Propos recueillis pas Jean-François DUPAQUIER
AFRIKARABIA : – Monsieur Eliezaire USHINDI, vous avez fui la RDC pour vous réfugier ici à Kigali, au Rwanda, pour sauver votre vie, dites-vous. Pourquoi êtes-vous menacé ? Eliezaire USHINDI : – Je suis Congolais, j’ai 30 ans, la RDC est mon pays. J’étais un bébé au moment du génocide des Tutsi du Rwanda. Ma situation personnelle s’est rapidement dégradée à partir du moment où j’ai dénoncé la chasse aux membres de la communauté des Banyamulenge, des pasteurs rwandophones installées depuis des siècles sur les hauts et moyens-plateaux du Kivu, et qui sont stigmatisés par différents acteurs radicalisés de RDC comme des Tutsi, des Rwandais qui n’auraient pas droit à la nationalité congolaise.
AFRIKARABIA : – Vous-même faites partie de cette communauté ? Eliezaire USHINDI : – Non, j’appartiens au groupe ethnique des Bashi. Nous sommes issus d’un ancien royaume installé à l’est de l’actuelle RDC depuis plusieurs siècles. Les Bashi comptent aujourd’hui plusieurs millions de personnes, installées essentiellement au Sud-Kivu.
AFRIKARABIA : – Les Bashi sont aussi considérés comme Tutsi ? Eliezaire USHINDI : – Qu’est-ce qu’un Tutsi ? Je ne sais pas très bien. Disons que c’est le nom donné à des personnes considérées comme des cibles par des leaders populistes congolais qui ont choisi de se mettre en avant par des politiques de la haine. Quelques-uns des Bashi sont rwandophones, ce qui suffit aujourd’hui pour en faire des Tutsi aux yeux d’extrémistes congolais.
« Qu’est-ce qu’un Tutsi ? Je ne sais pas très bien »
Sociologiquement, les Bashi partagent certains noms avec les populations rwandophones ou rwandaises, etc. Ce qui veut dire que quelque part nous sommes liés traditionnellement. En 1998, certains citoyens Bashi avaient payé le même prix que les Tutsi à cause de leur faciès. Celles et ceux qui font les politiques de haine, parfois, peuvent les assimiler imprudemment. Les tenants des discours de haine, qui deviennent malheureusement dominants en RDC, voient des Tutsi partout et les désignent comme les ennemis du Congo, des personnes qu’il faut chasser ou liquider au motif que l’inexistence des Tutsi en RDC est une solution idoine à la crise sécuritaire qui secoue l’Est de la RDC depuis 1963.
AFRIKARABIA : – Vous-même, vous êtes Tutsi ? Eliezaire USHINDI : – Sur des réseaux sociaux ma photographie est diffusée avec une flèche sur mon nez en expliquant que j’ai un nez tutsi, pas un nez congolais. On dit «
Voyez Monsieur le Rwandais ! ». Ce ne sont rien d’autre que des appels au lynchage. Hélas, les critères d’appartenance à la communauté congolaise sont de plus en plus liés au faciès. Il y a beaucoup de Bashi qui présentent un soi-disant « faciès tutsi ». Par ailleurs je suis fondateur de Maisha RDC, la plateforme des étudiants congolais qui dénoncent les discours de haine et génocidaires dans la région des grands-lacs, et particulièrement en RDC [I].
« Sur des réseaux sociaux ma photographie est diffusée avec une flèche sur mon nez en expliquant que j’ai un nez tutsi, pas un nez congolais »
En fonction de ça, je n’avais comme alternative que de fuir la RDC pour sauver ma vie. En tout cas, le critère morphologique est inacceptable tant la diversité est importante. Et cela ne correspond à rien. Regardez-moi et vous comprenez.
