Cette dernière journée d’audience du procès pour négationnisme de Natacha Polony s’ouvre ce mercredi 2 mars 2022 par l’audition de Carla Del Ponte. L’ancienne Procureure des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda a été citée comme témoin par la défense. Il faut quelque temps pour régler la connexion vidéo avec le bureau du Parquet de Lugano [Confédération Helvétique]. Carla Del Ponte s’exprime en français.
La Présidente lui demande de se présenter et de résumer son rôle au sein des tribunaux internationaux. Plutôt que prononcer une déclaration liminaire, Carla Del Ponte préfère répondre aux questions des avocats. C’est donc Me Jean-Yves Dupeux, l’un des avocats de la défense, qui entame l’interrogatoire du témoin.
Me Dupeux : «
Vous vous souvenez des termes de la résolution 955 votée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 8 novembre 1994, portant création du Tribunal pénal international pour le Rwanda [TPIR] et précisant sa compétence ? ».
Carla Del Ponte répond qu’elle s’en rappelle dans ses grandes lignes : «
Le TPIR avait pour mission d’enquêter et de porter en justice les hauts responsables de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime de génocide commis au Rwanda en 1994 ».
Le TPIR avait-il mandat de juger aussi le FPR ?
Me Dupeux relit la résolution. Il cherche à démontrer que le mandat du TPIR n’était pas limité au jugement des génocidaires rwandais mais bien à « t
outes personnes présumées responsables […] de violations du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ».
Jean-Yves Dupeux se tourne vers la caméra pour apparaître à l’écran en Suisse : «
Madame Del Ponte, le TPIR a jugé et condamné un certain nombre de personnes accusées de génocide. Mais dans le cadre du mandat du Conseil de sécurité et de vos fonctions de procureure, avez-vous envisagé de faire juger des individus pas seulement pour génocide, mais pour d’autres actes constitutifs de violations du droit international humanitaire ? ».
Carla Del Ponte répond qu’au moment où elle a pris ses fonctions, la priorité était la répression du génocide. Elle ajoute que lors des investigations générales menées au Rwanda, des éléments de preuves ont été recueillis sur d’autres crimes pouvant être attribués au FPR. «
On avait des indices concrets de la commission de crimes aussi de l’autre côté. On m’a empêchée d’enquêter ».
Carla Del Ponte : « On m’a empêchée d’enquêter »
Carla Del Ponte précise l’existence de treize épisodes documentés par les investigateurs du TPIR où «
des Tutsis » se seraient rendus responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Elle a alors procédé à l’ouverture d’une enquête préliminaire pour identifier les auteurs de ces crimes. «
A cette fin, j’ai rencontré le président Kagame pour lui dire que le Parquet du TPIR avait l’intention de juger ces crimes. Il m’a répondu qu’il était d’accord et que nous obtiendrions toute coopération de ses services. Mais ces enquêtes ont été bloquées par la suite ».
Carla Del Ponte évoque une forme de chantage des autorités rwandaises, entravant le travail du TPIR pour l’amener à renoncer à enquêter sur les crimes du FPR. Alors que les investigations sur le génocide lui-même exigeaient de continuer à entretenir des relations de coopération avec le gouvernement rwandais, elle a demandé aux investigateurs d’enquêter secrètement sur les crimes supposés du FPR.
Me Dupeux : «
Vous confirmez tout ce que vous écrivez dans votre livre intitulé La Traque, les criminels de guerre et moi ?
[2]. Que vous avez été empêchée d’enquêter sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par les Tutsis ? ».
Carla Del Ponte : «
Oui, sur les crimes commis par le FPR. C’est bien la raison pour laquelle le Conseil de sécurité n’a pas renouvelé mon mandat de procureure pour le TPIR ».
Selon elle, « des Tutsis » responsables de crimes contre l’humanité
Elle dit que comme elle le raconte dans son livre, le Conseil de sécurité des Nations unies a fait obstacle à ces investigations. «
Ce qui était grave, c’est que le président [Kagame] a réussi à faire en sorte que mon mandat ne soit pas renouvelé ».
Jean-Yves Dupeux insiste : «
Il y a cause et effet ? Votre mandat n’aurait pas été renouvelé pour empêcher que vous enquêtiez sur les crimes du FPR ? ».
Carla Del Ponte : «
Oui ».
Jean-Yves Dupeux : «
Quelles sortes de violation du droit humanitaire ? ».
Carla Del Ponte : «
Je ne peux le préciser puisqu’on m’a empêché de poursuivre ces enquêtes ».
Jean-Yves Dupeux : «
Un document intitulé “Top Secret” a été versé aux débats. Il a été fait à la demande de Madame Arbour, qui vous a précédée comme procureure. Il laisse supposer des crimes très graves en matière de violation des droits de l’homme commis par le FPR ? ».
Carla Del Ponte : «
J’ai eu connaissance de ce rapport. Mais il n’a pas été suffisant pour identifier les suspects ».
« Le génocide rwandais pas jugé de façon équilibrée »
Jean-Yves Dupeux : «
Vous pensez donc que le génocide rwandais n’a pas été jugé de façon équilibrée ? ».
Carla Del Ponte : «
Oui ».
Jean-Yves Dupeux : «
Je vous ai envoyé le texte des propos de Natacha Polony tenus à France Inter. Qu’en pensez-vous ? ».
Carla Del Ponte : «
Elle a raison, dans le sens où il y avait aussi pas mal de crimes contre l’humanité qui avaient été perpétrés par les Tutsis. […] Elle a dit qu’il n’y avait pas les bons et les mauvais, parce qu’il y avait des mauvais des deux côtés. Je peux vous confirmer qu’elle a raison ».
Jean-Yves Dupeux : «
Evoquer des crimes de guerre du FPR, est-ce banaliser le génocide rwandais ? ».
Carla Del Ponte : «
Non ».
Invitée par l’avocat de Natacha Polony à préciser sa pensée, elle ajoute un peu plus tard : «
Il n’y avait pas les bons et les mauvais, parce qu’il y avait des mauvais des deux côtés, je ne peux que le confirmer ».
Del Ponte : « Il y avait des mauvais des deux côtés »
Les avocats des parties civiles sont invités à interroger le témoin.
Me Rachel Lindon : «
C’est un honneur de vous interroger. Votre ouvrage fait partie de mes livres de chevet, mais je constate que la défense ne cite que deux chapitres, pas celui où vous relatez l’horreur du génocide ».
L’avocate rappelle ensuite que les crimes du FPR ne sont pas le cœur du débat du jour. Elle note que Madame Del Ponte a fait part à plusieurs reprises de son insatisfaction face à la justice pénale internationale. En effet, tant au TPIR qu’au TPIY, elle a été empêchée d’enquêter sur certains sujets [à propos du Kosovo au TPIY]. Elle lui demande ainsi si, finalement, elle n’a pas plutôt été déçue de façon générale de cette justice pénale internationale qui a été rêvée parfaite mais ne l’a jamais été.
Carla Del Ponte confirme cette appréciation : «
En réalité, les tribunaux internationaux ne fonctionnent que s’il y a une volonté de coopération de la part des Etats. Ce n’est pas ce que j’ai observé, y compris une mauvaise volonté à nous aider à arrêter les criminels de guerre dans l’ex-Yougoslavie. Dans le cas du Rwanda aussi des enquêtes n’ont pu être menées à terme ».
Maître Lindon lui demande ensuite si tout génocide ne s’accompagne pas de son négationnisme. Madame Del Ponte lui répond qu’elle ne pense pas qu’ici l’on parle de négationnisme car le génocide n’est pas nié.
L’avocate lui rappelle le contenu de la loi française de 2017 venant élargir le délit de négationnisme et reconnaissant coupable de ce dernier «
ceux qui ont nié, minoré ou banalisé » le génocide.
Carla Del Ponte : «
Je n’ai pas connaissance des détails de la loi française ».
« Le génocide n’est pas nié [par Natacha Polony] »
Me Rachel Lindon : «
Revenons sur l’idée d’une justice internationale idéale. Pensez-vous que le tribunal de Nuremberg aurait dû juger, parmi d’autres, le bombardement de Dresde par l’aviation alliée ? » [3].
