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Les travaux de la conférence panafricaine de l'OUA de septembre 1967 ayant été
assombris par l'agitation entretenue au Kivu par les mercenaires blancs mutinés, le
chef de l'Etat congolais met tout en œuvre pour empêcher les mutins de poursuivre
leurs activités en territoire congolais. Il fait pression sur le gouvernement du Rwanda
pour que ce dernier livre les cent vingt hommes du colonel Schramme. Après la chute
de Bukavu et la reprise du Kivu par l'armée nationale congolaise, les mercenaires,
parmi lesquels une vingtaine de Français, ont en effet trouvé asile en territoire
rwandais. Plusieurs centaines d'anciens gendarmes katangais les accompagnent avec
leurs familles.
M. Grégoire Kayibanda, président de la République du Rwanda, résiste à toutes les
pressions et refuse d'accéder aux désirs du général Mobutu. Tous les efforts de
médiation de l'Organisation de l'Unité africaine échouent. En janvier, Kinshasa rompt
les relations diplomatiques avec le Rwanda.
L'affaire est évoquée à Niamey au cours du « sommet » de l'OCAM et M. Diori
Hamani, président du Niger, déploie des prodiges de diplomatie pour éviter une
brouille ouverte entre le général Mobutu et le président Kayibanda.
En avril, les mercenaires sont rapatriés en Europe après que les gendarmes katangais
ont, les uns regagné le Congo, les autres trouvé asile en Zambie. Le colonel Schramme,
arrêté en Belgique, est mis en liberté provisoire en août.
Après des mois de négociations et de polémiques, les relations diplomatiques entre
Kinshasa et Kigali sont normalisées.
Rapports ambigus avec l'Afrique francophone
Un sérieux rapprochement s'esquisse alors avec l'ensemble des pays d'Afrique
francophone à l'occasion du « sommet » de l'OCAM. Les Congolais, traités avec des
égards particuliers à Niamey, sont sensibles à l'accueil qui leur est réservé. Le voyage
officiel du général Mobutu en Côte d'Ivoire scelle l'union retrouvée. Mais quelques
semaines après la clôture des travaux de la conférence de Niamey — à la surprise
générale — le Congo-Kinshasa se joint au Tchad et à la République Centrafricaine
pour créer les Etats-Unis d'Afrique centrale (EUAC).
La constitution de ce nouveau groupement porte un coup sérieux à l'Union douanière
des Etats de l'Afrique centrale (UDEAC), au sein de laquelle restent groupés le
Congo-Brazzaville, le Cameroun et le Gabon. La charte de l'Organisation, très vite
rebaptisée Union des Etats de l'Afrique centrale (UEAC), est publiée en février à
Kinshasa, signée en avril à Fort-Lamy. Le général Mobutu en devient le premier
président.
Les chancelleries s'interrogent sur les raisons qui ont présidé à la création de ce
nouvel ensemble à la naissance duquel certains affirment que les Etats-Unis
d'Amérique ont présidé. L'intérêt du regroupement ne semble en tout cas pas évident.
Entre deux Etats appartenant à la zone franc et un troisième qui dispose de sa propre
monnaie — le zaïre, — entre deux Etats pauvres et un troisième dont l'économie est
très développée, les chances de coopération paraissent réduites.
La mise en route effective de l'Union douanière soulève des difficultés pratiques
considérables. Brazzaville et Pointe-Noire constituent en effet des exutoires naturels
du Tchad et de la République Centrafricaine. Il faudra des mois pour que Matadi
devienne réellement la porte océane de Fort-Lamy et de Bangui.
En fait, rien de définitif ne semble arrêté. Les trois derniers membres de l'UDEAC
n'ont apparemment pas rompu totalement avec la République Centrafricaine et le
Tchad. Une relance de l'UDEAC reste possible, au prix de quelques aménagements
dont pourraient bénéficier les deux anciens partenaires qui ont décidé de lier leur sort
à celui du Congo-Kinshasa. Aux fêtes marquant le troisième anniversaire de la prise
du pouvoir par le général Mobutu le général Bokassa omet d'ailleurs
intentionnellement de se faire représenter, et entre Bangui et Kinshasa les rapports
semblent déjà en voie de détérioration.
Guet-apens et raison d'État
Avec ses concitoyens, le général Mobutu opte pour une fermeté sans faille. L'exécution
de l'ancien chef rebelle Pierre Mulele ne s'explique pas autrement. Attiré dans un
guet-apens monté à Brazzaville par M. Justin Bomboko, ministre congolais des
affaires étrangères, le chef de la rébellion du Kouilou est jugé, puis fusillé, après un
retour qui devait être marqué par la réconciliation.
Selon les dirigeants de Kinshasa, Pierre Mulele s'apprêtait à reprendre les armes. C'est
ce qu'affirme l'ambassadeur du Congo à Tunis, qui fait état de l'arrestation de cinq
cents mule-listes. La soumission de trente mille rebelles au Kouilou en novembre
tendrait à accréditer cette thèse. Mais le gouvernement qui avait envoyé des troupes
dans cette province après l'élimination de Mulele avait commencé par nier que des
troubles y eussent éclaté.
Un certain mystère plane en fait sur les conditions de la capture de l'homme qui
passait pour l'héritier spirituel de Lumumba. La manière même dont il est mort prête
à controverse. De source privée, certains affirment qu'il a été tué avant que son
jugement ne soit annoncé. Tout ceci suscite de violentes réactions d'hostilité à
l'encontre du général Mobutu, qui ne s'en émeut guère et passe outre aux attaques
personnelles. Le gouvernement de Brazzaville rompt les relations diplomatiques avec
celui de Kinshasa. Le trafic fluvial entre les deux Congos est, une fois de plus,
interrompu.
