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On pourrait se croire dans une salle d’école, si les élèves n’avaient pas posé leur béret militaire à côté de leurs cahiers. Les couvre-chefs rouges, verts ou bleus sont ornés du lion et de l’aigle, emblèmes des Forces rwandaises de défense (FRD). L’atmosphère est studieuse en ce matin de février à la Rwanda Peace Academy, un établissement situé au pied de la chaîne volcanique des Virunga, qui sépare le Rwanda de la République démocratique du Congo (RDC) et de l’Ouganda. La formation du jour porte sur le cadre institutionnel des opérations de maintien de la paix : terminologie, règles d’engagement, différents mandats onusiens… Tout y passe. Dans la « classe », les élèves ont entre 30 et 40 ans. Ils sont capitaines ou lieutenants de l’armée rwandaise. Presque tous ont déjà effectué une mission de maintien de la paix au Darfour (au sein de la Minuad dans l’ouest du Soudan, établie en 2007), au Soudan du Sud (Minuss, créée en 2011) ou en Centrafrique (Minusca, depuis 2014) – les principaux théâtres de conflits sur lesquels ont été déployés des casques bleus rwandais.
Au « pays des mille collines », dirigé d’une main de fer par le président Paul Kagame, au pouvoir depuis le 24 mars 2000, ces états de services n’ont rien d’extraordinaire. La majorité des quelque 30 000 hommes que compte son armée ont servi sous la bannière des Nations unies, à un moment ou à un autre de leur carrière. « Le maintien de la paix est entré dans l’ADN des Forces rwandaises de défense », confirme le directeur de l’académie et colonel à la retraite Jill Rutaremara, par ailleurs membre de longue date du Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir). Depuis sa participation, dans le Darfour, à la Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS), entre 2004 et 2007, le Rwanda est devenu un contributeur majeur en casques bleus. Avec 5 280 hommes en uniformes déployés au 31 janvier 2022, il représente actuellement le quatrième contingent, derrière le Bangladesh, le Népal et l’Inde. Il est aussi le pays qui fournit le nombre de troupes le plus important du monde par habitant. Cet Etat de 12,5 millions d’âmes, à la superficie ne dépassant pas celle de la Bretagne, a ainsi déployé près de 41 000 soldats de la paix entre 2010 et 2020.
Métamorphose
Sous l’impulsion de M. Kagame, cette diplomatie militaire a récemment pris un nouveau virage. Pour développer son influence loin de ses frontières, Kigali n’hésite plus dorénavant à envoyer ses soldats dans le cadre d’accords bilatéraux avec d’autres pays africains. En décembre 2020, des centaines d’hommes des FRD ont ainsi atterri à Bangui, à la veille des élections présidentielle et législatives centrafricaines. Tandis que leurs compatriotes casques bleus étaient chargés, au sein de la Minusca, de sécuriser ce scrutin sous haute tension, ces militaires se sont appliqués à protéger le régime de Faustin-Archange Touadéra, à la demande de ce dernier. Le président a finalement été réélu dès le premier tour, avec 53 % des suffrages. En juillet 2021, les contours de l’intervention d’un millier de soldats et de policiers rwandais dépêchés au Mozambique se sont encore élargis. A la demande, cette fois, du président Filipe Nyusi, ils ont été appelés à la rescousse pour combattre l’insurrection des Chabab, un groupe djihadiste se réclamant de l’Etat islamique, dans le nord du pays.
Théâtre du dernier génocide du XXe siècle, le pays a fait l’amère expérience des limites de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), de 1993 à 1996. Forte de 2 000 hommes, celle-ci s’est révélée incapable d’éviter l’extermination de près de 1 million de Tutsi, entre les mois d’avril et de juillet 1994. Le « pays des mille collines » est devenu, avec Srebrenica en Bosnie – où, l’année suivante, 7 000 musulmans étaient massacrés par les forces serbes –, le symbole de l’échec des Nations unies et de l’inertie de la communauté internationale. L’Armée patriotique rwandaise (APR), bras militaire de la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais de Paul Kagame, s’est alors fait connaître dans le monde entier comme l’armée qui a mis fin aux massacres, en s’emparant du pouvoir à Kigali, en juillet 1994. Deux ans plus tard, elle repartait au front, dans le Congo voisin, traquant les anciens génocidaires qui s’y réorganisaient, parfois dissimulés parmi les près de 1 million de réfugiés hutu, et menaçaient de revenir « terminer le travail », les armes à la main. L’APR attaqua des camps de réfugiés, pourchassa ceux qui refusaient de rentrer au Rwanda. A son tour, elle fut accusée de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Nul responsable politique ou militaire n’a jusqu’à présent été jugé pour ces faits, que Kigali a toujours niés en bloc.