AFRIKARABIA : – D’autres Congolais supposés Tutsi sont également épinglés sur les réseaux sociaux ? Eliezaire USHINDI : – Oui, même des gradés des FARDC [l’armée congolaise], en raison de leur « faciès tutsi ». Des officiers des Forces armées sont l’objet de la pire vindicte comme « infiltrés ». En novembre 2021, le major Joseph Kaminzobe, issu de la communauté des Banyamulenge, a été lynché, son corps brûlé et l’objet d’actes d’anthropophagie à Lweba. Et le 20 décembre 2021, le lieutenant de la police nationale congolaise Gapasi Munyemanzi a été lynché du côté du Nyiragongo de façon atroce, juste parce qu’il avait « une tête de Tutsi » et un nom à consonance rwandaise. Les tueurs ont un sentiment d’impunité car le gouvernement ne fait à peu près rien pour empêcher ces violences, y compris visant des agents de l’Etat sur leur lieu de travail.
Les élections de 2006 et 2011 ont consolidé l’idéologie génocidaire en RDC. Presque tous les candidats en campagne tenaient des discours de haine anti-tutsi, anti-rwandophones, anti-Rwanda. On entendait couramment «
Si je suis élu, je vais chasser les Tutsi de vos villages, ils vont rentrer chez eux ».
AFRIKARABIA : – Et depuis ? Eliezaire USHINDI : – Le 15 juin dernier à Goma, il y a eu une manifestation pour dénoncer le M23. La Lucha RDC, un mouvement citoyen actif qui affirme défendre les droits de l’homme, a appelé les gens à manifester et leur a fait chanter «
Que Tshisekedi ouvre les portes [les frontières] pour que les Tutsi rwandais rentrent chez eux ». Très vite, les manifestants ont pillé des boutiques appartenant à des commerçants supposés Tutsi, des biens ont été détruits, on arrêtait des véhicules pour dévisager leurs occupants, voir s’ils avaient des morphologies tutsi. Les discours dénonçant la « balkanisation » du Congo de Martin Fayulu, Muhindo Nzangi, Eve Bazaiba, KOPAX, Lucha RDC, des journalistes et acteurs de la société civile en RDC et de leurs partisans, visant les Tutsi, se sont répandus à tous les niveaux de la société. Lors de cette manifestation à Goma, les gens s’en sont pris à un douanier supposé tutsi et l’ont lynché.
AFRIKARABIA : – Les Bashi sont au nombre de plusieurs millions. Pourquoi êtes-vous particulièrement ciblé ? Eliezaire USHINDI : – J’ai été l’un des membres de la Lucha RDC au Nord-Kivu, une organisation très active de la société civile pour la défense des droits de l’homme et l’amélioration de la vie quotidienne des habitants des provinces. Nous étions tous très unis et très actifs pour cette approche positive sans que notre lutte soit polluée par la question ethnique [II].
« Les gens ont lynché un douanier supposé tutsi »
La communauté internationale, les politiciens, les journalistes, etc., portent une lourde responsabilité. La défense des droits de l’homme qu’ils ne cessent de mettre en avant ne signifie pas cette idéologie de la haine qui s’est répandue dans la société vis-à-vis des Tutsi. Alors que la RDC compte plus de cent-quarante groupes armés, lutter contre la balkanisation serait lutter contre la présence des Tutsi ? La « défense du Congo » ne justifie pas ces appels à la haine.
Depuis des années les villages « tutsi » sont brûlés, les vaches razziées, des habitants tués au motif qu’ils menacent de « balkaniser » le Congo. Ce sont des discours repris par des ONG, des mouvements « citoyens », des journalistes.
Pour en revenir à mon cas, j’ai quitté la Lucha RDC en 2020 suite aux multiples discours de haine et anti-tutsi qui étaient tenus même par des militants de la Lucha RDC au motif de dénoncer les incidents de Kipupu mais aussi lors de l’érection de la commune de Minembwe. Je considérais que la Lucha ne remplissait plus son rôle en face de la déferlante de haine génocidaire anti-tutsi, anti-banyamulenge, et des violences politiques qui en résultaient. Ma position ne plaisait pas. Mes ennuis ont vraiment commencé à ce moment-là.
