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Kigali (Ruanda), 6 février (A.F.P., A.P.). - Un porte-parole du gouvernement ruandais a annoncé mercredi matin qu'un nombre important de Tutsis ont pénétré au Ruanda, venant de la province congolaise du Kivu, et finalement ont pu être repoussés et chassés.
Les Tutsis, armés d'arcs, de flèches, de machettes et de quelques fusils, ont traversé la rivière Ruzizi et ont attaqué le poste-frontière de Bugarama, sur la rive ruandaise du lac Kivu. Un douanier aurait été tué, ainsi qu'une cinquantaine de civils africains.
L'armée des géants Tutsis aurait progressé jusqu'aux abords de Kigali, mais elle aurait été arrêtée par un contingent de l'armée ruandaise commandée par des officiers belges. Les envahisseurs auraient regagné le Congo ex-belge, ou se seraient réfugiés dans la brousse ruandaise ; ils auraient subi de très importantes pertes.
D'autre part, devant la situation explosive qui règne entre le Ruanda et le Burundi, où de nombreux Tutsis se sont réfugiés pour éviter les sévices des Hutus au pouvoir à Kigali, le gouvernement du Burundi a déclaré que la région frontalière entre les deux pays était désormais zone militaire. L'armée ruandaise a par ailleurs fermé les frontières, empêchant les derniers Tutsis de fuir vers le Congo exbelge, le Burundi ou l'Ouganda voisins. « Quelque chose doit être fait pour les aider à quitter le pays, a déclaré un missionnaire protestant, autrement ils vont tous être exterminés »
Appel du Burundi à l'O.N.U.
Cependant, la vague de massacres de Tutsis par les Hutus semble s'être momentanément calmée au Ruanda. Le gouvernement ruandais a déclaré mercredi que tout était calme dans le pays, mais n'a donné aucun chiffre sur le bilan des massacres. Il continue d'accuser le gouvernement du Burundi d'être responsable de l'organisation des raids d'exilés tutsis. Cette accusation a été démentie mercredi à Nairobi par M. Pierre Ngendandunwe, premier ministre du Burundi, qui a réclamé que l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.) se réunisse pour envisager les moyens de mettre fin au massacre des Tutsis.
A Genève toutefois, un diplomate suisse, conseiller du gouvernement ruandais, M. H. K. Frey, a affirmé que deux mille ou trois mille Tutsis avaient été massacrés, et non quinze mille ou vingt mille comme l'estiment certains observateurs. Selon M. Frey, les exilés tutsis multiplient les raids contre le Ruanda, et le gouvernement ruandais aurait réagi en procédant à des arrestations massives de Tutsis. Certains massacres intervenus au sud du Ruanda auraient valu un blâme au préfet de la région. Toujours selon M. Frey, les Tutsis auraient à leur tête un leader communiste et seraient soutenus par la R.A.U. et la Chine populaire.
D'autre part, à la suite d'une enquête sur les incidents qui se sont produits fin décembre à la frontière du Ruanda et du Burundi, enquête effectuée par M. Max Dorsinville, représentant personnel de M. Thant au Congo, le secrétaire général de l'O.N.U. a adressé au président du Ruanda une lettre l'informant de l' « attitude positive » du Burundi et exprimant l'espoir que, de son côté, le Ruanda ferait tout son possible pour pacifier les groupes ethniques qui s'étaient soulevés.
Le secrétariat général de l'Organisation des Nations unies a d'autre part publié mercredi la correspondance échangée entre M. Thant. M. Grégoire Kayibanda. président du Ruanda, et M. Pierre Ngendandumwe, premier ministre du Burundi, au sujet des litiges nés entre les deux pays du fait que quelque vingt-trois mille Tutsis ont cherché refuge au Burundi.
Le haut commissaire aux réfugiés étudie le problème de l'implantation de ces réfugiés. Un crédit supplémentaire de 100 000 dollars a été ouvert pour secourir les Tutsis arrivant au Burundi et en Ouganda.
Le Monde