Aujourd’hui, l’APR a changé de nom. Et de visage. En 2002, un an avant la fin officielle de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), elle a été rebaptisée Forces rwandaises de défense. Outre la protection de l’intégrité territoriale et de l’ordre public, les missions de maintien de la paix font aujourd’hui partie de ses missions officielles. La Rwanda Peace Academy (RPA), créée en 2013, s’inscrit dans cette métamorphose. Nombreux sont les instructeurs à être passés par les rangs de l’APR et à avoir livré des combats dans les forêts congolaises, à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Leurs élèves, eux, n’ont pas d’autres expériences hors du Rwanda que les missions effectuées comme soldats de la paix. « C’est le meilleur entraînement qui soit, affirme le directeur Jill Rutaremara. Sans cela, ils n’auraient jamais eu l’occasion d’interagir avec des forces et des populations étrangères. » Le bénéfice ne se résume pas à la simple instruction militaire. « Le maintien de la paix, c’est un outil de politique étrangère. Il permet de se faire connaître. Le comportement et la réputation [des troupes] sur une opération reflètent qui elles sont à la maison », analyse le colonel à la retraite, par ailleurs ancien porte-parole du ministère de la défense rwandais, entre 2002 et 2011 – période durant laquelle il a officié au sein de la MUAS, au Darfour.
Accueillant des militaires et des civils originaires de toute l’Afrique orientale, la RPA a ainsi pour vocation de promouvoir le modèle de développement à la rwandaise. « Il est facile d’enseigner ici ces concepts de “peace building”, puisqu’ils sont liés à l’histoire du pays. Nous avons vécu le génocide des Tutsi, nous comprenons ce qu’un conflit veut dire, assure Evelyne Batamuliza, instructrice occasionnelle et consultante pour les Nations unies. Quand d’autres nationalités viennent et voient ce qui a été accompli en vingt-huit ans, c’est une leçon en soi. » Aujourd’hui, le Rwanda, avec une croissance économique annuelle autour de 10 %, une mutuelle de santé quasi universelle et des rues sûres, est autant choyé par les bailleurs de fonds qu’il est critiqué par les organisations de défense des droits humains qui dénoncent la répression de l’opposition et les atteintes à la liberté d’expression.
Au Soudan du Sud comme au Mozambique, les militaires rwandais ont exporté l’umuganda, ces « travaux d’intérêt collectif » devenus emblématiques des « solutions maison » prônées par le président Kagame. En encourageant les différentes communautés à œuvrer ensemble au nettoyage et à la reconstruction, l’umuganda, organisé une fois par mois à l’échelle nationale, doit favoriser la réconciliation et le développement. « Notre engagement dans les missions onusiennes correspond à notre philosophie : nous avons vécu l’échec du maintien de la paix ; nous avons donc voulu y contribuer de manière beaucoup plus efficace », assure une source proche des autorités. Poursuivant cette logique, le Rwanda se veut le fer de lance d’opérations consacrées à la protection des civils. En 2015, c’est dans la capitale rwandaise qu’une trentaine de pays contributeurs en casques bleus ont ainsi adopté les « principes de Kigali », dix-huit engagements non contraignants, visant à rendre les casques bleus plus autonomes pour sécuriser les populations.
