Fiche du document numéro 28433

Num
28433
Date
Jeudi 27 mai 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
149331
Pages
1
Titre
Entre la France et le Rwanda, un long et douloureux chemin vers la réconciliation
Sous titre
À Kigali, Emmanuel Macron espère enfin sceller la normalisation avec le pays des Mille-Collines.
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Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Afrique Jeudi, à l’aube, quand
l’avion présidentiel français touchera
le tarmac de Kigali, une seule
question se posera. Cette visite d’un
président français au Rwanda, la
deuxième seulement depuis le génocide
rwandais, mettra-t-elle un
point final à un quart de siècle de
rapports glaciaux et tendus entre les
deux pays ou ne sera-t-elle qu’une
page de plus dans l’épais dossier
d’une guerre froide non avouée ? La
réponse, Emmanuel Macron la détient,
en partie au moins, en fonction
des paroles qu’il prononcera.
Elles seront pesées une à une, analysées,
décortiquées. Mais une seule
importe vraiment. Le chef de l’État
français prononcera-t-il les excuses
de la nation pour son rôle dans le génocide
des Tutsis qui, au printemps
de 1994, a coûté la vie à plus de
800 000 personnes en cent jours ?
L’Élysée ne tranchait pas ces derniers
jours. « Il ne nous appartient
pas de préempter la parole présidentielle.
» Le président rwandais, Paul
Kagame, fait mine de se désintéresser
de ce point, comme s’il était déjà
passé au-delà. « C’est vraiment à la
France de décider ce qui lui convient le
mieux. La pire des choses (…), c’est de
demander à quiconque de présenter
des excuses ou de faire ceci ou cela »,
a-t-il dit dans une récente interview
à RFI. Dans les faits, Paul Kagame le
sait, ces excuses pourrissent la relation
depuis des décennies. Les États-
Unis l’ont compris il y a déjà longtemps.
En 1998, Bill Clinton s’était
posé sur ce même aéroport et, en
moins de trois heures de visite, avait
demandé pardon au nom des États-
Unis. Dans les années suivantes, la
Belgique, l’ONU et même le Vatican
avaient suivi cette voix. Mais Paris
s’y est toujours refusé jusqu’à présent.
Le discours sera solennel dans
un lieu qui ne l’est pas moins, le Mémorial
du génocide, à Gisozi, où reposent
les dépouilles de 250 000 victimes.
Il a la vaste ambition de
gommer les conséquences de quatre
années d’engagement français au
Rwanda et plus de deux décennies
d’éloignement.
Quand, à l’été 1994, le Front patriotique
rwandais (FPR) prend le pouvoir
à Kigali, la France ne peut
qu’entériner la victoire de son vieil
adversaire. Paul Kagame, leader du
FPR, n’est certes officiellement que
ministre de la Défense mais nul ne
doute qu’il incarne le véritable pouvoir.
Dans la présidence finissante de
François Mitterrand, l’option de l’inviter
au sommet France-Afrique qui
se tient en novembre à Biarritz est
vite écartée. Il s’agit de la première
des nombreuses occasions ratées de
mettre les différends sur la table. À la
tribune, François Mitterrand évoque
bien le Rwanda pour regretter « des
génocides ». Interrogé sur cet étrange
pluriel, l’entourage présidentiel plaide
l’erreur. En réalité, il s’agit de la
première pierre à la théorie sinistre
d’un double génocide, où à celui des
Tutsis par le régime extrémiste hutu
aurait répondu un autre commis cette
fois par les hommes du FPR. Cette
construction intellectuelle mortifère,
rejetée par tous les experts, va
être adoptée par une frange de politiques
et de militaires français comme
une sorte de validation a posteriori
de la politique française. Elle fera des
dégâts considérables dans les relations
franco-rwandaises.
