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Une bien étrange affaire vient de trouver un épilogue -- provisoire ? -- à Bujumbura : un citoyen belge, Jean Coignon, a été condamné à trois ans de prison ferme par la Cour suprême burundaise pour atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat, tandis que quatre hauts fonctionnaires burundais accusés d'avoir participé à la même entreprise de ``déstabilisation'' étaient condamnés à quatre ans de prison ferme chacun. Jean-Joseph Elie Coignon, 49 ans, présenté comme ``détective'', est un homme au passé chargé : cet ingénieur civil de formation n'a pas seulement été lieutenant des pompiers de la ville de Liège, il a longtemps bourlingué en Afrique. On lui a fait la réputation d'avoir effectué des missions pour le compte de la DGSE (les services secrets français) et d'avoir entre autres, tenté de rapatrier vers la République centrafricaine la fortune et les documents déposés dans des coffres suisses par l'ex-empereur Bokassa. Il aurait également été également mêlé, en Angola, à des contacts entre l'Unita et des compagnies pétrolières ainsi qu'à des tentatives de ventes d'armes belges au Burundi, du temps du président Bagaza. En 1994, c'est pour le compte des extrémistes hutus que ``roulait'' l'aventurier liégeois : recruté par l'ambassadeur du Burundi en Belgique, M. Jean Ngendanganya, Jean Coignon avait été chargé d'infiltrer certains milieux d'affaires du Burundi ainsi que l'armée afin de démasquer les partisans d'un éventuel complot contre les institutions démocratiques issues des élections de juin 1993 et de donner des arguments supplémentaires aux partisans d'une intervention étrangère, afin de démanteler l'armée nationale. C'est que durant l'été 1994, au moins autant qu'aujourd'hui, l'atmosphère était tendue au Burundi : le Frodebu, arrivé au pouvoir à la suite des élections, était convaincu du fait que l'assassinat du président Ndadaye, en novembre 1993, n'était que le premier épisode d'un ``coup d'Etat rampant'', et que l'armée, soutenue par des milieux d'affaires essentiellement tutsis, projetait de terminer le travail et de reprendre définitivement le pouvoir. Jean Coignon avait donc été chargé par un membres de la Sûreté burundaise, Déo Ngendahayo, chargé de la sécurité personnelle du président Ntibantunganya, de démasquer les protagonistes de ce ``coup d'Etat rampant''. C'est ainsi que le Liégeois se rendit à Bujumbura dans le but de rencontrer des milieux d'affaires, afin de leur proposer de soutenir une démarche appuyée, disait-il, par l'ex-président Bagaza, et qui aurait rendu le pouvoir à l'armée. Deux événements firent avorter la tentative de provocation : l'un des hommes d'affaires, intrigué par les propos du Belge, prit contact avec d'autres membres de la Sûreté burundaise, qui déclenchèrent une enquête discrète. Et surtout, imprudemment, Coignon lui-même cita Déo Ngendahayo lors d'un incident concernant la réservation de sa chambre d'hôtel, assurant que ce dernier, au nom de la Sûreté burundaise, avait effectué sa réservation et prendrait ses frais en charge. Le secret étant percé, la mission fut éventée par ses commanditaires et Jean Coignon décida de rentrer en Belgique. Il fut arrêté à Bujumbura le 4 juillet au moment de son départ. L'ambassade de Belgique à Bujumbura, passablement embarrassée par cette affaire, n'est pas intervenue officiellement, se contentant de veiller à ce que le Liégeois soit détenu dans des conditions correctes et lui fournissant de la nourriture. Les quatre co-accusés du ``détective'' liégeois sont donc Déo Ngendahayo, chargé de la sécurité des institutions et frère de l'ancien ministre des Affaires étrangères Jean-Marie Ngendahayo, qui démissionna récemment, Anatole Bacamurwanko, premier conseiller à l'ambassade du Burundi à Bruxelles, Festus Ntanyungu, administrateur à la documentation (renseignements généraux) et Jean Ngendanganya, qui était ambassadeur du Burundi à Bruxelles au moment des faits. Ces deux derniers appartiennent aujourd'hui au Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) créé par l'ancien ministre de l'Intérieur Léonard Nyangoma et ils ont rejoint au Zaïre le camp des extrémistes hutus. Ils ont donc été condamnés par contumace. Les accusés ayant déjà été condamnés en première instance le 4 juillet, la Cour suprême s'étant prononcée après appel du Ministère public, aucun recours n'est en principe possible.