Citation
Charles Onana avait par le passé déjà été attaqué pour ses déclarations sur la chaine de télévision LCI le 26 octobre 2019. Il avait alors affirmé qu’ « entre 1990 et 1994, il n’y a pas eu de génocide contre les Tutsis, ni contre quiconque ». L’Association Communauté Rwandaise de France (CRF) avait porté plainte un mois plus tard, mais cette plainte, non assortie d’une constitution de partie civile, avait été classée sans suite par le parquet de Paris.
Le 28 octobre 2019, deux jours après les propos négationnistes tenus par Onana à la télévision, paraissait aux éditions du Toucan Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent, le septième ouvrage consacré par cet auteur au génocide des Tutsis et à la région des Grands lacs, depuis Les secrets du génocide rwandais, enquête sur les mystères d’un président, en 2002. Fils spirituel du journaliste Pierre Péan, décédé en juillet 2019, et à qui est dédicacé Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise, Charles Onana fait, dans ses livres, tourner en boucle les mêmes thèmes : l’attentat du 6 avril 1994 aurait été l’œuvre du Front Patriotique Rwandais (FPR) – il revient d’ailleurs sur ce sujet dans son tout dernier livre Enquêtes sur un attentat. Rwanda, 6 avril 1994, paru en 2021 ; le FPR aurait commis contre les Hutus des crimes comparables à ceux commis contre les Tutsis ; il serait l’unique responsable de la déstabilisation de la région des Grands Lacs ; il n’y aurait pas eu de génocide perpétré contre les Tutsis sous l’égide du gouvernement hutu en place au Rwanda en 1994.
Déposée le 21 octobre 2020 par Survie, la LDH et la FIDH, une plainte avec constitution de partie civile vise cette fois les propos tenus par Onana dans Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Une juge d’instruction a été désignée en août 2021 et elle a rendu son avis de fin d’information judiciaire après avoir mis en examen Charles Onana le 3 janvier 2022. Cette mise en examen est habituelle dans les délits de presse où les magistrats instructeurs évitent de rendre un non lieu et laissent les juges du fond trancher. Les parties en présence peuvent encore, dans un délai de trois mois, demander des actes d’enquête supplémentaires, avant que la juge ne renvoie Charles Onana devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, compétente en matière de presse. Le procès pourrait se tenir dans les dix-huit mois.
« L’une des plus
grandes escroqueries du XXe siècle »
Charles Onana est poursuivi au titre de l’article 24 bis de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Modifié en janvier 2017, notamment grâce à l’action de la CRF, cette loi vieille de plus d’un siècle punit désormais d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de nier, minorer ou banaliser de façon outrancière le génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda en 1994. À défaut de jurisprudence spécifique concernant la négation du génocide des Tutsis – aucun jugement n’ayant encore été rendu à ce sujet –, c’est celle s’appliquant à la Shoah qui permet de comprendre comment la justice française, et en particulier la Cour de cassation, a apprécié jusqu’à présent la question du négationnisme. Plusieurs formes de contestation ont ainsi été distinguées. Parmi elles, bien sûr, la négation pure et simple du crime de génocide, qu’elle soit explicite ou implicite (« même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d’insinuation », dit la Cour de cassation). Une autre forme de contestation du crime de génocide est la disqualification des institutions, judiciaires ou universitaires par exemple, et la disqualification des témoignages sur les faits. Notons encore la minoration outrancière du nombre de victimes, lorsqu’elle est faite de mauvaise foi.
Au regard de cette jurisprudence, les propos tenus par Charles Onana dans son livre représentent pratiquement un cas d’école. Pour lui, en effet, « la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un "génocide" au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle » (p. 198). Fustigeant « le dogme ou l’idéologie du "génocide des Tutsis" », il affirme avec force : « Soyons clairs, le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs ! » (p. 34). Ou encore : « Continuer à pérorer sur un hypothétique "plan de génocide" des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire » (p. 460).
