Depuis le début des audiences, l’accusé, un homme de 60 ans à l’allure passe-partout, est resté impénétrable et tranquille, même lorsqu’un des témoins l’a exhorté à « dire la vérité » sur son rôle pendant les terribles mois d’avril à juillet 1994 à Kibuye, dans l’ouest du Rwanda.
Ancien chauffeur d’un établissement touristique d’Etat à Kibuye, Claude Muhayimana est jugé pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité, dans ce troisième procès en France lié au génocide des Tutsi du Rwanda, qui a fait plus de 800.000 morts entre avril et juillet 1994.
S’il a bénéficié d’un non lieu partiel pour des faits le mettant en cause directement dans des tueries, il comparaît depuis le 22 novembre pour avoir transporté des miliciens Interahamwe, bras armés du régime génocidaire hutu, sur des lieux de massacre à Kibuye et dans les collines avoisinantes, où des dizaines de milliers de Tutsi ont trouvé la mort dans des conditions abominables.
Plusieurs rescapés, mais aussi des génocidaires condamnés au Rwanda – et interrogés par visio conférence – ont témoigné, lors d’audiences longues et parfois laborieuses, souvent traduites du kinyarwanda, que l’accusé avait transporté, à plusieurs reprises, des miliciens et des gendarmes à bord d’un véhicule Daihatsu bleu. Pas le moindre doute sur l’objectif de ces transports: « Exterminons-les », chantaient les tueurs, en exhibant leurs machettes.
« Je l’ai vu de mes propres yeux »: la phrase est revenue souvent dans la bouche de plusieurs témoins, en dépit de contradictions ou d’imprécisions dans des récits parfois décousus, racontés plus de 27 ans après les faits.
Mais l’un des témoignages les plus dévastateurs pour l’accusé est sans doute venu de son ex-épouse, Médiatrice Musengeyezu, une élégante femme de 55 ans, qui, questionnée sur la personnalité de son ex, a répondu en français: « menteur et manipulateur ».
Elle a répété l’avoir vu transporter des tueurs. « Je ne peux pas affirmer qu’il a été forcé de le faire, il ne m’a jamais dit qu’il a été forcé. Il m’a dit que son travail était de conduire le véhicule », a-t-elle dit, alors que la question de la contrainte (le chauffeur avait été réquisitionné par les autorités) est un argument crucial de la défense.
– Ambiguïtés –
Pour autant, Mme Musengeyezu, elle-même Tutsi, n’a jamais dévié de ses précédentes déclarations prononcées pendant l’enquête: « je n’ai jamais vu Claude tuer quelqu’un », a-t-elle redit.
Et elle a raconté, corroborant d’autres témoignages, que son mari avait caché chez lui des Tutsi, dont des membres de sa famille, décrivant comment il avait acheté le silence d’Interahamwe ayant découvert la présence de deux enfants cachés dans une chambre.
« Claude a fait tout ce qu’il pouvait pour nous, il nous a aidé dans ce qui a fait que nous avons survécu », a raconté en visioconférence depuis Kigali Xavera Musengiyaremye, la tante de l’ex-épouse.
« Honnêtement, il a fait du bien pour moi, car il a caché ma nièce », a dit un autre témoin, Jean-Bosco Nkundunkundiye, qui a toutefois souligné que pendant le génocide, « les gens qui cachent des gens, ils tuent aussi les autres. C’était une attitude généralisée ».
L’ambiguïté de l’accusé s’est esquissée au cours des témoignages.
« A Kibuye, il était quelqu’un de gentil, mais au moment du génocide tout a changé », a ainsi lancé Uzzias Bailleux, 61 ans, Rwandais résidant en France.
Mais pour Spéciose Nirakundo, une femme de ménage de 51 ans, exilée en France depuis 2014, « Monsieur Claude est victime d’une injustice, et je veux qu’il soit rétabli dans ses droits ». « Tel que je le connais, c’est quelqu’un de bien et je ne peux pas l’accuser de faits dont je n’ai pas été témoin », déclare cette ancienne institutrice.
Claude Muhayimana, qui affirme ne pas avoir été à Kibuye aux dates de massacres où il a été vu transportant les tueurs, sera entendu sur le fond à partir de lundi. Le jugement est prévu en fin de semaine prochaine. L’accusé, qui comparaît libre, encourt la réclusion criminelle à perpétuité.