Citation
L'ORDONNANCE DU JUGE BRUGUIÈRE COMME OBJET NÉGATIONNISTE
Rafaëlle Maison, Géraud de Geouffre de La Pradelle
Presses Universitaires de France | « Cités »
2014/1 n° 57 | pages 79 à 90
ISSN 1299-5495
ISBN 9782130628736
DOI 10.3917/cite.057.0079
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L’ordonnance du juge Bruguière
comme objet négationniste
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« Sans posséder d’informations précises et de témoignages, je suis cependant
en mesure de dire que cet attentat ne peut être que l’œuvre du FPR1. »
Le 16 novembre 2006, le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière, spécialisé dans la question terroriste, émettait une ordonnance ayant pour
objet la délivrance de mandats d’arrêts internationaux à l’encontre de neuf
personnalités officielles rwandaises2. Cette ordonnance mettait directement
en cause Paul Kagame sans toutefois qu’un mandat d’arrêt ne soit délivré
contre lui en raison de son statut spécifique de chef d’État en exercice.
Estimant que Paul Kagame pourrait en revanche « faire l’objet de poursuites par le Tribunal pénal international pour le Rwanda » (TPIR), le juge
français décidait d’informer le Secrétaire général des Nations Unies des éléments de son enquête, afin qu’il saisisse le Procureur de cette juridiction.
L’ordonnance expose, en plus de soixante pages3, les « preuves » relatives
aux auteurs de l’attentat qui coûta la vie, le 6 avril 1994, aux passagers
et membres français de l’équipage du Falcon 50 de la Présidence de la
1. Audition de Faustin Twagiramungu à Paris, le 26 octobre 1998, citée dans la commission
rogatoire du juge Bruguière aux autorités judiciaires belges, 9 avril 2002. La citation est utilisée dans
l’ouvrage de Philippe Brewaeys, Rwanda 1994. Noirs et blancs menteurs, préface de Louis Michel,
éd. Racine, p. 105.
2. L’instruction est ouverte le 27 mars 1998, à la suite du dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile émanant de la fille du copilote de l’avion, Sylvie Minaberry.
3. Nous renvoyons à ce texte en nous référant, entre parenthèses, à sa pagination.
cités 57, Paris, puf, 2014
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L’ordonnance
du juge Bruguière
Rafaëlle Maison
Géraud
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Dossier
Génocide des Tutsi
du Rwanda :
un négationnisme
français ?
République du Rwanda, parmi lesquels le président Juvénal Habyarimana
lui-même et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira. Cet exposé se
rapporte tant à l’organisation matérielle de l’attentat qu’aux mobiles de ses
auteurs. Il se serait agi, pour le Front patriotique rwandais (FPR), de
prendre par les armes un pouvoir que les urnes ne pourraient jamais garantir aux représentants du « peuple minoritaire » tutsi, « peuple » dont nous
savons qu’il sera très largement exterminé dans les mois suivant l’attentat.
Précisons-le d’emblée : l’ordonnance qui nous retient ici n’est pas un
objet négationniste en ce qu’il nierait l’existence du génocide des Tutsi
au Rwanda. La contestation d’un tel évènement aurait d’ailleurs très peu
de chances de susciter autre chose que le discrédit de ses auteurs. Pour le
Rwanda, l’entreprise idéologique de négation emprunte des formes plus
subtiles : celle de la thèse du double génocide, du génocide spontané, du
génocide provoqué4. L’ordonnance du juge Bruguière constitue, dans le
champ, un objet négationniste exceptionnel, et ceci à plusieurs titres.
Il y a, d’abord, le support opaque de la négation : la thèse développée
dans l’ordonnance se déploie à partir de l’interprétation d’un fait (l’attentat) qui n’est pas élucidé. C’est ce « mystère » de l’attentat qui rend l’entreprise négationniste extrêmement séduisante. La promotion d’une histoire
cachée, paradoxale, est ici singulièrement performante parce qu’elle prospère sur l’incertitude relative à l’évènement dit « déclencheur » du génocide, l’attentat.
Il y a, ensuite, la source de la thèse : elle émane d’un organe étatique.
