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Values in action – Des valeurs en action
Posts Tagged ‘Guillaume Ancel’
Opération Turquoise : lettre à un camarade égaré ! 31 May
2014
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/05/sans-titre-2-2.png)
Jeune capitaine comme toi au Rwanda, je suis interloqué par tes déclarations
sidérantes sur l’opération Turquoise. Tu ne me connaissais pas avant de me
rencontrer, parce que je m’occupais d’opérations spéciales à l’état-major de
Goma.
J’entends et je lis des propos qui paraissent cautionner les thèses de ceux qui
nous accusent de complicité de génocide, rien de moins !
J’ai longtemps gardé le silence sur les tenants et aboutissants de cette opération
par devoir de réserve et par respect pour les rescapés de ces abominables
massacres. Je laisse à d’autres se forger une légende en période de reconversion ou pour vendre
des prestations de service. Je n’ai pas lu le rapport d’enquête parlementaire, ni les publications,
livrets, opuscules, pamphlets et autres récits auto promotionnels. On ne refait pas l’histoire dans
les rédactions, les salons mondains ou les réunions politiques, surtout 20 ans après.
De graves accusations
Peu godillot de nature, je crois que l’exigence de vérité s’accommode mal de mensonges et de
demi-vérités, des thuriféraires de Turquoise qui se trompent de cible comme de ses laudateurs.
Oui l’action de la France a été complexe et le président Mitterrand a soutenu jusqu’au bout le
président Habyarimana. L’exécutif à conduit une politique étrangère et de sécurité qu’il estimait
conforme aux intérêts nationaux, comme nos alliés anglo-saxons qui sont loin d’être des enfants de
cœur. Turquoise a été la partie la plus visible et officielle de la France au Rwanda.
Nous considérions effectivement les dirigeants du Front patriotique rwandais comme des khmers
noirs, les atrocités qu’ils ont commises avant, pendant et après leur prise du pouvoir en
témoignent. Cela ne nous a pas empêché de nous comporter en professionnels.
Oui nous avons laissé transiter dans nos zones des personnalités impliquées dans le génocide et
notre pays en accueille certaines sur notre sol, ce qui n’est pas à notre honneur. Nous avons tous
qu’en matière de politique internationale il ya des double standards. Nous aurions certainement
pu intervenir plus vigoureusement dans les affaires intérieures rwandaises pour stopper les
massacres au sujet desquels nous avons été, comme nos alliés anglo-saxons, bien trop
complaisants dans le passé. L’exécutif a tranché.
Arrivé en précurseur le 20 juin, je n’ai jamais reçu, lu ou exécuté des ordres offensifs, comme toi
d’ailleurs. Tu peux chercher à impressionner les mamies et les midinettes adorant les histoires de
militaires et de sable chaud (https://www.youtube.com/watch?v=ad8OCy48nrQ)mais tes anciens
camarades ne sont pas dupes.
Tous les scenarii ont été envisagés lors de la planification de Turquoise et, évidemment, un
affrontement direct avec le FPR s’il s’opposait à notre mission. Nous avions besoin d’officiers et de
soldats aux compétences pluridisciplinaires, des Commandos de recherche et d’action en
profondeur mais également de contrôleurs aériens avancés aussi pour appuyer les opérations de
force voire d’arrêt, comme cela fut le cas le 3 juillet lors de l’exfiltration d’enfants et de blessés de
l’hôpital de Butare.
Il n’était pas nécessaire de broder une histoire autour d’une mise en alerte pour appuyer une
opération humanitaire difficile.
D’inepties
Mais soyons précis parce que nos détracteurs n’hésitent pas à colporter des âneries en faisant
flèche de tout bois.
Un général, ses officiers d’état-major et trois commandants de groupements opérationnels auraient
donc préparé puis déclenché des opérations offensives avec 3 compagnies de combat face à 25 000
rebelles ? L’essentiel des unités combattantes (800 hommes sur 2 550 soldats et non 3 000 comme tu
avances) sera déployé entre le 24 juin et le 4 juillet, date de la phase 2 de Turquoise qui en
comportait 4 (cf.poste précédent). Turquoise n’était dimensionnée pour une opération offensive
d’envergure dans un relief aussi fragmenté.
