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C’est au Mémorial du génocide de Kigali, où sont enterrés les restes de plus de 250 000 Tutsi massacrés en 1994, qu’Emmanuel Macron doit prendre la parole, jeudi 27 mai. Deux mois après la publication du rapport de la commission Duclert sur le rôle de la France dans le génocide au Rwanda, la visite du chef de l’Etat s’annonce axée sur les questions mémorielles.
Mais elle devrait également comprendre un volet économie et développement, puisque une petite dizaine d’entreprises françaises seront présentes, ainsi que le directeur général de l’Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux. Celui-ci devrait à cette occasion annoncer le lancement de nouveaux projets au Rwanda, confirmant le grand retour de l’opérateur français dans le pays après des années d’une activité réduite au minimum.
A Kigali, le rapprochement économique a précédé le réchauffement politique, Paris semblant privilégier un terrain neutre, non polémique, pour réparer les liens. « Le Rwanda a eu des performances remarquables ces dernières années et peut être considéré comme une plateforme potentielle de rayonnement économique dans la région », insiste une source diplomatique. Une stratégie gagnant-gagnant puisque de son côté, Kigali cherche à attirer les investissements étrangers et dépend encore beaucoup de l’aide internationale.
Alors que ses bureaux au Rwanda avaient fermé en 1996, l’AFD s’est progressivement réinvestie depuis une visite de Rémy Rioux au président Paul Kagame, en juin 2019. Un an plus tard, deux accords financiers étaient signés, pour la première fois depuis près de trente ans : une enveloppe de près de 40 millions d’euros de prêt à taux réduit pour la lutte contre les effets de la pandémie de Covid-19 et 5,8 millions d’euros sous forme de dons pour un programme de formation professionnelle et d’enseignement du français. Au total, ce sont près de 120 millions d’euros qui ont été engagés dans différentes opérations ces deux dernières années au Rwanda, également dans des secteurs tels que le sport ou l’énergie.
Un complexe culturel ouvert par Vivendi
Le renforcement de la coopération entre les deux pays aurait été discuté lors de la venue de Paul Kagame à Paris, en 2018. Le président rwandais avait alors participé au salon VivaTech, consacré aux nouvelles technologies et à l’innovation, et s’était entretenu avec Emmanuel Macron à l’Elysée. « Ils se sont mis d’accord pour travailler sur des sujets concrets et d’intérêt commun entre les deux pays. Un certain nombre d’engagements ont été pris à cette occasion, qui ont progressivement été mis en place depuis l’arrivée d’un nouveau chargé d’affaires à Kigali », poursuit notre source.
Jérémie Blin, le chargé d’affaires actuellement en poste, était auparavant sous-directeur Afrique centrale au Quai d’Orsay. Il est arrivé dans la capitale rwandaise au cours de l’été 2019 avec une première conseillère, marquant la consolidation du dispositif diplomatique alors que le poste d’ambassadeur est vacant depuis 2015.
Depuis, de grandes entreprises françaises se sont implantées dans le pays. En décembre 2020, Vivendi a par exemple ouvert le complexe culturel CanalOlympia, comprenant une salle de concert et une salle de cinéma, en périphérie de Kigali. Cet investissement, d’un montant de 40 millions d’euros, est le premier du géant français des médias en Afrique de l’Est. Il avait été décidé en 2018, quand l’ancien président Nicolas Sarkozy était venu au Rwanda accompagné de plusieurs responsables du groupe Bolloré. Une autre filiale de Vivendi, GVA, est également entrée sur le marché rwandais des télécommunications, en mars 2020, avec le lancement de CanalBox, qui propose de l’Internet à haut débit.
Enfin, une délégation de BPI France s’est rendue à Kigali l’année dernière afin d’identifier des opportunités pour les entreprises françaises. Dans la foulée, la banque publique d’investissement a signé un mémorandum d’entente avec Rwanda Finance Limited, une entreprise entièrement détenue par le gouvernement rwandais et ayant pour but de faire du pays un centre financier international.
Le silence de la France sur les droits humains
L’équipe de l’ambassade de France apparaît régulièrement sur différents projets ou inaugurations liées aux activités d’entreprises françaises ou à des projets culturels et sportifs, mais reste publiquement très réservée sur les sujets polémiques.
« La France est totalement silencieuse sur tout aspect relatif aux droits humains au Rwanda », lâche Clément Boursin, responsable des programmes Afrique au sein de l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) : « Il n’y a pas eu une seule déclaration sur la mort suspecte, en cellule, du chanteur de gospel Kizito Mihigo, en février 2020. Même pas pour exprimer une préoccupation ou une inquiétude, tandis qu’il y a eu des réactions du côté des Américains et des Britanniques. »
Début 2021, Clément Boursin avait également souligné, lors du vote à la quasi-unanimité de la résolution du Parlement européen en faveur de Paul Rusesabagina, un opposant rwandais arrêté et jugé à Kigali pour terrorisme, que de nombreux abstentionnistes appartenaient au parti présidentiel La République en marche (LRM).
« On défend mieux ses principes et ses objectifs quand on a une relation normalisée avec le pays », estime-t-on cependant dans l’entourage du président français, alors qu’Emmanuel Macron devrait proposer de nommer un nouvel ambassadeur lors de son voyage à Kigali.
Laure Broulard (Kigali, correspondance)