En ce sens, on peut parler d’un « négationnisme d’État » car s’il n’engage
pas, en fait, l’ensemble de l’appareil d’État français, il est bien, pour l’extérieur, un « fait de l’État » : un fait particulièrement offensant dans le cadre
des relations internationales qui justifie la réaction immédiate du Rwanda
décidant de la rupture des relations diplomatiques. Plus intéressant encore,
si l’acte est étatique, il est aussi celui d’un juge d’instruction, par principe
indépendant. L’objet produit ne se présente donc pas comme une prise de
position politique : il n’est nullement suspect à cet égard. Il est en principe,
et selon les lois de la République, le fruit d’une enquête impartiale menée,
de surcroît, à charge et à décharge, par une personne particulièrement
compétente, le juge anti-terroriste. La position institutionnelle de l’auteur
de la thèse participe donc puissamment à sa performance.
4. Jean-Pierre Chrétien, « Le génocide du Rwanda : un négationnisme structurel », Hommes et
libertés, n° 15, juillet/août/septembre 2010 ; Hélène Dumas, « Banalisation, révision et négation :
la ‘‘réécriture’’ de l’histoire du génocide des Tutsi », Esprit, mai 2010, pp. 85-102.
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Enfin, en raison de cette nature officielle, la thèse est immédiatement
efficace. Les discours négationnistes variés ont généralement pour objet de
persuader un public : s’il s’agit certainement de persuader, pour l’ordonnance du juge, le discours se prolonge immédiatement en décision.
L’argumentation négationniste conduit à l’émission d’actes juridiques,
d’actes d’État contraignants : les mandats d’arrêts.
Objet exceptionnel, objet inquiétant : il y a lieu de s’interroger sur le
sens de ce qui a parfois été décrit comme une « nouvelle affaire Dreyfus »,
à tort5. Toutefois, c’est probablement la production judiciaire du mensonge qui autorise le rapprochement et qui doit susciter la réflexion, s’agissant d’un acte émis dans un État développé et démocratique à la fin du
xxe siècle.
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Tentons de rendre compte du déroulement du raisonnement du juge, de
la « motivation » de l’ordonnance, en ce qui concerne les faits.
Le juge insiste en premier lieu sur la gravité de l’événement puisque
l’attentat « rapidement porté à la connaissance des autorités rwandaises
[…] devait aussitôt engendrer une réaction violente des extrémistes Hutu,
directement à l’origine du génocide de la minorité Tutsi » (Ord., p. 2).
Le juge estime alors qu’aucune enquête sérieuse n’a jamais été menée,
ni par le Rwanda, ni par les institutions internationales, identifiant un
« contexte d’inaction voire même d’obstruction », pour insister sur
l’opposition constante du gouvernement rwandais issu de la victoire sur
les autorités génocidaires. Ainsi « Paul Kagame […] s’est résolument et
constamment opposé à toute démarche tendant à faire la lumière sur cet
attentat » (Ord., p. 5).
Après avoir rappelé les conditions de sa propre saisine, par la famille de
l’équipage français et celle de la famille du président Habyarimana, le juge
précise avoir enquêté sur différentes hypothèses, y compris issues de la
rumeur (Ord., p. 7), dont plusieurs sont brièvement présentées, pour être
réfutées : l’armée burundaise ; les Hutu modérés associés aux forces armées
rwandaises ; les « étrangers » – c’est à dire la Belgique et la France – ; les
5. Voir les propos de Maître Bernard Maingain, l’avocat belge des personnalités accusées, in
Maria Malagardis, « Les dix-huit ans d’une enquête à sens unique », Libération, 11 janvier 2012.
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L’ordonnance
du juge Bruguière
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Géraud
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C o n te n u de l a thèse
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Dossier
Génocide des Tutsi
du Rwanda :
un négationnisme
français ?
extrémistes de l’Akazu, membres du clan Habyarimana6. Vient alors la présentation des preuves à charge, soutenant l’hypothèse selon laquelle le FPR
aurait commis l’attentat, qui occupe l’essentiel de l’ordonnance (Ord.,
pp. 14-62). Ces preuves consistent en des témoignages sur la conception
et la réalisation de l’attentat – témoignages de l’intérieur7 – en des messages
de revendication par le FPR, en des analyses relatives à l’origine et à la
détention des missiles.
