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Alors que le rapport sur l'engagement militaire au Rwanda, dans le cadre de l'opération Turquoise de 1990 à 1994, a été remis à Emmanuel Macron, le Haut-Savoyard Alain Daguzan, ancien militaire et actuel grand maître des cérémonies commémoratives à Évian et Publier, témoigne.
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Le Haut-Savoyard Alain Daguzan n'oubliera jamais les scènes d'horreur qu'il a vues au Rwanda. Lors du génocide des Tutsis par les Hutus, deux peuples du pays, il est sergent-chef et dirige la troisième section de combat du 3e régiment d'infanterie de marine, basé à Vannes et commandé par le capitaine Lecointre (qui deviendra général dans le futur). En mission au Gabon depuis avril 1994, son unité est mise en alerte en juin et transportée début juillet au Rwanda.
Sur place, les militaires français découvrent un pays magnifique avec de belles maisons. « On a même été accueilli avec des petits drapeaux tricolores par la population locale », se souvient Alain Daguzan. Des scènes de liesse populaire et de joie qui masquent une réalité bien plus atroce. À ce moment-là, tout semble calme. Le sergent-chef Daguzan et ses camarades sont loin de s'imaginer ce qui vient de se passer dans le pays.
« Des bras, des têtes et des parties de corps humains »
En route pour leur zone d'affectation, ils font une halte au stade de Kibuyé. « À peine descendus des véhicules, on a découvert des cheveux et des dents sur la pelouse du terrain de foot. On a ensuite été incommodés par des odeurs de putréfaction qui provenaient de sortes de fosses communes faites à la hâte, d'où émergeaient des bras, des têtes et des parties de corps humains. Malgré la chaleur accablante, ça a refroidi tout le monde », s'émeut Alain Daguzan, encore meurtri.
Une première rencontre avec l'enfer qui allait devenir son quotidien pendant ces semaines dans cette zone. « Des cadavres partout, tout le temps ! », s'exclame l'ancien militaire. Et de replonger dans ses douloureux souvenirs : « Lors d'un bivouac installé de nuit, on s'était disposé en cercle pour faire face à une éventuelle attaque. Ce n'est qu'au réveil, avec le lever du jour, que je me suis rendu compte que j'avais dormi à côté du cadavre d'une femme ». Un corps avec le crâne défoncé, témoin de la violence du décès, et dont les sous-vêtements, emportés par le vent et retenus non loin de là par les branches d'un buisson, indiquaient qu'elle avait été violée avant d'être tuée.
Trois ans de psychiatrie pour tenter de se reconstruire
Dix mois après le Rwanda, direction Sarajevo avec les Casques bleus de l'ONU. Une mission qui gommera un temps l'épisode rwandais. « Dans les Balkans, c'est notre mort que l'on voyait et non plus celle des autres », rappelle Alain Daguzan, en évoquant les seize Casques bleus français tués lors du conflit en 1995.
« Puis, en 2009, un tiroir s'est rouvert dans ma tête et le Rwanda a ressurgi. Un nouvel enfer », s'émeut le Publiérain. Pour retrouver une vie apaisée, Alain Daguzan suit durant trois ans un lourd traitement en psychiatrie à l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce à Paris.
Et aujourd'hui ? « Avec le temps, les choses passent mais les images du Rwanda, ça me restera à vie. On a fait ce qu'on a pu avec ce que l'on avait, mais on l'a fait avec courage et honnêteté »
Débarqués au Rwanda à l'été 1994, Alain Daguzan et ses camarades ont pour mission de sauver les Tutsis rescapés mais aussi des Hutus modérés. « La trentaine de femmes et d'enfants qu'on a sauvés avec la section ont été transférés dans un camp géré par l'armée sénégalaise », se remémore-t-il.
Cette zone humanitaire sécurisée, créée dans la partie ouest du pays avec l'ONU, était destinée à recueillir les centaines de milliers de Hutus qui fuyaient les exactions du Front patriotique rwandais et d'essayer de les fixer sur place. Une mission impossible pour les 40 soldats de la section, dans l'incapacité de retenir les fuyards, dont la peur était plus forte que la raison. Des mouvements de panique collective lors desquels les Hutus en fuite ont pris la direction du Zaïre voisin, au nord du lac Kivu.
Un exode qui sera finalement une double peine en raison du choléra, qui provoquera à nouveau des milliers de morts. Leurs cadavres, déposés le long de la route sur près de 30 km d'un terrain aride et volcanique, seront ramassés par les soldats français, qui les enterreront dans des fosses communes.
« Ce génocide n'est que le prolongement de massacres perpétrés depuis des décennies dans les deux camps, alimentés par des guerres de tribus. Les Tutsis avaient massacré les Hutus au Burundi quelques années auparavant », poursuit-il.
Et de conclure : « Au final, c'est tout à l'honneur de la France d'avoir, seule, tenté de faire quelque chose, bien que l'essentiel des massacres avait déjà eu lieu avant notre arrivée ».