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L'Union européenne a approuvé hier l'envoi d’une force d'interposition de l'ONU de 5 500 hommes pour faire cesser les combats au Rwanda. Un projet de résolution en ce sens est à l'étude au Conseil de sécurité de l'ONU. Pendant ce temps, poursuivant l’encerclement de Kigali, les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais ont affirmé, hier, avoir pris le contrôle d’une portion de la route meant de la capitale à Gitarama, où s'est replié le gouvernement. L'information a été confirmée par un porte-parole de la mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar). (AFP)
KIGALI :
de notre envoyé spécial
Renaud GIRARD
Nuit et jour, Kigali est soumise à une double insécurité. L'insécurité extérieure, d'abord. La capitale du Rwanda est presque totalement encerclée par les guérilléros du Front palriotique rwandais (FPR), mouvement d'opposition armée majoritairement composé de Tutsis {alors que la population est composée de Hutus à 85 %). Le FPR a, en effet, réussi à envelopper la ville par le nord, l'est et le sud. Actuellement, c'est sans doute intentionellement qu'il laisse la route de l'ouest reliant Kigali à Gitarama, bourgade située à 45 kilomètres de la capitale où le gouvernement rwandais intérimaire a trouvé refuge.
Paul Kagamé, le chef militaire du FPR, ancien stagiaire
de l'École de guerre américaine et ex-numéro 2 des services secrets ougandais, est un fin stratège : il sait qu'il est plus efficace de laisser une porte de sortie à son ennemi que de le forcer à une résistance désespérée.
Kagamé prend son temps. Il attend que
...
vienne à manquer de sommeil, de munitions et de
vivres.
Cette stratégie du grignotage est payante. Chaque jour, c'est une colline, un tronçon de route, un immeuble, qui tombent aux mains du FPR, guérilla très bien encadrée, entraînée et faisant régner en son sein une discipline de fer. Le FPR dispose désormais d'une position stratégique : il a coupé la route de l'est reliant la capitale à l'aéroport et, sur cet axe, il tient l'immeuble du Parlement. Transformé en bastion inexpugnable, ce bâtiment est relié par une piste de fortune au gros des troupes de la guérilla lStationnées au nord de la ville.
50 000 cadavres
L'insécurité intérieure est, de loin, celle qui a fait le plus grand nombre de victimes à Kigali. Les forces armées ruandaises et la Garde présidentielle (GP) ont joué avec le feu lorsque, par la radio, elles ont appelé la population à la chasse aux militants du FPR «infiltrés ». La ville s'est immédiatement hérissée de barrages, tenus par les miliciens
...
listes préétablies, massacre l'élite politique tutsie, ainsi que les personnalités hutues modérées, dont le premier ministre. Ensuite, les miliciens prennent le relais pour tuer systématiquement tous les Tutsis qui passent à portée de leurs machettes, hommes, femmes, enfants. Une source ruandaise ayant exigé l'anonymat évalue à plus de 50 000 le nombre de cadavres qui ont été évacués de la capitale dans les bennes à ordures de la municipalité.
Dans le centre-ville, les milices tiennent toujours le haut du pavé. On ne peut pas faire 300 mètres sans être arrêté à un barrage. Si l'on circule dans un véhicule blindé de la Minuar (Mission d'assistance des Nations unies au Rwanda), un milicien aviné se précipite, sa machette dans la main droite, ouvre la porte et scrute l'intérieur. De la main gauche, il tient une grenade, prêt à la balancer s’il découvrait quelque Tutsi caché.
Le très énergique général canadien Dallaire, qui commande la Minuar, n'a pas les moyens de forcer les barrages de miliciens. En tout et pourtout, il ne dispose que de 400 Casques bleus, pour la plupart Ghanéens.
Le gouvernement et l'état-major ruandais semblent avoir perdu le
contrôle des milices qu'ils ont armés. La journée d'hier en a apporté
une preuve supplémentaire. Arrivé par la route à Kigali, il y a cinq
jours, Bernard Kouchner avait commencé à négocier avec les deux
parties l'ouverture d'un corridor humanitaire. Travaillant avec le général Dallaire, l'ancien ministre de la Santé et de l'Action humanitaire avait conçu le projet de commencer par l'évacuation des enfants de deux orhelinats, celui de Gissemba (faubourg sud-ouest de Kigali) et celui tenu par le Français Marc Vaiter (nos éditions d'hier).
Dimanche, Bernard Kouchner s'était rendu en convoi à Gitarama où il
avait obtenu le plein accord du gouvernement intérimaire. La veille le
chef de l'état-major ruandais lui avait également fait part de son
acceptation, lors d'une réunion à l'Hôtel des Diplomates de
Kigali. Une dernière réunion était prévue hier pour mettre au point
les modalités techniques de passage des barrages par les convois
d'orphelins.
Mais soudain les chefs des différentes milices se sont mis à poser des
exigences inacceptables, voire farfelues. Ils voulaient par exemple
accompagner les convois d'enfants jusqu'à l'avion. Or la route de
l'aéroport traverse le front. L'objectif des miliciens était clair :
se servir du rempart des enfants et des Casques bleus pour sortir de
la capitale et apporter un renfort à la base des paras commandos
ruandais de Kanombé (située à l'extrémité est de la piste de
l'aéroport). « Il fallait essayer, il faut toujours essayer », s'est contenté de dire Bernard Kouchner, visiblement très déçu.
L'échec du corridor humanitaire
Le mince espoir que constituait l'amorce de l'ouverture d'un corridor humanitaire s'est donc évanoui.
Les milices hutues vont pouvoir tranquillement poursuivre, dans
les zones qu'elles contrôlent --
la moitié du territoire -- le génocide des Tutsis.
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En octobre dernier, cette armée a renversé le gouvernement civil majoritairement hutu, avant de massacrer par milliers, dans le nord du pays, les paysans hutus révoltés.
Le Rwanda est donc à feu et à sang pour longtemps. Pourtant, avant la mort du président le 6 avril dernier, il ne semblait pas si mal parti. Avec les accords de réconciliation nationale signés à Arusha (Tanzanie). le 4 août 1993, la paix était revenue dans les campagnes. Des élections démocratiques devaient être organisées.
Y a-t-il eu un plan d'ensemble, conçu à l'avance d'un côté ou de l'autre, pour faire échouer ce fragile processus de paix ? On ne saura sans doute jamais qui a abattu le Mystère 50 du président : le FPR ou des éléments hutus radicaux ?
La seule chose avérée est que, dès l'annonce de la mort du président, les hommes de la GP ont pu procéder à une rafle gigantesque, très bien organisée, visant les élites tutsies et hutues modérées. En outre, dans les mois précédents, la GP avait procédé à l'armement systématique des miliciens hutus qui lui étaient proches.
Les responsabilités du FPR apparaissent moins flagrantes. Certes, de janvier à avril, la guérilla avait envoyé à plusieurs reprises des patrouilles de reconnaissance dans la zone démilitarisée au nord de Kigali, au mépris des accords d'Arusha.
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