La faiblesse de cette enquête a été soulignée : absence de fiabilité
des témoins indirects – parfois liés aux Forces extrémistes œuvrant en
République Démocratique du Congo (FDLR), parfois détenus par le
Tribunal pénal international pour le Rwanda –, récits presque miraculeux
de témoins-participants (Abdul Ruzibiza et Emmanuel Ruzigana) qui ne
furent jamais inquiétés et qui se sont postérieurement rétractés, utilisation
de documents s’avérant être des faux grossiers (notamment les messages de
revendication), absence de prise en compte des doutes relatifs à l’authenticité des photographies des missiles et des informations issues des Forces
armées rwandaises (FAR) – doutes pourtant exprimés par la Mission parlementaire française. L’enquête se caractérise aussi par le recours à des
intermédiaires douteux, tel un proche de certaines parties civiles, Fabien
Singaye Gakuru, l’universitaire engagé Paul Reyntjens et, surtout, le sulfureux Paul Barril, qui produisit publiquement en juin 1994, dans un journal télévisé français, une fausse boîte noire et affirma avoir récupéré dans
la zone tenue par le FPR les deux lance-missiles – ces personnages entretenant d’ailleurs des contacts. Ces éléments ont fait l’objet d’une analyse
serrée dans l’ouvrage du journaliste d’investigation Philippe Brewaeys, qui
décrit « la partialité de l’enquête, ses oublis, ses manquements, ses fautes »
pour conclure à une « manipulation politique d’un dossier judiciaire8 ». Il
n’est pas possible de rendre compte ici de l’ensemble de ces défaillances.
Renvoyons donc le lecteur à cet ouvrage et insistons plutôt sur la nature
de l’accusation.
6. Les moyens de cette réfutation, que nous n’avons pas l’espace d’exposer ici, sont d’ailleurs
également instructifs (Ord., pp. 7 à 13).
7. L’ordonnance expose des « témoignages recueillis notamment auprès de Tutsi membres du
FPR ou ayant appartenu à cette formation politique et d’anciens membres de l’APR, certains même
ayant fait partie de la garde rapprochée de Paul Kagame » (Ord., p. 14).
8. Philippe Brewaeys, Rwanda 1994, Noirs et blancs menteurs, op. cit., pp. 17-18. Sur les liens
entre les trois informateurs des enquêteurs français, voir pp. 59, 79 et 81. Sur ce sujet, voir aussi le
texte de Mehdi Ba dans ce dossier.
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Selon le juge, le FPR a planifié et commis l’attentat. Le sommet de Dares-Salaam d’où revenait le Président Habyarimana, était un prétexte pour
sa réalisation (Ord., p. 49), tandis que la participation aux négociations
de paix, plus généralement, visait pour le FPR « à gagner du temps pour
préparer, au plan militaire, la reprise de l’offensive et tromper la population rwandaise et l’opinion internationale sur ses véritables intentions »
(Ord., p. 53). Dans quel but cet attentat a-t-il été commis ? Il s’inscrit
dans la ligne du FPR, mouvement présenté comme refusant les accords
de paix d’Arusha. En effet, « l’infériorité numérique de l’électorat Tutsi
ne lui permettait pas sans le soutien des partis de l’opposition de gagner
les élections sur la base du processus politique élaboré par les accords
d’Arusha » (Ord., p. 16 et 57). Le processus est donc « peu favorable aux
visées hégémoniques de Paul Kagame » (Ord., p. 17), lequel n’hésite pas
à éliminer ses opposants et les témoins de l’attentat par le moyen d’un
« network commando » (Ord., p. 54). Quelles suites devaient être données à l’attentat ? Il s’agissait de relancer les opérations militaires (Ord.,
p. 52), et les unités de l’armée du FPR ont été « mises en pré-alerte depuis
le 3 avril 1994 », afin de « s’emparer du pouvoir par la violence » et de
« l’exercer sans partage ». Qu’en est-il des conséquences pour la population
tutsi ? Le juge estime que l’armée du FPR a envisagé (on le suppose avant
l’attentat) « d’assassiner des membres de la communauté Tutsi afin de jeter
le discrédit sur le gouvernement rwandais en accusant ses milices » (Ord.,
p. 54) ; de plus, toujours avant l’attentat, « Paul Kagame n’avait pas hésité