L’opération Opération Allied Force au Kosovo mobilisera dans sa phase initiale 55 000 soldats pour
occuper un espace deux fois plus petit que le Rwanda, force qui n’a pas voulu ni su empêcher
l’expulsion de 200 000 serbes par des bandes de voyous téléguidées, équipées, entrainées et
soutenues par nos alliés.
Avec qui aurions-nous parlé pour former un deuxième gouvernement de transition au milieu de
tueries et de logiques guerrières ? Quelles auraient été les implications diplomatiques et
médiatiques d’une action non autorisée par le conseil de sécurité des Nations unies ? Comment
aurions-nous tenu Kigali et le pays avec aussi peu de forces ?
J’entends que des “opérations offensives” auraient été arrêtées le 1 juillet par un cabinet secret à
Paris en raison d’un accord avec le FPR? De quelle double chaine de commandement et cabinet
secret parles-tu ? Si le commandement des opérations spéciales dépend directement – via le
commandant de force évidemment- du chef d’état-major des armées, lui même en contact direct
avec le chef d’état-major du président de la république, je n’ai jamais connu de cabinet fantôme
lors de mes opérations en Afrique, au Maghreb et dans les Balkans. Je n’y vois pas la marque d’un
officier sérieux ayant une réelle expérience de la conduite comme du management d’opérations.
Le Front patriotique rwandais a d’ailleurs refusé tout contact direct avec le commandant de la
force. Il a fait savoir par télécopie transmise via l’Onu qu’il n’était pas concerné par les
conséquences humanitaires de son offensive. Un accord sur la zone humanitaire sûre (ZHS) ne
sera approuvé par le secrétaire-général du conseil de sécurité de l’ONU que le 6 juillet. Nous
avions “menacé” de nous retirer du Rwanda si cette zone n’était pas rapidement mise en place
parce que nous ne voulions pas endosser aussi la responsabilité des massacres commis par le FPR.
De la manipulation ?
Je t’ai pourtant alerté sur les risques d’instrumentalisation, les exemples de manipulations
médiatiques ne manquant pas : massacres de Timisoara lors de la “révolution”
roumaine, massacre de nourrissons au Koweït pour justifier la guerre du Golfe I, armes de
destructions massives irakiennes pour justifier la guerre du Golfe II, prétendu génocide au
Kosovo pour justifier les frappes de l’Otan sur la Serbie et le Monténégro…
Des
méthodes
douteuses
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/05/images.jpg)
Après avoir menacé le général Lafourcade d’un procès parce
qu’il “osait” démentir des allégations mensongères, tu as pensé un
instant me faire chanter à propos de documents publics depuis
longtemps. Tu les méconnais donc, comme visiblement les tenants
et aboutissants de cette opération.
Je note que ton angle d’attaque et tes arguments ont varié depuis
les déclarations radiophoniques fracassantes d’avril. Devant
l’accumulation des démentis, tu élargis l’accusation aux politiques
et au rôle de la DGSE en prétendant défendre l’honneur d’anciens camarades initialement mis en
cause. Ce réquisitoire tourne à la supercherie !
Une personnalité étrange
Provocateur, tu as affirmé que tu démentirais avoir rencontré des interlocuteurs clefs de ce dossier
dans certaines fondations politiques. Ils t’ont pourtant alerté sur tes erreurs d’appréciation en
marge d’une provocation diplomatique tandis qu’une instruction criminelle vise des officiers de
Turquoise accusés de complicité de génocide.
De l’orgueil
Je ne comprends pas ce besoin de lustrer autant ton pedigree.
