Citation
15.3.93
Note à l'attention de Michel Rocard
Objet: Le Rwanda
À l'issue de votre intervention au
Colloque organisé par Médecins du Monde, vous m'avez
demandé une note sur le RWANDA. Vous trouverez, ci-
joint, l'analyse que m'a transmis le quai d'Orsay.
Il me semble utile d'attirer votre attention sur les
quelques points suivants :
- le RWANDA connaît l'une des situations
les plus confuses d'Afrique. Trois problèmes se
superposent : Le problème ethnique de l'affrontement
entre les Hutu et les Tutsi; le problème
démocratique, les Hutu majoritaires ayant accaparé
le pouvoir depuis 1959 et le processus d'ouverture
politique engagé par le Président HABYARIMANA en
1990 étant resté des plus limités ; le problème
régional, enfin, l'OUGANDA anglophone soutenant
l'opposition Tutsi contre le régime rwandais
francophone, la communauté rwandaise d'OUGANDA ayant
elle-même largement favorisé l'installation du
régime MUSEVENI.
- La France a de facto relayé la Belgique
au RWANDA il y a une dizaine d'années. Surtout F.
MITTERAND a eu un "coup de coeur" pour HABYARIMANA
en qui il a vu un démocrate potentiel : l'avis
unanime est qu'il s'agit incontestablement d'un
homme "jovial et charmant" (SIC) ; ses sentiments
démocratiques, eux, sont davantage mis en doute.
L'opportunité de notre engagement politique au
RWANDA est très discuté : il n'y a aucun doute que
c'est l'Elysée, et lui seul, qui a pesé en ce sens.
Cela dit, on ne peut nier qu'en nommant en avril
1992, un premier ministre d'opposition, HABYARIMANA
a semblé incarner un espoir démocratique,
aujourd'hui déçu.
- L'envoi de nos troupes au RWANDA, il y a
environ 28 mois, a été décidé par l'Elysée seul.
L'objectif initial était la sécurité des
ressortissants, français et belges, expatriés. Il
est vite devenu le soutien au régime Habyarimana, et
des militaires français ont participé aux opérations
contre les rebelles. Aujourd'hui, la présence
française fait l'unanimité contre elle. C'est
pourquoi Paris vient de demander que le relais soit
pris par des casques bleus dé l'ONU et espère
pouvoir se dégager très vite. La Grande-Bretagne est
réticente et ne nous aide pas beaucoup.
En bref, le RWANDA est un cas compliqué à
la fois par sa situation intérieure et par les
motivations de la politique qu'y mène la France. Il
n'est pas illégitime d'y déceler au moins pour une
part, les traces d'une politique de soutien à un
régime non démocratique même si celui-ci a la
particularité d'avoir incarné, pendant quelques
mois, l'espoir d'un progrès démocratique.
Marisol Touraine
NOTE
A/S POLITIQUE INTERIEURE DU RWANDA
I UN PAYS EN CRISE
L'attaque lancée sur le Rwanda par 4 à 5.000 éléments
armés venus de l'Ouganda le 1er octobre 1990 a plongé ce petit
pays d'Afrique centrale dans la tourmente. Dirigée contre un
régime passant pour modéré, plutôt respectueux des droits de
l'homme et dans l'ensemble soucieux de bonne gestion, l'action des
"Inkotanyi" (nom donné à l'aile combattante du Front patriotique
Rwandais) a surpris les observateurs. Ceux-ci voyaient en effet en
M. HABYARIMANA, Président du Rwanda, un chef d'Etat africain
modéré dont la personnalité contrastait heureusement avec celle de
certains de ses collègues du continent. Pourtant sous une
apparente quiétude, la situation au Rwanda et dans la sous-région
contenait des germes déstabilisateurs, dont la lente maturation
s'est traduite par l'agression du 1er octobre dernier. Le
refus réitéré du gouvernement de Kigali de permettre le retour au
pays de réfugiés dont l'appartenance à la nation rwandaise était
niée, son incapacité à concevoir à temps une politique susceptible
de dépasser les clivages ethniques ont contribué à la formation
d'un abcès aux marches du pays. Cet abcès constitué par la présence
d'au moins 600.000 réfugiés dans les Etats limitrophes et de 7 à 8.000
Banyarwandas (réfugiés rwandais Tutsi) dans les rangs de l'armée ougandaise
a fonc finalement crevé et les dirigeants de Kigali
doivent faire face à la crise la plus sérieuse qu'ait
connue le Rwanda depuis l'indépendance.
