Sous titre
Jean Varret a démissionné de l’armée quand il a été envoyé au Rwanda au moment où le génocide des Tutsi se préparait. Il déplore, dans son ouvrage, le manque d’enseignement éthique au sein de l’armée.
Citation
Livre. Il a dit non. En 1993, alors qu’il était général, Jean Varret a refusé d’appliquer la politique de la France au Rwanda et a démissionné de l’armée. « J’avais alors en tête l’image d’un pays avec lequel la France s’entendait bien et qui allait commettre de plus en plus de massacres », raconte-t-il dans Souviens-toi. Mémoires à l’usage des générations futures.
Qu’est-ce qui conduit un militaire à s’opposer à la raison d’Etat ? Quel est l’élément déclencheur ? Ecrit sous la forme d’entretiens avec Laurent Larcher, grand reporter à La Croix, l’ouvrage est fascinant, car il montre le long cheminement qui a poussé Jean Varret à refuser de se plier face à l’autorité. « L’obéissance est au cœur du métier des armes, analyse-t-il. En cinq ans d’écoles militaires, je n’ai reçu aucun enseignement spécifique sur l’éthique. Rien sur les règles morales du soldat. Rien non plus sur les conventions de Genève. »
Les atrocités de la guerre d’Algérie, pendant laquelle il combat deux ans, l’ont marqué à vie. « La dixième division parachutiste avait réussi en un an à régler le problème des attentats d’Alger, en 1957, grâce à la torture, raconte-t-il. Cette méthode brutale, contraire à notre éthique, s’est ensuite généralisée. Beaucoup ont perdu leur honneur et, parfois, leur âme. »
« Participer à cette monstruosité »
Le déconditionnement se poursuit lorsque, en 1963, après avoir refusé de saluer de Gaulle et obtenu une forme de dérogation, il intègre la Sorbonne en sciences humaines : « Pour la première fois de ma vie, on me demandait de réfléchir par moi-même. » Il réintègre l’armée au bout de trois ans et part en mission au Gabon, au cœur de la Françafrique. Son rôle ? « Aider la direction générale de la sécurité extérieure et les mercenaires envoyés par Paris, explique l’officier. L’indépendance était un leurre, elle n’existait pas. Le véritable pouvoir était toujours exercé par les anciens colons et le président gabonais se pliait à leurs ordres. » Mais, une fois encore, il souscrit « sans vraiment s’interroger ».
A la tête de la coopération militaire, il rejoint ensuite le Rwanda. Depuis 1990, la France soutient le régime raciste du président Habyarimana. Derrière, il y a l’abîme. « Nous avons besoin de ces armes pour liquider tous les Tutsi : les femmes, les enfants, les vieillards dans tout le pays ! Ce ne sera pas long », lui dit Pierre-Célestin Rwagafilita, chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise, lors d’une réunion. Pour Jean Varret, c’est le point de bascule.
Il alerte sa hiérarchie sur la menace que font planer les extrémistes hutu. En réponse, on l’écarte des réunions et de tout circuit de décision. « Depuis mon expérience en Algérie, ma terreur était de revivre une guerre inutile et de participer à cette monstruosité. » Sa décision de démissionner devient irréversible. Le livre est plus qu’un examen de conscience. Il rappelle que le dernier génocide du XXe siècle, dont les célébrations du 29e anniversaire commencent le 7 avril, était prévisible. De facto, il aurait pu être évité. Au printemps 1994, un million de Tutsi ont été exterminés.
« Souviens-toi. Mémoires à l’usage des générations futures », du général Jean Varret, Les Arènes, 274 pages, 22 euros.