Résumé
- In Rwanda the numbers clash: the figure is put forward at 100 to 200,000 victims and from one to two million refugees. Imprecise information but which can be explained by the chaos that the country is experiencing: the massacres perpetrated between two rival ethnic groups who have been vying for power for decades.
- In Rwanda there is an exodus. An exodus of such magnitude that it has been described as a major humanitarian disaster by the Red Cross. Half a million people fled the country, crossed the rivers. Not all of them were able to cross into Burundi so they flowed back to Tanzania where the UNHCR reports queues eight kilometers long.
- In the camps there are always the same wounded, the bandaged neck hiding the machete blow which missed its target. In Rwanda the massacres continue. According to one of the rare European witnesses still on the spot, an ICRC delegate whom we have just contacted in Kigali, a new massacre took place today in Gitarama, to the south of the capital, where the provisional government folded. Philippe Gaillard: "I don't think there is a single prefecture in Rwanda that has escaped the killings. There is a manhunt, for ethnic reasons, for political reasons".
- For political reasons, refugees are beginning to dare to talk about it like this man, one of the rare opponents of the regime in place to have been able to save his skin. Alphonse-Marie Nkubito: "It's not even an ethnic massacre. It's a political operation. It's a political game that was played between those who didn't want democratic change, that is to say the presidential movement, and the opposition. In fact the presidential movement wanted to put an end to all these attempts at democracy and they succeeded. If they caught me, even today, they would kill me even though I am a Hutu!".
- Hutu, like this woman: the former Prime Minister massacred in the early hours by extremists of his own ethnic group. Extremists who did not want to share power with the Tutsi. The Hutu democrats therefore joined the persecuted Tutsi in death and in the exodus.
- UN Secretary General Boutros Boutros-Ghali suggests considering the use of force to stop the killings in Rwanda, "even if that, he says, requires reinforcements from blue helmets".
- Rony Brauman: "It is indeed a butchery. But it is not a butchery which is due to inter-ethnic clashes. It is a butchery which is due to a real unilateral massacre! The Jews and the Aryans, they do not did not throw themselves on each other to cut each other's throats. The Aryans, the Nazis, killed Jews. There, you have a faction, which is the presidential guard, which, on the occasion of the assassination of their President, for which they themselves are probably responsible, wanted to radicalize the regime a little more. And as soon as the plane fell, in the hours that followed, the massacre was launched by well-identified militias, by a faction of the army and by the Praetorian Guard of the President. And it is they who criss-cross the country and who, with grenades, machetes, machine guns, shoot at anything that looks like a Tutsi, because they believe that the Tutsi are a bit like the Jews of Rwanda, and what looks like a Hutu opponent whom they know very well because Rwanda is a small country where everyone knows everything about everyone. […] Interference is a non-issue. When a private, independent humanitarian organization, which has no other objective than to bring relief to men and women in distress, crosses a border, it does not interfere. In the name of the duty of humanitarian initiative, she will bring relief to people who are going to die. When a State, on the other hand, crosses a border, when it establishes relations with another State, hostile, friendly, etc., it is playing politics. So if his interference is political, fine! At that point we are in another area. But what I do not believe in at all, what I find carrying very heavy perverse effects in addition, is the so-called humanitarian interference practiced by the States".
Citation
[Catherine Ceylac :] Au Rwanda les chiffres s'entrechoquent : on avance le chiffre de 100 à 200 000 victimes et de un à deux millions de réfugiés. Des informations imprécises mais qui s'expliquent par le chaos que connaît le pays : les massacres perpétrés entre deux ethnies rivales qui se disputent le pouvoir et cela depuis des décennies. Patricia Coste.
[Patricia Coste :] Au Rwanda c'est l'exode. Un exode d'une ampleur telle qu'il a été qualifié de catastrophe humanitaire majeure par la Croix-Rouge. Un demi-million de personnes fuient le pays, franchissent les fleuves [diffusion d'images montrant des gens en train de fuir à pied ou sur des pirogues]. Tous n'ont pas pu passer au Burundi alors ils refluent vers la Tanzanie où le HCR signale des files de huit kilomètres de long [diffusion d'une carte du Rwanda montrant des flèches rouges partir du pays en direction de la Tanzanie, du Burundi et du Zaïre].
