, une collaboration et une concertation plus efficaces que dans
d’autres pays d’Afrique, entre les différents partenaires de l’aide au
développement et de l’aide humanitaire, et notamment avec les organisations
de l’ONU, dont le PNUD, et nos partenaires européens avec lesquels nous
avions des rencontres régulières.
M. Patrick Pruvot a alors estimé que si la haine brute n’avait
explosé qu’après son départ, la haine latente était là, d’abord parmi les
Rwandais eux-mêmes, et qu’il fallait vivre avec cette situation.
M. Jacques Myard insistant pour savoir si M. Patrick Pruvot
estimait que la France avait agi par ignorance, celui-ci a répondu que, pour
lui, la réponse était négative.
M. Roland Blum a alors demandé si, en matière de coopération
économique et d’aide au développement, il y avait eu un souci d’équité et de
répartition de l’aide entre les ethnies et si cette question était évoquée à
l’époque avec les autorités rwandaises. Il s’est également interrogé sur le
point de savoir si la France avait des raisons économiques de s’intéresser au
Rwanda.
M. Patrick Pruvot a répondu que, pour lui, la première question ne
faisait pas forcément sens dans la mesure où il n’y avait pas de répartition
géographique des ethnies au Rwanda, l’immense majorité du pays étant
hutue. Il n’y a pas de collines ou de villes tutsies même s’il y a des régions
comme celle des Bagogwe ou le Bugesera où, pour des raisons historiques
ou autres, la densité de population tutsie était plus forte. Il a précisé que de
ce fait, lorsque ses services préparaient les programmes de coopération, cette
question n’était pas posée, et ce par aucune autorité rwandaise.
Il a ajouté que, si une ignorance pouvait être reprochée, c’est bien
celle de la répartition entre ethnies de l’effort de coopération ; cependant
cette ignorance n’aurait pu être levée qu’en allant vérifier sur le terrain les
cartes d’identité des bénéficiaires, puisqu’elles portaient la mention “ Hutu ”
ou “ Tutsi ” et, en quelque sorte, étaient établies sur la base d’un
recensement des Rwandais selon leur appartenance ethnique.
M. Patrick Pruvot a rappelé au passage que la Mission de
Coopération avait effectué un recensement, avec l’INSEE, des populations
rwandaises pendant la période où il était Chef de Mission. Il a répété qu’au
Rwanda on ne pouvait ignorer la division ethnique mais qu’elle ne pouvait
pas servir de critère de sélection.
Quant aux intérêts économiques, M. Patrick Pruvot a remarqué
qu’il s’agissait là plutôt du domaine de la Caisse centrale de coopération
économique (CCCE) mais qu’en tout état de cause les entreprises françaises
implantées au Rwanda étaient très peu nombreuses. Il a estimé que les
intérêts de la France au Rwanda étaient plus d’ordre géopolitique ou liés à la
francophonie qu’économiques.
M. Yves Dauge a demandé des précisions sur la coopération en
matière linguistique. Il a émis l’hypothèse d’un double jeu de la part de
l’exécutif rwandais : d’un côté, un discours officiel destiné à l’étranger selon
lequel on s’orienterait vers la démocratisation, de l’autre, une réalité figée,
difficile à décrypter en raison notamment de la barrière linguistique.
M. Patrick Pruvot a rappelé que le Rwanda, très isolé, était pris en
tenaille entre d’une part le Zaïre, où l’on parlait essentiellement, dans les
régions frontalières, le lingala, et d’autre part des pays anglophones dont la
langue vernaculaire est le swahili, peu parlé au Rwanda. Dans ce contexte, le
français apparaissait comme la langue de communication qui devait permettre
au Rwanda de s’ouvrir sur l’extérieur, ce qui était la meilleure garantie de
démocratisation. Aussi 40 % des crédits de la coopération étaient-ils destinés
à des actions linguistiques et culturelles. Une tournée en France de ballets
rwandais traditionnels tutsis a ainsi été financée, et des bourses d’études et
de sport ont été accordées.
M. Patrick Pruvot a estimé que la chancellerie ne disposait pas de
services suffisants pour analyser tout ce qui se disait et s’écrivait dans la
presse et que peu de Français étaient à même de comprendre le kinyarwanda,
que certains officiels n’hésitaient pas à utiliser entre eux lors de réunions avec
des représentants de l’ambassade.
M. Kofi Yamgnane a estimé que ce qui s’est passé au Rwanda
aurait pu se dérouler ailleurs en Afrique, dans tous les pays où existent des
oppositions ethniques ou régionales continuant de couver sous la cendre. Ce
qui est surprenant, c’est que la France se soit laissée prendre dans ce guêpier
alors que nos diplomates devraient connaître les risques et les dangers des
sociétés africaines.