Après l'échec de leur offensive éclair, les rebelles
constitués en Front Patriotique Rwandais (FPR) ont changé de
stratégie et abandonnèrent la guerre de positions pour des
opérations de guérilla, menées à partir du sanctuaire ougandais.
Au fil des mois, ils parvinrent à user les Forces Armées
Rwandaises, grâce, notamment, aux soutiens dont ils disposent en
Ouganda (communauté rwandaise d'Ouganda et officiels du régime
MUSEVENI).
II L'EXACERBATION DES ANTAGONISMES ETHNIQUES ET REGIONAUX
Le Rwanda pré-colonial disposait d'une organisation
étatique centralisée fondée sur un monarque aux prérogatives
absolues (le Mwami) et une noblesse Tutsi concentrant
l'essentiel des pouvoirs. La colonisation belge s'accommoda si bien
de cette situation qu'elle s'appuya exclusivement sur les élites Tutsi
pour gouverner le pays. Cependant, à la faveur d'un revirement
d'alliances du colonisateur, les Hutus majoritaires à près de 85%
s'emparèrent du pouvoir en 1959, non sans massacrer quelques milliers
de Tutsi, provoquant ainsi une première vague de départs.
Ce phénomène s'amplifia au cours des années suivantes, notamment à
la suite des massacres inter-ethniques de 1963, 1966 et 1973
Lorsqu'il devint Président consécutivement un coup
d'Etat en 1973, le général HABYARIMANA mit fin aux excès les plus
criants du régime KAYIBANDA. Mais si les persécutions
des Tutsi restés au pays cessèrent ou presque, le nouveau
dirigeant ne remit pas en cause la confiscation du pouvoir par les
Hutu. Au contraire, au contraire, promoteur d'une "politique d'équilibre
ethnique et régionale", fondée sur un système de quotas, il a figé,
voire accentué les clivages ethniques, claniques et régionaux.
Aux divisions entre Hutu et Tutsi et venu se superposer les
divisions entre Bakiga (Hutu du Nord) et Banyanduga (Hutu du Sud},
Puis au sein des Bakiga, entre Bashiru (Hutu de Gisenyi et de
Ruhengeri, au Nord-Ouest) et Hutu du Nord-Est. L'armée, la haute
administration et les entreprises publiques sont ainsi
presque complètement contrôlés par des Hutus originaires des
préfectures de Gisenyi (région natale du Président), Ruhengeri (région natale
de l'épouse du Président) et Byumba, Les conditions étaient donc
réunies pour que l'action armée du FPR à la frontière nord
trouve en écho l'absence de consensus à l'intérieur des frontières du pays.
III UN PROCESSUS D'OUVERTURE ET DE DEMOCRATISATION PORTEUR D'ESPOIR
Depuis le 1er octobre 1990, le président HABYARIMANA a
pris plusieurs mesures allant dans le sens de l'ouverture et de la
démocratisation. Une nouvelle Constitution mettant fin au régime
de parti unique a été promulguée le 10 juin 1991 et la loi du
1er juillet 1991 a consacré l'avènement du multipartisme. Surtout,
en vertu d'un accord conclu entre le pouvoir et l'opposition le
13 mars 1992, le Président HABYARIMANA s'est résolu de 2 avril
dernier à nommer au poste de Premier ministre le candidat que lui
proposait le principal parti d'opposition le Mouvement
Démocratique Républicain (MDR}. Ce parti, qui se veut l'héritier
du MDR-PARMEHUTU (Parti pour l'Emancipation des Hutus de l'ex-
Président KAYIBANDA), rassemble les déçus de la révolution de 1973
qui a porté Juvenal HABYARIMANA au pouvoir. Il est
particulièrement bien implanté dans le Sud du pays et se présente
comme la principale alternative au MRND (Mouvement Républicain
National pour la Démocratie et le Développement), ancien parti
unique. Le MDR a conclu une alliance avec le Parti Libéral
qui regroupe surtout des industriels et des commerçants et qui
passe pour avoir parmi ses membres des personnalités proches du
FPR, et avec le Parti Social Démocrate (PSD), parti de cadres
actif en milieu urbain.