Carla Del Ponte : «
Je demande à ne pas répondre. Les différences sont considérables ».
Me Richard Gisagara intervient à son tour : «
Connaissez-vous le rapport Mapping dont il a été question à plusieurs reprises lors de l’audience d’hier ? ».
Carla Del Ponte : «
Non ».
L’avocat de la Communauté rwandaise de France revient sur la déclaration de Madame Del Ponte qui considère l’existence d’un lien entre la fin de son mandat et le fait qu’elle ait souhaité enquêter sur les crimes du FPR. Me Gisagara déclare avoir une autre version et invite la témoin à faire part de ses commentaires sur celle-ci. Il se réfère au livre d’un ancien observateur auprès du TPIR, ex-journaliste à RFI et devenu aujourd’hui conseiller au Nations unies [4]. Dans cet ouvrage, son auteur critique l’œuvre de Carla Del Ponte, tant pour l’efficacité de son travail et de celui de son équipe que son comportement personnel qu’il insinue être «
raciste ».
L’ancienne procureure : « Je ne suis pas là pour me défendre »
L’ancienne procureure des tribunaux internationaux déclare «
Je ne suis pas là pour me défendre » et que si elle a effectivement fait l’objet d’une dénonciation pour racisme auprès du Secrétaire Général des Nations unies, aucune enquête n’a été menée ensuite, prouvant l’absurdité de cette thèse.
Me Richard Gisagara : «
Dans votre livre, vous évoquez l’enquête du juge Jean-Louis Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994 qu’il attribue au FPR, mais qui vient de se terminer par un non-lieu. Qu’en avez-vous pensé ? ».
Carla Del Ponte : «
Je ne veux pas répondre à la question ».
On introduit le dernier témoin de la défense, Johan Swinnen, ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 à 1994. D’origine flamande, il s’exprime aussi bien en français, comme tous les hauts-fonctionnaires belges [5].
Il débute sa déclaration spontanée en disant qu’il se situe comme quelqu’un qui «
a peut-être droit de parole et droit de question » sur ce sujet en ce qu’il a été témoin des préludes du génocide des Tutsis puisqu’il a été évacué du Rwanda le 12 avril 1994.
La parole à Johan Swinnen
Kigali était son premier poste d’ambassadeur. «
Je m’inscris ici dans le prolongement de ma carrière diplomatique. J’ai peut-être le droit de parler comme témoin. J’ai vécu le prélude du génocide, à partir du 1er octobre 1990 [date de l’attaque du Front patriotique et début de la guerre civile]. J’ai été directement engagé diplomatiquement et humainement vers deux objectifs : d’une part faire la paix, d’autre part construire la démocratie et l’Etat de droit. J’ajoute qu’il est important de combattre le négationnisme sans relâche, sans parti-pris, de façon objective. Devant des risques de banalisation, je ne cesserai de dénoncer les forces négatives qui ont provoqué le génocide des Tutsis du Rwanda. C’est encore œuvre pour la vérité, pour la justice et pour la paix dans le processus de paix et de réforme du pays ».
Johan Swinnen se déclare engagé dans deux combats : la lutte contre le négationnisme et le divisionnisme qui doit être menée de façon objective et honnête, incluant donc la lutte contre la banalisation des accusations de négationnisme, et le combat pour la recherche de la vérité. Il dit qu’il a publié un livre «
sur les questions qui me hantent : dans quelle pièce avons-nous joué ? Nous devons nous libérer des simplismes polarisants ».
« Dans quelle pièce avons-nous joué? »
Johan Swinnen récuse «
une présentation unilatérale qui escamote les questions ». Il prône l’honnêteté morale et intellectuelle. «
Nous nous heurtons à de prétendus détenteurs d’une vérité définitive, non négociable, qui asphyxient nos esprits, contre des mensonges et de l’agit-prop qui ne cèdent en rien aux méthodes staliniennes, des salves d’accusation trop faciles de négationnisme. Le danger, c’est en quelque sorte une dévaluation du combat contre le négationnisme ».
Il affirme que le génocide des Tutsis n’a pas révélé tous ses secrets et que «
nous ne pourrons dévoiler ces derniers si nous sommes poursuivis pour avoir dit la vérité ». Il constate à cette fin que «
l’histoire des génocides est toujours mal contée parce qu’elle est présentée de façon trop partiale en rangeant les victimes dans un camp ethnique et les coupables dans l’autre ».
Il ajoute : «
Kigali et d’autres veulent se réserver en permanence le complexe de culpabilité de la communauté internationale ».
« L’histoire des génocides est toujours mal contée »
La Présidente du tribunal lui demande de se recentrer sur le sujet du procès : «
Que pensez-vous des propos de Natacha Polony ? ».
Johan Swinnen : «
Le génocide a une histoire complexe. Les plaignants se trompent d’adversaire ». Il ajoute : «
Le danger, c’est en quelque sorte une dévaluation du combat contre le négationnisme ».
Le témoin ajoute : «
L’histoire du Rwanda a besoin de nuance […] les responsabilités étaient partagées », dans la mesure où «
il y avait une attitude pas si gentille de la part du FPR […] au moment où on essayait d’encourager toutes les volontés positives pour aboutir à une paix stable ».
Johan Swinnen le répète : «
Les plaignants, Ibuka, la Communauté rwandaise de France et le MRAP, se trompent d’adversaire parce que les propos litigieux ne questionnent pas la réalité du génocide, ce qui amène finalement une dévaluation du concept de négationnisme et donc de son combat ».
L’ancien ambassadeur revient ensuite sur le fait que la Belgique a été accusée d’avoir été pro-FPR. Il soutient qu’à juste titre, le royaume a toujours été équilibré dans ses prises de position entre le FPR et le FAR. «
On parle beaucoup de la RTLM, mais Radio Muhabura [la radio du FPR] ne respectait pas non plus les accords d’Arusha ».
Johan Swinnen : « Les plaignants se trompent d’adversaire »
Johan Swinnen continue en déclarant que l’on entend de plus en plus que le FPR, et donc les Tutsis anciennement réfugiés en Ouganda, sont responsables du déplacement de plus d’un million de rwandais pendant la guerre civile et de la spoliation des biens de ces personnes déplacées. «
Ces déplacés vivaient dans des conditions exécrables, inhumaines, intolérables, fuyant les massacres du FPR. Ils représentaient un Rwandais sur sept. Il ne faut pas s’étonner que ces gens-là aient basculé dans la haine ».
La Présidente de la XVII
ème chambre l’interrompt, lui proposant de passer aux questions, avançant que ces dernières lui permettront de préciser sa pensée.
Me Florence Bourg, la seconde avocate de Natacha Polony, pose la première question : «
Vous nous dites qu’il y avait des forces négatives et des forces positives au Rwanda. Le parti CDR a été créé à la suite des accords d’Arusha en réaction au partage du pouvoir qui ne se traduisait pas dans la répartition équitable, démocratique et ethnique, des postes de commandement de la future armée ». Elle indique que «
la catégorie hutue représentait 85 % de la population, mais n’avait obtenu dans la future armée que 60 % de l’effectif des hommes de troupe, et les officiers, seulement 50 % ».
Johan Swinnen : «
Nous n’avons pas dicté de processus, ni accompagné des concessions extrêmes. Ils [?] avaient peur de la domination par la communauté tutsie. Et des incidents ont radicalisé l’opinion à commencer par la mort du président hutu du Burundi, Melchior Ndadaye, assassiné par des militaires tutsis, le jour même où je m’entretenais avec le président Habyarimana. Je ne l’ai jamais vu aussi outré, inquiet, en colère. Il m’a dit : “Vous voyez où ces Accords d’Arusha peuvent conduire ? Nous serons tués par des militaires tutsis”. Je ne pouvais plus vendre mon “produit” Arusha ».
« Je ne pouvais plus vendre mon “produit” Arusha »
Me Bourg demande ainsi au témoin quelles ont été les répercussions des attaques armées et du procédé agressif du FPR sur les négociations. Monsieur Swinnen s’égare dans sa réponse en développant le fait que ses fonctions d’ambassadeur l’ont amené, à l’époque, à accompagner un processus de réconciliation où des concessions devaient être faites. Lors de cette démonstration, il déclare que «
les Hutus avaient peur d’un retour d’une domination de la minorité tutsie parce qu’ils avaient été déplacés et spoliés par le FPR ». C’est en ce sens que l’ancien président Juvénal Habyarimana et ses soutiens rappelaient que c’est la recherche du compromis et le fait de faire des concessions qui amène ces déplacements et spoliations. Monsieur Swinnen affirme ensuite que l’on sait déjà en 1994, après l’attentat tuant le président Habyarimana, que ce dernier a été organisé par «
des militaires Tutsi ».