M. Patrick Pruvot a répondu qu’il est très douteux que la France
se soit laissée surprendre par ignorance. Le Ministre de la Coopération de
l’époque, M. Jacques Pelletier, a effectué en novembre 1990 un voyage dans
la région des Grands Lacs, au cours duquel il a insisté auprès du Président
Habyarimana sur la nécessité d’améliorer les relations entre les
communautés, alors même que les mariages mixtes étaient fréquents, et l’a
encouragé à prendre diverses dispositions pour éviter l’explosion. L’exemple
voisin du Burundi illustrait les risques encourus.
Le Président Paul Quilès a demandé comment réagissait le
Président Habyarimana aux conseils qu’il recevait de la part des Français.
Estimait-il réellement qu’il était de son intérêt de les suivre ou se contentait-il
de les entendre en laissant les choses suivre leur cours ?
M. Patrick Pruvot a répondu qu’il n’avait rencontré le Président
Habyarimana qu’une seule fois lors de la visite de son ministre de tutelle. Son
sentiment personnel est que le Président Habyarimana ne jouait pas un
double jeu et recherchait une solution. C’est peut-être ce qui lui a coûté la
vie, à moins qu’au contraire les auteurs de son assassinat aient considéré
qu’il ne voulait pas de cette solution.
M. Kofi Yamgnane a observé que les dirigeants africains se disent
souvent disposés à dialoguer mais ils se préparent parallèlement, en cas de
crise, à imposer une solution par la force dès lors que celle-ci joue en leur
faveur.
Le Président Paul Quilès a fait remarquer que ce n’était pas là une
attitude propre à l’Afrique.
M. Pierre Brana a demandé quelles ont été les grandes actions de
coopération menées de 1987 à 1992 au Rwanda.
M. Patrick Pruvot a précisé que les crédits de la Mission de
Coopération et d’Action culturelle étaient consacrés pour 40 % au secteur
éducatif et culturel, pour 10 % au secteur de la santé et pour 20 % à un
secteur moins homogène comprenant les télécommunications, la gestion du
réseau routier, l’établissement d’un fichier foncier et l’informatisation du
service des douanes. Ces secteurs avaient été privilégiés parce qu’essentiels
pour le développement du pays.
En 1992, le Rwanda possédait le réseau téléphonique le plus
moderne du monde, entièrement numérisé. Le bon état des routes était
particulièrement vital dans un pays enclavé, toujours menacé d’asphyxie.
L’établissement d’un fichier foncier représentait un premier coin enfoncé
dans le problème de la répartition des terres et devait contribuer à gérer le
nombre croissant de déplacés qui s’accumulaient autour de Kigali.
L’informatisation des douanes était particulièrement importante dans un Etat
dont 75 à 80 % des ressources provenaient des exportations de café, même si
le Rwanda était parvenu à se hisser en 1990, avec un PNB par habitant de
300 dollars, dans la partie haute de la catégorie des pays les moins avancés.
M. Pierre Brana a demandé si M. Patrick Pruvot avait eu
connaissance d’une aide que la France aurait pu apporter au projet de
suppression de la mention ethnique sur les cartes d’identité.
M. Patrick Pruvot s’est souvenu avoir entendu évoquer ce
problème mais a déclaré ne pas avoir eu à en connaître directement, aucune
demande des autorités rwandaises n’étant parvenue à la Mission de
Coopération.
Le Président Paul Quilès a précisé que cette question avait été
soulevée lors d’une visite de M. Jacques Pelletier au Rwanda en 1990.
M. Patrick Pruvot a déclaré ne pas en avoir gardé le souvenir. Il en
a sans doute été question lors de l’entretien entre MM. Jacques Pelletier et
Juvénal Habyarimana en 1990 mais il faudrait revoir les télégrammes
diplomatiques de cette époque pour savoir ce qui avait été convenu.
Le Président Paul Quilès s’est étonné du temps qu’il a fallu pour
mettre en oeuvre cette décision.
M. Patrick Pruvot a souligné que la Mission de Coopération
n’avait pas à connaître directement de cette décision de changer les cartes
d’identité, sauf si la France avait souhaité accorder une aide qui, très
probablement d’ailleurs, aurait été une aide budgétaire.
M. Pierre Brana a fait remarquer que le comité directeur du FAC
avait à connaître de dossiers de financement de ce type puisqu’il examine par
exemple des demandes concernant la réalisation de cartes d’électeurs
infalsifiables.
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