Dans les camps se retrouvent toujours les mêmes blessés, la nuque bandée cachant le coup de machette qui a manqué sa cible [gros plan sur un homme blessé au cou et qui erre dans un camp de réfugiés]. Au Rwanda les massacres continuent [diffusion d'images d'une centaine de personnes massacrées en rase campagne ; une incrustation "24/04/1994, images Reuter" s'affiche à l'écran]. D'après un des rares témoins européens encore sur place, un délégué du CICR que nous venons de joindre à Kigali, un nouveau massacre a eu lieu aujourd'hui à Kitarama [Gitarama], au sud de la capitale, là où le gouvernement provisoire s'est replié [diffusion d'une carte situant la ville en cause au sud-est de Kigali].
["Kigali, par téléphone, Philippe Gaillard, Délégué du CICR" : "Euh, je crois qu'il n'y a pas une seule, euh, préfecture du Rwanda qui ait échappé, euh, aux tueries [gros plan sur une famille massacrée dans sa maison en terre]. On fait, euh…, la chasse à l'homme, pour des raisons ethniques, pour des raisons politiques" [on voit des soldats du FPR tentant de secourir un enfant gisant au milieu d'un charnier].]
Pour des raisons politiques, des réfugiés commencent à oser en parler comme cet homme, l'un des rares opposants au régime en place à avoir pu sauver sa peau.
["Alphonse [Alphonse-Marie] Nkubito, Défense des Droits de l'Homme, Procureur Général à Kigali" : - "Ce…, ce n'est même…, ce n'est pas un massacre ethnique, c'est un…, c'est une opération politique. C'est un jeu politique qui a été joué entre ceux qui ne voulaient pas le changement -- le changement démocratique --, c'est-à-dire la mouvance présidentielle, et l'opposition [on entend la journaliste qui l'interroge acquiescer à ses propos]. En fait l'opp…, la mouvance présidentielle voulait liquider, mettre fin aux T…, au…, à…, à toutes ces velléités de démocratique [sic] et… ils y sont parvenus. [Coupe] Je dois vous dire que si on m'attrapait, même aujourd'hui, on me tuerait". La journaliste qui l'interroge : - "Mmm. Alors que vous êtes…, alors que vous êtes hutu". Alphonse-Marie Nkubito : - "Je dois vous dire à… Je suis hutu !".]
Hutu, comme cette femme [diffusion d'une image d'archives d'Agathe Uwilingiyimana] : l'ancien Premier ministre massacrée dès les premières heures par les extrémistes de sa propre ethnie. Extrémistes qui ne voulaient pas partager le pouvoir avec les Tutsi. Les démocrates hutu ont donc rejoint dans la mort et dans l'exode les Tutsi persécutés [gros plan sur une famille en train de fuir sur une pirogue].
[Catherine Ceylac :] Oui et le secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros-Ghali, propose d'envisager un recours à la force pour arrêter les tueries, donc au Rwanda, "même si cela, dit-il, nécessite des renforts de Casques bleus".
[Catherine Ceylac interviewe à présent en plateau Rony Brauman.]
Catherine Ceylac : Rony Brauman, euh, bonsoir.
Rony Brauman : Bonsoir.
Catherine Ceylac : Je le disais tout à l'heure, vous êtes à la tête de MSF depuis, euh, 12 ans. Vous allez quitter cette organisation. Avant, euh…, d'évoquer donc, euh, ce choix, je voudrais que vous…, vous me donniez des informations si vous en avez concernant le Rwanda.
Rony Brauman : Ah, je ne peux que confirmer ce que vient de dire Philippe Gaillard du CICR [une incrustation "Rony Brauman, Pdt. de Médecin [Médecins] Sans Frontières" s'affiche à l'écran]. Médecins sans frontières travaille aux côtés du CICR à Kigali…
Catherine Ceylac : Vous êtes encore nombreux ?