Après ces déclarations, Johan Swinnen essaye de se recentrer sur la question de l’avocate qui l’a fait citer. Il explique que le FPR a organisé le déplacement d’environ un Rwandais sur sept vers des camps, pour ensuite les massacrer en leur faisant croire qu’ils voulaient discuter avec eux de la paix.
Johan Swinnen fait référence à des massacres allégués au stade de Byumba, en avril 1994. Il soulève l’existence d’une contradiction en déclarant que les progrès dans le processus de paix étaient menés à mal par les attaques de la part du FPR. Monsieur Swinnen affirme qu’il y a eu «
de l’injustice contre de l’injustice » et que l’on ne doit donc pas se tromper de combat. Il déplore que, plus de vingt ans après le génocide, un professeur qualifie l’ouvrage de Judi Rever de «
livre de buffet de gare », formulation bien trop simpliste à son avis pour décrire l’ouvrage d’une journaliste d’investigation qui, après plusieurs années d’enquêtes, dénonce les crimes du FPR. Il précise tout de même qu’il n’est pas d’accord avec l’ensemble de la thèse soutenue par la journaliste canadienne [la thèse du double génocide]. Il conclut souhaiter un débat serein, pour la paix et la justice au Rwanda.
Johan Swinnen : « Il y a eu de l’injustice contre de l’injustice »
Me Florence Bourg : «
Vous avez écrit une tribune concernant le chanteur Mihigo Kizito. Vous ne cachez pas votre choc après sa mort. Qu’est-ce que cela vous a inspiré à l’égard du régime actuel de Paul Kagame ? ».
Johan Swinnen revient sur l’affaire Kizito Mihigo, chanteur de gospel, rescapé du génocide des Tutsi, arrêté puis remis en liberté en 2018 en vertu d’une grâce présidentielle. Kizito Mihigo fut de nouveau arrêté alors qu’il tentait de rejoindre clandestinement le Burundi. Quelques jours plus tard, le 17 février 2020, il fut retrouvé pendu dans sa cellule [le ministère rwandais de la Justice parla d’un suicide].
Yohan Swinnen : «
La mort de Kizito Mihigo m’a beaucoup ému, même s’il est impossible de se prononcer sur ses causes ».
L’ancien ambassadeur de Belgique se lance dans une longue digression sur l’histoire contemporaine du Rwanda et ses affaires les plus retentissantes. Il dit que, alors qu’il était encore au Rwanda, régulièrement des Tutsis s’inquiétaient que ce soient eux, les civils, qui soient amenés à payer le prix du manque de modération du FPR. Il affirme ainsi clairement que c’est le FPR qui aurait amené la radicalisation du mouvement Hutu Power. L’ancien diplomate déclare ensuite que Kizito chantait le respect de la mémoire des victimes, autant du génocide que des autres exactions commises par les différentes parties, et que, le texte de la chanson permet à tous de bien comprendre qu’il parle ainsi des crimes du FPR ou des Hutus extrémistes à l’encontre notamment des Hutus modérés.
« La mort de Kizito Mihigo m’a beaucoup ému »
La Présidente du tribunal interrompt le témoin pour lui demander de se recentrer sur la question de la propagande du régime de Paul Kagame.
Me Florence Bourg : «
Je précise ma question. Qu’est-il arrivé à Kizito ? Qu’est-ce que cela nous apprend sur l’état de la liberté d’expression au Rwanda ? ».
Johan Swinnen : «
Je ne dis pas que Kizito a été tué. Il a été arrêté parce qu’il était l’auteur d’une chanson qui prêchait la réconciliation et l’amour entre tous les Rwandais, pas uniquement les victimes du génocide perpétré contre les Tutsis ».
Selon l’ancien ambassadeur, il n’y a pas eu d’enquête sérieuse sur cet évènement. «
A ce jour au Rwanda, il n’y a pas de liberté d’expression, pas d’espace politique ».
Johann Swinnen revient ensuite sur le procès de Paul Rusesabagina, ancien gérant de l’hôtel des Mille Collines durant le génocide, considéré comme le sauveur des Tutsis réfugiés à l’hôtel dans le film américain « Hôtel Rwanda », mais aussi considéré comme un opportuniste puis le chef d’un mouvement terroriste, et à ce titre condamné à 25 ans de prison par le tribunal de Kigali le 20 septembre 2021. Johann Swinnen explique longuement que «
le procès a été inéquitable » et que «
Paul Rusesabagina est une autre victime d’un régime dictatorial ».
Swinnen : « Paul Rusesabagina est une autre victime d’un régime dictatorial »
Johan Swinnen ajoute, en reprenant ses notes, que le gouvernement rwandais a lancé en parallèle une campagne intitulée «
Ndi Umunyarwanda » [je suis Rwandais] destinée à effacer la distinction entre Tutsis et Hutus mais il laisse entendre que cette campagne n’est pas sincère. L’ancien ambassadeur regrette qu’il n’y ait pas de réelle unité au Rwanda. Il est interrompu par la cour au moment où il souhaite aborder de nouveau le procès Rusesabagina et achève un exposé qui aura duré plus d’une heure.
Me Jean-Louis Lagarde, avocat du MRAP : «
Au Burundi et au Rwanda il y a eu plusieurs massacres avant le génocide des Tutsis. Est-ce que la Belgique n’aurait pas des responsabilités dans ces massacres ? ».
Johan Swinnen : «
Dans les années 1950, on a vu l’émergence d’un mouvement d’émancipation de la population ethniquement majoritaire. Le colonel Logiest [6] a sympathisé avec ce mouvement d’émancipation. Les autorités belges ont toléré ce mouvement. Mais ça a été suivi d’élections avant l’indépendance. Il y a eu des massacres des deux côtés… ».
Me Lagarde : « La Belgique n’a pas eu de responsabilités “lourdes et même accablantes” ? »
Me Jean-Louis Lagarde : «
La Belgique n’a pas eu de responsabilités “lourdes et même accablantes” comme dirait le rapport Duclert du rôle ultérieur de Paris ? ».
Johan Swinnen : «
Je vous réponds comme ancien diplomate de mon pays ». Le témoin dit que la Belgique a bien été confrontée à des manifestations d’indépendance et de démocratie «
de la part de la population ethniquement majoritaire » [litote désignant la «
population hutue »] face à la minorité Tutsi, qui détenait tout le pouvoir.
Johan Swinnen indique que la Belgique n’a été impliquée dans aucun massacre, des deux côtés, mais il reconnaît que «
le colonel Logiest a sympathisé avec le mouvement d’émancipation hutu, avec l’accord tacite du gouvernement belge. Les autorités belges ont toléré ce mouvement, mais cela a été suivi d’élections avant l’indépendance ».
Johan Swinnen : « Non »
S’agissant du sort des Tutsis rescapés des massacres, Johan Swinnen insiste sur le fait que «
Non, la Belgique n’a pas de responsabilité lourde et accablante » dans le sort des Tutsis déplacés ou réfugiés dans les pays voisins. Il ajoute que la Belgique a été vigilante quant au respect des droits humains des réfugiés.
Me Lagarde : «
Avez-vous assisté, dans les années précédant le génocide, à l’émergence des milices Interahamwe, et si oui, avez-vous rapporté ces éléments à votre gouvernement ? ».
Johan Swinnen indique qu’il a écrit énormément de notes diplomatiques sur le sujet, allant jusqu’à y passer ses nuits. Il se justifie en faisant référence à son ouvrage de 600 pages sur le sujet.
Il rappelle que, «
durant mon mandat au Rwanda, j’ai constaté des améliorations du régime du président Habyarimana, notamment le multipartisme ».
Il reconnaît également qu’il y a eu des massacres, des assassinats politiques, des attaques à la grenade dans les écoles dont on ne sait toujours pas aujourd’hui qui les a commis.