Cette négation explicite du génocide perpétré contre les Tutsis se double dans l’ouvrage d’Onana d’une utilisation quasi-systématique des guillemets autour du mot génocide, que la Cour d’appel de Paris a considérée, dans un arrêt de 1992 concernant la Shoah, comme « particulièrement révélatrice de la contestation des faits auxquels ces appellations correspondent ». Le terme « génocide » appliqué aux Tutsis ne renvoie à aucune réalité pour Charles Onana. Il est, selon lui, une « idée-force » utilisée par le FPR comme arme dans la guerre psychologique qui accompagne sa lutte armée pour la conquête du pouvoir. En écrivant que la qualification de génocide, à propos des massacres de Tutsis, n’est pas autre chose qu’une manipulation de l’opinion publique de la part du FPR, Onana disqualifie tout le travail réalisé par le TPIR, les justices de nombreux pays, dont la France, les historiens, journalistes, ONG qui ont enquêté depuis 26 ans sur cet événement majeur du XXe siècle.
Disqualification des institutions judiciaires
La thèse centrale d’Onana pour réfuter l’existence d’un génocide perpétré contre les Tutsis repose sur le fait que le TPIR n’aurait pas pu démontrer la planification de l’extermination des Tutsis, ce qui signifie, selon Onana, que celle-ci n’a pas eu lieu car un génocide est toujours planifié. Or, si le TPIR n’a pas retenu l’entente en vue de commettre le génocide contre le colonel Bagosora, présenté comme le « cerveau du génocide », il a bel et bien condamné Bagosora pour génocide. Par ailleurs, le Tribunal a condamné plusieurs accusés pour « entente en vue de commettre le génocide ». Il a également parlé dans certains jugements « d’entreprise criminelle commune » et de « politique du génocide », soulignant ainsi le caractère organisé du projet criminel.
Rien de tel sous la plume de Charles Onana aux yeux de qui le constat judiciaire de la Chambre d’appel du TPIR en date du 16 juin 2006, selon lequel « le génocide perpétré au Rwanda en 1994 est un fait de notoriété publique » qui n’a plus besoin d’être démontré lors de chaque procès, n’aurait été établi que pour suppléer l’insuffisance de preuves : « lorsque le procureur [du TPIR] s’est trouvé en difficulté de fournir des preuves et de la planification et du génocide, il a préféré recourir à l’artifice du "constat judiciaire" plutôt que de mettre sur la table des pièces à conviction » (p. 195).
Or, cette décision de la Chambre d’appel a été rendue parce que, jusque-là, les avocats de la défense des accusés traduits devant le TPIR contestaient systématiquement qu’il y ait eu un génocide perpétré contre les Tutsis, ce qui obligeait le bureau du procureur à l’établir à chaque fois. En dénigrant ce constat judiciaire, Charles Onana remet en cause, sans l’affirmer explicitement, les décisions de justice rendue par le TPIR. Il sous-entend que l’accusation s’est dispensée de rapporter une quelconque preuve de culpabilité en invoquant le fait de notoriété publique. C’est un raccourci fallacieux lourd de conséquences qu’il emploie ici car, précisément, pour que le TPIR puisse se fonder sur un fait de « notoriété publique », cela suppose que de très nombreux éléments de preuve aient été regroupés au cours des procès qu’il a eu précédemment à juger.
Cette disqualification de la justice internationale se double d’une disqualification de la justice française dont Onana critique le verdict rendu contre l’ex-capitaine Pascal Simbikangwa, affirmant que ce dernier aurait été « condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple, permettant de célébrer l’histoire officielle » (p. 437). Charles Onana, le « négationniste de référence » (Billets n° 285, mars-avril 2019), se joue de la vérité depuis vingt ans, au grand dam des rescapés et des familles des victimes du génocide perpétré contre les Tutsis. Il est grand temps qu’il rende des comptes.