Tu fais état d’une légion d’honneur obtenue “à titre militaire en
opérations”. C’est jouer sur les mots pour les profanes. Tu l’a
obtenue à titre normal après 20 ans de service, c’est à dire à
l’ancienneté. Rien donc de très glorieux.
Puisque tu évoques tes opérations en Bosnie, je pense au capitaine
Lecointre, au lieutenant Bruno Heluin, aux marsouins Marcel
Amaru et Jacky Humblot ainsi qu’aux 17 autres camarades montés
à l’assaut du pont de Vrbanja la baïonnette au canon pour engager un corps à corps avec des forces
serbes digne des plus belles pages de notre histoire militaire. Authentiques héros, ils ont
été décorés de la légion d’honneur au feu.
Je pense aussi à mon camarade du porte-avions Clemenceau le lieutenant de vaisseau Jean-Loup
Eychenne abattu par un MIG 21 Yougoslave le 27 janvier 1992 au-dessus de la Slavonie orientale.
Premier officier français tombé en ex-Yougoslavie, cité à l’ordre de la Marine nationale, nommé
chevalier de la Légion d’honneur et promu capitaine de corvette à titre posthume. Volontaire pour
cette mission en ex-Yougoslavie, j’ai veillé le catafalque de mon camarade toute une nuit.
Quel courage faut-il pour glapir des états d’âme 20 ans après les faits, une fois rayé des cadres
avec sa pension et une légion d’honneur à la boutonnière ? Ces états d’âme tardifs sont bien
étonnants. D’autres ont démissionné pour moins que cela.
De la Mort et de la Vie
Parce que nous avons effectué la même opération, il n’était pas nécessaire de s’inventer un
rôle dans un (https://www.youtube.com/watch?v=V1i16Zqf3y0)mauvais remake d’apocalypse
Rwanda now (https://www.youtube.com/watch?v=V1i16Zqf3y0). Certains qui en rêvaient aussi
se sont contentés de chasser le dos argenté dans les monts Virunga.
Mais tu aurais pu parler de nos vraies missions puisque nous étions chargés des mêmes
opérations.
Le soir, sous ma moustiquaire, je pensais aux ordres de recherche qu’il faudrait donner au lever du
soleil pour sauver des vies. Dans cette épouvantable nuit rwandaise où flottait des odeurs
d’eucalyptus, de santal, de café, de tabac et de cadavres dans laquelle montaient les clameurs
déchirantes de milliers d’agonisants, nous devions mobiliser des moyens modestes pour sauver
autant de vies que possible en faisant tous les jours, chaque heure, des choix difficiles, qui allait
vivre et qui allait mourir…
Je pensais aux enfants enterrés à mains nues et à ce gosse récupéré criblé d’éclats de mortier au
poste de la petite frontière le 17 juillet qui s’est vidé de son sang dans mes bras. Il aurait pu être
mon fils.
Je pensais à cette sœur et des postulantes prisonnières dans un monastère avec les enfants qu’elles
protégeaient impossibles à sauver en raison de nos opérations à Bisesero. Sa supérieur a prié 2
jours et nuits attendant des nouvelles. Et puis un matin, la sœur est apparue récupérée par l’une
de nos patrouilles. Que dire ? Nous avons simplement pleuré de joie. Son témoignage, ci-dessous,
dit les choses dans la lumière crue de la splendide Vérité.
Je pensais à Jean-Bosco relevé au milieu de ses parents morts, maculé de merde et de sang qui se
laissait
mourir
de
désespoir.
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/04/imagesqkwuj4eu.jpg)Je
pensais
à
ce père qui m’a tendu son fils mort de choléra pour l’enterrer dignement au pied d’une bananeraie
: en silence, nous avons creusé une tombe pour qu’il ne soit pas dévoré par les chiens. Avec
quelques déplacés en haillons, une bougie et un missel nous avons dit une messe dans cette partie
du monde abandonnée de tous et de dieu.