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Ces trois organisations ainsi que le Parti Démocrate Chrétien
(PDC) proche du MRND, participent aux côtés du MRND au
gouvernement qu'est parvenu à former le Premier ministre,
M. DISMAS NSENGJIYAREMYE.
IV. LES NEGOCIATIONS DE PAIX
Le nouveau gouvernement, qui s'est fixé comme priorité de
restaurer durablement la paix et de favoriser la réconciliation
nationale, a pu entamer à Arusha en Tanzanie un dialogue direct
avec le Front Patriotique Rwandais qui s'est concrétisé par la
signature le 22 juillet 1992 d'un accord de cessez-le-feu, la
conclusion le 18 août d'un protocole d'accord relatif à l'Etat de
droit, puis les 30 octobre 1992 et 3 janvier 1993 de protocoles
relatifs à la période de transition transférant la majorité des pouvoirs
du Chef de l'Etat à un gouvernement à base élargie dont la répartition
implique que le Président et son parti n'ont plus
de prise sur la période de transition.
Les négociations devaient reprendre le 25 janvier sur la
formation d'une armée nationale avec intégration d'éléments du FPR
et le problème des réfugiés.
Les résultats des négociations d'Arusha et les
concessions faites au FPR, ainsi que le fait que la Coalition pour
la Défense de la République (CDR, parti extrémiste affilié au
MRND) ait été écartée du pouvoir pendant la période de transition
ont provoqué des tensions politiques très fortes qui se sont
transformées en massacres ethniques dans le Nord-Est du pays.
Ces massacres ont donné au FPR un prétexte pour rompre le
cessez-le-feu par une offensive généralisée le 8 février
qui lui a permis d'avancer jusqu'à quelques 25 Km de
Kigali.
Ce n'est qu'après la réunion de Dar Es Salam du 5 au 7 mars
entre une délégation rwandaise dirigée par le Premier ministre
et le FPR représenté par son président qu'un accord a pu se faire sur
un cessez-le-feu pour le 9 mars à minuit et la reprise
des négociations d'Arusha le 15 mars.
La mise en oeuvre du cessez-le-feu se fait selon des modalités
qui lui lie le retrait des forces françaises présentes au Rwanda.
V. LA FRANCE AU RWANDA
Après l'attaque organisée le 1er octobre 1990 par des éléments armés
en provenance de l'Ouganda, une intervention militaire française
coordonnées avec celle de la Belgique a été lancée pour assurer la sécurité
des ressortissants expatriés.
Cette action a eu un effet dissuasif sur la rébellion.
En outre, s'agissant d'une attaque extérieure menée par des hommes
qui faisaient partie de l'armée d'un pays voisin et qui risquait
de compromettre la stabilité de toute la région des Grands Lacs
la France a été amenée à s'engager et à décider de maintenir sa présence
militaire visant à assurer la sécurité de nos ressortissants
(dont les effectifs ont varié en fonction de la situation et des risques encourus)
et d'apporter un soutien indirect à l'armée rwandaise.
La présence militaire française rassure les populations et c'est également grâce
à cet élément protecteur que nombre d'expatriés peuvent continuer à assumer leurs tâches indispensables à l'économie du pays. Elle reçoit d'ailleurs l'assentiment des partis de l'opposition intérieure.
Le détachement NOROIT s'est en outre avéré un instrument efficace dans le domaine humanitaire que ce soit pour la distribution d'aide alimentaire ou dans le domaine médical.
Parallèlement, il a été clairement indiqué aux autorités rwandaises que notre soutien ne pouvait avoir d'autre objectif que de favoriser la paix et la réconciliation. Nos efforts ont visé à encourager le Rwanda à engager un processus de démocratisation et à négocier avec le FPR.
Face à la gravité de la situation et à la nécessité de parvenir à un réglement politique,
la France appuie l'action engagée par le Rwanda auprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies
qui vise à favoriser le cessez-le-feu et le rétablissement de la paix et de la sécurité dans la région.
La coopération civile française a subi pour sa part certaines entraves liées à la guerre
et à l'insécurité. Elle s'exerce principalement dans l'agriculture, la santé et l'éducation
et a atteint 192 MFF en 1992 avec environ 70 coopérants.