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Son Altesse Sérénissime, le prince Malko, est a priori le seul à pouvoir prétendre avoir découvert le responsable de l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. A la page 249 du livre de Gérard de Villiers, Enquête sur un génocide, son héros, SAS Malko Linge, retrouve en effet «le Blanc» (en l’occurrence un improbable Américain) qui aurait déclenché l’horreur. Bien sûr, c’est un roman, publié en 2000. Mais l’écrivain, aujourd’hui décédé, et ancien des «services», ne s’y était pas trompé : tous les ingrédients étaient là pour concocter un redoutable thriller.
Dans la réalité, le 6 avril 1994, deux missiles lancés dans la nuit étoilée de Kigali, la capitale rwandaise, vont abattre l’avion présidentiel et donner le signal du début du dernier génocide du XXe siècle. Celui, déjà maintes fois annoncé, de la minorité tutsie du pays. Un attentat sensationnel, suivi de l’un des pires massacres de l’époque contemporaine. Il n’a jamais été revendiqué.
Ce mardi, la Cour de cassation française a pour sa part confirmé le non-lieu concernant les seuls inculpés de l’instruction judiciaire déclenchée en France depuis 1998 : neuf hauts responsables du Front patriotique rwandais (FPR), le mouvement de rébellion tutsi qui a arrêté le génocide, accusés pendant plus de vingt ans par la justice française d’avoir tué le président de leur pays. Cette fable enrobée d’une séduction perverse (les représentants des victimes étaient leurs propres bourreaux) a longtemps bénéficié d’un écho considérable dans certains milieux politiques, médiatiques et même universitaires ou humanitaires.
La Cour de cassation rejette ainsi l’ultime pourvoi des parties civiles, parmi lesquelles figure la veuve du président assassiné, elle-même ouvertement soupçonnée de faire partie des instigateurs du génocide par le Conseil d’Etat qui a rejeté sa demande d’asile. La décision confirme l’arrêt de la cour d’appel en 2020 et le non-lieu prononcé en 2018 par les juges de la cellule antiterroriste de Paris.
Mais à l’heure de la clôture officielle du dossier, cette interminable saga judiciaire mériterait d’être inscrite au programme des facs de droit, comme un cas d’école. Tant les manipulations les plus grossières, les faux témoins qui se contredisent ou se rétractent, ont pollué l’enquête dès le départ.
Enquête uniquement à charge
Au départ justement, pèse un étrange silence. Parmi les douze passagers du Falcon 50 de Habyarimana qui revenait d’une conférence régionale à Dar es Salam en Tanzanie, figurent les trois membres de l’équipage, tous Français. Pourtant, de retour en France, la veuve du pilote, Jacky Héraud, est dissuadée de porter plainte, comme le révélera son avocat. Aucune enquête n’est ouverte à Paris.
Une plainte est finalement déposée en août 1997 par la fille d’un des membres de l’équipage. Dans une période soudain marquée par la montée des critiques sur le rôle de la France, allié le plus proche du régime qui a conduit au génocide. Il faudra encore attendre plus d’un an, en octobre 1998, pour que le premier juge antiterroriste, Jean-Louis Bruguière, entame son instruction. Curieux hasard du calendrier, elle démarre au moment même où les parlementaires s’interrogent eux aussi sur l’implication militaire française au Rwanda, à travers la mission d’information parlementaire (MIP).
Pendant près d’une décennie, Bruguière va enquêter uniquement à charge. Négligeant de se rendre au Rwanda où les restes de la carlingue de l’avion sont toujours visibles, juste à côté de la résidence présidentielle, il se précipite en revanche à Arusha, en Tanzanie, où siège alors le Tribunal pénal international pour le Rwanda afin de recueillir les confessions de hauts gradés de l’époque du génocide, qui attendent leurs procès. Il cautionne la légende de missiles retrouvés miraculeusement par les forces armées rwandaises, incriminant le FPR, et dont la photo a été généreusement transmise par le chercheur belge Filip Reyntjens, qui l’aurait lui-même reçue… de Théoneste Bagosora, considéré comme le «cerveau du génocide». La MIP avait, pour sa part, rejeté cette «preuve», jugée peu crédible.
Témoignages douteux
Surtout, Bruguière va s’appuyer sur une dizaine de témoignages d’anciens membres du FPR en rupture de ban pour nourrir son dossier. Et prononcer ses conclusions, via une ordonnance en 2006. Suivie un an plus tard par neuf mandats d’arrêts contre des proches du président Paul Kagame, qui a pris le pouvoir à l’issue du génocide et est toujours en poste. Des accusations qui vont conduire à la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali pendant trois ans. Mais le dossier du juge va s’effondrer.
Le principal témoin clé, le major Abdul Ruzibiza, réfugié en Ouganda suite à une histoire de vol, puis exfiltré en 2003 vers la France par la DGSE, affirme d’abord devant le juge avoir fait partie d’un supposé «Network Commando» qui aurait abattu l’avion. Bien que s’accusant d’avoir participé à l’attentat, il n’est pas inculpé, ressort libre du bureau de Bruguière. Dont l’enquêteur principal, Pierre Payebien (ça ne s’invente pas) facilitera même les démarches de Ruzibiza pour qu’il obtienne l’asile politique en Norvège. Ses révélations «fracassantes» feront même l’objet d’un livre, Rwanda, l’histoire secrète, publié en 2005, et cautionné par deux universitaires français, Claudine Vidal et André Guichaoua. En 2008, deux ans avant son décès, Ruzibiza affirme soudain avoir menti. Il fera à nouveau partiellement volte-face par la suite, mais confessera finalement ne pas avoir été à Kigali le 6 avril 1994.
