Quel est le
« délai raisonnable » pour juger un homme accusé de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité ? Voilà la question qui plane, lundi 9 mai, au premier jour du procès de Laurent Bucyibaruta devant la cour d'assises de Paris. En début d’après-midi, c’est sur une chaise roulante que cet homme de 88 ans, grand et longiligne, est entré dans la salle d’audience.
« Compte tenu de vos problèmes de santé, souhaitez-vous vous exprimer debout ou en restant assis ? », demande le président.
« Rester assis », répond l’accusé dont la voix, malgré le micro, reste difficilement audible.
Le procès doit durer deux mois et s’annonce comme une épreuve pour l’octogénaire comme pour les parties civiles. Car ce sont des faits écrasants de gravité qui vont être examinés jusqu’en juillet prochain. Laurent Bucyibaruta comparait pour
« génocide »,
« complicité de génocide » et
« complicité de crimes contre l’humanité ». Des accusations graves liées au rôle que l’accusation prête à celui qui, en 1994, était le préfet de Gikongoro, une région au sud de Kigali, la capitale du Rwanda. Au moment du génocide, Laurent Bucyibaruta a incité la population tutsie à se réfugier dans plusieurs paroisses et dans une ancienne école, où ces personnes ont été massacrées par des miliciens hutus. Pour les parties civiles, c’est en connaissance de cause, sachant le sort qui leur serait réservé, que le préfet a invité ces Tutsis à gagner ces refuges. Une affirmation que conteste l’accusé.
« Il doit faire une dialyse deux fois par jour »
Ce premier jour d’audience, c’est un autre débat qui occupe la cour d'assises. Un vrai débat de fond, lié à la lenteur avec laquelle a été conduite l’instruction. C’est en mai 2000 que l’ancien préfet a été mis en examen en France. Il aura donc fallu 22 ans à la justice pour le renvoyer aux assises. Un délai
« stupéfiant, sans précédent », gronde Maître Jean-Marie Biju-Duval.
« Un procès inéquitable, et injuste est bien pire qu’une absence de procès », affirme l’avocat de l’ex-préfet, en réclamant l’arrêt des poursuites. Au nom du droit de tout accusé à être jugé
« dans un délai raisonnable ».
Dans la salle d’audience, il règne une chaleur suffocante. La faute en partie à des gros projecteurs qui éclairent le prétoire. Mais difficile de mesurer l’effet de la température sur Laurent Bucyibaruta assis dans un grand fauteuil bleu, juste devant ses avocats. La question de l’état physique de l’accusé sera pourtant cruciale durant les deux mois d’audience.
« Qui peut sérieusement soutenir qu’il est en état d’assister à un procès de cette envergure ? », interroge Me Biju-Duval avant de détailler le bulletin de santé de son client.
« Il a une coronaropathie extrêmement sévère. Il doit faire une dialyse deux fois par jour et il souffre d’un diabète très sévère ».
Pour Me Biju-Duval, l’iniquité du procès vient aussi du fait que le temps a rendu impossible la venue à la barre de certains témoins
« clés ». Comme l’épouse de Laurent Bucyibaruta, dont la santé est elle aussi trop fragile. Une absence préjudiciable selon l’avocat.
« Son épouse est tutsie et une bonne partie de sa famille a été massacrée dès les premiers jours du génocide (…) Elle aurait pu vous dire ce qu’elle sait de l’attitude de son mari à l’époque », indique le défenseur. Impossible aussi d’entendre des témoins aujourd’hui décédés, comme une ancienne directrice de l’organisation Caritas dans la région. Très bien informée, selon Me Biju-Duval, qui précise que, durant l’instruction, cette dame a affirmé que le préfet avait voulu protéger les populations tutsies et qu’on ne
« pouvait lui reprocher quoi que ce soit ».
« En 1994, il a fait le choix fuir son pays »
Annuler les poursuites ?
« Pas question d’imaginer » une telle décision riposte Me Simon Foreman, avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Certes, l’instruction a été bien trop longue. La faute d’abord, dit-il, au manque de temps et de spécialisation des premiers juges ayant eu le dossier entre les mains.
« Toutes les enquêtes sur le Rwanda sont allées plus vite à partir de 2012 quand a été créé le pôle crimes contre l’humanité », souligne Me Foreman, avant de décocher une première flèche à l’accusé.
« En 1994, il a fait le choix de venir en France pour fuir son pays et échapper à la justice », affirme l’avocat, en ajoutant que, sans ce départ, Laurent Bucyibaruta aurait été
« jugé depuis longtemps » au Rwanda.
La santé de cet homme de 88 ans ?
« On veut que le procès soit compatible avec son état », affirme l’avocat, tout en faisant valoir que les experts l’ont déclaré apte à comparaître et que la cour d'assises a pris diverses précautions pour le ménager. Comme le fait de ne pas siéger durant plus de sept heures par jour. Quant aux témoins absents ou décédés, Me Foreman estime que les jurés et la cour ont déjà eu tout le loisir de connaître la teneur de leurs déclarations, son confrère Biju-Duval n’ayant pas manqué d’en citer de larges extraits dans son intervention.
Premières escarmouches d’un procès sous tension qui, comme celui des attentats du 13 novembre 2015, sera filmé pour l’Histoire. Un procès qui, surtout, aura bel et bien lieu. Après une suspension d’audience d’une heure et demie, le président rejette la demande d’annulation des poursuites.
« Aucune atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable », de nature à entraîner une telle annulation,
« ne saurait être retenue », dit le magistrat.