à provoquer et entretenir des violences inter-ethniques pour légitimer le
recours à la violence » (Ord., p. 58) ; enfin, et plus généralement, les Tutsi
« de l’intérieur » sont considérés par le FPR comme des « collaborateurs
du régime Habyarimana » (Ord., pp. 59 et 61). Le FPR a donc accepté le
massacre pour justifier son recours à la force et obtenir un soutien international : « Le général Paul Kagame [a] délibérément opté pour un modus
operandi qui, dans le contexte particulièrement tendu régnant tant au
Rwanda qu’au Burundi entre les communautés Hutu et Tutsi, ne pouvait
qu’entraîner en réaction des représailles sanglantes envers la communauté
Tutsi qui lui offriraient le motif légitime pour reprendre les hostilités et
s’emparer du pouvoir avec le soutien de l’opinion internationale » (Ord.,
p. 61). De plus, en permettant que les hostilités se prolongent, alors qu’il
aurait pu obtenir plus rapidement une victoire militaire, le FPR a favorisé
le massacre : « Bien que son armée fut militairement supérieure à celle des
FAR, le refus du FPR d’accepter le cessez-le-feu, alors que les massacres
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L’ordonnance
du juge Bruguière
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Génocide des Tutsi
du Rwanda :
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étaient en cours et d’autoriser la présence sur le territoire rwandais de forces
internationales pour participer au rétablissement de l’ordre et mettre fin
au génocide, a démontré que le seul but poursuivi par ses dirigeants était
l’obtention d’une victoire totale et ce, au prix du massacre des Tutsi dits
‘‘de l’intérieur’’ considérés par Paul Kagame comme des ‘‘collaborateurs du
régime Habyarimana’’ » (Ord., p. 61).
Si nous résumons la motivation de l’ordonnance du juge Bruguière,
nous sommes donc en présence d’une thèse affirmant que l’attentat a
déclenché des « représailles » contre les Tutsi, représailles attendues par les
auteurs de l’attentat – dont le comportement après l’attentat a conduit à
l’aggravation des massacres. Le FPR, auteur de l’attentat, est – en dernier
lieu – l’artisan de massacres qui, même s’ils n’ont pas été perpétrés par lui
(l’assassinat de Tutsi lui est tout de même aussi imputé), ont été suscités
puis aggravés par son comportement. Il y a donc, du côté du FPR, une
prévision du génocide et un abandon de la population tutsi complice du
régime, au moment de la planification de l’attentat puis pendant la guerre.
Il s’agit – au sens fort – d’une thèse négationniste puisque le FPR est, en
quelque sorte, responsable non seulement de l’attentat, mais aussi des massacres que l’attentat visait à déclencher. Par ailleurs, et attestant toujours de
cette négation, la préparation et l’organisation des massacres ne sont jamais
évoquées, ceux-ci surgissant finalement en pure réaction de « représailles »,
dans le cadre de tensions interethniques alimentées par le même FPR.
C’est donc bien sur le « mystère » de l’attentat, présenté ici comme étant
volontairement entretenu, que prospère la thèse négationniste. Sa performance ou sa « séduction » résulte aussi du renversement paradoxal qu’elle
opère, les victimes devenant, dans cette histoire révélée, les bourreaux9.
Ajoutons l’attrait que représente la cohérence d’une explication totale,
exposant un complot10, où l’obstacle du mobile (pourquoi le FPR aurait-il
commis un attentat déclencheur du génocide ?) est précisément résolu par
la démonstration de l’intérêt du FPR à la perpétration du crime. La force
de la thèse découle aussi, mais pour le public empreint de la rhétorique du
génocide, de l’exploitation de ses poncifs. Le FPR y est présenté comme
une élite cherchant à dominer le peuple hutu majoritaire et, même, le
peuple tutsi de l’intérieur. L’ordonnance est, à ce dernier égard, fondée
9. Renversement étudié, dans la production littéraire, par Charlotte Lacoste, Séductions du
bourreau. Négation des victimes, Paris, Puf, coll. « Intervention philosophique », 2010.
