Fiche du document numéro 31155

Num
31155
Date
Vendredi 20 novembre 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
30834
Pages
3
Urlorg
Titre
Les p'tits papiers de Christian Prouteau
Sous titre
Le préfet avait gardé au chaud des dossiers secrets. Mini-peine requise.
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Christian Prouteau, 54 ans, préfet hors cadre à 32 000 F par mois, retraite de colonel d'ici à trois ans, est désarmant de candeur. Feinte ou réelle. Hier, rosette à la boutonnière, l'homme longiligne comparaissait pour « vol et recel de documents classés secret de la Défense nationale » au tribunal de Versailles. Le haut fonctionnaire a confondu archives personnelles et nationales. Ancien chef de l'unité d'élite de la gendarmerie, le GIGN, il a stocké des milliers de papiers, classeurs, cartons, cantines, dans un box en banlieue : « Comme ça prend de la place, un garage, c'est pratique ». « Ce sont mes documents sur ce que j'ai appris au fil de ma carrière et compilé sur le terrorisme. J'ai cru bon de les garder ». Il les avait bien rangés par ordre alphabétique et chronologique, « Action directe », « Abou Nidal », « Asala », « Carlos », « Corse », « Curiel », « Greenpeace », « Luchaire », « Otages » du Liban, « Ouvéa », etc.

Mes cartons et moi



L'ex-patron de la cellule dite antiterroriste de l'Elysée (de 1982-1988), devenu « M. Sécurité » des Jeux olympiques d'Albertville, a toujours trimbalé ses cartons, de l'Elysée à Matignon. Jusqu'à son départ, en mai 1995, à l'arrivée de Jacques Chirac. Le préfet Prouteau n'a pas songé à verser ses dossiers aux archives de l'Etat : « J'attendais un poste, alors je voulais récupérer ces documents, qui sont la mémoire de mon action». Mais Christian Prouteau jure qu'il n'a « jamais conservé de documents classifiés » : « A l'issue de mes différentes missions pour la présidence de la République ou pour Matignon, mes secrétaires successifs les ont détruits, je n'avais pas le droit de les emporter ». Pourtant, le 19 février 1997, la cachette du préfet est débusquée. Son box à Plaisir (Yvelines), loué sous un faux nom, « Billon » (copain de promotion de Coëtquidan), est fouillé par cinq contre-espions de la DST, le procureur Colleu et le juge Charpier, de Versailles. Le commissaire André Boutin, de la DST, a livré hier au tribunal la version officielle : « Un renseignement est arrivé le 18 au soir sur cette adresse susceptible d'abriter des documents de nature à nuire à la nation ». Alerté, le procureur ouvre une information « le 19 au matin », et la perquisition est menée aussitôt. La DST avait insisté pour aller vite. Si « l'utilisateur du garage est inconnu », les pièces « risquent d'y être soustraites ».

A l'audience, l'avocat du préfet, Francis Szpiner, insinue que cette même DST a dû passer au box avant la visite officielle pour repérer les lieux, voire piquer ou ajouter des papiers compromettants. Faux, dit le commissaire Boutin, « il n'y a pas eu le temps matériel en une nuit de mener des investigations préalables ». C'est donc sur place, dans le box, que tout le monde aurait appris la vraie identité du locataire.

Caverne d'Ali Baba



Le juge Frédéric Charpier s'est empressé d'appeler son collègue Jean-Paul Valat à Paris, en charge des écoutes téléphoniques illégales de la cellule élyséenne. Rattrapé par son passé, Christian Prouteau était déjà mis en examen pour « atteinte à l'intimité de la vie privée ». Dans la caverne d'Ali Baba de Plaisir, le juge Valat a récupéré cinq cantines métalliques et deux cartons de documents liés aux écoutes. Le juge Yves Madre, de Versailles, a pris des papiers sur l'affaire des Irlandais de Vincennes, chez qui des pièces à conviction (armes, explosifs) ont été apportées en 1982 par le capitaine Barril -- second de Prouteau à la cellule élyséenne -- pour les confondre dans l'attentat de la rue des Rosiers. Et le juge Jean-Marie Charpier, dépêché spécialement pour le « vol et recel de documents classifiés », a dû se contenter de lister les pièces, que la DST, seule habilitée à les examiner, a emportées dans son bunker de la rue Nélaton. Après enquête, le tribunal n'a plus que deux feuilles ultrasecrètes à reprocher à Prouteau. Ni le juge, ni le prévenu, ni personne n'a pu accéder à ces « deux feuilles volantes » : « l'une de type fax manuscrit sur le fonctionnement du GIC » (Groupe interministériel de contrôle, qui gère les écoutes du gouvernement), et l'autre sur une « transcription d'écoute du GIC avec la mention en rouge : source secrète ».

L'appel à Dreyfus



Droit comme un I à la barre, Prouteau proteste : « Il me paraît invraisemblable qu'on me reproche deux feuilles qu'on ne me décrit pas, que je n'ai jamais vues et qui ont été détruites. Ou alors on est venu chercher autre chose dans mon box et on ne l'a pas trouvé ». Me Francis Szpiner a dénoncé un « procès virtuel » : « En France, un militaire a déjà été condamné à partir de pièces inexistantes, il s'appelait Dreyfus». Le procureur a requis une « courte, voire très courte peine », et a demandé au tribunal de requalifier les poursuites pour vols et recels. Pour lui, ce n'est qu'un « délit de bureau ». Le jugement est mis en délibéré au 7 janvier.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024