Citation
C’est une révolution. La France est sur le
point d’envoyer un attaché de défense à Kigali. Le
nom de ce colonel est encore jalousement gardé
mais il prendra ses fonctions au mois de juillet à
l’ambassade de France. Il sera accompagné d’un
officier adjoint.
Emmanuel Macron avait annoncé le
27 mai 2021 le retour d’un ambassadeur français
au Rwanda lors d’un déplacement à Kigali, marquant
une normalisation des relations. Le poste
était inoccupé depuis 2015 en raison des tensions
bilatérales liées au procès sur l’assassinat du président
Habyarimana, dans lequel des proches de
Kagamé étaient visés. Ce procès est aujourd’hui
clôturé et, de son côté, le Rwanda a renoncé à
toute poursuite judiciaire contre des militaires
français ayant participé aux différentes opérations
au Rwanda, notamment Turquoise.
« Le Rwanda est un pays qui pèse sur le continent
africain, plus particulièrement en Afrique
centrale et de l’Est, confie un haut gradé français.
Nous avons aujourd’hui une vraie volonté de travailler
ensemble même si les militaires rwandais
ne vont pas se jeter dans nos bras et vice versa. »
A Paris, on considère que l’armée locale est bien
commandée et redoutablement efficace, et capable
de se projeter rapidement en dehors de ses
frontières, comme récemment en Centrafrique
et au Mozambique.
Feuille de route. Une délégation des forces
rwandaises de défense (RDF) s’est rendue en
France en mars 2022. Menée par le chef d’étatmajor,
le général Jean Bosco Kazura, elle comprenait
le chef du renseignement militaire, le
général Vincent Nyakarundi, le responsable de la
coopération militaire internationale, le général
Patrick Karuretwa, et le chef des opérations et
de la formation des RDF, le colonel Chrysostome
Ngendahimana. Il s’agissait du premier déplacement
de l’état-major Rwandais en France depuis
le génocide. Kigali a longtemps accusé la France
et ses militaires de « complicité ». Mais Emmanuel
Macron a réussi à apaiser les tensions dès
son arrivée au pouvoir et a décliné avec Paul Kagamé
une feuille de route pour la réconciliation
et la coopération.
En mars 2021, la parution du rapport de la
commission Duclert, chargée d’étudier le rôle
de la France au Rwanda de 1990 à 1994, a permis
aux historiens de cerner les torts de la France
et de réchauffer la relation diplomatique. Deux
mois plus tard, le voyage d’Emmanuel Macron
au Rwanda a été un vrai succès diplomatique.
« Il reste un sujet mémoriel pour l’armée
française, poursuit le haut gradé français. On
ne peut pas faire comme si la responsabilité de
militaires français n’était pas mentionnée dans
les lieux de mémoire du génocide au Rwanda.
Nos homologues rwandais nous disent que c’est
une question qui devra trouver un épilogue politique.
Mais cela ne remet pas en cause notre volonté
de coopérer à l’avenir. »
En mars dernier, le général Jean Bosco Kazura
a longuement échangé avec le général Thierry
Burkhard, chef d’état-major des armées françaises
avant de rencontrer les responsables de
la direction de la Coopération de sécurité et de
défense, un des départements du ministère de
l’Europe et des Affaires étrangères. Le courant
est passé avec le chef d’état-major rwandais, qui
a commandé les troupes onusiennes au Mali,
en 2013 et 2014. Et a donc été en contact à cette
période avec les officiers français. La relation
était professionnelle et apaisée. Il avait même, à
l’époque, rencontré le général Pierre de Villiers,
alors chef d’état-major des armées françaises.
« Notre coopération militaire est à construire
en fonction des demandes de notre partenaire,
ajoute le haut gradé. Nous sommes, comme les
officiers rwandais, très attachés à développer
les aspects de formation pour les militaires africains.
Nous avons différentes offres à faire valoir
à l’Ecole de guerre, à l’Ecole de l’état-major et
dans les Ecoles nationales à vocation régionale
mises en place avec la coopération militaire française,
comme à Libreville. La France a proposé
à la partie rwandaise d’envoyer des stagiaires et
même des formateurs. »
Un autre axe de développement de la relation
est le dialogue stratégique sur les questions
sécuritaires en Afrique. « Nous avons un sujet
majeur de préoccupation, celui de l’appréciation
et de l’anticipation des situations de crise et de
leur évolution », explique le haut gradé.
Invisibilisation. Ce dialogue stratégique est
déjà entamé. La nomination d’un attaché de
défense va permettre de faciliter les échanges
et d’avoir une courroie de transmission directe
de l’information. Parmi les sujets actuels
d’échanges, la Centrafrique, le Mozambique et la
région des Grands Lacs.
Paris fonde l’espoir que l’Onu retrouve davantage
d’influence alors que la Russie et son officine
Wagner étendent leur toile. Le Département
des opérations de paix de l’Onu est dirigé par le
français Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général
adjoint, et le Rwanda est le quatrième contributeur
en casques bleus, notamment au Darfour,
au Soudan du Sud, en Centrafrique.
En Centrafrique, la Rwandaise Valentine
Rugwabiza a remplacé le Sénégalais Mankeur
Ndiaye — dont le mandat a été jugé décevant — à la
tête de la Mission multidimensionnelle intégrée
des Nations unies pour la stabilisation du pays
(Minusca). Elle sera bientôt reçue à Paris.
Nommée à ce poste en février, cette diplomate
chevronnée a rencontré en juin le président
centrafricain Faustin-Archange Touadéra. Elle
met actuellement la pression sur les intervenants
pour l’application de la feuille de route onusienne
afin de ne plus laisser les autorités dans
un tête à tête avec les paramilitaires de Wagner.
Paris a aussi des échanges réguliers avec Kigali
sur le dossier mozambicain. L’armée rwandaise
est intervenue au nord de ce pays pour
libérer les villes de l’emprise des jihadistes. Cela
doit permettre à TotalEnergies de reprendre
la construction d’un gigantesque complexe
de GNL dans la région de Cabo Delgado. Selon
Africa Intelligence, Patrick Pouyanné, président
du groupe, était en janvier à Kigali pour remercier
le président rwandais de son intervention et
évoquer les pistes de coopération avec le pays en
matière d’électricité.
En développant sa coopération avec l’armée
rwandaise, dont les effectifs sont estimés à
30 000 hommes, Paris compte ainsi continuer
à exercer son influence en Afrique. A l’Elysée
comme à l’état-major, l’heure est à l’invisibilisation
de la présence militaire française à travers
une africanisation et une européanisation des
dispositifs. @P_Airaultt