10. Sur la puissance de l’explication complotiste du monde dans la culture contemporaine,
voir Luc Boltanski, Énigmes et complots, Une enquête à propos d’enquêtes, Paris, Gallimard, 2012.
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sur une représentation paroxystique du machiavélisme et du mensonge
propres à la « race » Tutsi11.
Mais la force de la thèse tient aussi à son origine – une origine officielle,
judiciaire et spécialisée.
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Les conditions de la saisine du juge et les textes qu’invoque son ordonnance renforcent la présomption de légitimité que sa qualité d’instance
judiciaire confère à la thèse d’une responsabilité du FPR.
L’ouverture de la procédure ne doit apparemment rien aux pouvoirs
politiques puisqu’elle résulte de l’initiative on ne peut plus naturelle des
proches de victimes françaises d’un attentat commis à l’étranger. En effet,
le 31 août 1997, la fille du copilote a déposé plainte contre X... avec constitution de partie civile pour « actes de terrorisme ayant entraîné la mort
de plusieurs personnes » – démarche reproduite un peu plus tard par les
veuves des autres membres français de l’équipage, puis, ultérieurement, par
six membres de la famille Habyarimana.
Le procès que promet la délivrance des mandats n’apparaît donc en rien
comme une affaire d’État. La recherche légitime des consolations que la
poursuite et la condamnation de criminels apportent aux personnes privées qui en ont été victimes suffit à l’expliquer. D’ailleurs, la retenue des
autorités gouvernementales est, en apparence, parfaite. C’est tout juste si
l’ordonnance mentionne deux interventions du Parquet : il s’agit de la
transmission, le 31 août 2000 – sur instruction du Ministère – d’un rapport des enquêteurs du TPIR (Ord., pp. 18 sq.) et le 31 octobre 2006, d’un
réquisitoire supplétif (Ord., p. 6).
La procédure pénale ouverte à Paris dans ces conditions semble, de
surcroît, parfaitement fondée en droit. Bien que le crime ait été commis
à l’étranger, le Code pénal fonde sur la nationalité des victimes directes
l’application de la loi française et la compétence juridictionnelle qui lui est
attachée.
Quant à la qualification juridique d’« assassinats en relation avec une
entreprise terroriste » que retient l’ordonnance conformément aux dispositions du même Code pénal, nul – a priori – ne songerait à la contester.
11. Voir, sur la puissance de cette idéologie raciste, Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda,
Rwanda. Racisme et génocide. L’idéologie hamitique, Paris, Belin, 2013.
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O rigi n e de l a thèse
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Dossier
Génocide des Tutsi
du Rwanda :
un négationnisme
français ?
À la réflexion, toutefois, il est permis de se demander pourquoi l’ordonnance se réfère exclusivement au droit français. En effet, lors du dépôt
des plaintes saisissant la justice, les dispositions du statut du TPIR étaient
applicables en vertu d’une loi du 22 mai 1996. Or, non seulement le juge
ne l’applique pas, mais encore, il n’y fait pas la moindre allusion – alors
qu’il cite le TPIR à plusieurs reprises (Ord., p. 5), notamment pour suggérer d’y traduire le Président Kagame (Ord., pp. 61 et 62). Peut-être doit-on
chercher un début de réponse du côté de la communication politique ;
plus précisément, de l’impact des qualifications criminelles dans l’opinion
publique. À cet égard, le Statut du TPIR était sans doute trop peu parlant,
même s’il incrimine le génocide – comme, d’ailleurs, notre Code pénal
– et bien qu’il s’agisse là de l’infraction la plus spectaculaire. Cependant,
d’un simple point de vue technique, l’attentat étant antérieur au génocide,
cette qualification pouvait poser problème. En revanche, contrairement au
Statut qui l’ignore, la loi française réprime diverses formes du terrorisme
(Art. 421-1 et s. Code pénal) dont l’évocation est, de nos jours, particulièrement riche.
Finalement donc, l’explication de la mise à l’écart du Statut du TPIR se
trouve peut-être dans la portée médiatique du terrorisme. Si tel est bien le
cas, nous sommes en présence d’une illustration par l’absurde de l’efficacité
« politique » des institutions juridiques.