« Durant mon mandat au Rwanda, j’ai constaté des améliorations du régime du président Habyarimana »
Johan Swinnen dit avoir cependant employé une fois le terme de génocide dans ses télégrammes diplomatiques. Il a également parlé de risque de déstabilisation majeure. Il dit qu’il était considéré par les barons du régime comme «
un militant pro-FPR ». Il ajoute que la Belgique était très préoccupée de l’évolution politique au Rwanda.
Il raconte qu’un jour, à l’occasion d’une rencontre avec le roi Baudoin accompagné de son Premier ministre, le président rwandais aurait demandé à ses interlocuteurs s’ils ne feraient pas mieux de rappeler leur ambassadeur.
Johann Swinnen ajoute : «
La veille de l’attentat, le colonel Rusatira [7] est venu me trouver pour me dire de rester chez moi. Selon lui, je faisais partie des hommes à abattre et je figurais même en priorité sur la liste établie par des Hutus extrémistes ».
Le Procureur et les avocats de la défense ne souhaitent pas questionner davantage le témoin, dont l’audition a pris une bonne partie de l’après-midi.
« Je faisais partie des hommes à abattre »
Le Président d’Ibuka France est ensuite appelé à la barre. La Présidente du tribunal rappelle que cette association est à l’origine de la plainte et souhaite entendre son représentant sur les raisons de cette plainte et ce qui est attendu de ces audiences.
Etienne Nsanzimana précise tout d’abord qu’il n’évoque pas les questions d’ordre juridique posées par ce procès qu’il laisse à son avocat mais qu’il intervient à la fois en tant que président d’une association qui défend les rescapés du génocide des Tutsis et en tant que rescapé.
Il dit qu’une question taraude les rescapés : «
Quand est-ce que tout ça va s’arrêter ? ».
Etienne Nsanzimana revient sur les propos de Natacha Polony en précisant que la plainte d’Ibuka a été portée par la raison. «
Il ne faudrait pas classer notre démarche au registre de l’émotion uniquement ».
Il rappelle que les mots sont extrêmement importants et qu’ils sont piégés. Les mots employés dans les cours d’école dans le Rwanda de sa jeunesse, les mots de la RTLM avant et pendant le génocide, les mots chantés par les miliciens, et enfin les mots utilisés après le génocide pour le minimiser. Les survivants ont développé une sensibilité particulière pour les détecter et savoir ce qu’ils véhiculent.
Les survivants ont une sensibilité particulière aux mots dangereux
Dans le verbatim des propos incriminés, une phrase l’interpelle particulièrement : «
Il est nécessaire d’essayer de regarder en face ce qui s’est passé à ce moment-là ». Il les invite alors au cœur de ce qui s’est passé réellement. C’est à dire : un génocide, mais pas dans sa définition juridique, mais le néant et l’obscurité totale qu’il est…
Etienne Nsanzimana est rapidement interpellé par la Présidente du tribunal qui lui indique que son intervention constitue une prise de parole, qu’à ce titre elle doit se faire sans notes. S’il le souhaite ses notes peuvent être versées au dossier.
Etienne Nsanzimana continue en disant que, dans une période où les formats obligent les intervenants à être spécialiste de tout, on tombe malheureusement dans ce cas de figure. Le prime est donné à celui ou celle qui donnera une réponse immédiate aux sujets les plus divers, quitte à tordre le lendemain par des effets de rhétorique, ce qui était assené comme vérité hier.
Etienne Nsanzimana : «
Cela ne va jamais s’arrêter tant qu’on ne court aucun risque lorsqu’on concède que le génocide des Tutsis a existé pour mieux le vider de sa substance et le banaliser ». Le génocide a été reconnu. On ne saurait dont nier sa réalité. D’autre part des pratiques signifiantes, des pratiques de langage s’attellent à déconstruire le sens et la singularité de l’évènement. Une réponse appropriée peut être issue de la décision qui sera prise à l’issue du procès.
Etienne Nsanzimana ajoute : «
Le contraire de l’oubli, ce n’est pas seulement la mémoire, c’est aussi la justice ».
Aucune question n’est posée par le Procureur, les avocats des parties civiles ou de la défense.
Etienne Nsanzimana : « Des pratiques de langage s’attellent à déconstruire le sens et la singularité de l’événement »
Natacha Polony est appelée de nouveau à la barre pour un bref interrogatoire sur ses éventuels antécédents judiciaires, sa famille et ses revenus.
Elle est mariée, mère de trois enfants, travaille à BFM TV, France Inter et
Marianne. Elle dispose de revenus conséquents.
Aucune question n’est posée par le Procureur, les avocats des parties civiles ou de la défense.
Le moment des plaidoiries et du réquisitoire
Vient le moment des plaidoiries. Me Jean-Louis Lagarde prononce la première plaidoirie pour le MRAP en rappelant qu’un génocide est établi. A-t-on le droit de dire que tous les protagonistes, tueurs et victimes, sont des salauds ? Le juge de la vérité judiciaire n’est pas l’arbitre de la vérité historique.
Et pourtant, le juge judiciaire a déjà été amené à se prononcer sur la vérité historique, notamment dans le procès Papon.
Me Jean-Louis Lagarde rappelle également que, s’agissant des évènements du 17 octobre 1961 [8], dès qu’un journal faisait état de plus de trois morts, il était systématiquement attaqué en justice pour diffamation.
Il souligne que, désormais, il est non seulement possible de faire état de la réalité de la répression meurtrière effectuée sous la direction de Maurice Papon, mais qu’une plaque commémorative a été érigée sur le pont Saint-Michel [9].
Me Lagarde revient sur les arguments de la défense de Natacha Polony qui indique avoir été interrompue par Raphaël Glucksmann, ce qui aurait créé une certaine confusion dans ses propos.
Selon lui, les émissions comme « Le Grand Face à Face » constituent de l’“
infotainment” [information-divertissement] dans lesquelles ce qui prime, c’est l’attention du public, les effets de communication. Les participants sont habitués à être interrompus, cela faisant partie de l’exercice et étant accepté par les participants. «
Il s’agit d’émissions au cadre fragile. Certains préparent des bons mots. C’est à celui qui coupera la parole à l’autre ».
Sur les propos incriminés, Raphaël Glucksmann ne l’interrompt pas, il parle sans équivoque du génocide et de la responsabilité de la France.
«
Madame Polony répond qu’il faudrait ouvrir les archives mais qu’on ne lui ôtera pas l’idée qu’il y avait des salauds face à d’autres salauds. […] Ces femmes, ces enfants, des salauds ? Ils ont été tués dans le cadre d’un plan concerté d’extermination ».
Me Jean-Louis Lagarde revient sur l’histoire du Rwanda, notamment les massacres de 1959 et 1963, l’exil des Tutsis qui portent Yoweri Museveni au pouvoir en Ouganda, la tentative de retour en 1990, les accords d’Arusha et le début du génocide en 1994. Il conteste les explications qu’il estime alambiquées de Yohan Swinnen. «
Tout ne s’est pas bien passé sous la tutelle belge, les parents ont échappé aux tueries en s’enfuyant, les enfants veulent se venger et c’est normal ».
Il évoque le témoignage de Patrick de Saint-Exupéry pour qui la tragédie du Rwanda est un sujet atomisé. Il critique le témoignage de Johan Swinnen «
qui n’a pas répondu à la question de savoir s’il avait senti venir le génocide ». Me Lagarde se félicite que le Président Macron ait créé une commission indépendante d’historiens chargée d’un rapport. «
J’ai fait verser le rapport Duclert aux débats. Il confronte des pièces, des informations, des témoignages. Il documente l’horreur monstrueuse du génocide des Tutsis commis par les Hutus ».
Me Lagarde : « Ces femmes et ces enfants, des salauds ? »
L’avocat a écouté les explications de Stéphane Audoin-Rouzeau, «
un témoignage qui compte ». Il relève «
une légère contradiction dans les propos de Natacha Polony qui affirme d’une part qu’elle se contente de citer Rony Brauman et qui dit par ailleurs “j’ai été surprise, on m’a coupé la parole” ».