Au sein même de l'OCAM, d'autres Etats ne cachent pas leur mécontentement. La
réunion du « sommet » de janvier 1969 semble un moment compromise. Il faut que le
secrétaire général de l'OCAM entreprenne une tournée des capitales africaines pour
apaiser les esprits, tandis que M. Bomboko agit de même pour expliquer le point de
vue de son gouvernement. Cette double démarche permet de préserver, une fois de
plus, la cohésion de l'organisation et de triompher de l'épreuve.
Une ferme reprise en main du pays
Dans le cadre de cette politique de fermeté, le chef de l'Etat congolais engage une
épreuve de force avec les étudiants, avec les concussionnaires, avec les politiciens,
qu'il s'agisse de véritables opposants ou simplement d'hommes qui n'approuvent pas
sans réserve sa politique.
En janvier, des étudiants ayant manifesté à l'occasion de la visite à Kinshasa du
vice-président des Etats-Unis, M. Hubert Humphrey, sont l'objet de sanctions. En
février, M. Kanza Dolomingo, président de l'Union générale des étudiants congolais
(UGECO), est arrêté. En juin, les examens d'Etat, équivalents locaux du baccalauréat,
sont annulés. En novembre, des étudiants de Lovanium voient leurs bourses
suspendues.
Les structures du parti gouvernemental, le Mouvement populaire de la révolution
(MPR), sont réorganisées des le début de l'année. En juillet, M. Mungul-Diakha,
ministre de l'éducation nationale, est démis de ses fonctions. En août, deux
remaniements ministériels, à quarante-huit heures d'intervalle, permettent au général
Mobutu d'accroître l'efficacité de l'action qu'il a entreprise.
Certes, en avril, le chef de l'Etat déjoue une conspiration organisée contre lui, ce qui
tendrait à prouver que les nostalgiques du régime civil ne désarment pas. Certes, ici
où là, des assassinats d'Européens ont encore lieu : en mars, des éléments de l'ANC
tuent un planteur français au Kivu, ce qui entraîne la condamnation de deux officiers
dont un lieutenant-colonel ; en octobre, un missionnaire suisse est tué au Katanga.
Mais le Congo de 1968 ne ressemble déjà plus à celui des années 1960-1965. Un
redressement incontestable s'est opéré, comme se plaisent à le souligner les autorités
congolaises elles-mêmes, en novembre, à l'occasion de l'installation de M. Marcel
Lihau, professeur à la faculté de droit de Lovanium, dans ses fonctions de président de
la Cour suprême.
Une nouvelle relance économique
C'est dans le domaine économique que les progrès du régime sont les plus
remarquables. Le général Mobutu, qui procède à une profonde réforme monétaire,
accentue le contrôle de l'Etat sur les grandes entreprises. En janvier, tous les chemins
de fer congolais passent sous direction gouvernementale. En février, trois
administrateurs de la Gecomin, héritière de l'Union minière du Haut-Katanga, sont
arrêtés. Parmi eux se trouvent le président du conseil d'administration,
M. Jean-Baptiste Kibwe. Six ingénieurs suisses, rapidement libérés, sont également
privés de liberté durant quelques jours. En mai, le Gecomin, qui était une société
d'économie mixte, devient société d'Etat. En mars, une vaste opération de police est
entreprise contre les trafiquants de diamants du Kasaï.
Les prix, qui ont décuplé depuis la proclamation de l'indépendance en 1960,
commencent à se stabiliser. Les ruptures de stocks, si fréquentes à Kinshasa au cours
des années 1965 et 1966, ne sont plus qu'un mauvais souvenir.
Le retour à une certaine paix permet la réouverture des marchés à l'intérieur du pays,
le réensemencement des champs, la remise en exploitation des plantations, les
investissements reprennent. Des firmes britanniques, comme les automobiles
Leyland, américaines, comme l'Union Carbide ou la société Panam, s'intéressent à
l'implantation d'industries ou de nouveaux équipements. Tandis que la Zambie
éprouve des difficultés pour maintenir le niveau de sa production de cuivre, le
Congo-Kinshasa accroît la sienne. En novembre, le général Mobutu inaugure à
Kamoto, près de la ville katangaise de Kolwezi, un concentrateur géant qui permettra
de porter de 319 000 à 350 000 tonnes la production congolaise annuelle de minerai
de cuivre.
A l'extérieur de la capitale, la vie reprend à Kisangani (ancienne Stanleyville), ravagée
par les combats de 1964, à Lubumbashi (ancienne Elisabethville). Le port de Matadi
se développe. Le projet hydro-électrique d'Inga est en cours de réalisation.
Simultanément, les sociétés privées belges font une rentrée remarquée tandis que
capitalistes américains et français s'inquiètent d'une « recolonisation » éventuelle
mais ne prennent aucune initiative propre à l'endiguer ou simplement à la
concurrencer.
A la fin de cette année la Belgique, qui compte plus de trois mille coopérants en
service en territoire congolais, reste le principal partenaire de son ancienne colonie.
Aucun autre Etat n'a réellement tenté de prendre la relève des Belges, pas même la
France, qui souhaite cependant jouer un rôle culturel important. La faiblesse actuelle
des moyens financiers du gouvernement français, le manque total d'imagination du
« lobby congolais » en France — nostalgique de l'époque de M. Tshombe —
contraignent les militaires de Kinshasa à se tourner, une fois de plus, vers l'ancienne
métropole.