On sait que, de façon générale, les principes de droit et les actes de justice qui les appliquent à des situations concrètes influent sur la « compréhension » de ces situations dans l’opinion publique. Ils infléchissent, en
effet, cette compréhension, d’abord en ce qu’ils imposent une sorte de
tri parmi les éléments de fait : seuls sont retenus ceux que désignent les
normes applicables ; ensuite – et surtout – ils confèrent une forte signification à ceux de ces éléments de fait qui sont retenus comme étant pertinents
du point de vue juridique... De cette manière quelque peu sommaire, ils
visent à pacifier les relations sociales et y parviennent souvent.
Mais on ne saurait trop insister sur le poids supplémentaire que les or
ganes très particuliers qui sont chargés de rendre la justice – les juridictions –
confèrent aux normes de droit. Dans le principe, en effet, ces organes sont
d’autant plus crédibles que leur indépendance à l’égard des autres organes
de l’État est constitutionnellement proclamée. À cet égard, la justice criminelle jouit d’une efficacité spécifique, étant la plus visible et, sans doute,
la plus appréciée de l’opinion publique. Surtout, c’est par des jugements
motivés à l’issue de débats contradictoires que les juges mettent en œuvre
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les normes juridiques. De la sorte, ils contribuent très efficacement à la
réception desdites normes dans la société.
Ici, toutefois, ce dernier aspect de la fonction de justice laisse lourdement à désirer tant en ce qui concerne la motivation de l’ordonnance qu’en
raison de l’absence de débat contradictoire.
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L’ordonnance du juge Bruguière est aussi singulière en ce qu’elle accuse
officiellement un régime étranger. À la lumière du contexte dans lequel elle
survient, en France, on peut penser que cette accusation, explicitement
fondée sur la nécessité de sanctionner un crime, cherche à produire en
retour un effet de disculpation.
Explicitement, il s’agit bien, pour le juge, de sanctionner un acte terroriste.
L’ordonnance présente cette fonction de l’enquête pénale française comme
particulièrement nécessaire au regard de l’obstruction émanant du Rwanda
mais aussi d’une étrange inertie internationale (Ord., pp. 18-22). L’hypo
thèse FPR aurait ainsi été précisément envisagée par le TPIR en 1997 ; deux
de ses enquêteurs ont été entendus par le juge Bruguière (Mickaël Hourigan
et James Lyons), qui lui ont exposé le brusque changement d’attitude du
procureur de ce Tribunal, Louise Arbour, cette même année (Ord., p. 21).
Le fait que « Madame Arbour n’a pas souhaité être entendue » (Ord., p. 22)
contribue, dans l’ordonnance, à rendre douteux ce revirement. L’ordonnance
figure un juge français opérant dans un monde hostile.
Cette fonction, normalement assurée, de sanction des auteurs de
l’attentat engage ici la France, s’agissant d’une accusation portée contre
les membres d’un gouvernement étranger. Car l’ordonnance conduit bien
à discréditer le régime rwandais par l’accusation pénale12 ; elle cherche
également à élever cette accusation nationalement portée en réorientant
le travail du TPIR, comme en témoigne l’appel au Secrétaire général des
Nations Unies. Peut-être est-ce en raison de cette dimension internationale que le juge d’instruction s’est assuré de l’accord de la Présidence de
12. Philippe Bernard, « France-Rwanda : l’enquête Bruguière était suivie de près à l’Élysée »,
Le Monde, Hors-série : Le meilleur de Wikileaks. Ces sources paraissent refléter une volonté spécifique du juge puisque, selon un télégramme du 26 janvier 2007 : « Bruguière a présenté son dossier
de façon très professionnelle, mais il n’a pas caché son désir personnel de voir le gouvernement
de Kagame isolé. Il a averti que le resserrement des liens des États-Unis avec le Rwanda serait une
erreur » (p. 134).
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L’ordonnance
du juge Bruguière
Rafaëlle Maison
Géraud
de La Pradelle
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S e n s et réceptio n de l’ évé n e m e n t j u dici a ire
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Dossier
Génocide des Tutsi
du Rwanda :
un négationnisme
français ?
la République ? Selon les sources Wikileaks publiées par Le Monde, le juge
Bruguière dit aux ambassadeurs américains avoir recherché et reçu l’aval du
président Jacques Chirac13. Ces sources attestent également de sa volonté
de s’engager en politique et de se présenter aux élections législatives. À
l’évidence, ce type de rapport à l’exécutif et au politique est contraire au
principe d’indépendance du juge d’instruction.
