Fiche du document numéro 2940

Num
2940
Date
Mardi 3 avril 2007
Amj
Auteur
Fichier
Taille
147218
Pages
4
Sur titre
Génocide : Le 19 avril s'ouvrira à Bruxelles le procès du major Ntuyahaga
Titre
L'assassin des Casques bleus jugé
Sous titre
L'accusation dévoile ses armes. Un récit tragique pour les dix Casques bleus belges et pour le Premier ministre rwandais, assassinés.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le 6 avril 1994, vers 20 h 30, l'avion transportant le président
rwandais, Juvénal Habyarimana, amorce son approche vers l'aéroport de
Kigali. Il ne touchera le sol que sous forme de débris. Atteints par des
tirs de missiles, l'appareil et ses occupants seront anéantis. Le
pouvoir en place repose dès lors sur les épaules d'Agathe
Uwilingiyimana, Premier ministre.

Les troupes des Nations unies, la Minuar, sont placées en alerte rouge.
Et le bataillon belge Kibat est chargé de la protection du Premier
ministre. Dès cet instant aussi, un violent sentiment anti-Belges est
propagé, certains faisant peser sur nos troupes la responsabilité de
l'attentat.

Ces faits seront au centre des débats de la cour d'assises de Bruxelles
dès le 19 avril, pour une période de deux mois. Selon l'acte
d'accusation, colonne vertébrale de ce procès, le major Bernard
Ntuyahaga est poursuivi devant cette Cour pour les assassinats de dix
Casques bleus belges, du Premier ministre, et d'autres civils encore, à
Kigali et à Butare.

Nous vous livrons en primeur le récit des accusations qui pèsent contre
lui (lire ci-contre).

Peu après l'attentat présidentiel, le lieutenant Thierry Lotin est
chargé de la protection du Premier ministre. Dans la nuit, quatre jeeps
comprenant dix hommes tentent de se rendre au domicile d'Agathe
Uwilingiyimana. Sur la route se dressent déjà des barrages de militaires
des FAR (Forces armées rwandaises). Le sentiment anti-Belges est
palpable. La nuit du 6 au 7 avril est chaude. A 5 h 19 du matin, les
premières jeeps arrivées près de la maison du Premier ministre sont
prises sous le feu de blindés. Nos militaires se protègent comme ils le
peuvent. D'autres blindés rwandais arrivent. A 5 h 52, des coups de feu
sont tirés sur la maison d'Agathe. Peu avant 7 h, les Belges veulent se
replier au cantonnement de la Minuar.

Vers 8 h 20, Agathe demande de l'aide ; elle veut s'enfuir par les
jardins. Le lieutenant Lotin signale les risques de suivre le Premier
ministre. Il est convenu de ne pas l'accompagner. Elle cherche refuge
chez un voisin.

Les hommes de Lotin sont encerclés. Un officier rwandais leur enjoint de
rendre les armes et leur promet une protection. Des discussions ont lieu
par radio entre Lotin et ses supérieurs, le lieutenant-colonel Joseph
Dewez et le colonel Luc Marchal. Lotin signale que quatre de ses hommes
sont déjà désarmés et à terre. Les hommes obtempèrent.

Dix Casques bleus belges et cinq autres, ghanéens, sont faits
prisonniers par les FAR et emmenés en minibus vers le camp Kigali. Sur
place, ils sont pris à partie et violemment frappés. A 9 h 06, le
lieutenant Lotin accède au local de l'observateur de l'ONU, il lance un
cri d'alarme sur un réseau téléphonique. Il sait qu'ils vont tous se
faire lyncher...

Ce sera le dernier contact avec les Casques bleus belges.
Quatre de ses hommes périssent effectivement sous les coups, six autres
continuent à résister. Ils se réfugient dans un local annexe. Celui-ci
est pris sous le feu des Rwandais. Un Belge périt. Les FAR font sortir
les Ghanéens et l'observateur de l'ONU. Puis ils massacrent les cinq
Belges restants.

Le major Ntuyahaga est poursuivi pour ces assassinats, étant considéré
comme l'officier rwandais qui a organisé, sinon cautionné, ce massacre.
Des Casques bleus ghanéens ayant survécu signalent que c'est lui qui
conduisait le minibus jusqu'au camp Kigali. L'observateur de l'ONU parle
aussi de militaires commandés par le major Ntuyahaga. On l'accuse
également d'avoir répandu et amplifié la rumeur anti-Belges. Les débats
de la cour d'assises porteront donc sur la responsabilité du major
rwandais dans ce massacre. Lequel nie avoir joué pareil rôle.

Il sera aussi question de lui dans l'assassinat du Premier ministre.
Agathe Uwilingiyimana a réussi à fuir chez un voisin. Des militaires ont
investi sa maison, l'ont pillée, se sont imbibés d'alcool et ont
poursuivi la traque. Agathe et son mari ont été pris et ramenés à leur
résidence. Les militaires tiraient des coups de feu en l'air. Puis
Agathe Uwilingiyimana a été assassinée, chez elle.

