Fiche du document numéro 28349

Num
28349
Date
Dimanche 16 mai 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
35847
Pages
4
Urlorg
Sur titre
Heures sombres
Titre
Rwanda : Kagame, l’ancien « ennemi », en visite à Paris
Sous titre
La visite du président rwandais en France confirme le réchauffement souhaité désormais par l’Elysée. A cette occasion, «Libération» publie de nouveaux témoignages sur la présence de militaires français aux côtés des forces génocidaires opposées à Kagame.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il s’était réveillé, un flingue pointé sur lui dans une chambre de l’hôtel Hilton de l’avenue de Suffren à Paris. Paul Kagame n’a pas dû oublier cette arrestation rocambolesque en septembre 1991, alors qu’il était à l’époque le chef d’une rébellion officiellement invité par la France. Il passera alors une journée dans un commissariat avant d’être relâché. Trente ans plus tard, c’est évidemment dans un autre contexte que l’actuel président du Rwanda arrive à Paris ce week-end. Pour assister à deux sommets en début de semaine : sur le Soudan, lundi. Puis celui consacré aux économies africaines, mardi.

Agé de 63 ans, souvent accusé de diriger d’une main de fer son pays depuis plus de vingt ans, mais tout autant admiré pour avoir réconcilié son pays et l’avoir fait renaître de ses cendres, l’homme fort du Rwanda suscite toujours des réactions passionnelles. Surtout, il fut longtemps la bête noire des autorités françaises qui soutenaient le régime précédent, celui du président Juvénal Habyarimana.

«Tous vos proches seront tués»



Paris négligera alors tous les avertissements sur cet engagement compromettant aux côtés d’un pouvoir raciste qui multipliait déjà les massacres contre la minorité tutsie du pays, tout en combattant une rébellion dirigée par Kagame et constituée de réfugiés tutsis victimes de pogroms antérieurs. Bien au contraire, le soutien militaire français ne cessera de s’accroître jusqu’au génocide des Tutsis en 1994.

En 1991, à la veille de son arrestation, Kagame avait été reçu par Paul Dijoud, alors à la tête des Affaires africaines et malgaches au Quai d’Orsay. Lequel l’avait averti : «Vous êtes de bons combattants. Mais si vous prenez un jour Kigali, tous vos proches seront tués.» Etrange menace prophétique qui s’est révélée exacte. En 1994, la communauté internationale abandonne le Rwanda et, seul, le Front patriotique rwandais (FPR) de Kagame parviendra à arrêter les massacres, en reprenant les armes contre les chefs d’orchestre du génocide. Mais Paris ne renoncera pas pour autant à soutenir les forces génocidaires. Même après leur défaite, que l’opération Turquoise, déclenchée in extremis en juin, ne pourra empêcher. Regroupé de l’autre côté de la frontière, au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo, RDC), le régime qui a orchestré le génocide aurait continué à bénéficier du soutien français.

A Kigali, Libération a ainsi recueilli le témoignage de Richard Mugenzi, chargé des écoutes au QG du renseignement rwandais avant et pendant le génocide. Lui aussi va s’enfuir au Zaïre. Il affirme aujourd’hui y avoir vu un officier français, qu’il connaissait pour l’avoir croisé plusieurs fois à Kigali au camp de Kanombe qui abritait la garde présidentielle et où cet officier formait des troupes d’élite. «Après notre fuite au Zaïre, nous avions installé un nouveau QG près du lac Vert. Il est venu nous voir, habillé en civil. Mes supérieurs m’ont expliqué qu’il voulait nous aider à reconquérir le Rwanda», souligne Richard Mugenzi. Bien sûr, aucune preuve ne vient attester sa parole. Et c’est pour cette raison que Libération ne révèle pas le nom de cet officier.

Un certain «Carlos»



Mais la présence de militaires français aux côtés de l’ex-armée rwandaise, a également été confirmée à Libération par le général Paul Rwarakabije, ancien commandant opérationnel de la gendarmerie avant et pendant le génocide, mais qui n’a pas été impliqué dans les massacres. Ce sexagénaire aujourd’hui à la retraite s’est retrouvé au Zaïre, puis prendra la tête d’une rébellion contre Kigali, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) avant de rentrer au Rwanda en 2003 : «J’ai vu durant l’été 1994, juste après notre défaite, le général français que je connaissais, dans le camp de Mugunga à Goma, au Zaïre, où nous étions installés. Il se faisait alors appeler “Carlos”. Lui comme d’autres, dont je ne connais pas le nom en revanche, venaient nous voir pour nous aider à établir une stratégie pour reprendre le pouvoir au Rwanda. C’était clair pour tout le monde», affirme-t-il aujourd’hui.

Aider l’ex-armée rwandaise à reprendre le pouvoir au Rwanda ? Même au risque de voir les massacres recommencer ? Ces initiatives n’ont pas abouti, même si pendant deux ans, jusqu’en 1996, les incursions meurtrières depuis le Zaïre ont fragilisé le Rwanda désormais dirigé par le FPR.

Si Kagame a cristallisé autant de haine chez les anciens responsables politiques et militaires français, c’est justement pour avoir mené une rébellion qui saura résister à toutes les tentatives de déstabilisation menées par un pays membre du Conseil de sécurité : la France, engagée dans une guerre en partie secrète. Deux rapports publiés successivement à Paris et à Kigali, fin mars et mi-avril, ont tenté de lever les parts d’ombre de cette histoire franco-rwandaise. Mais ni le rapport Duclert, en France, ni le rapport Muse, à Kigali, n’évoque les affrontements directs qui ont pourtant bien eu lieu entre les troupes françaises de l’opération Turquoise et celles du FPR dirigé par Kagame.

«Guerre civile»



Reste que l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, a permis d’amorcer un rapprochement, que seul parmi ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy avait tenté d’amorcer. Lors de sa visite à Paris cette semaine, Kagame devrait rencontrer Macron en tête à tête. Et une visite historique du président français à Kigali est déjà prévue, en principe le 27 mai. En établissant des «responsabilités lourdes et accablantes» pour la France au Rwanda, le rapport de la commission Duclert, malgré ses lacunes, a été l’un des jalons de cette réconciliation. Mais la vérité historique face à ce passé douloureux a encore parfois du mal à s’imposer aux yeux des anciens dirigeants français de l’époque.

Pour preuve, l’interview publiée jeudi d’Edouard Balladur dans l’hebdomadaire Paris Match. L’ancien Premier ministre au moment du génocide continue de qualifier le génocide de «guerre civile». Et prétend avoir vu lors d’une brève visite au Rwanda pendant l’opération Turquoise, autant de victimes Tutsis que Hutus. On se demande bien comment il a pu les distinguer, mais ces propos s’apparentent à du négationnisme, alors qu’il n’y a qu’«un seul génocide, celui des Tutsis du Rwanda», comme l’a rappelé récemment Nicolas Sarkozy.

«Quel pays a autant fait que la France au Rwanda ?» interroge également Balladur, reprenant une vieille rengaine brandie par de nombreux responsables politiques de l’époque. C’est peut-être justement le problème : ce qui a pu être fait, en soutien à un régime génocidaire. Et jusqu’à quel point ? Avec la troisième visite de Kagame à Paris et celle annoncée de Macron à Kigali, une page semble se tourner. Reste qu’elle n’a pas encore été complètement écrite. Ni admise aux yeux de tous.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024