AFRIKARABIA : – A partir du moment où vous dénonciez la haine anti-tutsi en RDC ? Eliezaire USHINDI : – Cette dénonciation faisait de moi un « complice », suivant la phraséologie en cours au Rwanda jusqu’au génocide des Tutsi. Une personne considérée comme « complice » en RDC est « un Rwandais », « un conspirateur », « un infiltré », « un occupant », « un ennemi », et autres qualificatifs. Elle est vouée au sort réservé aux Tutsi…
AFRIKARABIA : – La résurgence du mouvement M23 au début de cette année est-elle le détonateur des appels à la haine anti-tutsi ? Eliezaire USHINDI : – La résurgence du M23 a constitué le dernier prétexte des propagateurs d’une haine qui couve depuis une trentaine d’années, sinon davantage. Sans revenir jusqu’aux « troubles » à l’époque de l’indépendance du Congo belge, faut-il rappeler que la persécution des Banyamulenge et la contestation de leur « Zaïrité » – comme on disait à l’époque – a recommencé au début des années 1980, lorsque le Zaïre du régime Mobutu à l’agonie cherchait un bouc-émissaire ? Peut-on aussi oublier le massacre des Banyamulenge « tutsi » au camp de Gatumba le 16 août 2004 qui a causé plus de 150 morts [III] ?
« La résurgence du M23 a constitué le dernier prétexte des propagateurs d’une haine qui couve depuis une trentaine d’années »
Le site Genocidwatch rappelle que le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) a calculé que 31 % des discours haineux en RDC, de mai à décembre 2020, visaient les Banyamulenge. La résurgence du M23 plus d’un an après cette séquence n’est donc qu’un prétexte pour les agitateurs qui désormais ciblent tous les Tutsi du Congo.
AFRIKARABIA : – Sur les réseaux sociaux qui véhiculent des messages de haine contre les Tutsi, on se réfère non seulement au M23, considéré comme un mouvement armé téléguidé par l’Etat rwandais, mais aussi au massacre d’habitants de Kipupu par des miliciens banyamulenge voici deux ans ? Eliezaire USHINDI : – Vous faites allusion au massacre de Kipupu, au Sud-Kivu dans la nuit du 16 au 17 juillet 2020 qui a fait une douzaine de morts dans le fief de ceux qui avaient razzié les vaches des Banyamulenge. Il faut en rappeler le contexte. La communauté des Banyamulenge vit en état de siège sur les hauts plateaux du Sud-Kivu. Certains ne peuvent pas quitter leurs villages pour ne pas être tués par des Maï Maï. Les villages où habitent les Banyamulenge sont leurs prisons depuis les attaques des Maï Maï. Périodiquement, des villages sont attaqués et brûlés, des familles décimées, les troupeaux de vaches raflés. Au cours des vingt dernières années, ces incursions de rebelles Maï Maï et d’autres ont causé des milliers de morts sans que la communauté internationale s’en émeuve vraiment.
AFRIKARABIA : – Que s’est-il passé à Kipupu ? Eliezaire USHINDI : – Une nuit de juillet 2020, des assaillants venus de Kipupu ont volé environ trois cents vaches. Mais les Banyamulenge avaient fini par constituer des milices d’autodéfense. L’une d’elles a décidé de récupérer les troupeaux. Leur raid a coûté la vie à une douzaine d’habitants, en majorité des miliciens de Kipupu appartenant aux ethnies Bafuliiru, Babembe ou Banyindu. Certains ont décidé de monter en épingle la tragédie de Kipupu pour accuser la milice des Banyamulenge de visées génocidaires. Des députés représentants les différentes communautés présentes à Kipupu ont rédigé une protestation prétendant que 220 personnes avaient été exterminées.
« Certains ont décidé de monter en épingle la tragédie de Kipupu pour accuser la milice des Banyamulenge de visées génocidaires »
AFRIKARABIA : – Sur les réseaux sociaux… Eliezaire Maisha : – Oui. Y compris en Occident. Même des journalistes réputés croient que des « informations » de cette nature n’ont besoin d’aucune vérification. Voilà comment a été accréditée une rumeur mortifère. Or ce chiffre destiné à accuser les Tutsi de visées génocidaires a été contredit par la Monusco, qui a enquêté. Elle parle de 15 morts. D’autres ONG concluent de façon similaire. Pourtant, l’Assemblée nationale a embrayé sur ce discours.
