La revue des revues. En mars 2021, la parution du rapport Duclert, établi sur la base des archives de l’Etat, avait apporté un éclairage important sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Le travail de cette commission n’avait pour autant pas mis un point final aux recherches sur le génocide des Tutsi qui a fait un million de morts en 1994.
« Cette étape, décisive, n’a pas épuisé le travail de vérité », avait rappelé Emmanuel Macron lors de son déplacement à Kigali en mai 2021.
La recherche se poursuit donc. Avec la parution de ce volume de la revue
Le Genre humain consacré au génocide des Tutsi au Rwanda, une nouvelle étape scientifique est franchie. Rédigés par une trentaine d’auteurs (chercheurs, historiens…), certaines contributions prolongent la réflexion, d’autres approfondissent l’histoire au-delà de la période étudiée par la commission.
« La connaissance est un combat d’autant plus impérieux que progressent l’empire du mensonge et la haine du savoir », écrit Vincent Duclert, coordonnateur de l’ouvrage.
Dans son article « Le comparatisme à l’épreuve des violences de masse : des Arméniens aux juifs et aux Tutsi », Raymond H. Kévorkian compare les mécaniques qui mènent à l’extermination.
« Les génocides se caractérisent par le fait qu’ils sont décidés par le parti politique dominant, ou plus exactement par sa direction constituée le plus souvent d’un premier cercle d’une dizaine de personnes », analyse l’ancien directeur de recherche à Paris-VIII.
Lutte contre le révisionnisme
Parmi les dénominateurs communs, il y a aussi un élément déclencheur.
« Le génocide des Tutsi a commencé le lendemain de la mort du président Juvénal Habyarimana [le 6 avril 1994]
et après trois années de guerre entre l’armée gouvernementale et une rébellion venue de l’extérieur [le Front patriotique rwandais (FPR) originaire d’Ouganda], précise Marcel Kabanda, historien et président d’Ibuka France, une association de victimes.
Mais s’il est vrai que ces éléments ont alimenté la propagande développée depuis octobre 1990… il est tout aussi vrai que le vocabulaire, le langage et la thématique ont constamment renvoyé à un épisode antérieur, celui de la révolution sociale. »
Rafaëlle Maison, agrégée de droit, dénonce l’instruction du juge Jean-Louis Bruguière sur l’attaque ayant provoqué la mort du président rwandais :
« Parce qu’il imputait, à l’issue d’une enquête très contestable, l’attentat contre l’avion au FPR, la responsabilité se trouvait explicitement inversée… Cet acte judiciaire pouvait apparaître comme un objet négationniste. » Thomas Hochmann, membre de l’Institut universitaire de France, se penche davantage sur la lutte contre le révisionnisme, à travers notamment la thèse du double génocide qui considère que, entre avril et juillet 1994, le Rwanda aurait été le théâtre de massacres réciproques entre Tutsi et Hutu.
« Cette vision, analyse-t-il,
s’inscrit parfaitement dans le schéma interprétatif dominant en France pendant le génocide. » Et qui n’a pas totalement disparu, vingt-neuf ans plus tard.
« Le Genre humain », numéro 62, Seuil, 304 pages, 21 euros.