Jacques Chirac, qui ne fait pas
sienne cette théorie, s’installe à
l’Élysée en 1995 et se tient loin du
Rwanda. Le génocide tutsi s’est passé
alors que la France était en pleine
période de cohabitation. Si les socialistes
de François Mitterrand
portent une responsabilité, plusieurs
caciques de la droite alors au
gouvernement pourraient aussi,
dans une moindre mesure, se trouver
impliqués. Paul Kagame, qui à
l’issue d’années de guerre nourrit
un fort ressentiment contre la Fran-
ce en général et contre l’armée
française en particulier, semble lui
aussi peu enclin aux joutes diplomatiques.
Il doit gérer un pays à l’économie
ravagée, aux infrastructures
détruites et à demi vidé de sa population.
L’entrée à Matignon en 1997
de Lionel Jospin ne change d’abord
rien à cette distance fraîche. Au
Quai d’Orsay, la nomination d’Hubert
Védrine fait certes froncer les
sourcils à Kigali. Secrétaire général
de l’Élysée en 1994, il est un fervent
défenseur de la politique française
au Rwanda ; ce qu’il est resté.
C’est la presse qui va remuer le
passé. Dans une série d’enquêtes, Le
Figaro dénonce en 1998 la conduite
française au Rwanda, et précisément
Turquoise, une opération militaire
présentée comme humanitaire
mais dès lors soupçonnée d’avoir
aussi servi à évacuer des génocidaires.
En réaction, Jospin demande la
mise en place d’une mission d’information
parlementaire (MIP), confiée
au député Paul Quilès. Après des semaines
d’auditions, la MIP blanchit
la France de toute responsabilité
dans le génocide, tout en reconnaissant
des « erreurs » et un positionnement
militaire « à la limite de l’engagement
direct ». Ces conclusions,
en forme de jugement de Salomon,
ne satisfont personne.
Au Rwanda, les questions autour
de la France s’accumulent et la pression
monte, se fait intense. La visite
de Paul Kagame à Paris en 2003 ne se
passe bien qu’en façade. Le président
rwandais se fait un malin plaisir
de raconter son précédent séjour en
1991, terminé par une arrestation
musclée et non motivée en pleine
nuit. Un an plus tard, lors des commémorations
des 10 ans du génocide,
la colère rwandaise éclate. Dans
son discours, Paul Kagame fustige,
dans un lourd silence, la France,
ceux « qui ont l’audace de rester là
sans s’excuser » alors qu’ils ont, selon
lui, « armé et entraîné sciemment
les soldats gouvernementaux et les
milices qui allaient commettre un génocide,
alors même qu’ils savaient
qu’ils préparaient ce géno cide ». Renaud
Muselier, qui représente le
gouvernement, écour te sa visite. Ce
clash diplomatique plonge ses racines
dans la justice.
Depuis 1997, une enquête est ouverte
à Paris sur les conditions du
crash, le 6 avril 1994, de l’avion du
président rwandais Juvénal Habyarimana,
attentat considéré comme
le déclencheur du génocide. Elle est
aux mains de Jean-Louis Bruguière,
un juge connu pour ses enquêtes
aussi médiatiquement tonitruantes
que juridiquement critiquables. Le
magistrat semble s’être forgé une
conviction sur pas grand-chose. Le
FPR serait à l’origine de l’attentat,
façon de rendre les Tutsis responsables
de leur propre tragédie. En
2006, le juge rend ses conclusions et
signe neuf mandats d’arrêt contre
des proches du président rwandais.
En réaction, le Rwanda rompt ses
relations diplomatiques. Dans la
foulée, Kigali monte sa propre mission
d’enquête, dirigée par Jean de
Dieu Mucyo, dont l’intitulé ne laisse
que peu de doute sur l’objectif :
« Commission nationale indépendante
chargée de rassembler les
éléments de preuve montrant l’implication
de l’État français dans la
préparation et l’exécution du génocide
». Elle met d’ailleurs très vite
directement en cause treize personnalités
politiques françaises et vingt
militaires. La fracture est totale.
