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La clé du mystère dort-elle dans les archives de l’Élysée ? Une juge d’instruction du tribunal de Paris, chargée de faire la lumière sur les activités de mercenaire de l’ancien gendarme français Paul Barril pendant le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, a demandé dans une ordonnance signée le 11 août dernier de pouvoir accéder aux archives du chef d’état-major particulier de l’ancien président François Mitterrand, selon nos informations.
Au cœur du dossier, ouvert il y a neuf ans après la plainte de plusieurs associations et ONG de défense des droits de l’homme (Ligue des droits de l’homme, Survie et Fédération internationale pour les droits humains), se trouvent les activités au profit du gouvernement génocidaire rwandais du capitaine Barril, ancien commandant du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et membre de la cellule antiterroriste de l’Élysée sous Mitterrand.
Reconverti dans le privé après le fiasco de ses missions au service de la présidence de la République (voir notamment l’affaire des Irlandais de Vincennes), Paul Barril s’était rapproché dès le début des années 1990 du pouvoir hutu au Rwanda, qui allait devenir le moteur de la machine génocidaire.
Paul Barril en 1994. © Photo Lehr / Sipa
Dernier génocide du XXe siècle, le massacre de la minorité tutsie et des Hutus modérés a fait entre 800 000 et un million de morts au Rwanda, en 100 jours seulement, au printemps 1994. Un récent rapport rendu par une commission présidée par l’historien Vincent Duclert a conclu aux « responsabilités lourdes et accablantes » de la France face au génocide, tout en excluant une complicité active de l’État dans le crime.
Dans cette perspective, l’affaire Barril pose une question : l’ex-gendarme de l’Élysée était-il un faux-nez de la France dans une politique de soutien déguisé au pouvoir hutu ou était-il un mercenaire mû par son seul intérêt personnel ? L’interrogation paraît d’autant plus légitime que face à la tournure des événements au Rwanda, le chef d’état-major particulier du président Mitterrand, le général Christian Quesnot, avait préconisé, dans une note rédigée le 6 mai 1994, une « stratégie indirecte » d’appui au pouvoir hutu, que la France avait toujours soutenu par le passé.
Pour qui travaillait le capitaine Barril ? C’est la question au cœur de l’enquête judiciaire depuis neuf ans.
Plusieurs faits sont d’ores et déjà établis par l’enquête. En plein génocide et une semaine seulement après l’adoption d’un embargo international suspendant toute livraison d’armes à destination du Rwanda, Paul Barril a signé, le 28 mai 1994, un contrat de 3,1 millions de dollars avec le chef du gouvernement intérimaire, Jean Kambanda – il sera condamné à la prison à perpétuité pour génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda –, portant sur la mise à disposition d’hommes et d’armes pour le pouvoir en place. Plus d’un million d’euros seront même versés par l’ambassade du Rwanda en France, dès le 17 juin, à la société de sécurité privée du capitaine Barril, baptisée Secrets.
Paul Barril a été placé sous le statut de témoin assisté des faits de « complicité de génocide » dont il est soupçonné.
L’embarras des militaires, Hubert Védrine entendu
La juge d’instruction Ariane Amson s’intéresse aujourd’hui tout particulièrement à un voyage de l’équipe Barril qui, avant de se rendre à Kigali, au Rwanda, a fait escale, le 9 mai 1994, à bord d’un jet Falcon, sur la base militaire d’Istres (Bouches-du-Rhône). Dans le cabinet de la juge Amson ont défilé ces dernières semaines de nombreux gradés de l’armée qui, tous, se sont renvoyé la patate chaude concernant cet embarrassant atterrissage d’un mercenaire pro-Hutus sur une base militaire française et que personne ne dit avoir autorisé.
Le chef d’état-major de l’armée, l’amiral Jacques Lanxade, a ainsi indiqué qu’il n’y était pour rien mais que « ça pourrait » venir du général Quesnot (le chef d’état-major particulier de Mitterrand), qui a, lui aussi, démenti son implication, jurant ne « pas être dans ce circuit », avant de renvoyer la balle vers le chef de l’armée de l’air, Vincent Lanata, lequel a affirmé que pour un tel atterrissage, il a fallu un « accord négocié » à l’Élysée, au ministère de la défense ou à Matignon. Quant au patron de la base aérienne d’Istres à l’époque, Patrick Thouverez, il a affirmé qu’il n’avait personnellement rien autorisé, mais que « dans l’affaire du Rwanda, on sait tous que la cellule de l’Élysée a joué un grand rôle, donc l’autorisation a pu être donnée à ce niveau ».
Deux mythomanes qui se mandataient mutuellement.
Hubert Védrine, au sujet du capitaine Paul Barril et de François de Grossouvre
C’est la raison pour laquelle la juge Amson a demandé, à la suite d’une requête de l’association Survie, de pouvoir accéder aux archives du chef d’état-major particulier de François Mitterrand, mais aussi aux archives de la base aérienne d’Istres. Sollicitée, l’avocate de Paul Barril, Me Hélène Clamagirand, n’a pas souhaité faire de commentaires sur les derniers développements du dossier et l’épisode de l’escale de son client sur une base militaire de l’armée française.
Interrogé le 1er juillet dernier, l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Hubert Védrine, a pour sa part expliqué sur procès-verbal : « Je n’imagine pas une seconde qu’il y ait eu un accord des autorités », estimant que le capitaine Barril, que Mitterrand présentait à ses interlocuteurs comme un « aventurier », a pu profiter d’un soutien subalterne au sein de la base d’Istres sans que cela n’engage la France et la politique élyséenne pendant le génocide.
Durant son audition, Hubert Védrine a d’ailleurs tenu à minimiser l’importance de son rôle durant les événements du Rwanda, arguant que 90 % de son temps était alors occupé par les relations internes à la gauche et à la cohabitation – Édouard Balladur était premier ministre.
Interrogé sur plusieurs notes de la DGSE, les services secrets extérieurs, qui avaient tenté d’alerter sur l’activisme de Paul Barril au profit des forces hutues, Hubert Védrine a dit n’avoir aucun souvenir de ces documents. « Mais c’est tout à fait possible que Paul Barril ait fait cela », a-t-il assuré, présentant le « business » de l’ancien gendarme de l’Élysée comme « en partie légal, en partie trafic ».
Interrogé sur les relations entretenues par le capitaine Barril bien après son départ de l’Élysée avec un intime de Mitterrand détenteur de multiples secrets, François de Grossouvre, Hubert Védrine a présenté les deux hommes comme « deux mythomanes qui se mandataient mutuellement ». L’ancien secrétaire général de la présidence a parlé de François de Grossouvre comme d’un homme « non maîtrisable, malheureux de ne pas jouer un plus grand rôle ». « C’était un homme, à la fin, complètement délirant, bourré de rancune », a-t-il conclu au sujet d’une personne qui s’est suicidée, à l’Élysée, le 7 avril 1994. Soit le lendemain du déclenchement du génocide des Tutsis.