Citation
Introduction, par Emmanuel Faye
La dernière séance du séminaire revêt une dimension exceptionnelle. Elle est en effet consacrée à un événement qui ne semble pas de prime abord lié au thème du séminaire mais demeure néanmoins incontournable pour notre réflexion : le génocide des Tutsi au Rwanda, perpétré entre le 7 avril et le 17 juillet 1994, lequel a fait en trois mois plus de 800 000 victimes dans un pays qui comptait alors moins de 8 millions d’habitants. Pour conduire et éclairer nos interrogations sur les causes historiques, idéologiques et politiques qui ont rendu possible le génocide des Tutsi en 1994, sont intervenus Félicité Lyamukuru et Jacques Morel.
Rwanda 1994, un génocide « chrétien » et « démocratique », par Jacques Morel (CNRS)
Jacques Morel, ingénieur retraité du CNRS, est l’auteur d’une somme de référence de plus de 1 500 pages intitulée La France au cœur du génocide des Tutsi (L’esprit frappeur, 2010). Alors que deux rapports viennent d’être publiés sur les responsabilités de l’État français dans le soutien apporté au gouvernement génocidaire, les travaux de Jacques Morel continuent de compter parmi les plus approfondis et les mieux documentés sur ce sujet. Ils sont remarquables par la méthode, toujours référée à des documents d’archive et à des témoignages précisément présentés et analysés. Le lecteur peut ainsi pas à pas, à la lecture de ces documents, se former de lui-même une compréhension toujours plus complète de la question. L’ouvrage est en outre régulièrement corrigé et mis à jour sur le site personnel de l’auteur : http://francegenocidetutsi.org/
Témoignage de Félicité Lyamukuru, Présidente d’IBUKA Belgique et rescapée du génocide des Tutsi
Félicité Lyamukuru, rescapée du génocide des Tutsi, est présidente d’Ibuka Belgique et auteur avec Nathalie Caprioli d’un précieux livre de témoignage et de réflexion, L’ouragan a frappé Nyundo (éditions du Cerisier, 2018). Dans son intervention, Félicité Lyamukuru montre notamment comment les Tutsi du Rwanda ont été, en avril 1994, pris au piège de leur confiance dans les missions religieuses, les églises et les cathédrales comme lieux de refuge lors des véritables pogroms dont il avaient été régulièrement victimes, notamment lors des massacres de 1992 au nord du Rwanda. En 2015, elle a eu le courage d’aller interroger à Kigali les tueurs en prison.
Discussion générale
Si le témoignage des rescapés nous confronte à l’atrocité humaine de la réalité à laquelle renvoie le terme de génocide, les documents écrits sont également indispensables pour reconstituer l’enchaînement des faits, établir les causes et les responsabilités. Formulons donc deux souhaits :
- que la possibilité soit donnée à Jacques Morel de publier une édition actualisée de son livre aujourd’hui épuisé ;
- que, soutenant le travail de mémoire courageusement entrepris par des rescapés du génocide comme Félicité Lyamukuru, la France s’achemine vers la création et le financement d’un Mémorial du génocide des Tutsi qui, comme le Mémorial de la Shoah, soit un lieu de recherche et d’enseignement, de mémoire et de recueillement, afin que l’on n’oublie pas ce qui a été accompli, les responsabilités qui ont été engagées, et que les consciences soient suffisamment averties et moralement armées pour prévenir de nouveaux génocides.