Fiche du document numéro 30815

Num
30815
Date
Samedi 1er octobre 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
267621
Pages
1
Titre
Félicien Kabuga jugé pour son rôle dans le génocide rwandais
Sous titre
L’ancien commerçant enrichi est notamment accusé d’avoir financé les milices Interahamwe chargées du massacre des Tutsi en 1994.
Nom cité
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Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
On l’a surnommé « l’argentier du génocide ». Le procès de Félicien Kabuga s’est ouvert jeudi 29 septembre à La Haye (Pays-Bas), devant les juges du Mécanisme de l’ONU chargé des derniers dossiers du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). L’octogénaire est accusé de génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, d’incitation directe et publique au génocide, et de crimes contre l’humanité pour meurtres, extermination, assassinats et persécutions commis en 1994.

Arrêté en mai 2020 à Asnières-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine, l’homme a défié la justice internationale pendant un quart de siècle et jusqu’à l’ouverture de son procès. Mercredi soir, il adressait un courrier aux juges, disant n’avoir « aucune confiance en [son] avocat actuel » et annonçait avoir « décidé de ne pas [se] présenter à [son] procès ». Il n’apparaîtra donc ni dans le box des accusés ni par vidéo depuis la prison.

Une cinquantaine de témoins



Cette annonce ne trouble en rien l’ordonnance de l’affaire. Jeudi, les juges ont acté en quelques secondes la décision de l’accusé et donné la parole à l’accusation. « Vingt-huit ans après les événements, ce procès vise à demander des comptes à Félicien Kabuga pour son rôle substantiel et intentionnel dans ce génocide, a affirmé le procureur Rashid S. Rashid. Des témoins vous diront qu’ils ont vu des milliers de cadavres », et qu’« ils ont vu personnellement l’accusé aux barrages routiers inciter aux meurtres ». Une cinquantaine de témoins viendront déposer à la barre du tribunal. Des dépositions écrites, enregistrées lorsque l’accusé était encore en cavale, compléteront le dossier.

La traque de Félicien Kabuga avait conduit les enquêteurs du TPIR au Kenya, en Belgique, en Suisse, en Allemagne, et finalement, en France, où l’homme résidait depuis plusieurs années, chez l’un de ses treize enfants. Son procès fera-t-il toute la lumière sur les complicités dont il a bénéficié ? Permettra-t-il, surtout, de comprendre les rouages financiers du génocide des Tutsi, perpétré au Rwanda en 1994, et dont le bilan s’élève à 800 000 morts selon les Nations unies ? Le cœur des accusations porte sur son soutien « matériel, logistique, financier et moral » aux milices Interahamwe chargées d’exécuter le génocide à travers tout le pays. Félicien Kabuga devra aussi répondre de son rôle aux côtés des fondateurs de la sinistre Radiotélévision libre des Mille Collines (RTLM) destinée à « propager un discours anti-Tutsi dans le but d’éliminer le groupe ethnique tutsi au Rwanda », selon l’acte d’accusation.

Un fonds pour l’achat d’armes



Mais l’ancien commerçant devenu, à l’époque du génocide, la personnalité la plus riche du Rwanda, est aussi accusé d’avoir participé à la création, à Gisenyi, dans l’ouest du pays, du Fonds de défense national (FDN). Celui-ci devait servir à l’achat d’armes et d’uniformes pour les milices hutu et l’armée dans tout le pays. Félicien Kabuga était le signataire de plusieurs comptes bancaires au nom du FDN. Selon le procureur, « des armes et des munitions » avaient été apportées à Gisenyi « via l’aéroport de Goma », au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), dans des camions marqués de ses initiales pour acheminer les fournitures.

L’acte d’accusation évoque la création du FDN, en avril 1994, à l’hôtel Méridien de Gisenyi. C’est « dans ce même hôtel que se réunissaient les officiels rwandais et les intermédiaires chargés de négocier les grands contrats d’achats d’armes, dont les montants et les commissions portaient sur plusieurs millions de dollars, impliquaient les banques privées rwandaises et les sièges des banques actionnaires européennes qui les honoraient », explique l’expert André Guichaoua, qui, au début des années 2000, a enquêté pour le compte du TPIR sur le volet financier du génocide.

Les enquêteurs avaient, pendant un temps, bénéficié de la coopération de Kigali. Mais « lorsque nous avons voulu accéder aux mouvements de fonds avec l’étranger, un vent de panique a soufflé au sein des banques, notamment en Belgique », se rappelle M. Guichaoua. « A la demande des directeurs des banques nationales et de leurs actionnaires étrangers », Kigali avait cessé de collaborer avec les enquêteurs dans ce domaine, invoquant « la réconciliation nationale » et la « reconstruction du pays », selon un rapport du TPIR. Que ce soit devant le TPIR, les justices européennes, canadienne et américaine, ou au Rwanda même, aucun procès n’a jusqu’ici vraiment permis de lever le voile sur le pillage du Rwanda et les méthodes de détournement de fonds au service des milices. Le procès de Félicien Kabuga ne devrait pas faire exception.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024