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Avant de prendre en pleine figure – bien malgré lui – la lumière crue et agressive de l’affaire Clearstream, le général Philippe Rondot était un homme de l’ombre, un espion. L’un de ces maîtres du « grand jeu », adepte des terrains minés – de préférence ceux du Proche-Orient –, un soldat du renseignement que rien ne rebutait.
Il était né à Nancy le 5 octobre 1936. Comme le relève Etienne Augris dans Philippe Rondot, maître espion (Nouveau Monde, 336 pages, 21,90 euros), la biographie fouillée qu’il lui consacre, Philippe Rondot « aurait rêvé de n’entrer dans l’histoire qu’à titre posthume, pour ses succès dans le renseignement ».
Le destin en décidera autrement. Entre 2005 et 2010, celui qui depuis sa sortie de Saint-Cyr fin 1960 sert la France lors de missions secret-défense est pris dans les tourments de l’affaire Clearstream. Au soir de sa vie, il est contraint de se justifier quant à son rôle dans ce règlement de comptes politique entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy. Rondot sortira judiciairement indemne de ce maelström mais durablement blessé. D’autant que ses fameux carnets nourriront une partie de ce dossier explosif.
Professeur d’histoire au lycée international Jeanne-d’Arc de Nancy, Etienne Augris a exploré le parcours souvent mouvementé du général Rondot. De la guerre d’Algérie au début des années 1960 à la traque des criminels de guerre dans l’ex-Yougoslavie à la fin des années 1990, Philippe Rondot n’a eu de cesse de s’engager.
Un dossier à la Securitate
Il entre au service de documentation extérieure et de contre-espionnage (ancienne appellation de la direction générale de la sécurité extérieure) en 1964. Rondot, alias « Max », prend son premier poste à l’ambassade de France de Bucarest en 1966. Chargé de recueillir un maximum de renseignements sur ce pays du bloc communiste, il est vite repéré par les services de la Securitate, le renseignement intérieur roumain.
Etienne Augris a eu accès au dossier Rondot de la Securitate : 400 pages qui rendent compte des stratégies mises en œuvre pour retourner le Français. Notamment cette opération montée en 1967 : « Utiliser l’attrait de Rondot pour les jolies Roumaines… et son goût pour les belles voitures de sport », rapporte M. Augris. L’affaire laisse quelques traces, mais le projet de la Securitate échoue.
Les années passent et les missions se suivent. Rondot intègre la direction de la surveillance du territoire en 1984. Fort de sa connaissance du Proche-Orient et de sa maîtrise de l’arabe, il multiplie les rencontres dans la région. Il se démène pour la libération des otages français enlevés au Liban au cours des années 1985, 1986 et 1987.
Au milieu de ces épreuves souvent dangereuses, un fugitif le mobilise jour et nuit pendant vingt ans : le terroriste vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez, alias « Carlos ». Au terme de moult péripéties que détaille Etienne Augris, Rondot finit par le coincer à Khartoum, en août 1994. Cette arrestation est l’un des plus grands succès de la carrière de « Max », le « maître espion » qui meurt le 30 décembre 2017 à Fléty, dans la Nièvre.
« Philippe Rondot, maître espion », d’Etienne Augris, Nouveau Monde, 336 p., 21,90 €.