Me Jean-Louis Lagarde revient ensuite sur le pouvoir à l’Elysée en 1994. Il rappelle qu’en France, à cette époque, le pouvoir s’exerce de manière particulière. Peu de gens décident : Mitterrand, malade, Védrine en tant que «
maire du palais ». Les militaires agissent sur la base d’ordres donnés «
à la voix ». Ceci peut également expliquer les choix fait par la France.
Mais cela ne change rien à la réalité du génocide perpétré au Rwanda. Me Lagarde relève que peu de gens ont parlé durant ces deux audiences du génocide à l’exception de Stéphane Audoin-Rouzeau et Patrick de Saint-Exupéry. «
D’autres ont trahi leur métier. Ceux qui ont parlé de salauds face à d’autres salauds ».
Me Jean-Louis Lagarde rappelle que Natacha Polony a par ailleurs laissé la parole au polémiste Pierre Péan qui dit sans trembler qu’il y a eu un double génocide.
Dans Marianne, la parole à Pierre Péan, chantre du « double génocide »
Me Lagarde revient ensuite au droit pénal. Il cite Hegel et son concept d’histoire réfléchissante, qu’il définit comme une histoire réfléchie qui confronte l’histoire à des faits établis, une histoire qui s’établit de manière rationnelle et documentée. L’élément matériel du déni lui semble clairement établi avec la phrase «
des salauds face à d’autres salauds », qui suscitent un remord tardif la semaine suivante avec la médiation d’Ali Baddou : «
En droit pénal le repentir tardif ne peut pas faire disparaître l’élément d’intentionnalité ».
Il conclut : «
Ce que je souhaiterais, c’est que lorsque les lumières de ce prétoire vont s’éteindre, tout le monde puisse entendre les 800 000 voix qui susurrent à nos oreilles : “n’oubliez pas” ».
Me Richard Gisagara intervient à son tour pour la Communauté rwandaise de France qui suit avec attention ce procès. «
Je m’exprime aussi au nom de tous ceux qui ont compris que le génocide n’est pas un accident de l’histoire, comme peuvent l’être Fukushima ou Tchernobyl. L’autre particularité est que le génocide ne se termine jamais. Les massacres se terminent mais les séquelles ne s’effacent pas ».
« Les 800 000 voix qui susurrent à nos oreilles : “n’oubliez pas” »
Me Gisagara rappelle la genèse de la loi qui a étendu au génocide des Tutsis, la possibilité de punir toute contestation de crimes contre l’humanité. Il précise que le texte de la loi, en 2017, a été suffisamment détaillé pour rendre possible la condamnation de tout fait négationniste y compris quand il se déguise en écrivain à la recherche d’une supposée vérité historique, notamment dans le cadre de l’arrêt Garaudy du 12 septembre 2000 [10].
«
Celui qui prépare un génocide, prépare également un plan de communication pour le nier. Ce plan apparaît clairement avant, pendant et après le génocide. Les propos [de Natacha Polony] constituent une remise en cause par voie d’insinuation, [pour] dire que les victimes ne sont pas si victimes que ça, […] et noyer le génocide sous la prétendue existence d’autres crimes plus ou moins similaires ».
Selon lui, Natacha Polony utilise ce procédé «
en mettant sur un pied d’égalité les victimes et les bourreaux ».
« Natacha Polony met sur un pied d’égalité les victimes et les bourreaux »
Me Gisagara a déposé divers documents qui attestent qu’avant le génocide, que pour préparer la population à tuer, les journaux extrémistes rwandais cherchaient à convaincre leurs lecteurs que les Tutsis allaient s’en prendre aux Hutus. Cette propagande s’est poursuivie après le génocide. En juin 1996, le colonel Théoneste Bagosora clame que les massacres découlent de clivages ethniques et ces clivages n’auraient jamais existé si les exilés tutsis n’avaient pas commis des exactions contre les Hutus.
«
Les propos des négationnistes consistent aussi à clamer qu’il n’y a pas eu de préparation du génocide, qu’il s’agissait simplement d’une légitime défense. Le discours de Natacha Polony ne fait que reprendre les éléments de langage de la sinistre RTLM qui présentait les Tutsis comme des salauds ».
S’adressant ensuite au ministère public, Me Gisagara rappelle que, au moment où la question de l’adaptation de la loi de 1981 sur la presse évoquée [11], le ministère public n’était pas favorable à l’extension de la loi à la contestation de génocide autre que la Shoah. Un des arguments consistait à dire qu’il ne fallait pas ouvrir la boîte de Pandore.
Me Gisagara : « La défense transforme notre plainte en procès du FPR »
Me Gisagara revient ensuite sur l’argumentaire de la défense «
cherchant à transformer la plainte contre Natacha Polony en procès du Front patriotique rwandais ». Selon lui, la défense fait le procès du FPR de la même manière qu’un procès a été fait au pangolin au début de la pandémie de Covid-19. Or «
les crimes évoqués par la défense n’ont jamais fait l’objet de condamnation. Ils reposent sur l’axiome “tout le monde sait”. […] Il est facile de manipuler les gens en faisant croire au Protocole des sages de Sion. […] C’est un argument éculé de dire et répéter dire qu’un “lobby tutsi” empêcherait la vérité d’éclater ».
La parole est ensuite à Me Rachel Lindon, avocate d’Ibuka France.
Me Lindon commence par reconnaître que son combat aux côtés des victimes de génocide et de crimes contre l’humanité relève d’un atavisme familial. «
Je n’ai aucun problème à parler des crimes du FPR, mais ce n’est pas la question ».
Me Lindon : « Je n’ai aucun problème à parler des crimes du FPR »
Elle dit son agacement d’entendre parler «
des génocides » au Rwanda : «
Le négationnisme est une marque de tous les génocides. Comme l’a rappelé mon confrère, on nie le projet génocidaire avant sa perpétration, on le nie pendant, on le nie après. La négation est consubstantielle au génocide. […] Leur thème est le même ». Me Rachel Lindon cite les auteurs de référence, Jacques Sémelin, Alison Des Forges qui ont travaillé sur les mécanismes du négationnisme. Elle regrette que l’historienne Hélène Dumas, en mission au Rwanda, n’ait pas été autorisée à témoigner par vidéoconférence. Elle cite un article d’Hélène Dumas dans la revue
Esprit qui démonte le discours négationniste : «
Tout le monde y est considéré comme bourreau et victime à la fois ».
Victimes et bourreaux sont renvoyés à la même barbarie. «
Des salauds face à d’autres salauds ».
«
Les négationnistes prétendent que “c’est eux qui veulent nous tuer, donc on va les tuer en premier”. Madame Polony savait tout ça. Elle a récusé la réalité du génocide. Elle a tenu des propos que nous devions poursuivre ».
«
Avant le génocide, les négationnistes vous mettent en garde, ils prétendent que les Tutsis vont vous envahir, que leurs femmes sont dangereuses. Après le génocide, ils disent que les Tutsis tirent toutes les ficelles, ils ont le pouvoir, d’ailleurs eux aussi ont commis l’impensable. Selon les négationnistes “tout ce qui vient du Rwanda est faux”. Quoiqu’il arrive, l’association mémorielle Ibuka ment ».
Me Lindon note ensuite qu’on retrouve dans ce procès les mêmes acteurs que dans les procès contre les génocidaires présumés. Elle cite le polémiste Pierre Péan. «
Les mêmes avocats, les mêmes arguments ».
« Madame Polony savait tout ça. Elle a récusé la réalité du génocide »
Elle relève même que la partie adverse a parlé de «
faussaire » en parlant de Patrick de Saint-Exupéry [12]. Selon Rachel Lindon, la partie adverse accuse les témoins d’être nécessairement payés par le FPR pour leur témoignage, quand ils n’agissent pas sous la contrainte ou la peur. Une façon de masquer l’intentionnalité du génocide.
Dans le procès Simbikangwa [13], les témoins de la défense incluaient déjà Pierre Péan, qui évoque la théorie du double génocide.
On retrouve le même débat sur le régime de Kigali. La partie adverse prétend qu’on n’a pas le droit de parler de Kagame, alors qu’elle ne fait que ça.
Me Rachel Lindon poursuit sa plaidoirie en notant que la partie adverse demande 15 000 euros en invoquant une procédure abusive de la part des parties civiles. «
Pourtant la directrice de France Inter a parlé de son émoi après les propos de Natacha Polony ». Le CSA a également évoqué un vif émoi.
