Dans
Une initiation, livre publié en 2017 dans lequel il fait son «
examen d’inconscience », Stéphane Audoin-Rouzeau écrit : «
Après trois décennies d’un parcours de recherche entièrement consacré à la violence de guerre, un objet imprévu a coupé ma route ». Comment explique-t-il qu'il soit passé à côté en 1994 ? L'historien confie qu'il n'a rien voulu voir : «
J'étais écœuré par ce que je pouvais en percevoir à travers les médias mais au lieu de m'y intéresser, j'ai décidé de me mettre à distance. La seule explication que je me suis trouvé, et qui malheureusement est exacte, c'est une réaction de "racisme inconscient" ». Il ajoute que nous sommes tous exposés au «
racisme inconscient » : «
c'est celui dont nous ne parlons jamais. Nous parlons toujours du racisme des autres mais jamais celui qui pourrait se trouver en nous, et c'est d'autant plus surprenant que c'est celui sur lequel on peut espérer agir efficacement ».
"Des catholiques qui massacrent d'autres catholiques"
C’est une étudiante, Hélène Dumas, qui l’a emmené au Rwanda en 2008, où les persécutions étaient toujours en cours.
Un premier voyage « initiatique » inoubliable dont il a gardé des images et des liens très forts avec certain/es rescapé/es. Stéphane Audoin-Rouzeau a observé le rôle prééminent des voisins dans ce massacre, ce qu'Hélène Dumas décrit dans
Le génocide au village (Seuil),«
le voisinage ne vous protège pas de même le niveau d'éducation ne vous protège en rien. Il y a trois catégories de tueurs qui ont été avérées au Rwanda : les professeurs, les médecins et les prêtres » L'historien constate que la dimension religieuse a été occultée dans ces massacres «
au Rwanda, le sacré catholique a été saccagé par les croyants et par leur prêtre. Le deuxième lieu de massacre eut lieu dans les églises car les Tutsis se réfugiaient dans les églises pour se protéger. C'est là que des croyants ont tué d'autres croyants, non sans parfois avoir prié avant le massacre ou pendant le massacre, et avec l'aide de prêtres dont certains ont été des tueurs de premier plan ».
Parler du Rwanda c’est aussi parler de la France et de sa responsabilité dans le génocide. Le rapport de la commission Duclert, remis en 2021, établit clairement «
un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le génocide, conclut à un «
aveuglement idéologique » et à un déni. Pour Stéphane Audoin-Rouzeau, ce rapport a ouvert une brèche qui ne se refermera pas.
Une série d’entretiens proposée par Caroline Broué. Réalisation : Guillaume Baldy. Prise de son : Loïc Duros. Chargée de programmes : Daphné Abgrall. Coordination : Florian Delorme.
Pour aller plus loin
Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas, « Le génocide des Tutsi rwandais vingt ans après. Réflexions introductives »,
Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2014/2 (N° 122), p. 3-16.
"Kwibuka 1994", souviens-toi du génocide. De retour d’un voyage au Rwanda en avril 2014, avec une équipe de chercheurs français, Emmanuel Laurentin consacrait quatre émissions à l’histoire du génocide rwandais.
Bibliographie sélective
Une initiation : Rwanda (1994-2016), Stéphane Audoin-Rouzeau (Ed. Seuil, 2017).
Quelle Histoire : un récit de filiation (1914-2014), suivi d'un texte inédit
Du côté des femmes, Stéphane Audoin-Rouzeau (Ed. Seuil Points-Histoire, 2015).
Encyclopédie de la Grande Guerre 1914 - 1918, collectif sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker (Ed. Bayard, 2014).
Le Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Hélène Dumas (Ed. Seuil, 2014).
L’Enfant de l’ennemi (1914-1918), Stéphane Audoin-Rouzeau (Ed. Flammarion, 2009. Réédition en poche en 2013).
Les armes et la chair. Trois objets de mort en 1914-1918 (Ed. Armand Colin, 2009).
Combattre : une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe – XXIe siècle), Stéphane Audoin-Rouzeau (Ed. Seuil, 2008).
14-18, retrouver la Guerre, en collaboration avec Annette Becker (Ed. Gallimard, 2000. Réédition en poche, en 2003).