Rony Brauman : Ah non, nous sommes très peu : nous avons juste une équipe chirurgicale. Et d'ailleurs le CICR a dû lui aussi réduire au strict minimum, pour des raisons de sécurité, les effectifs qu'il avait auparavant. Nous étions très nombreux puisque nous nous occupions des réfugiés du Burundais [sic]. Ils ont fui et nous avons dû partir avec eux. Et nous avons renvoyé une équipe chirurgicale à Kigali. C'est effectivement une boucherie. Mais je voudrais insister sur ce qui vient d'être dit : ça n'est pas une boucherie qui est due à des affrontements interethniques. C'est une boucherie qui est due à un véritable massacre unilatéral ! Si vous voulez, les Juifs et les Aryens, euh, ils se sont pas jetés les uns sur les autres pour s'entrégorger. Les Aryens, les Nazis, ont tué des Juifs. Eh bien, là, vous avez une faction, qui est la garde présidentielle, qui, à l'occasion de l'assassinat de leur Président, dont ils sont d'ailleurs eux-mêmes probablement responsables -- c'est en tout cas la rumeur qui court et qui est la plus plausible --, …
Catherine Ceylac : Mmm. Qui s'est vengée.
Rony Brauman : Ils se sont vengés. Ils ont voulu radicaliser encore un petit peu plus le régime. Et dès que l'avion est tombé -- immédiatement après ! --, dans les heures qui ont suivi, le massacre a été lancé. Il a été lancé par des milices bien identifiées, par une faction de l'armée et par la garde prétorienne du Président. Et ce sont eux qui sillonnent le pays et qui, à la grenade, à la machette, à la mitrailleuse, tirent sur tout ce qui ressemble à un Tutsi -- car ils estiment que un peu les Tutsi [sic] c'est un peu les Juifs du Rwanda -- et ce qui ressemble à un opposant hutu qu'ils connaissent fort bien car le Rwanda est un petit pays où chacun sait tout sur tout le monde.
Catherine Ceylac : Vous êtes un président, euh, jusqu'à présent, euh, discret, assez peu médiatisé, euh…, apprécié à l'intérieur, euh, comme à l'extérieure de…, de votre organisation. Euh, pourquoi quitter, euh, MSF ?
Rony Brauman : Mais parce que ça fait 12 ans que j'en suis le président et que c'est une tâche d'abord très lourde : ça demande une très, très grande disponibilité d'esprit, de temps. Ça demande à être mobilisable en permanence et puis, euh…
Catherine Ceylac : Au mom…, au moment où l'aide humanitaire, euh, est présente sur tous les fronts est-ce que c'est pas une fuite ?
Rony Brauman : Ah non, non, non, c'est pas une fuite. D'abord je ne quitte pas Médecins sans frontières, je quitte la présidence de Médecins sans frontières et je continuerai avec, euh, l'association chérie de mon cœur à aller sur le terrain, à participer au débat, à participer à la représentation extérieure. Bref, à aider, avec tous les moyens donc qui sont à ma disposition, l'association à parvenir à ses fins, c'est-à-dire aider ceux que l'on a vu par exemple sur vos écrans, euh…, à l'instant. Non ça n'est donc pas une fuite. Par contre je crois que, pour toute association -- et c'est sans doute vrai d'ailleurs pour toute forme d'organisation --, le renouvellement est une nécessité. C'est peut-être encore plus vrai dans une association humanitaire où, euh, les perspectives de carrière n'existent pas, où il faut donc à un moment donner se dire : "Eh bien voilà, maintenant la place est aux plus jeunes"…
Catherine Ceylac : Ouais, vous préférez qu'on vous regrette [sourire].
Rony Brauman : Voilà, je préfère qu'on me regrette. Je prends les devants avant qu'on me pousse, euh, gentiment et poliment à la porte [sourire].
Catherine Ceylac : Alors après ces 12 années d'exercice qu'est-ce que vous avez, euh, retenu de la leçon ? Quelles sont vos convictions ? Elles…, est-ce qu'elles se sont renforcées ? Et dans quels domaines ?