De nombreux témoignages ont confirmé que ses propos ont choqué des auditeurs. C’est d’ailleurs pourquoi une sorte de droit de réponse a été réclamé, avec l’émission du 25 mars demandé par Ali Baddou, qui a reconnu que les propos ont choqué.
Me Lindon attire l’attention sur les propos du 25 mars «
qui sont sensiblement différents de ceux du 18 mars. Madame Polony modifie ses propos en reconnaissant qu’il y avait bien des victimes et des bourreaux, mais le mal était fait ».
Me Rachel Lindon : « Le 25 mars, Madame Polony modifie ses propos »
«
Si la loi a précisé que “nier, banaliser, minimiser” c’est du négationnisme, c’est parce que le législateur voulait appréhender les différentes formes que peut revêtir le négationnisme ».
Me Rachel Lindon opère ensuite une comparaison : «
Si je vous parle de la Shoah et que vous me répondez : “Oui, mais vous avez vu ce qu’Israël fait aux Palestiniens”, tout le monde, dans ce cas, comprendra qu’il y a anachronisme, tentative de minimisation ou de relativisation de la Shoah ».
En revanche, elle souligne que, même si c’est son droit,
Marianne a ouvert ses colonnes à des négationnistes et à des auteurs d’articles condamnant le régime de Kigali. Mais
Marianne n’a jamais parlé dans ses articles du génocide, de la responsabilité de la France, n’a jamais donné la parole aux rescapés.
Me Lindon conclut en demandant au tribunal de se montrer aussi attentif à identifier et punir le négationnisme du génocide des Tutsis du Rwanda que ceux qui agissent de même pour la Shoah.
Pour le ministère public, « pas question de brouiller les frontières entre bourreaux et victimes »
C’est à la procureure de prononcer son réquisitoire.
«
Du côté du ministère public, il n’est pas question de brouiller les frontières entre bourreaux et victimes », dit la procureure avant de lire une citation de Jean Hatzfeld,
Une saison de machettes [14] où l’auteur note que tous les génocides interviennent en pleine guerre, qu’ils arrivent en période de non-droit. «
Le génocide des Tutsis du Rwanda se distingue des crimes de guerre. […] Il s’agit d’une violence d’extermination ethnique, il convient de le rappeler ».
La procureure rappelle que la cour a pour mission de trancher un désaccord sur l’interprétation à donner des propos de Natacha Polony. Ce désaccord doit être tranché au regard de la loi. «
La loi de 1881 sur la liberté de la presse sanctionne le déni de crime contre l’humanité ».
« Ce désaccord doit être tranché au regard de la loi »
Elle reprend les propos des différents témoins. Scholastique Mukasonga a expliqué que les propos de Natacha Polony ont rouvert des blessures profondes. «
Nous avons entendu les paroles de Rony Brauman. Patrick de Saint-Exupéry a parlé de propos confus et ambigus mais pas négationnistes. Stéphane Audoin-Rouzeau vous a dit que ces propos peuvent s’inscrire dans une pensée évocatrice du double génocide. Voilà la question de droit qui vous est posée : les propos de Natacha Polony sont-ils constitutifs de contestation du crime de génocide ? ».
La procureure confirme que c’est la première fois que la cour a à connaître d’une procédure de contestation de crime de génocide contre les Tutsis.
«
Au regard de la liberté d’expression, la démarche que devra suivre la cour pour statuer sur les faits est la suivante : 1. Le contexte dans lequel les propos sont tenus. Le contexte est simple. C’est une émission en direct sur un sujet d’actualité. Les participants ne sont pas journalistes d’investigation mais des commentateurs de l’actualité. 2. Les termes du débat ». La procureure rappelle que le débat porte sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis. «
3. Qui est visé par les propos de Natacha Polony ? » Les personnes visées sont, selon la procureure, «
les responsables politiques et les chefs militaires, […] il n’y a pas de doute possible. Elle [Natacha Polony] ne parle pas des 800 000 victimes du génocide. […] Cela apparaît clairement dans les termes du débat. Il est question de savoir pourquoi la France n’a pas reconnu la mécanique génocidaire qui se mettait en place ». «
4. Les propos tombent-ils sous le coup de la loi qui sanctionne la négation d’un génocide ? ». La procureure répond sans ambiguïté à la question : «
Le 18 mars 2018, dans les conditions du direct entre deux intellectuels commentateurs de l’actualité, Raphaël Glucksmann introduit la question du rôle de la France au Rwanda, sujet sur lequel Le Monde
a apporté un éclairage nouveau. Le sujet est bien le rôle de la France et non pas le génocide lui-même ».
« Le sujet est bien le rôle de la France et non pas le génocide »
La procureure enfonce le clou : «
Le sujet, c’est le rôle de la France […], c’était la logique du débat. Il n’y a pas de doute possible à la lecture du verbatim de l’émission. Il faut re-contextualiser les propos. Il n’y a eu aucune contestation de la réalité du génocide [mais] des mots maladroits et très mal perçus. On peut reprocher à Natacha Polony d’avoir préparé cette émission rapidement, si cette tribune de Rony Brauman a été effectivement consultée » [la procureure cite longuement la tribune].
«
Je ne vois pas là de volonté de nier ni même de minorer le génocide. Ça n’a jamais été dit de cette façon. […] Pas de négationnisme mais du confusionnisme. Il ne faut pas faire dire au prévenu ce qu’il n’a pas dit. Or le confusionnisme n’est pas visé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Natacha Polony ne conteste même pas le rôle de la France. Elle fait part de ses interrogations. Vous devez donc apprécier ses propos au regard de leurs véritables conséquences. Vous êtes la chambre de la presse, la chambre de la liberté d’expression. […] Il faudra que vous fassiez preuve d’objectivité et de rigueur. Il ne faut pas faire dire à un prévenu ce qu’il n’a pas dit ».
En résumé, la procureure invite le tribunal à prononcer la relaxe de Natacha Polony.
La procureure invite le tribunal à relaxer Natacha Polony
C’est Me Jean-Yves Dupeux qui intervient le premier au nom de Natacha Polony. Il remercie la procureure «
qui a prononcé la meilleure plaidoirie de défense ». Il remercie la cour qui a permis au débat de se tenir et a constitué un lieu de maturation de la pensée. «
Natacha Polony est une personne équilibrée, humaniste, qui rencontre beaucoup de monde, débat avec beaucoup. Lui “coller” l’étiquette de négationniste du génocide rwandais, c’est quelque chose d’extrêmement choquant ».
Me Jean-Yves Dupeux ajoute qu’en terme de morale sociale, «
la poursuite est grave, injuste et dangereuse car la banalisation du génocide est quelque chose de terrible. Or nous sommes dans une affaire jamais jugée : la négation du génocide rwandais. […] La banalisation de l’accusation de négationnisme est extrêmement dangereuse, car la banalisation, elle est là ! ».
Me Jean-Yves Dupeux poursuit : «
Cette banalisation est grave car elle concerne un fait historique majeur, un des plus graves de la seconde moitié du XXème siècle. […] Le tribunal n’est pas le juge de l’histoire mais le juge du droit ».
Me Jean-Yves Dupeux rappelle que l’article de loi prévoit la condamnation de la négation du «
génocide rwandais » sous toutes ses formes. Les propos de Natacha Polony, selon Me Jean-Yves Dupeux, doivent être analysés comme l’a fait le ministère public.
« La banalisation de l’accusation de négationnisme, elle est là ! »
Me Jean-Yves Dupeux reprend ensuite les propos de l’émission, notamment le fait que Natacha Polony reconnaît l’existence du génocide. Me Jean-Yves Dupeux qualifie l’émission du 25 mars, non pas comme une forme de repentir actif, mais comme une explication de texte.
L’avocat revient sur les auditions de Patrick de Saint-Exupéry et de Stéphane Audoin-Rouzeau. «
Quand on interroge Patrick de Saint-Exupéry sur le fait qu’évoquer les crimes du FPR reviendrait à nier le génocide, ni lui ni Stéphane Audoin-Rouzeau n’ont répondu ». Me Dupeux ajoute que «
Stéphane Audoin-Rouzeau est même parti dans un long développement historique » que l’avocat assimile à une dérobade.