AFRIKARABIA : – Tout ceci n’est-il pas aussi le résultat du « Rapport Mapping » ? Eliezaire Maisha : – Le Rapport Mapping n’a jamais été validé par l’ONU. Et la plupart de ceux qui le brandissent comme une preuve selon eux du « génocide congolais » ne l’ont visiblement pas lu. Ce n’est pas un bréviaire de haine anti-tutsi.
« Un processus est enclenché pouvant conduire à l’extermination des prétendus "Tutsi congolais" »
Tous les professionnels du droit savent bien que le Rapport Mapping ne permet pas de poursuivre des personnes en justice. Il faut mener des enquêtes et collecter des preuves au-delà de tout doute raisonnable en prenant en compte tous les éléments pour et contre. Cela va prendre des années. En attendant, de 1994 jusqu’aujourd’hui, les discours de haine anti-tutsi se développent et les preuves sont là. Les pogroms ont commencé. Mais rien n’est fait pour poursuivre les auteurs qui pourtant sont identifiés. Qu’est-ce qui est le plus important ? Une incantation permanente sur base d’un rapport critiqué, ou le travail quotidien opiniâtre de professionnels du droit qui préparent des dossiers étayés et s’efforcent de rapporter des preuves irréfutables.
AFRIKARABIA : – Quelle est aujourd’hui la situation des Banyamulenge et des autres Congolais stigmatisés comme Tutsi ? Eliezaire Maisha : – Un processus est enclenché pouvant conduire à l’extermination des prétendus « Tutsi congolais ». Je suppose que vous connaissez la modélisation du processus génocidaire par l’analyste américain Grégory Stanton. Il mentionne dix étapes du processus conduisant au génocide. La première étape consiste à diviser la population entre « l’ennemi » et « nous ». Ensuite, lorsqu’ils sont combinés à la haine, les symboles peuvent être imposés aux membres réticents de groupes parias….
« Ceux qui brandissent le Rapport Mapping comme une preuve du "génocide congolais" ne l’ont visiblement pas lu »
Puis interviennent la discrimination et la deshumanisation. Les groupes haineux diffusent une propagande polarisante… Des tueries de masse sont prévues. Les victimes sont identifiées et catégorisées en raison de leur identité ethnique ou religieuse… Le passage à l’extermination est facilité pour les tueurs parce qu’ils ne croient pas que leurs victimes soient pleinement humaines. Le permis de tuer est délivré car le Tutsi est traité comme un infiltré, un ennemi de l’intérieur.
Le site Genocide Watch, fondé par Grégory Stanton, a parfaitement documenté cette course à l’abîme. Selon lui, les Banyamulenge sont très proches des deux dernières étapes, l’extermination et la négation du génocide.
AFRIKARABIA : – Si les signes avant-coureurs d’un risque de génocide des Tutsi de RDC sont si évidents, pourquoi les journalistes présents dans l’est de la RDC, notamment les journalistes occidentaux, n’alertent-ils pas leur public ? Eliezaire Maisha : – C’est une bonne question mais je ne sais que vous répondre. J’ai discuté avec des rescapés rwandais du génocide des Tutsi en 1994. Il y avait quantité de signes avant-coureurs. Pourquoi déjà à cette époque les journalistes occidentaux, notamment belges, n’ont-ils pas joué leur rôle de lanceurs d’alerte ? Peut-être que le génocide, c’est comme un serpent : il hypnotise ses victimes, y compris les observateurs, jusqu’à paralyser leur entendement avant de les broyer.
