Sous titre
En mai 1994, pendant le génocide des Tutsis, le mercenaire Paul Barril, ancien gendarme de l’Élysée, passe avec ses hommes par la base de l’armée de l’air d’Istres, pour aller au Rwanda fournir une assistance au gouvernement génocidaire. L’association Survie demande l’audition de l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées à l’époque, pour faire la lumière sur cette affaire.
Citation
En Mai 1994, alors que le génocide des Tutsis a commencé depuis plus d’un mois, Paul Barril se rend au Rwanda avec plusieurs mercenaires [1] pour fournir une assistance au Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR). Cette prestation, qui consiste à collecter des renseignements, former militairement les forces gouvernementales (FAR) et participer à des opérations militaires, sera officialisée a posteriori par un contrat signé le 28 mai 1994 entre Paul Barril et le Premier ministre du GIR [2].
Il ressort de l’information judiciaire ouverte contre Paul Barril que pour se rendre au Rwanda en Falcon avec ses hommes, l’ancien gendarme de l’Élysée a fait une escale à Istres [3], base de l’armée de l’air française.
Cette révélation soulève des questions cruciales vis-à-vis des plus hautes autorités militaires et politiques, comme le souligne François Crétollier, porte-parole de Survie : « De quelles autorisations a bénéficié Paul Barril pour atterrir sur une base de l’armée, au moment d’aller prêter main-forte aux génocidaires ? Comment ont réagi les autorités françaises suite à ce passage de mercenaires par une base militaire ? Ce passage par Istres établit qu’il est impossible de croire que les mercenaires au Rwanda aient agi dans un cadre privé, sans connaissance et sans aval des autorités françaises [4]. Et surtout, il demeure une question fondamentale : pour quelle raison Paul Barril s’est-il arrêté à Istres ? »
La base aérienne d’Istres (BA125 Istres-Le Tubé) a en effet la particularité d’héberger un Centre d’Essai en Vol (CEV) de Dassault, qui possède tous les moyens technologiques et humains pour effectuer des mesures, configurer et analyser les équipements électroniques d’un avion. Cette escale de Paul Barril le 9 mai pour aller à Kigali [5] est-elle à rapprocher de la découverte quelques jours plus tard dans la capitale rwandaise d’une boite noire de Concorde d’Air France trafiquée [6] ?
C’est pour ces raisons que l’association Survie, partie civile, a demandé à la juge d’instruction [7] d’auditionner l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées au moment des faits, sous la présidence de François Mitterrand.
Contact : Mehdi Derradji : +33 6 52 21 15 61
[1] En mai 1994, Paul Barril part au Rwanda avec deux membres de la famille Habyarimana (Léon Habyarimana et Alphonse Ntirivamunda) et avec ses hommes (Marc Poussard et quatre autres qui resteront sur place : Luc Dupriez, Christophe Meynard, Jean-Marc Souren, Franck Appieto). Un avion Falcon est réservé le 6 mai. Le départ a lieu le 9 mai du Bourget. L’avion fait une courte escale sur la base d’Istres. L’avion arrive le 9 mai à Bangui, puis repart le 11 pour Goma. Les passagers passent le 11 mai au Rwanda, vers Gisenyi, puis Kigali.
[2] Jean Kambanda, condamné à la prison à perpétuité pour génocide par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda).
[3] Alors que l’aéroport civil de Marignane est à proximité immédiate, juste de l’autre côté de l’étang de Berre . C’est à Marignane qu’aurait dû avoir lieu – à supposer qu’elle ait été requise – une escale technique pour un avion privé.
[4] Au contraire, ce passage par une base de l’armée fait écho à la stratégie indirecte proposée du général Quesnot, et aux rencontres Huchon-Rwabalinda (Voir « Le crapuleux destin de Robert-Bernard Martin : Bob Denard et le Rwanda », rapport de l’association Survie, février 2018, p.25).
[5] A une époque où personne d’autre ne se rend au Rwanda.
[6] Une boîte noire est retrouvée le 27 mai par les casques bleus à Kigali, abandonnée à proximité des lieux du crash de l’avion d’Habyarimana – alors que l’accès à ce lieu leur avait été interdit par les FAR jusqu’au 21 mai. Il sera établi qu’il s’agit en fait d’une boîte noire (voice recorder) de Concorde d’Air France. Elle contient un montage d’extraits de conversation entre la tour de contrôle et un appareil sur le tarmac de Kigali. Cette boîte noire « dépos[ée] dans l’herbe à Kigali après l’attentat du 6 avril 1994, alors que la ville est à feu et à sang » pose de nombreuses questions, dont la réponse – comme l’indique le journaliste Patrick de St Exupéry en conclusion de son article – « se trouve à un endroit, un seul : Paris ». (cf. « Le prétendu mystère de la boîte noire du génocide rwandais » Patrick de St Exupéry, Le Monde, 9 avril 2009)
[7] Paul Barril est visé depuis huit ans par une information judiciaire portant sur des faits de complicité de génocide, suite à une plainte en 2013 de Survie, de la Ligue des droits de l’Homme et de la Fédération internationale des droits de l’Homme. Malgré les multiples preuves du soutien apporté par Paul Barril et ses hommes au régime génocidaire, Paul Barril n’a jamais été mis en examen. Aujourd’hui sévèrement atteint par la maladie de Parkinson, les chances de le voir répondre de ses actes devant la justice s’amenuisent. Près de 28 ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, de nombreuses zones d’ombre demeurent sur le recours par les décideurs français de l’époque à des mercenaires.