«
Est-ce que le fait de dire qu’il y a eu des exactions du FPR implique la négation du génocide rwandais ? ».
Me Jean-Yves Dupeux dresse ensuite un parallèle avec les cas des procès de Robert Faurisson, de Jean-Marie Le Pen et de Roger Garaudy. «
Dans ces cas-là, les propos retenus sont inadmissibles ».
Me Dupeux : « Est-ce que parler des exactions du FPR implique la négation du génocide rwandais ? »
Me Jean-Yves Dupeux note que la minoration est caractérisée notamment quand Le Pen qualifie la Shoah de «
détail de l’histoire ».
Il rappelle l’audition de Rony Brauman : «
C’est un médecin. Il est par la suite retourné au Congo. C’est l’auteur de référence. Dans un langage de vérité, il a relaté les exactions considérables contre les réfugiés dans les camps, exactions commises par le FPR. […] Mais non, Natacha Polony n’invoque pas un deuxième génocide. Il n’y a pas de thèse du deuxième génocide ».
Me Jean-Yves Dupeux revient sur l’audition de Carla Del Ponte. «
Quand elle a été informée des exactions du FPR, elle a voulu instruire sur toutes les exactions dénoncées. Elle s’est vue opposer un refus catégorique de Paul Kagame. Elle va même jusqu’à écrire au Secrétaire Général des Nations unies et se rend à New York au siège de l’ONU. Par la suite, elle n’est pas renouvelée dans son mandat de procureure pour le TPIR ».
« Rony Brauman, c’est l’auteur de référence »
Il revient aussi sur le témoignage de Scholastique Mukasonga qui a parlé de réconciliation. «
Si on veut réconcilier, dit Me Jean-Yves Dupeux
, il ne faut pas que ce soit le tribunal des vainqueurs. On ne fait pas une bonne justice si on ne réconcilie personne. Au Rwanda, si on continue de se voiler la face et si on continue à poursuivre tous ceux qui disent qu’il y a eu des salauds, alors on n’arrivera jamais à la réconciliation ».
Me Jean-Yves Dupeux fait ensuite référence à la Commission Vérité et Réconciliation mise en place en Afrique du Sud à la chute de l’Apartheid : «
Cette commission a regardé en face tous les crimes commis ».
L’avocat conclut : «
Au Rwanda, si on poursuit sur cette voie, on ne parviendra jamais à une réconciliation, surtout si on accepte ce type de procédure. C’est pour cela que nous souhaitons que la cour reconnaisse que la procédure est abusive, que la constitution de partie civile est abusive ».
« Nous souhaitons que la cour reconnaisse que la procédure est abusive »
Seconde avocate de Natacha Polony, Me Florence Bourg succède à Me Jean-Yves Dupeux : «
On ne condamne pas quelqu’un pour des propos qu’il n’a pas tenus. Nous sommes ici à la suite d’une tentative de censure de la liberté de la presse. L’un des témoins cités par l’accusation a été le meilleur avocat de la défense. Il a dit à trois reprises que les propos tenus par Natacha Polony n’étaient pas négationnistes, et que l’expression “des salauds face à d’autres salauds” ne voulait rien dire ».
Me Florence Bourg ajoute : «
La LICRA s’est désistée de la plainte [15], l’Union des Etudiants Juifs de France [UEJF] ne s’est pas constituée. Le procès est une tentative de suppression du débat. La censure existe depuis vingt ans sur la question du génocide. Chaque rapport qui évoque les crimes de guerre est censuré ».
Me Florence Bourg affirme qu’Alison Des Forges, dans son livre de référence
Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, consacre trois chapitres aux crimes commis par le FPR [16].
L’avocate fait état d’une autre censure, celle de Carla Del Ponte, qui a pourtant traqué tous les génocidaires. «
De quoi parle-t-on ? Jamais Madame Del Ponte n’a remis en question le génocide. Jamais on n’a parlé de double génocide, cette tarte à la crème que l’on renvoie à quelqu’un pour empêcher le débat. […] Le débat en question à France Inter dure quatre minutes, il porte sur la responsabilité de la France dans le génocide ».
Me Florence Bourg : « Jamais on n’a parlé de double génocide, cette tarte à la crème »
Me Bourg relate le fait que les associations AVEGA et Ibuka Rwanda ont suspendu leur coopération avec Carla Del Ponte dès qu’elles ont eu connaissance de ses enquêtes.
Me Florence Bourg cite un autre exemple de censure, concernant le rapport Mapping, portant sur les deux guerres du Congo. «
Le seul moment où ce rapport revient sur le devant de la scène, c’est à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix à Denis Mukwege ».
Pour Me Florence Bourg, dès qu’une critique est formulée à l’encontre du régime rwandais actuel, on est taxé de négationnisme. Elle considère que la loi rwandaise de 2010 condamnant la négation du génocide a été instrumentalisée par le régime pour attaquer tout opposant.
« Dès qu’une critique est formulée à l’encontre du régime rwandais actuel, on est taxé de négationnisme »
L’avocate revient sur le cas de Kizito Mihigo, condamné à dix ans de prison pour négationnisme, libéré uniquement sous pression politique. Idem pour un avocat américain [17] qui a défendu une candidate [Victoire Ingabire] aux élections présidentielles face à Paul Kagame, et qui a été arrêté pour avoir nié le génocide des Tutsis.
Me Bourg dit que les personnes accusées de négationnisme sont marquées au fer rouge. Elle prend pour exemple Pierre Péan qui est qualifié de négationniste dans une émission de France Culture, tout comme le journaliste Stephen Smith, alors même qu’il a été relaxé par le tribunal correctionnel en 2008, que sa relaxe a été confirmée en appel et en cassation.
L’avocate ajoute : «
Le régime du FPR ne représente pas forcément le camp du bien. Natacha Polony ne nie pas le génocide rwandais. La théorie du double génocide est une espèce de construction intellectuelle. Il n’y a pas un mot de ce genre dans les propos de Natacha Polony, au cours d’un débat qui dure seulement quatre minutes sur France Inter ».
« Chaque rapport évoquant les crimes de masse du FPR est censuré »
Me Florence Bourg revient dans sa plaidoirie sur «
les crimes du FPR » : «
Cette censure, ça fait vingt-cinq ans qu’elle veut s’imposer dans le débat sur le génocide rwandais. Natacha Polony parle bien du régime FPR. Aucune ambiguïté sur l’objet du débat. Chaque rapport évoquant les crimes de masse du FPR est censuré. Alison Des Forges dans son livre Aucun témoin ne doit survivre
parle des entraves aux enquêtes du pouvoir FPR, au contrôle de l’information pour que les rapports ne sortent pas. […] Mais pourquoi ne pourrait-on pas enquêter sue les vainqueurs ? Madame Del Ponte a été obligée d’enquêter en secret tellement elle a subi de pressions. […] On ne peut rien dire. On est attaqué systématiquement, on supprime tout débat possible, même si on va obtenir toutes les décisions de relaxe possibles, comme pour Pierre Péan ».
En conclusion Me Bourg évoque la demande d’indemnisation de Natacha Polony d’un montant de 15 000 euros pour procédure abusive. «
Que le tribunal nous accorde seulement 1 000 euros, 500 euros, on s’en fiche, mais ce sera un symbole qu’on arrête la censure ».
Fin des plaidoiries
A la demande de la présidente, Natacha Polony revient à la barre pour clôturer l’audience.
Natacha Polony : « J’ai été très touchée de ce que Scholastique Mukasonga a dit »
Elle souhaite adresser quelques mots à l’attention de Scholastique Mukasonga, Espérance Brossard et pour ceux qu’elles venaient représenter : «
J’ai été très touchée de ce que Scholastique Mukasonga a dit. Je tiens à l’assurer de ma profonde compassion. Quelle que soit la décision de ce tribunal, nous sommes tous d’accord sur le fait que ce génocide a été monstrueux. Je pense avoir montré que j’essaye de faire mon travail avec responsabilité et conscience. Nous, journalistes, nous avons une responsabilité de rechercher humblement la vérité ». Elle précise que, dans l’émission en cause, ce n’est pas elle qui est péremptoire et qui croit détenir la vérité.