« Peut-être que le génocide, c’est comme un serpent : il hypnotise ses victimes, y compris les observateurs »
Et puis, n’y a-t-il pas une alliance objective entre tous ces propagateurs de cette idéologie à l’est et les FDLR, les militaires de Turquoise, les nostalgiques du passé qui rêvent encore d’éradiquer les Tutsi du Congo avant de terminer le travail de l’autre côté de la frontière.
AFRIKARABIA : – Vous vous référez à la typologie de Grégory Stanton. Pour autant que je connaisse son travail, il me semble qu’il ne met pas en cause la paralysie des médias, qui pourrait constituer un signe avant-coureur supplémentaire ? Eliezaire USHINDI : – Il est vrai que les journalistes, à de rares exceptions près [IV], ne font pas le travail que l’on peut espérer d’eux.
AFRIKARABIA : – Gregory Stanton a suggéré que « en fin de compte, le meilleur antidote au génocide est l’éducation populaire et le développement de la tolérance sociale et culturelle pour la diversité ». On peut douter que ce soit un remède pertinent au niveau actuel de haine « raciale » et aussi du rejet de la Monusco ? Eliezaire Maisha : – Le problème, c’est l’incurie de l’Etat congolais dans bien des domaines, qui aggrave les frustrations et la colère des Congolais. Laisser se développer la haine des Tutsi et de la Monusco constitue un dérivatif si facile… alors que la tragédie vécue par la population est d’ordre économique et social. Le peuple est abandonné à sa pauvreté, l’appareil d’Etat est corrompu y compris l’armée, la police et la justice.
« Le problème, c’est l’incurie de l’Etat congolais »
Travaillons au progrès économique et social, au bien être de la population, à l’arrestation des autorités prises dans un pacte de corruption… Ces discours de haine se réfèrent aussi à des écrivains qui se sont fait connaître en France. Les extrémistes citent souvent deux personnes qui s’appellent Charles Onana et Judi Rever…
AFRIKARABIA : – Le 9 mars 2020, nous avons assisté au Sénat français à la première rencontre de Martin Fayulu et Adolphe Muzito avec les négationnistes Charles Onana et Judi Rever [V]. Cette rencontre aurait donc des conséquences sur le discours anti-tutsi en RDC ces derniers temps ? Eliezaire USHINDI : – C’est ce que je vous disais. Des références fréquentes aux écrits de Charles Onana et de Judi Rever.
AFRIKARABIA : – Cette rencontre au Sénat était semble-t-il organisée par l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Hubert Védrine, son factotum Alain-Francis Guyon et d’anciens hauts-gradés de l’armée française au Rwanda. Ces individus joueraient-ils un rôle dans la radicalisation des discours anti-tutsi en RDC aujourd’hui ? Eliezaire Maisha : – Ce que je constate, c’est l’orchestration de la haine contre Paul Kagame et les Rwandais en général et la banalisation de ce discours de haine contre des « Tutsi infiltrés » au Congo qui devraient en être chassés. C’est une opération de purification ethnique qui ne dit pas son nom. Il suffit d’analyser les déclarations d’influenceurs comme Charles Onana, Martin Fayulu, le professeur Maswana, Boniface Musavuli, et bien d’autres, vivant en Europe et aux Etats-Unis, d’où ils sèment la haine sur les réseaux sociaux. Ils y animent des colloques, appellent à des manifestations en RDC.
« Quand des gens disent, "un Tutsi n’est pas un Congolais, un Tutsi a le droit d’être tué", c’est un discours criminel »
Que font la police et la justice en France, en Belgique et aux Etats-Unis, leurs principaux pays d’accueil, pour sanctionner cette xénophobie, ces discours de haine ? Alors qu’ils débloquent des millions des dollars ou d’euro chaque année pour appuyer la RDC et la région des Grands-Lacs dans le processus de stabilité. Ils devraient tenir compte des effets des discours de haine et ce qu’ils représentent pour les groupes armés dans la région.
