Il a grandi dans le pays de Lorient (Morbihan), a étudié au lycée Colbert. Son papa, Jean-Pierre, a été maire de Lanester de 1996 à 2001. Depuis juillet dernier, Antoine Anfré est ambassadeur au Rwanda. Marquant le retour d’un représentant de l’État français à Kigali depuis 2015. Une nomination qui ne doit rien au hasard.
Ce jeudi 6 janvier 2022, l’ambassadeur s’est prêté avec sincérité au jeu de questions-réponses avec des élèves du collège Le Coutaller, à Lorient. En classe de 3
e, en vue d’un séjour pédagogique à Paris, ils étudient les génocides au XX
e siècle.
Diplomate junior en Ouganda
Avec l’accent de la vérité, Antoine Anfré s’est livré sur son expérience, son parcours de « diplomate junior », numéro deux de l’ambassade française en Ouganda.
En poste de 1987 à 1991, à Kampala, dans ce grand pays voisin, il a rencontré sur le terrain des réfugiés rwandais. «
Je les entendais parler de pogroms, de racisme anti-Tutsis. » Chaque année, il entendait dire que les Forces patriotiques rwandaises (FPR) allaient revenir au pays pour renverser le régime en place. Celui du président Hutu, Juvénal Habyarimana, que l’État français soutenait via un accord de coopération militaire, sous l’ère Mitterrand.
« Cela aurait pu ne pas avoir lieu »
De retour au Quai d’Orsay, à la direction Afrique, Antoine Anfré a bien prévenu les autorités des dangers qui guettent dans deux notes diplomatiques. Il invitait l’État à «
un changement politique ». Le jeune homme n’est pas entendu. Ses propos ne correspondaient pas à la « doxa » de l’époque.
L’armée française a fait barrage aux FPR et le régime en place, ainsi couvert, a le temps de préparer la « solution finale ». La saison des machettes commence le 7 avril 1994, le génocide fait un million de morts dans le petit pays enclavé, grand comme la Bretagne.
Antoine Anfré apprend le drame alors qu’il a quitté la diplomatie et est en stage préfectoral en Martinique. «
J’ai alors le sentiment d’un gâchis extrême. » L’émotion étreint l’ambassadeur. Il ne peut continuer à parler aux élèves. «
Ce génocide aurait pu ne pas avoir lieu. Par notre action, nous l’avons rendu possible. Nous nous sommes enferrés dans notre positionnement. C’est une tache sur l’Histoire de la République. » Les propos sont forts. Il sait qu’il y a cinq ou six ans, il n’aurait pu les tenir.
« La responsabilité accablante »
Seulement, le rapport de l’historien Duclert est passé par là. Il s’appuie entre autres sur les notes prophétiques d’Antoine Anfré. Le rapport conclut à la «
responsabilité accablante » de la France. Une responsabilité reconnue le 27 mai 2021 par le président Emmanuel Macron, devant le peuple rwandais.
Aujourd’hui, par cette phase de reconnaissance de responsabilité, par le travail mené par la justice y compris dans l’Hexagone, les relations entre les deux pays se sont réchauffées. «
Les deux notes n’avaient pas été écrites pour que je devienne ambassadeur du Rwanda trente ans plus tard, confie-t-il aux collégiens lorientais.
Elles étaient là pour infléchir la politique française. À ma nomination, j’ai eu un sentiment mêlé de satisfaction et d’amertume, conséquence d’un échec. Quand on est au Rwanda, vous ne pouvez participer à un quelconque événement sans que vous ne compreniez que beaucoup de personnes présentes ont perdu toutes leurs familles en 1994. » Il y a presque 28 ans…