Et cette mère qui a tué son nouveau-né à coups de pierre pour ne pas qu’il tombe vivant aux
mains du FPR. Cette autre qui a jeté sa fille dans ma jeep pour que nous la sauvions d’un sort
incertain. Ce milicien qui perçait un gamin de 10 ans à coups de baïonnettes que j’ai dû
neutraliser.. Tous ces Hutu massacrés parce qu’ils protégeaient des Tutsi.
J’ai vécu et pensé à des scènes semblables pendant 36 jours et autant de nuits. Mais je pensais
surtout à celles et ceux, plus nombreux, que nous avions sauvés. Ils auraient pu être nos enfants
et nos parents et nous aurions pu être l’un d’eux. Hutu, Tutsi ? Nous nous en moquions, ils
étaient nos frères et nos sœurs d’humanité livrés aux mains de bourreaux. Nous étions prêts à
donner nos vies pour eux et ceux que nous avons sauvés de l’enfer savent ce qu’ils nous doivent.
Du devoir de vérité
La dignité des rescapés de cet effroyable génocide nous invite à la retenue et la pudeur. Ils sont
les miroirs et les sentinelles de nos consciences. Nous pouvons les regarder dans les yeux sans
honte pendant que Kagamé s’en sert pour masquer ses crimes, nos détracteurs pour ronger leur os
jusqu’à la moelle et toi pour romancer nos actions.
Une expérience aussi épouvantable peut briser ou élever en refusant toute récupération ou
forfanterie. Revenus du Rwanda pour toujours différents nous marchons dans cette lumière
invisible pour témoigner avec humilité et honneur de nos opérations.
S’agissant de l’opération de de Bisesero. Dans un contexte de déploiement opérationnel qui
n’exclut pas des fautes individuelles et des lâchetés, d’offensive du FPR qui fondait sur nos
positions et d’informations parcellaires nous avons engagé la quasi totalité de nos forces spéciales
arrêtant des exfiltrations de personnes menacées qui ont été abandonnées à leur sort. Nous
portons ces victimes sur nos consciences.
Que faisaient nos détracteurs en robe de chambre lorsque nous sauvions des vies, creusions des
fosses communes, évitions d’autres massacres et contenions les risques d’un débordement
régional au péril de nos vies ? Ce sont au mieux des amateurs irresponsables. Les Rwandais
n’avaient pas besoin de nos conseils pour dresser des listes, de notre aide pour débusquer des
innocents, de nos bras pour aiguiser leurs machettes et de nos mains pour asséner leurs coups.
De l’imposture
Je ne perçois aucune conviction dans ce témoignage ultime mais un discours fabriqué pour les
besoins d’une opération de communication en période de reconversion professionnelle. Sous
couvert de révélations, je vois une tentative de falsification historique et une posture qui vire à
l’imposture.
Tout cela est peu glorieux et il y a de quoi être interloqué par cet opportunisme nauséeux. Quand
on a côtoyé la mort on ne ment pas et certainement pas à ses enfants. Je leur dis les choses comme
je les ai vécues.
” Humanum fuit errare, diabolicum est per animositatem in errore manere ». Augustin d’Hippone dans
Sermons (164, 14).
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/08/numc3a9risation_20140521-18.jpg)
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/04/numc3a9risation_20140520-52.jpg)
Rescapés Bisesero – 30 juin 1994 – Reproduction interdite – droits réservés.
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/04/numc3a9risation_20140521-22.jpg)
Goma épidémie de choléra – Jean relevé de cadavres, son père, sa mère et sa soeur – droits
réservés.
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/04/numc3a9risation_20140520-9.jpg)
Fosses communes Bisesero 30 juin 1994 – droits réservés – reproduction interdite
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/04/numc3a9risation_20140519-12.jpg)
Charniers Bisesero 30 juin 1994 – droits réservés – reproduction interdite
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/04/numc3a9risation_20140519-3.jpg)
Goma épidémie de choléra – Fosses communes – droits réservés – reproduction interdite
(https://bettersaferworld.files.wordpress.com/2014/05/01_h_02010422.jpg)
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