Mais il serait insuffisant de s’en tenir là sans tenter d’évaluer les effets
recherchés de l’ordonnance au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit ; ils excèdent alors la fonction de sanction des auteurs de l’attentat et la personnalité du juge Bruguière. Ces éléments contextuels – que
nous ne pouvons examiner ici dans le détail – permettent de penser qu’il
s’agit aussi d’imposer, dans le cadre français, une nouvelle perception du
génocide.
En effet, l’ordonnance Bruguière intervient dans une période où l’action
de la France au Rwanda a fait l’objet de critiques. Ces critiques, exprimées
très tôt, se sont prolongées notamment dans un rapport parlementaire et
dans des enquêtes associatives14. Le contexte français est également marqué par la réticence de personnalités politiques à encourager ces questionnements15. L’enquête et l’ordonnance du juge Bruguière – largement
exposées dans la presse et autres publications de journalistes à grande
diffusion16 – paraissent bien, lues dans ce contexte, chercher à attribuer
13. Philippe Bernard, Le Monde, art. cit. Selon les sources américaines ici traduites, le magistrat
« a déclaré qu’il avait présenté sa décision à des responsables français, y compris au président Chirac,
comme relevant de sa décision de magistrat indépendant, mais a choisi de les consulter parce qu’il
était convaincu du besoin de coordonner son calendrier avec le gouvernement » (p. 134).
14. Rapport d’information de la Mission d’information de la Commission de la défense nationale
et des forces armées et de la Commission des affaires étrangères sur les opérations militaires menées par la
France, d’autre pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 1998 ; voir aussi le rapport de la Commission d’enquête citoyenne
publié sous la direction de Laure Coret et François-Xavier Verschave, L’horreur qui nous prend au
visage. L’État français et le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 2005. Pour une analyse juridique,
voir Géraud de La Pradelle, Imprescriptible. L’implication française dans le génocide tutsi portée devant
les tribunaux, Paris, Les Arènes, 2005.
15. Voir, par exemple, l’entretien de Philippe Brewaeys avec Hubert Védrine, Secrétaire général de
l’Élysée au moment du génocide, qui estime, en septembre 2012, que « les extrémistes Tutsi ne voulaient
pas partager le pouvoir mais l’avoir en entier. Ils ont également joué un rôle dans le sabotage de cette
politique de la France », Rwanda 1994. Noirs et blancs menteurs, op. cit., pp. 151-153. Philippe Brewaeys
rapporte l’analyse du journaliste Patrick de Saint-Exupéry qui évoque l’« atmosphère absolument oppressante » régnant lorsqu’il s’agit de questionner des responsables de l’époque, op. cit., p. 153.
16. Stephen Smith, « L’enquête sur l’attentat qui fit basculer le Rwanda dans le génocide »,
Le Monde, 10 mars 2004 ; Pierre Péan, Noires fureurs, Blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Paris,
Mille et une nuits, 2005.
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6 février 2014 02:05 - Revue cités n° 57 - Collectif - Revue cités - 175 x 240 - page 88 / 180
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un nouveau sens au génocide. Elles tentent d’apaiser les critiques portant
sur la proximité de la France avec un pouvoir qui n’aurait fait qu’agir en
« représailles » des stratégies machiavéliques des Tutsi17. Il est aussi possible
– mais sans qu’on puisse à l’évidence le démontrer – que l’ordonnance ait
eu pour fonction, plus simplement encore, d’éviter que ne soit questionné
le rôle d’agents français dans l’attentat lui-même, et le coup d’État qui l’a
immédiatement suivi18.
Envisageons finalement l’échec, ou la contre-performance, de l’acte
judiciaire.