« Ce petit pays a de grandes ambitions en matière de leadership panafricain. Il y a une volonté affichée d’entraîner le continent dans une prise en main de ses problèmes avec, en toile de fond, l’idée que l’ONU et les Occidentaux ont failli aux heures cruciales », analyse Jean-Marie Guéhenno, ancien secrétaire général adjoint des Nations unies auprès de Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies de 1997 à 2006. En 2016, ces ambitions se concrétisent : Paul Kagame est choisi pour porter la réforme de l’Union africaine (UA). Il milite alors pour une plus grande autonomie financière de l’organisation. Deux ans plus tard, c’est l’un de ses proches, le Rwandais Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement entre 2005 et 2015, qui se voit confier le soin de relancer le « fonds pour la paix », devant générer des recettes pour sortir l’UA de sa forte dépendance aux bailleurs de fonds internationaux, notamment européens.
Le couac de la nomination du général « KK »
Le déploiement de casques bleus répond aussi à des considérations très pragmatiques. En juillet 2004, alors que le Darfour est en proie à une guerre civile meurtrière, le Congrès américain avait voté à l’unanimité une résolution qualifiant les événements en cours dans cette région de l’ouest du Soudan de « génocide ». Khartoum a fini par accepter une Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS), qui commence en août 2004. C’est la porte d’entrée pour Kigali, qui envoie son tout premier contingent de maintien de la paix – 155 hommes. « Outre l’objectif affiché de lutter contre un potentiel génocide, l’envoi des premières troupes [rwandaises] au Darfour permettait de garder les soldats occupés après les deux guerres du Congo », estime un diplomate européen. Mais aussi, ajoute-t-il, d’« aider au processus d’intégration au sein de l’armée » : car, depuis la fin des années 1990, les rangs de l’APR (devenue FDR en 2002) ont grossi, intégrant des membres de l’armée de l’ancien régime et de nouvelles recrues.
Les effectifs ne manquent pas. Au Darfour, alors que la Minuas – une mission hybride entre les Nations unies et l’Union africaine – prend le relais de la MUAS, Kigali promet l’envoi de 2 800 hommes. Cette politique volontariste porte ses fruits avec la nomination au poste de commandant adjoint de la mission du général rwandais Emmanuel Karenzi Karake (« KK »), en janvier 2008. A New York, au siège de l’ONU, c’est le couac : ce haut gradé de l’armée, ex-chef des services de renseignement rwandais de 1994 à 1997, est soupçonné d’avoir ordonné des opérations contre des civils hutu, au Rwanda et en RDC. Sous le coup d’un mandat d’arrêt européen et international délivré par la justice espagnole pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, « KK » est, en outre, inculpé dans la mort ou la disparition de neuf Espagnols, parmi lesquels trois travailleurs humanitaires assassinés à Ruhengeri, en 1997, dans le nord du Rwanda. Kigali menace aussitôt de retirer ses casques bleus. Le général Karake conservera ses fonctions au Darfour jusqu’en 2009 (il sera arrêté à Londres en 2015, mais la justice britannique renoncera à l’extrader).
Le même levier diplomatique est actionné en 2010, dans le but d’empêcher la publication du rapport « Mapping » du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), un inventaire long de 550 pages des atrocités commises en RDC par différents acteurs régionaux, dont le Rwanda, entre 1993 et 2003. Malgré la publication de ce document, dont Kigali a toujours réfuté les conclusions, le contingent rwandais est maintenu. Ce n’est pas la dernière fois que l’armée rwandaise se retrouve sur la sellette à New York : trois ans plus tard, l’ONU l’accusait de nouveau de soutenir la rébellion congolaise du M23, coupable de nombreuses exactions contre des civils, dans l’est de la RDC. « Au niveau international, le maintien de la paix permet de détourner les critiques. Cela crée une image positive du Rwanda, bien différente des crimes de guerre au Congo et des abus du gouvernement, de plus en plus autoritaire », conclut le diplomate européen.
Entre-temps, les casques bleus rwandais se sont forgé une réputation de militaires efficaces et disciplinés. Ils n’ont jamais été accusés de viol et se montrent attentifs aux questions de genre – des qualités appréciées à New York. Kigali obtient rapidement, et régulièrement, des postes de commandement : le lieutenant général Patrick Nyamvumba, dès 2009, au Darfour ; le général Jean-Bosco Kazura, de 2013 à 2014, au Mali (au sein de la Minusma) ; le général de corps d’armée Frank Mushyo Kamanzi au Soudan du Sud, entre 2017 et 2019.