Rony Brauman : Ah oui, elles se sont…, elles se sont renforcées dans un certain nombre de domaines. Euh, d'abord, il faut savoir que l'humanitaire c'est pas -- en tout cas à mon sens et la façon dont je le vois -- une forme d'idéalisme. C'est au contraire une formidable école de réalisme. On est confronté à des problèmes concrets. On n'en a pas la solution globale mais par contre on cherche en permanence des solutions partielles. On est confronté à la violence, au racket, au chaos, aux tumultes, aux passions des hommes. Et il faut, dans ce magma, arriver à installer, à établir un petit espace d'humanité. Là où on peut encore respecter un nombre minimum, les droits de l'Homme, euh, minimaux. Ça, c'est une formidable école à la fois de sens pratique et de réalisme. Et puis on apprend à connaître les hommes, pour le meilleur et pour le pire. Mais pour le meilleur aussi ! Pas seulement pour ces Nazis qui massacrent tout ce qui ne leur plaît pas. Mais aussi -- et ils…, j'en ai vu au Rwanda et mes amis qui reviennent du Rwanda m'en ont parlé --, des gens, des Hutu et des Tutsi qui, en risquant leur vie, se sont protégés mutuellement, ont…, ont résisté jusqu'au dernier pied. Bref on apprend que, finalement, la résistance au Mal est toujours possible. Et c'est peut-être ça la plus formidable école. D'ailleurs, euh, on le savait, finalement on a vu, euh, pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans les pires conditions, que ce soit dans la France occupée, en Europe centrale occupée, que lorsque on ne voulait pas contribuer à faire tourner la machine de mort et d'oppression, eh bien, il y avait moyen de résister. À Médecins sans frontières, et dans l'humanitaire en général -- car nous n'avons pas du tout le monopole de l'humanitaire --, eh bien, on apprend cela aussi. Et peut-être plus concrètement encore.
Catherine Ceylac : Quitte à ce qui ait ingérence ?
Rony Brauman : L'ingérence…, l'ingérence est un faux problème. C'est très difficile de parler de l'ingérence parce qu'on parle d'une illusion. Alors comment…, comment parler d'une illusion ? Lorsqu'une organisation humanitaire privée, indépendante, qui n'a pas d'autre objectif que d'apporter des secours à des hommes et des femmes qui sont en détresse, lorsque cette organisation humanitaire franchit une frontière, elle pratique pas l'ingérence. Elle…, elle…, au nom du devoir d'initiative humanitaire, unanimement, universellement reconnu, elle va porter des secours à des gens qui vont mourir. Lorsqu'un État, en revanche, franchit une frontière, lorsqu'il…, il noue des relations avec un autre État -- hostiles, amicales, n'importe quoi --, il fait de la politique. Alors si son ingérence est d'ordre politique, très bien ! À ce moment-là on est dans un autre domaine. Mais ce à quoi je ne crois pas du tout, ce que je trouve porteur de très lourds effets pervers en plus, c'est l'ingérence dite humanitaire pratiquée par les États.
Catherine Ceylac : Y a la question que…, vous allez mettre à profit, euh, votre expérience en faisant quoi ?
Rony Brauman : Ah ! Je ne sais pas encore [sourire]. Je vais essayer de mener enfin à son terme le…, mon livre qui est en souffrance depuis trois ans. Car je vous le disais l'humanitaire, ça prend beaucoup de temps. J'ai donc pas eu le temps d'écrire plus de 40 pages. Je vais essayer de les terminer. J'ai envie de faire des documentaires. Je vais continuer avec Médecins sans frontières mais de l'extérieur. Bref, euh…
Catherine Ceylac : Une autre forme de vie.
Rony Brauman : Voilà. Une autre forme de vie [sourire].
Catherine Ceylac : Merci beaucoup Rony Brauman… Et bon vent.
Rony Brauman : Merci.
Catherine Ceylac : "Géopolis" à 13 h 20 reviendra bien sûr sur ce massacre et la situation, donc, des réfugiés au Burundi avec des images et des témoignages inédits.