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Le Mémorial du génocide, à Kigali, expose des photos privées montrant des milliers de visages de Tutsi et de Hutu massacrés en 1994. © Vincent Fournier/JA
Ces hommes ne sont pas des nobodies. Certains d’entre eux ont laissé leur nom, inscrit en lettres de sang, dans l’histoire du génocide perpétré contre les Tutsi, entre avril et juillet 1994. Si les uns ont été acquittés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), d’autres, condamnés pour leur participation dans le génocide, ont, depuis, purgé leur peine.
Dans un arrêté daté du 27 décembre, que JA a pu consulter, le ministre nigérien de l’Intérieur et de la Décentralisation, Hamadou Adamou Souley, a prononcé leur expulsion du territoire national dans les sept jours suivant sa notification aux intéressés. Les personnes visées par ce texte sont de hauts responsables, civils ou militaires, du régime ayant supervisé le génocide contre les Tutsi.
Protais Zigiranyirazo, frère d’Agathe Habyarimana – la veuve du président assassiné le 6 avril 1994 –, a été condamné par le TPIR à vingt ans de prison en 2008 avant d’être acquitté l’année suivante. Alphonse Nteziryayo, ancien chef de la police militaire rwandaise, qui a été également le préfet de Butare (sud du Rwanda) pendant les dernières semaines du génocide, a écopé de trente ans de prison.
Le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, condamné, lui, à la perpétuité en première instance, en 2008, avait vu sa peine ramenée à quinze ans d’emprisonnement en appel, en décembre 2011. La même peine a été prononcée en 2010 contre le lieutenant-colonel Tharcisse Muvunyi, ancien commandant de l’École des sous-officiers du Rwanda, confirmée en appel en 2011. Innocent Sagahutu, l’ex-numéro deux du Bataillon de reconnaissance (RECCE), a quant à lui été condamné à vingt ans de prison – durée ramenée à quinze ans en appel.
Le major François-Xavier Nzuwonemeye, ex-commandant du bataillon de reconnaissance des ex-Forces armées rwandaises (FAR), a été acquitté en appel. André Ntagerura, ancien ministre des Transports et des Communications du gouvernement génocidaire, a été acquitté. Prosper Mugiraneza, ancien ministre de la Fonction publique, a été condamné à trente ans de réclusion criminelle avant d’être acquitté en appel, en 2013.
Quant à Jérôme Bicamumpaka, ancien ministre des Affaires étrangères du Gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui a coordonné le génocide en 1994, il a été acquitté en première instance comme en appel. S’il est mentionné dans l’accord entre le Mécanisme international (appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux comme le TPIR) et la République du Niger, son nom, en revanche, ne figure pas dans l’arrêté d’expulsion. Selon nos informations, il suivrait un traitement médical à Nairobi, au Kenya, et aurait décliné l’offre d’asile nigérienne.
Ignorance
Que faisaient ces personnes au Niger ? Entre Kigali et Niamey, l’affaire est délicate à démêler. Car des deux côtés, on plaide une part d’ignorance. Au Rwanda, une source officielle résume ainsi la situation : « Il s’agit d’une négociation entre les Nations unies et le gouvernement nigérien à laquelle le gouvernement rwandais n’a pas été associé. » Autrement dit, le Rwanda aurait découvert cette offre d’asile a posteriori, sans avoir pu exprimer ses réserves.
Mais, côté nigérien, selon une source gouvernementale interrogée par JA, on indique que les Nations unies avaient assuré à Niamey que le Rwanda n’en ferait pas un problème. Or, après l’arrivée des intéressés dans le pays, Kigali aurait exprimé son mécontentement. « Nous considérons que l’ONU nous a induits en erreur. C’est donc désormais à elle de leur trouver un point de chute », commente une source officielle nigérienne.
LES INTÉRESSÉS N’AVAIENT PAS PU OBTENIR L’AVAL D’UN PAYS D’ACCUEIL EN RAISON DE LEURS RESPONSABILITÉS PASSÉES
Un bon connaisseur rwandais de ces dossiers judiciaires sensibles livre son éclairage à JA : « La question des personnalités acquittées par le TPIR a toujours été un problème épineux pour le celui-ci. Certains acquittements ont été prononcés il y a très longtemps, comme celui d’André Ntagerura, mais les intéressés n’avaient pu obtenir pour autant l’aval d’un pays d’accueil en raison de leurs responsabilités passées. Ceux qui ont pu rejoindre leur famille – en Belgique notamment – sont une exception. »
À Kigali, on se dit surpris par la négociation engagée entre le Niger et l’ONU à l’insu – affirme-t-on – des autorités rwandaises. « Je ne sais pas comment cette histoire a été négociée avec le Niger ni qui a décidé de tous les accueillir », commente une source diplomatique.
Le 13 décembre, l’ambassadrice du Rwanda à l’ONU, Valentine Rugwabiza, s’était fendue d’une communication officielle adressée à la République du Niger. Après avoir insisté sur la nécessité d’entamer le procès de Félicien Kabuga, le « financier du génocide », arrêté en banlieue parisienne en mai 2020, et sur le besoin d’une coopération internationale afin d’appréhender les génocidaires encore recherchés par la justice internationale, la diplomate en est venue aux faits.
« Le Rwanda se montre surpris »
« Nous prenons acte que ces neuf ressortissants rwandais [elle inclut dans son décompte Jérôme Bicamumpaka] ont été transférés au Niger. Le Rwanda se montre surpris de n’en avoir été prévenu ni par le Mécanisme appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux internationaux [lequel a remplacé lé TPIR depuis 2016] ni par l’État du Niger. […] Nous espérons que le Niger fera le nécessaire afin de s’assurer qu’aucun d’entre eux n’utilisera son territoire pour y conduire des activités subversives susceptibles de contribuer à l’insécurité et à l’instabilité dans la région des Grands Lacs, comme on l’a vu au cours des dernières décennies. Des preuves judiciaires sont en effet disponibles pour démontrer que certains d’entre eux ont conduit de telles activités, même après leur acquittement par l’ex-TPIR. »
Jeune Afrique a pu consulter l’accord conclu le 15 novembre 2021 entre Aboubacar Tambedou, le greffier du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux, et le Nigérien Hassoumi Massoudou, ministre d’État chargé des Affaires étrangères et de la Coopération.
Dans cet accord de 11 articles, la République du Niger s’engageait « à assurer la réinstallation des [neuf] personnes libérées ou acquittées sur le territoire de la République du Niger ». Les frais endossés par le Mécanisme et les obligations faites aux Rwandais concernés sont également visés par le texte. Mais celui-ci aura fait long feu…