En premier lieu, l’accusation a eu des conséquences pour la France. En
réaction, le Rwanda a publié les rapports de deux commissions d’enquêtes
composées de juristes et d’historiens, chargés de déterminer l’origine de
l’attentat d’une part19, et d’évaluer le rôle de la France dans le génocide
d’autre part20. Ces enquêtes comprennent des éléments susceptibles d’être
utilisés dans le travail historique qui pourrait – enfin – être conduit sur
ces évènements21. Par ailleurs, en dépit d’un relais éditorial considérable
en France, les failles de l’enquête du juge Bruguière ont été relevées par
certains journalistes ainsi que par le travail des milieux associatifs22. Plutôt
que de les apaiser, l’ordonnance a donc finalement avivé les soupçons quant
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17. Selon les sources Wikileaks, un responsable du Quai d’Orsay « a confié que le gouvernement
français avait donné à Bruguière le feu vert pour rendre son rapport [et] que la France avait voulu
riposter à la décision du Rwanda de mener une enquête sur l’implication de la France dans le génocide de 1994 et ses conséquences ». Voir Philippe Bernard, Le Monde, art. cit.
18. Philippe Brewaeys, Rwanda 1994. Noirs et blancs menteurs, op. cit., pp. 161-166 ; Maria
Malagardis, « Rwanda : des missiles qui pointent Paris », Libération, 1er juin 2012 et « Rwanda :
trois fantômes et un mystère », Libération, 10 janvier 2013 ; Laure de Vulpian, « Le mystère Didot
et Maïer », France Culture, Le Magazine de la rédaction, 7 décembre 2012. On l’a dit, « l’hypothèse
française » est évoquée et brièvement réfutée par le juge Bruguière. Il s’agit pour lui d’une « désinformation pouvant avoir été initiée ou facilitée par un service de renseignement étranger pour discréditer la France dans un dessein politique en l’absence d’enquête indépendante » (Ord., p. 11).
19. Rapport dit « Rapport Mutsinzi », du nom du président du Comité indépendant d’experts,
l’ancien président de la Cour suprême du Rwanda, Jean Mutsinzi, 20 avril 2009. Ce Comité a été
créé par arrêté le 16 avril 2007. Les conclusions du Comité concordent avec les résultats actuels de
l’enquête française quant à l’origine des tirs de missile. Voir Brewaeys, Rwanda 1994. Noirs et blancs
menteurs, op. cit., p. 17.
20. Rapport dit « Mucyo » (publié en août 2008). La loi rwandaise a créé la Commission présidée par Jean de Dieu Mucyo en 2005 ; elle était déjà envisagée en 2004.
21. Voir, par exemple, Stéphane Audoin-Rouzeau, « La responsabilité de la France vue du
Rwanda. Le rapport Mucyo : une lecture historienne », Esprit, mai 2010, pp. 122-134.
22. Sur les faux messages de revendication, voir par exemple Jean-François Dupaquier,
L’Agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais, Paris, Karthala, 2010.
L’ordonnance
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Dossier
Génocide des Tutsi
du Rwanda :
un négationnisme
français ?
23. Gabriel Périès et David Servenay, Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide
rwandais (1959-1994), Paris, La Découverte, 2007 ; Patrick de Saint-Exupéry, Complices de l’inavouable, Paris, Les Arènes, 2009 ; Jacques Morel, La France au cœur du génocide des Tutsi, Saint-Jean/
Paris, Izuba/L'Esprit Frappeur, 2010 ; Laure de Vulpian et Thierry Prungnaud, Silence Turquoise,
Paris, Don Quichotte, 2012.
24. Voir le reportage de Laure de Vulpian, « Dans les pas du juge Trevidic au Rwanda », France
Culture, Le Magazine de la rédaction, 15 juin 2012.
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au rôle de la France, qui continue d’être exploré dans cette littérature23.
Enfin, le remplacement du juge Bruguière par des magistrats dont le sérieux
et l’indépendance sont loués, de même que l’organisation assez rocambolesque de l’accès au dossier des personnes accusées, ont permis des résultats
bien différents de ceux qui furent originellement exposés24.
Ainsi, le procédé négationniste, par sa grossièreté, n’a pu majoritairement imposer en France une version officielle du génocide. Toutefois, si
l’ordonnance du juge Bruguière a suscité, paradoxalement mais utilement,
des recherches sur la France au Rwanda, elle a aussi fait naître de nouvelles
inquiétudes quant au fonctionnement prolongé de notre appareil d’État.