Fiche du document numéro 2834

Num
2834
Date
Vendredi 17 juin 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
21987
Pages
3
Titre
L'avion rwandais abattu par deux Français ?
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Exclusif: une piste sérieuse à propos de l'attentat meurtrier qui a
déclenché la tragédie. Paris dément. Des informations nous sont
parvenues mettant en cause deux militaires français dans l'attentat
contre l'avion du président Habyarimana, le 6 avril.

Un témoignage venant de Kigali, qui rejoint sur certains points l'état
actuel de l'enquête menée en Belgique par l'auditorat militaire et qui
recoupe d'autres informations en notre possession, assure que l'avion
dans lequel se trouvaient le président Habyarimana et son collègue
burundais Cyprien Ntaryamira aurait été abattu par deux militaires
français du Dami (Détachement d'assistance militaire à l'instruction),
au service des CDR. Les CDR (Coalition pour la défense de la
République) sont les ultras du Hutu Power accusés d'avoir pris la tête
des massacres ultérieurs. Ce sont des militaires français membres du
Dami qui, jusqu'en décembre dernier, étaient restés à Kigali avant de
céder la place aux Casques bleus de la Minuar, dont 450 para-commandos
belges. Certains membres du Dami ont cependant été vus à nouveau à
Kigali dès février. Le témoignage précise que ces deux militaires
français auraient mis des uniformes belges pour quitter l'endroit et
être vus par deux soldats de la garde nationale. D'où l'accusation
formelle, réitérée du côté rwandais, contre les Belges de la Minuar,
qui étaient effectivement présents à l'aéroport. Seuls quatre
responsables des CDR auraient été au courant de ce complot contre
l'avion du président Habyarimana. Ce témoignage rejoint d'autres
informations, recueillies aussi bien au Rwanda lors de l'évacuation
des expatriés qu'à Bruxelles, où se poursuit l'enquête de l'auditorat
militaire ouverte à la suite de la mort de dix para-commandos belges.
Il apparaît presque certain désormais que l'avion a été abattu par un
missile portable, vraisemblablement un SAM d'origine soviétique, de la
série Strela. De tels engins ne sont pas rares en Afrique, on les
trouve en Ouganda, mais également en Angola, et d'autres, venant
d'Europe de l'Est, ont été vendus sur les marchés privés. Cependant,
de l'avis de tous les coopérants et observateurs, belges et étrangers,
il est hors de question que les deux tirs de roquette qui ont abattu
l'avion aient pu être l'oeuvre de militaires rwandais: ces derniers
n'ont jamais été formés à ce type d'exercice. L'hypothèse la plus
souvent retenue jusqu'à présent était celle de « mercenaires » non
identifiés. Il apparaît aussi - et nous l'avons constaté sur place -
que le tir est parti du lieudit Massaka, situé à l'arrière du camp
militaire de Kanombe, où se trouvait la garde présidentielle. Dans les
trois jours qui ont suivi l'attentat, tous les témoins éventuels ont
été liquidés. Plus de 3.000 personnes ont ainsi été éliminées aux
alentours de Massaka par les paras rwandais du camp de
Kanombe. Comment les auteurs du tir auraient-ils pu se procurer des
uniformes de paras belges? Le plus simplement du monde, apparemment:
les Casques bleus belges avaient l'habitude de donner leur linge à
laver à l'hôtel Méridien et ils se sont souvent étonnés que des pièces
de leurs uniformes disparaissaient...


D'autres indices apparaissent troublants aux enquêteurs, comme, par
exemple, le fait qu'alors que l'avion venant de Dar-es-Salaam se
rapprochait de Kigali, la tour de contrôle ait, à plusieurs reprises,
demandé qui se trouvait à bord de l'appareil, s'informant notamment de
la présence du président burundais. Il faut cependant relever que
l'équipage de l'avion était français et que le major Jacky Héraud, le
colonel Jean-Pierre Minaberry et l'adjudant-chef Jean-Marie Perrinne,
mécanicien de bord, ont péri.


Cette éventuelle implication de deux militaires français dans
l'attentat contre l'avion du président Habyarimana suscite des
questions essentielles: Dans quel cadre auraient-ils agi? Ont-ils
opéré en mercenaires? Quelle aurait été la motivation d'un tel acte,
qui déclencha les tueries, plongeant le Rwanda dans une tragédie sans
précédent? Dans l'état actuel des informations, il est pratiquement
acquis que le président rwandais, qui était soumis à une forte
pression pour accepter les accords d'Arusha, avait finalement cédé
lors de la réunion organisée à Dar-es-Salaam par le président
tanzanien Mwinyi et s'apprêtait, à Kigali, à prononcer à la radio une
allocution annonçant la constitution d'un gouvernement de transition à
base élargie, dont cinq ministres du Front patriotique devaient faire
partie. Cette application des accords d'Arusha mécontentait les « durs
 » du régime, qui avaient préparé l'élimination du président en cas de
faiblesse de sa part.

On s'est demandé aussi jusqu'à quel point la famille du président, et
plus précisément sa belle-famille, était informée de ces projets des
ultras. Il semble qu'elle n'était pas au courant.

PARIS: « ABSURDE »



La France, en tout cas, a immédiatement réagi. Le Quai d'Orsay a
estimé que l'allégation du « Soir » est absurde, ajoutant que d'autres
rumeurs impliquant d'autres pays ont déjà circulé sans plus de
fondements. Il est inadmissible que l'on mette en cause la France dans
cet attentat, a pour sa part déclaré le ministre français de la
Coopération, Michel Roussin.

COLETTE BRAECKMAN

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