Les autres témoignages se révéleront tout aussi douteux. Emmanuel Ruzigana contestera le témoignage que Bruguière lui attribue. Rappelant dans une lettre qu’il a été «interpellé à l’aéroport» en mars 2004, puis emmené illico chez le juge, où «mes réponses ont provoqué votre colère et vous m’avez fait sortir du bureau», écrira-t-il. Un troisième transfuge du FPR, Evariste Musoni, refusera de rencontrer le successeur de Bruguière, estimant «avoir déjà assez rendu de services aux services français».
«Complicité de génocide»
Il est vrai que Bruguière s’est assuré pour son enquête de l’appui d’intermédiaires un peu particuliers : pour repérer les éventuels témoins et servir de traducteur, il recrute Fabien Singaye. Chassé de Berne en Suisse en août 1994 sous l’accusation d’espionnage au sein de l’ambassade du Rwanda, il est également le gendre de Félicien Kabuga, considéré comme le «financier du génocide», lequel sera finalement arrêté dans la banlieue parisienne en mai 2020.
Singaye a été présenté à Bruguière par Paul Barril, ex gendarme de l’Elysée, contraint à la démission à la suite du scandale en 1982 des Irlandais de Vincennes. Déjà un montage improbable, où l’on retrouvait (déjà) son ami le juge. Visé depuis 2013 par une enquête pour «complicité de génocide», Barril est dès le départ omniprésent dans l’affaire de l’attentat. Il apparaît dès juin 1994 à la télévision française pour brandir une boîte noire qui se révélera fausse. Il multiplie les accusations contre le FPR, alors même qu’il aurait lui-même signé un contrat avec le gouvernement génocidaire, en pleine période des massacres, pour tenter de stopper la progression des rebelles. Barril, qui a d’abord prétendu s’être trouvé dans la région rwandaise des Grands Lacs, au moment de l’attentat, avant de se dédire, avait commencé à collaborer avec le régime Habyarimana en 1989 sous les auspices de son mentor : François de Grossouvre, conseiller de François Mitterrand, qui s’est suicidé à l’Elysée, le 7 avril, au lendemain de l’attentat.
Un an après avoir délivré son ordonnance, Bruguière quitte ses fonctions pour une éphémère carrière politique. Et contre toute attente, son successeur Marc Trévidic va prendre le contre-pied de l’instruction. En 2010, il se rend au Rwanda, où les relations diplomatiques ont été entre-temps rétablies sous la présidence de Sarkozy. Accompagné d’une équipe d’experts, le juge effectue enfin l’analyse balistique qui manquait au dossier.
Ses conclusions début 2012 sont sans appel : les tirs de missiles sont partis du camp Kanombe où loge la garde présidentielle, proche des faucons du régime. Ceux qui s’opposaient à l’application des accords de paix et de partage du pouvoir avec le FPR, que Habyarimana venait d’accepter de mettre en place, lors de cette ultime réunion à Dar es Salam le 6 avril 1994. De toute évidence, impossible pour le FPR d’accéder au camp Kanombe. Ce sont donc vraisemblablement les ultras du régime qui ont abattu l’avion, comme l’avait déjà suggéré une note de la DGSE le 11 avril 1994.
Epée de Damoclès sur le régime
Trévidic réentend alors certains témoins, effectue des perquisitions au siège de la société de sécurité de Barril, où sera retrouvé le fameux contrat avec le gouvernement génocidaire. Puis il quitte la scène à son tour. Sans jamais avoir reçu certains documents du ministère français de la Défense, dont il demandait la déclassification.
Le 15 février 2014, son successeur, le juge Jean-Marc Herbaut, s’apprête à clore par un non-lieu. Mais de nouveaux témoins ayant miraculeusement retrouvé la mémoire réapparaissent ! Ils se révéleront tout aussi peu crédibles que leurs prédécesseurs, visiblement motivés par la seule urgence d’empêcher la clôture d’une instruction qui maintient une épée de Damoclès sur le régime rwandais, et éviter peut-être aussi de regarder dans une autre direction.
Laquelle s’impose aujourd’hui. Car au-delà de l’extraordinaire opération d’enfumage, certaines manipulations indiquent des pistes évidentes à explorer. Pourquoi les responsables français de l’époque se sont obstinés à accuser le FPR, malgré les notes de la DGSE qui citent même les noms d’officiers rwandais ultras, potentiellement impliqués ? Quid de la boîte noire que les militaires français présents sur les lieux du crash n’auraient curieusement jamais retrouvée – avant qu’une autre boîte noire n’atterrisse dans un placard de l’ONU puis soit identifiée comme celle d’un Concorde ? Qui avait en 1994, les moyens de déposer une telle fausse boîte noire à Kigali en plein génocide ?
En juin 1994, la journaliste belge Colette Braeckman affirmait avoir reçu le témoignage écrit d’un milicien qui mettait en cause deux militaires français. Leurs pseudos ont été identifiés et leurs noms sont connus. Correspondent-ils à Walter Park, le coupable du SAS de Gérard de Villiers ? En réaction au verdict de la Cour de cassation, les avocats du gouvernement rwandais ont pour leur part rappelé que «le génocide a été soigneusement planifié et préparé» par ceux «qui sont vraisemblablement impliqués dans l’attentat contre le Falcon», dénonçant une «procédure à relent politique manifeste».