Le rachat des actifs hydroélectriques du norvégien Scatec par TotalEnergies, en février, a permis de faire entrer le groupe pétrolier français à hauteur de 20 % dans un des projets énergétiques les plus courtisés d'Afrique : Ruzizi III. Comme
Africa Intelligence l'a révélé (AI du 21/05/25), ce projet de barrage entre le Rwanda, la RDC et le Burundi est au centre d'un accord politico-économique entre Kinshasa et Washington en vue de mettre fin à la guerre dans les deux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Depuis février et le début des négociations entre la RDC et le Rwanda, l'administration du président américain Donald Trump a inclus Ruzizi III dans son paquet de mesures de confiance (confidence building measures, CBM), au motif qu'il favoriserait la consolidation de la paix. L'énergie dégagée par ce barrage d'une capacité de 206 MW serait en effet répartie équitablement entre Gitega, Kigali et Kinshasa. Si l'ouvrage devrait être situé sur la rivière éponyme, qui sépare les deux premiers de leur voisin de l'Ouest, l'essentiel de la centrale électrique serait en revanche du côté rwandais.
En cas d'accord avec les États-Unis sur Ruzizi III, un important coup de pouce sera donné à ce projet en discussion depuis près de deux décennies (AI du 25/08/09). La construction du barrage a sans cesse été repoussée, du fait, entre autres, des relations conflictuelles entre la RDC et le Rwanda.
Les ambassades s'emballent
L'arrivée de TotalEnergies au capital de Ruzizi III est fortuite. Elle découle du rachat des actifs hydrauliques de Scatec, dont l'objectif principal pour le groupe français était de mettre la main sur le barrage de Bujagali en Ouganda, où la major développe le brut autour du lac Albert.
Cette acquisition au Rwanda constitue cependant une heureuse coïncidence. TotalEnergies dépend beaucoup du maintien de la Rwanda Defence Force (RDF) – quelque 3 500 éléments – pour le développement de Mozambique LNG (13 millions de tonnes de gaz liquéfié par an) dans la province de Cabo Delgado. L'énergéticien est ainsi particulièrement enclin à développer au plus vite un barrage profitant au Rwanda. Depuis le déploiement des RDF en juillet 2021 dans le nord du Mozambique, TotalEnergies cherche désespérément des moyens de rendre la pareille à Kigali.
Ruzizi III permettrait à la fois de contenter Washington – qui étudie actuellement comment faire entrer l'une de ses firmes dans le financement –, le Rwanda, mais aussi la RDC et le Burundi.
Depuis que la nouvelle de l'ajout du barrage dans le projet d'accord de paix discuté entre la RDC et les États-Unis est connue, les ambassades basées à Kigali s'emballent. Le 9 juin, une visite des chefs des missions diplomatiques accrédités dans la capitale rwandaise est prévue sur le site de la construction de l'infrastructure.
Outre TotalEnergies, l'Aga Khan Fund for Economic Development (Akfed) est l'autre grand actionnaire de Ruzizi III par le biais de l' Industrial Promotion Services (IPS). Chacun des trois États détiendra 10 % du capital de Ruzizi III Energy, la société chargée de la construction de l'ouvrage.
Choix d'un constructeur imminent
Quant aux financements, la Banque européenne d'investissement (BEI), le Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), la Banque mondiale, à travers la Société financière internationale (SFI), British International Investment (BII) et la Banque africaine de développement (BAD) feront partie de l'aventure. L'Agence française de développement (AFD) s'en est quant à elle retirée en janvier. Elle avait prévu une enveloppe d'une quarantaine de millions de dollars, facilement compensée par les autres financiers.
Au Rwanda, Ruzizi III Energy est piloté depuis 2021 par le Britannico-Pakistanais Mohcin Tahir. Ce dernier attend les offres des candidats constructeurs d'ici à la fin du mois de juillet. L'appel d'offres aurait dû être achevé en avril, mais la guerre dans l'est de la RDC, et surtout la prise de Bukavu au Sud-Kivu, ont conduit à un nouveau report.
Cinq consortiums ont été présélectionnés : Ozaltin-Summa, avec les groupes turcs d'Özaltin en partenariat avec Summa – ayant déjà construit le fameux Kigali Convention Center dans le centre de la capitale rwandaise –, la coentreprise turco-coréenne Nurol-DL (Nurol İnşaat ve Ticaret et DL EandC Co), la joint-venture Power China HFE (PowerChina Huadong Engineering Corp, Sinohydro Bureau 14 Co et Sinohydro Engineering Bureau 8 Corp), Orascom-DEC (composée de l'égyptien Orascom et du chinois Dongfang Electric Corp) et enfin Limak-Mota Engil, composé du portugais Mota-Engil et du turc Limak.