Natacha Polony insiste sur le fait que rien ni personne ne pourra enlever aux victimes leur statut de victime, quel que soit le verdict de ce tribunal.
Il est 19 h 35. L’audience est levée par la Présidente qui informe les parties que le jugement, mis en délibéré, sera rendu le 20 mai à 13h30.
Remerciements
à Olivier Gatera, Aymeric Givord et Raphaël Doridant, dont l’aide s’est révélée particulièrement précieuse pour ces deux verbatims du procès de Natacha Polony.
Erratum
Dans le verbatim de la première journée d’audience, nous avons indiqué par erreur que Madame Espérance Brossard était ancienne présidente de la Communauté rwandaise de France (CRF). Madame Espérance Brossard a été présidente d’Ibuka France, association également plaignante contre Madame Natacha Polony.
[Notes :]
[1] Pour relire le verbatim de la première journée d’audience :
http://afrikarabia.com/wordpress/proces-de-natacha-polony-accusee-de-negationnisme/ [2] Carla Del Ponte, en collaboration avec Chuck Sudetic,
La Traque, les criminels de guerre et moi. Madame la procureure accuse, autobiographie traduite de l’anglais, éd. Héloïse d’Ormesson, Paris, 2009.
[3] Dans l’espoir de briser définitivement le moral de la population allemande et en nouvelles représailles aux bombardements massifs des villes britanniques depuis 1940, les Alliés décidèrent de raser la ville de Dresde par un bombardement colossal mené entre le 13 et le 15 février 1945. Il détruisit presque entièrement la ville d’art allemande à l’aide notamment de bombes incendiaires, de bombes classiques et à retardement. Par la suite, une polémique s’engagea sur une opération qualifiée «
d’extermination de civils » qui ne changeait rien au sort de la guerre. Certains invoquèrent le chiffre de 250 000 victimes. Une évaluation plus sereine les évalue à environ 35 000 morts et des dizaines de milliers de blessés.
[4] Maître Gisagara fait vraisemblablement référence à Florence Hartmann, journaliste, ancienne porte-parole de l’ex-procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie [TPIY] entre 2000 et 2006. Dans son livre
Paix et châtiment, les Guerres secrètes de la politique et de la justice internationales [éd. Flammarion, Paris 2007], Florence Hartmann critique l’action de Carla Del Ponte. La journaliste, accusée d’avoir livré «
en connaissance de cause des informations confidentielles » sur des décisions de la chambre d’appel du TPIY, dans le cadre du procès de Slobodan Milosevic, a été condamnée à une semaine de prison par le Tribunal international. Une sentence qui a indigné l’ensemble de ses confrères. Florence Hartmann a reçu le 10 décembre 2011 le prix des Droits de l’Homme pour l’ensemble de son travail, décerné par le Comité Helsinki de Croatie. Voir notamment :
https://www.liberation.fr/planete/2008/10/27/l-ex-porte-parole-de-carla-del-ponte-jugee-a-la-haye_155775/ [5] Johan Swinnen a publié un livre de témoignage en flamand sur sa mission au Rwanda :
Rwanda Mijn Verhaal, éd. Polis, Bruxelles, 2016. La version française, annoncée, se fait attendre.
[6] Fervent partisan de l’apartheid en Afrique du Sud, le colonel Guy Logiest [1912-1991] avait été envoyé par Bruxelles au Rwanda pour mettre fin aux troubles socio-politiques précédant l’indépendance. De 1959 à 1962, en tant que Résident spécial chargé du maintien de l’ordre, il prit fait et cause pour les intellectuels hutus qui allaient diriger la « révolution sociale », abolir la monarchie, chasser par la violence une partie de la population tutsie et instaurer un régime de ségrégation alors appelée « raciale » puis qualifiée « d’ethnique » contre la composante tutsie de la population. Comme en Afrique du Sud, des quotas ethniques furent méticuleusement pratiqués sur la base d’une carte d’identité mentionnant « l’ethnie » des titulaires : Hutu, Tutsi, « Twa » [pygmées] et « naturalisés ».
[7] Le colonel Léonidas Rusatira, ancien directeur de l’Ecole militaire et ancien directeur de cabinet de Juvénal Habyarimana comme ministre de la Défense, était considéré avec suspicion par les militaires extrémistes des Forces armées rwandaises. Réintégré dans la nouvelle Armée patriotique en décembre 1995, il a fui une seconde fois le Rwanda. Arrêté en 2002 à Bruxelles par le TPIR sur la foi de fausses accusations, il a été relâché sans charges.
[8] Le massacre du 17 octobre 1961 est la répression meurtrière, par la police française aux ordres du préfet de police Maurice Papon, d’une manifestation d’Algériens organisée à Paris par la fédération de France du FLN. Préparée en secret, la manifestation constituait un boycott du couvre-feu nouvellement appliqué aux seuls Maghrébins, dans un scénario de guerre civile et d’apartheid. Alors que les attentats du Front de libération nationale (FLN) frappent les forces de l’ordre depuis plusieurs mois, l’initiative, non déclarée aux autorités, se veut cependant pacifique. Le FLN, qui y voit un moyen d’affirmer sa représentativité, y appelle tous les Algériens, hommes, femmes et enfants, et leur interdit le port d’armes. Les défilés nocturnes sur les grandes artères de la capitale donnent lieu à des affrontements au cours desquels des policiers font feu. La brutalité de la répression, qui se poursuit au-delà de la nuit du 17 dans l’enceinte des centres d’internement, fait plusieurs centaines de blessés et selon toute vraisemblance, quelque 200 morts. Ce massacre sera nié jusqu’à une période récente par les autorités françaises.
[9] D’où de nombreux Algériens ont été précipités dans la Seine par des policiers français et se sont noyés.
[10] Roger Garaudy [1913-2012] était un homme politique, philosophe et écrivain français. De 1933 à 1970, il fut une figure importante du Parti communiste français, dont il sera finalement exclu pour « déviationnisme », avant de frayer avec l’extrême droite. Fils d’un athée, il s’est converti successivement au protestantisme, au catholicisme puis à l’islam. A partir de 1996, il contesta la Shoah, ce qui lui valut d’être condamné le 27 février 1998 pour contestation de crimes contre l’humanité, diffamation raciale et incitation à la haine raciale.
[11] L’adaptation de la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de la presse et ses limites a été introduite par un débat sur une « Question prioritaire de constitutionnalité » [QPC]. Pour en savoir plus sur ce sujet plutôt aride, voir Décision n° 2015-492 QPC du 16 octobre 2015 :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2015/2015492QPC.html Voir aussi :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/08/07/richard-gisagara-en-france-nier-le-genocide-au-rwanda-est-desormais-passible-d-un-an-de-prison_5169556_3212.html [12] Dr Mego Terzian, Président de MSF-France, « Patrick de Saint-Exupéry : un faussaire au Congo » sur le site de Crash, 27 octobre 2021.
[13] Le capitaine Pascal Simbikangwa, un tortionnaire démasqué à Mayotte où il s’était réfugié sous une fausse identité après le 1994, a été condamné le 14 mars 2014, par la Cour d’assises de Paris à 25 ans de réclusion criminelle pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité commis entre avril et juillet 1994 dans le cadre du génocide des Tutsis du Rwanda. Sa peine a été confirmée en appel.
[14] Jean Hatzfeld,
Une saison de machettes, récits, éd. Le Seuil, 2003, couronné par le Prix Femina, Essai la même année.
[15] La plainte de la LICRA a été rejetée pour défaut du paiement de la consignation dans les délais.
[16] Human Rights Watch [HRW], Fédération internationale des ligues des droits de l’homme [FIDH],
Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, éd. française Karthala, Paris, 1999.
[17] Il s’agit de Me Peter Erlinder, un avocat américain arrêté à Kigali en 2010 pour négation du génocide des Tutsis au titre de la loi rwandaise. Il s’était rendu dans la capitale du Rwanda pour défendre Madame Victoire Ingabire, sur qui pesait le même chef d’accusation. Il a été rapidement libéré. Voir :
https://www.france24.com/fr/20100528-arrestation-rwanda-avocat-americain-erlinder-genocide-tutsis