Plusieurs témoins signalent que, chez le major Ntuyahaga, c'était la
fête le soir du 7 avril 1994, date du commencement du génocide rwandais
qui fera 800.000 morts en quelques semaines.

Repères



Compétence universelle. En son nom, la Belgique peut juger des faits
qui ne se sont pas produits sur son territoire. Deux autres procès liés
au génocide rwandais se sont donc déjà déroulés.

Premier procès. Il s'est tenu du 17 avril au 8 juin 2001 devant la
cour d'assises de Bruxelles. Il concernait quatre accusés, dits « les
quatre de Butare » : Alphonse Higaniro, Vincent Ntezimana, soeur
Gertrude (Consolata Mukangango) et soeur Maria Kizito (Julienne
Mukabutera). Ils ont respectivement été condamnés à 20, 12, 15 et 12 ans
pour leur participation aux massacres dans la région de Butare (sud).

Deuxième procès. Il s'est tenu à Bruxelles du 9 mai au 29 juin 2005.
Les deux accusés, Etienne Nzabonimana et son demi-frère Samuel
Ndashyikirwa étaient des commerçants de la région de Kibungo (sud-est).
Ils ont prêté main-forte aux tueurs de la région et ont été condamnés à
12 et 10 ans de prison.

Tribunal pénal international. Les acteurs de premier plan du génocide
sont jugés par le TPI à Arusha (Tanzanie). Comme le colonel Théonèste
Bagosora, le major Nzuwonemeye et le capitaine Sagahutu pour
l'assassinat des 10 casques bleus belges.

L'acte d'accusation contre Bernard Ntuyahaga



Dès le 19 avril, Bernard Ntuyahaga devra répondre d'accusations graves,
liées au génocide rwandais de 1994, devant la cour d'assises de Bruxelles.
Le procès devrait durer huit semaines au moins.

La cour sera présidée par Karin Gérard et l'accusation sera soutenue par
le procureur fédéral Philippe Meire.

Le dossier d'instruction atteint quelque 70.000 pages !
Bernard Ntuyahaga est le seul accusé de ce procès. Il a 55 ans et est
détenu en Belgique. Il était major dans l'armée rwandaise à l'époque des
faits, c'est-à-dire entre janvier et juillet 1994.

Il devra répondre de nombreux crimes de droit international humanitaire.
Parmi eux, il y a le meurtre, le 7 avril 1994, des dix Casques bleus
belges en poste à Kigali : Bruno Brassine, Alain Debatty, Christophe
Dupont, Yannick Leroy, Stéphane Lhoir, Thierry Lotin, Bruno Meaux, Louis
Plescia, Christophe Renwa et Marc Uyttebroeck.

Le major Ntuyahaga est aussi poursuivi pour le meurtre du Premier
ministre rwandais de l'époque, Agathe Uwilingiyimana.

Ensuite, d'autres meurtres précis lui sont encore reprochés.
A Kigali, entre le 6 et le 12 avril 1994, ceux d'Emmanuel Nkundabagenzi
et de membres de sa famille ; de Justin Niyongira et de membres de sa
famille ; d'Antoine Ntashamaje et de membres de sa famille ; de Claire
Kayitesi ; et de Solange Uwizeye.

Enfin, l'acte d'accusation retient également d'autres meurtres dans la
préfecture de Kigali, à des dates indéterminées entre le 6 avril et le 6
juin 1994, sur un nombre indéterminé de personnes non identifiées à ce jour.
Et entre le 6 juin et le 5 juillet, sur un nombre indéterminé de
personnes non identifiées, dans la préfecture de Butare (sud du pays).
L'accusation porte encore sur des tentatives de meurtre. Notamment sur
les personnes de Anastase Murumba, Richard Nizeyimana et Claire Uwimana,
à Kigali.

Des témoins clefs, mais pas de politiques



Plusieurs témoins clefs devraient venir témoigner devant la cour
d'assises de Bruxelles, dont les Casques bleus ghanéens qui se
trouvaient avec les Belges quand ils ont été faits prisonniers.
Le colonel Marchal et le lieutenant-colonel Dewez devraient aussi être
convoqués.

Mais il semble par contre qu'on n'entendra pas de témoins politiques de
l'affaire, comme le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Willy
Claes, et son collègue de la Défense, Leo Delcroix.
Un signe de la volonté de ne pas faire de ce troisième « procès Rwanda »
un procès politique.

En 1996,les familles des dix Casques bleus belges assassinés s'étaient
rendues au Rwanda, sur les lieux du massacre, pour honorer la mémoire de
leurs proches.

Photo Belga
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024