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L’attente, après les polémiques. Le rapport de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis (1990-1994), présidé par l’historien Vincent Duclert, doit être rendu public vendredi 26 mars.
Ses conclusions, comme l’accès aux documents consultés à titre exceptionnel par cette dizaine de chercheurs, devraient permettre à la critique scientifique de s’exercer, et à l’histoire de continuer à s’écrire.
Vivement critiqué, notamment pour l’absence de spécialistes du génocide de 1994, Vincent Duclert attend « d’être jugé aux résultats ». Une curiosité prudente domine parmi le petit milieu des historiens académiques travaillant sur ces massacres qui, en cent jours, firent un million de victimes.
« Peu de chercheurs pour un sujet immense », résume l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, spécialiste de la Grande Guerre, percuté par l’événement lors d’un voyage au Rwanda en 2008. Trop tard pour devenir « un chercheur de première ligne », mais assez tôt pour se faire « passeur » et « favoriser l’émergence de recherches, sur un sujet dont on discutera encore dans un siècle, poursuit-il. Malgré les obstacles, en dernière instance, c’est la recherche qui tracera le chemin vers la vérité ».
Nouvelle génération sur le terrain
Depuis les années 2010, une génération d’historiens, souvent nés après le génocide, poursuit des recherches sur les archives rwandaises et au plus près du terrain. « Ce renouvellement générationnel change le rapport à l’événement, souligne Hélène Dumas, qui a travaillé sur les témoignages devant les tribunaux Gacaca ou des cahiers d’écoliers. Le génocide est central dans les recherches françaises, alors que les Anglo-Saxons s’intéressent surtout à l’État post-génocide. »
Mais les forces manquent. « Les enquêtes sont difficiles, tant du point de vue psychologique que logistique, et au Rwanda, nous croulons sous des monceaux d’archives ! » L’ouverture des fonds français aura peu d’influence sur ses travaux, comme sur ceux consacrés à la politique de mémoire au Rwanda ou encore aux femmes génocidaires. Elle cessera de décourager les étudiants souhaitant travailler sur l’implication française.
Génocide et rôle de la France, une seule histoire
Lui a relevé le défi. Depuis 2008, François Robinet travaille sur l’histoire des relations franco-rwandaises de 1974 à 1994 et sur les controverses autour du rôle de la France. Face aux écrits émanant de journalistes ou de militants, il voulait prouver la « capacité des historiens à apporter une réponse ». Convaincu que l’histoire du génocide et celle de l’implication française constituent « des dimensions poreuses, qu’il faut entrecroiser ».
Dérogations, fonds privés, archives des ONG ou rwandaises, il a construit un corpus selon les normes de la discipline, et reste très attentif aux possibles ouvertures de fonds français. « En histoire, on ne travaille pas au rythme de l’événement mais de l’accès aux sources », confirme Jean-Pierre Chrétien, dont les travaux précurseurs inspirent toute cette nouvelle génération.
Idéologie raciste contre clivage ethnique
Figure tutélaire, l’historien est l’un des rares spécialistes de l’Afrique des Grands Lacs, et plus particulièrement du Burundi, où il se rend dès 1964. Confronté aux massacres des Hutus en 1972, puis des Tutsis au Rwanda en 1994, il n’a cessé d’alerter l’opinion. « Je ne pouvais pas me taire, je devais témoigner pour faire comprendre. » Sans relâche, il a déconstruit la lecture dominante d’un clivage ethnique, en documentant la mise en place d’une idéologie raciste, héritée de la colonisation et réinvestie après l’indépendance.
Cinquante ans plus tard, la production française lui doit beaucoup. « Le champ scientifique français s’est construit dans cet héritage. Selon cette lecture, les pratiques de cruauté mettent en acte un racisme hérité du XIXe siècle », relève Florent Piton, qui vient de soutenir sa thèse sur la compétition politique au Rwanda de 1950 à 1994. Un temps long à investir aussi, insiste-t-il, pour préciser l’histoire du dernier génocide du XXe siècle.
Le rapport de la commission Duclert
5 avril 2019. Emmanuel Macron crée la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis (1990-1994).
Présidée par l’historien Vincent Duclert, cette commission a « pour mission de consulter l’ensemble des fonds d’archives français relatifs au génocide, sur la période 1990-1994, afin d’analyser le rôle et l’engagement de la France durant cette période et de contribuer à une meilleure compréhension et connaissance du génocide des Tutsis. Ce travail aura notamment vocation à aider à constituer la matière historique nécessaire à l’enseignement de ce génocide en France. »
Le rapport Duclert sera incessamment rendu public par le président de la République.
Il compterait un millier de pages, sans les annexes, et, selon des sources y ayant eu accès, il comporterait des « révélations frappantes », pointerait des « faillites », des « insuffisances intellectuelles », ainsi que des « fautes » du côté des autorités françaises.