Plus récemment, en février, Valentine Rugwabiza, jusqu’alors représentante permanente du Rwanda auprès des Nations unies, a été nommée cheffe de la Minusca en République centrafricaine, où le Rwanda est le premier contributeur en casques bleus. « Les Rwandais sont bien formés, ils ont déjà géré de grosses missions de maintien de la paix, explique Louisa Lombard, professeure associée d’anthropologie à l’université Yale. Ces opérations sont très techniques : il y a beaucoup de règles, de bureaucratie et de logistique que les Rwandais maîtrisent maintenant. Ils sont appréciés des Nations unies, ce qui facilite l’obtention de postes politiques avec plus d’influence stratégique. »
« Grâce aux opérations de maintien de la paix, le Rwanda a acquis une influence en Afrique et aux Nations unies sans commune mesure avec sa taille et son poids démographique, constate, de son côté, l’ancien diplomate onusien Jean-Marie Guéhenno. Paul Kagame a compris l’importance d’une image internationale positive. Cela fait partie d’une stratégie d’ensemble. »
Certaines opérations marketing du gouvernement ne sont pas passées inaperçues. Un logo « Visit Rwanda », censé attirer touristes et investisseurs, s’affiche sur la manche du maillot des joueurs d’Arsenal, dont le président Kagame est un fervent supporteur, depuis la signature d’un lucratif contrat de sponsoring entre Kigali et le célèbre club de football londonien, en mai 2018. Selon le quotidien britannique The Guardian, qui a souligné l’incongruité de ce partenariat avec un Etat dont le président a été réélu, en 2017, avec un score douteux de 99 % des voix, la campagne s’est révélée un succès, engrangeant une augmentation de 8 % du nombre de touristes au Rwanda. Depuis un accord similaire signé avec le Paris-Saint-Germain en décembre 2019, le même slogan apparaît sur les panneaux publicitaires du Parc des Princes, plusieurs fois par match, et sur les maillots d’entraînement de l’équipe parisienne…
Si la politique du foot a soulevé une (petite) polémique outre-Manche, la diplomatie militaire rwandaise a marqué des points. Et, en décembre 2020, le pays passe à la vitesse supérieure : à la surprise générale, l’armée expédie un bataillon de soldats en Centrafrique, dans le cadre d’un accord bilatéral de défense. Alors que plusieurs groupes armés marchent vers Bangui, les militaires rwandais peuvent ouvrir le feu, contrairement à ceux du contingent de la Minusca. Une nouvelle approche que justifie Kigali par la nécessité de trouver des « solutions africaines aux problèmes africains » et qui lui permet d’avancer ses pions sur l’échiquier politique et économique. Alors qu’il est en froid avec presque tous ses voisins immédiats, le pays resserre ses liens avec des pays hors de sa zone géographique.
« Il y a une véritable pensée stratégique derrière la politique étrangère du Rwanda. Ce petit pays avec peu de ressources naturelles mobilise ses meilleurs atouts, c’est-à-dire son armée professionnelle et son savoir-faire en matière de sécurité et de défense, pour se positionner en acteur incontournable sur le plan diplomatique, et lier des alliances économiques », résume Paul-Simon Handy, chercheur camerounais, qui dirige le bureau de l’Afrique de l’Est de l’Institut d’études et de sécurité (ISS), à Addis-Abeba. En Centrafrique, la coopération militaire a ouvert la voie aux affaires.
Dans la foulée du déploiement des militaires des FRD, la compagnie aérienne nationale RwandAir inaugure, le 1er février 2021, une nouvelle liaison entre Kigali et Bangui, qu’elle dessert désormais deux fois par semaine. A bord du vol inaugural : la ministre du commerce et de l’industrie, Soraya Hakuziyaremye, accompagnée d’une importante délégation d’hommes d’affaires, auxquels les autorités centrafricaines promettent de soutenir leurs projets. Selon plusieurs sources diplomatiques, de nombreux Rwandais ont déménagé à Bangui, où ils investissent dans de multiples secteurs (mines, agriculture, commerce…). En août 2021, les deux pays ont signé plusieurs accords de coopération, notamment dans le secteur minier.