Nicolas Sarkozy récupère en 2007
cette situation déplorable et en fait sa
priorité africaine. Il a conscience,
comme Emmanuel Macron aujourd’hui,
des dégâts causés par cette
brouille sur l’image de la France en
Afrique. Et la tâche ne cesse de
s’agrandir quand Paul Kagame, auréolé
d’une gestion rigoureuse de
son pays et de son redressement
spectaculaire, devient un modèle
pour les oppositions du continent.
Son autoritarisme de plus en plus
évident, son élection avec 95 % des
voix, ses graves entraves aux droits
de l’homme ne semblent pas nuire à
sa réputation enviable de chef. Le
choix pour le Quai d’Orsay de Bernard
Kouchner, notoirement proche
de Paul Kagame, va mettre de l’huile
dans les rouages grippés de la diplomatie.
Les deux chefs d’État se rencontrent
en marge de sommets in-
ternationaux. Le contact se fait et, en
2009, les liens diplomatiques sont
rétablis. Nicolas Sarkozy veut aller
finaliser le réchauffement, en dépit
des pressions de son aile droite vigoureusement
hostile à la main tendue.
En 2010, il se rend au Rwanda,
une première, et visite déjà de Mémorial
de Gisozi. Le parcours dans le
musée, où la France joue le rôle d’accusé,
est rude. Lors d’une conférence
de presse avec son homologue,
Nicolas Sarkozy reconnaît des « erreurs
» et un certain « aveuglement »
français. Mais pas d’ex cuses. « Je suis
allé aussi loin que je pouvais », assurera-
t-il plus tard. Cela ne suffira pas
et la nomination d’Alain Juppé aux
Affaires étrangères en 2011 va rejeter
un froid. Déjà ministre des Affaires
étrangères en 1994, Alain Juppé est
l’un des mis en cause de la commission
Mucyo et n’est pas avare de critiques
vis-à-vis de Kigali.
À son tour élu à l’Élysée, François
Hollande s’empare du casse-tête
rwandais avec prudence. Kigali est
en attente. Car Hollande est lui gêné
par son aile gauche et les gardiens
tatillons de la mémoire de François
Mitterrand. S’il ne reconduit pas
« au Quai » Hubert Védrine – devenu
la bête noire française du pouvoir
rwandais - mais nomme Laurent
Fabius, vierge sur ce dossier, il semble
hésitant. D’autant qu’il a nommé
comme conseiller Afrique une diplomate
certes chevronnée, mais
qui s’était vu refuser comme ambassadrice
au Rwanda six mois auparavant.
Le président français a cependant
une chance. La justice française
s’est reprise. Confiée à un nouveau
magistrat en 2007, Marc Trévidic,
l’enquête a pris une autre voie. En
2012, après des analyses, le juge désigne
plutôt la fraction extrémiste
hutue comme coupable de l’attentat
de 1994 et se montre peu amène avec
les investigations de son prédécesseur.
L’enquête sera définitivement
close par un non-lieu en juillet 2020.
La première rencontre avec Paul
Kagame, encore une fois lors d’un
sommet, se déroule sans heurt. Mais
quelques jours plus tard, dans une
interview à Jeune Afrique, il accuse
de nouveau la France d’avoir participé
à « la préparation du génocide
(…) et son exécution ». La visite de
Christiane Taubira aux cérémonies
des 20 ans du génocide est annulée.
L’année suivante, le nom proposé
comme nouvel ambassadeur de
France au Rwanda est refusé. Comme
le seront les suivants depuis. La
relation franco-rwandaise est retombée
dans l’ornière.
À Kigali, le cinquième président
français à chercher un rapprochement
avec le Rwanda se présente
en héritier de cette longue histoire.
Il le sait et a préparé les choses en
conséquence. Il n’ambitionne rien
de moins qu’une réconciliation
définitive. ■
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024