AFRIKARABIA : – On a bloqué le site « Russia Today » en Occident au nom de la législation punissant les discours de haine et de désinformation. Il y aurait selon vous « des trous dans la raquette » ? Eliezaire USHINDI : – Au Congo, pour justifier n’importe quel discours, un slogan répète : «
L’activisme n’est pas un crime ». Quand des gens disent, «
Un Tutsi n’est pas un Congolais, un Tutsi a le droit d’être tué », c’est de l’activisme ? C’est un discours criminel. C’est une forme de nazisme. Je crois que Hitler était soutenu par des historiens, des chercheurs, des journalistes. Il n’était pas seul ! Ce n’était pas un simple « activiste ». Cette idéologie se développe au Congo, d’autant que les génocidaires qui ont fui le Rwanda sont souvent derrière cette idéologie de la haine. Les FDLR sont un vrai problème en RDC.
AFRIKARABIA : – Que faire pour éviter que se reproduise le scénario du génocide de 1994 contre les Tutsi du Rwanda ? Eliezaire USHINDI : – La communauté internationale doit se montrer très ferme pour sanctionner les discours de haine. Leurs auteurs doivent être poursuivis, y compris dans les pays d’Europe et d’Amérique du Nord où ils se croient à l’abri. Les manifestations qu’ils organisent un peu partout dans le monde pour appeler à la haine contre les Tutsi doivent être interdites comme le sont les manifestations antisémites. Le cas échéant, ils doivent être expulsés comme le sont les prédicateurs qui appellent à la haine des femmes, à la haine raciale ou à la haine inter-religieuse, ou encore qui font l’apologie du terrorisme. Si en RDC l’Etat est déliquescent, ce n’est pas le cas dans d’autres pays d’Afrique ou en Occident. A quoi bon tant d’efforts et d’argent de la communauté internationale au nom du rétablissement de l’Etat de droit en RDC, si c’est pour laisser s’y préparer un nouveau génocide ?
[Notes :]
[I] Maisha RDC (@MaishaRdc). Pour tout savoir sur ce mouvement :
https://twitter.com/MaishaRdc?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor [II] La Lucha (acronyme de « Lutte pour le changement ») est un mouvement citoyen, non-violent et non-partisan, fondé en juin 2012 à Goma, la capitale du Nord-Kivu. Le mouvement plaide pour la justice sociale et la responsabilité en RDC par le biais de campagnes et encourage les citoyens congolais à lutter pour la promotion et le respect des droits humains. Après que le président Joseph Kabila ait annoncé le report des élections présidentielles en RDC, ce qui prolongeait de façon non constitutionnelle son second mandat, la Lucha avait mobilisé la société civile afin qu’elle contraigne le président à respecter l’état de droit et les droits humains en RDC. Paradoxalement, la victoire tardive de la Lucha et d’autres organisations démocratiques a fait naître en leur sein de profondes divisions, et laisse aujourd’hui un large espace au populisme et aux politiques de la haine.
[III] Le camp de Gatumba situé au Burundi non loin de la frontière congolaise abritait notamment des réfugiés congolais ayant fui les affrontements armés en RDC. Au matin du 16 août 2004, le camp fut attaqué par des rebelles hutu burundais des Forces nationales de libération (FNL) et des miliciens congolais Maï Maï. Entre 150 et 160 civils, essentiellement des femmes et des enfants, furent exterminés et plus de 200 personnes blessées, presque tous des Tutsi Banyamulenge. Les tueurs avaient pris soin de ne viser que les Banyamulenge du camp, épargnant les déplacés hutu burundais qui s’y trouvaient.
Voir aussi le site Genocidewatch :
https://www.genocidewatch.com/single-post/alerte-g%C3 %A9nocide-les-banyamulenge-de-la-r%C3%A9publique-d%C3%A9mocratique-congo-d%C3%A9cembre-2021 [IV] A l’exception de
Libération. Cf Théo Englebert, « Lynchage au Congo : "Voici le Tutsi, prenez-le !",
Libération, 14 juillet 2022.
[V] Cf.
http://afrikarabia.com/wordpress/martin-fayulu-et-adolphe-muzito-invites-surprise-au-colloque-sur-lafrique-des-grands-lacs-au-senat/