« En Centrafrique, comme maintenant au Mozambique, nous venons en soutien aux forces nationales et à la demande expresse des autorités », explique le porte-parole de l’armée rwandaise, le colonel Ronald Rwivanga. Au Cabo Delgado, au Mozambique, l’opération est encore plus spectaculaire. Débarquées en juillet 2021 pour lutter contre une insurrection djihadiste qui, depuis 2017, sème la terreur dans cette région septentrionale, pauvre et marginalisée, les troupes rwandaises réussissent là où l’armée mozambicaine, les mercenaires sud-africains du Dick Advisory Group et les Russes de Wagner ont échoué ! En quelques semaines, les FRD annoncent avoir reconquis plusieurs bastions rebelles dans les districts de Palma et de Mocimboa da Praia. Leur présence est, par ailleurs, une aubaine pour le géant français TotalEnergies, principal investisseur (à hauteur de 20 milliards de dollars) du mégaprojet d’exploitation de l’immense gisement gazier offshore, au large du Mozambique, et qui a préféré cesser ses activités en avril 2021, en raison d’une situation sécuritaire de plus en plus incontrôlable.
Après trois mois d’opérations, le président rwandais est allé en personne saluer ses troupes au Mozambique : « Nous avons montré ce que nous sommes capables de faire avec des ressources limitées », a-t-il déclaré à cette occasion. L’efficacité des FRD a sans aucun doute attiré l’attention de TotalEnergies. Son président, Patrick Pouyanné, en route pour le Mozambique, s’est ainsi arrêté à Kigali, fin janvier, où il a signé avec les autorités un protocole d’accord prévoyant le déploiement d’« une offre multi-énergie » et une contribution au « développement du secteur énergétique », et annoncé l’ouverture d’un bureau permanent de sa société dans la capitale rwandaise.
Si le président mozambicain, Filipe Nyusi, avait voulu s’émanciper de l’influence de son puissant voisin sud-africain en faisant appel au Rwanda, pour Paul Kagame, les bénéfices de son intervention sont, là encore, multiples. « En freinant l’avancée des djihadistes au Cabo Delgado, il empêche une éventuelle déstabilisation de la Tanzanie, qui, avec le port de Dar es-Salaam, est une importante route économique pour le Rwanda », ajoute le chercheur Paul-Simon Handy. En mettant un pied au Mozambique, Kigali s’assure, par ailleurs, une source de renseignement en Afrique Australe, où les réfugiés rwandais, et parmi eux des détracteurs du régime, sont nombreux.
Un partenaire fiable
En parallèle, la normalisation des relations diplomatiques entre son pays et la France, officialisée par la visite du président Emmanuel Macron à Kigali le 27 mai 2021, se poursuit. Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, une délégation militaire rwandaise – menée par le chef d’état-major et ex-commandant de la Minusma, Jean-Bosco Kazura – a été reçue, mi-mars, par le chef d’état-major des armées français, le général Thierry Burkhard. A l’ordre du jour : les enjeux sécuritaires globaux et régionaux. « Très tôt dans son mandat, Emmanuel Macron a fait le choix de développer de bonnes relations hors du traditionnel pré carré français, avec des dirigeants africains qui sont influents. Que ce soit en Centrafrique ou au Mozambique, le rôle de Paul Kagame a été déterminant », souligne Benjamin Augé, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
A Paris, on voit donc Kigali comme un partenaire de plus en plus fiable. D’autant plus que le FPR paraît décidé à privilégier ses relations avec les pays occidentaux, plutôt qu’avec la Chine ou la Russie. Le Rwanda figure ainsi parmi les vingt-huit pays africains qui ont voté, le 2 mars, en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’invasion russe de l’Ukraine.
Le Rwanda peut-il se poser en nouveau « gendarme » de l’Afrique ? Du point de vue occidental, c’est un bon candidat, souffle un diplomate : « “Des solutions africaines aux problèmes africains” est un slogan qui répond au désir secret de beaucoup de pays occidentaux. Et qui risque d’avoir encore plus de succès à présent qu’il y a une guerre en Europe. »