Attention : ce document exprime l'idéologie des auteurs du génocide contre les Tutsi ou se montre tolérant à son égard.
Citation
Ministre des Affaires étrangères à l’époque des faits dans le gouvernement Balladur, Alain Juppé lui a répondu le lendemain, 27 janvier, sur son blog, en s’opposant de façon argumentée à cette “réécriture insidieuse” et à cette “falsification inacceptable” de l’histoire (voir le site d’Alain Juppé).
Nous faisons nôtre la réaction parfaitement claire de ce dernier en ce qui concerne 1994. M. Balladur, Premier Ministre à l’époque, a également réagi et défendu l’opération Turquoise.
Le 28 janvier, Bernard Kouchner a précisé, en réponse, qu’il ne visait ni M. Juppé ni M. Balladur. Ce qui revient de sa part à viser le Président Mitterrand (ce qu’a confirmé son “entourage”, voir Le Figaro, du 31 janvier), tout en précisant que sa mise en cause “ne porte pas sur 94” mais sur un “défaut d’analyse politique qui vient de loin, depuis les années 1970 et particulièrement en 1990”. Pourtant, la polémique et les accusations très violentes du régime de Kigali portent sur l’action de la France au moment du génocide de 1994 et sur l’opération Turquoise.
Tout cela est donc bien confus mais surtout faux. On a connu Bernard Kouchner mieux inspiré.
Rappelons ce qu’a été la politique de la France à partir d’octobre 1990, alors que Michel Rocard était Premier ministre et Roland Dumas ministre des Affaires étrangères. À cette date, le FPR de Paul Kagamé –- regroupant les Tutsis exilés après les massacres de l’indépendance au tournant des années soixante -– lançait une violente offensive militaire sur le Rwanda, appuyé par l’armée ougandaise du président Museweni. Il s’agissait de prendre le contrôle de Kigali et de faire tomber le régime du président Habyarimana. Ce dernier, au pouvoir depuis 1973, était reconnu par le monde entier. On parlait à l’époque du Rwanda comme d’une “Suisse de l’Afrique” et l’on considérait alors l’attitude du pouvoir envers les Tutsis vivant au Rwanda comme tout à fait correcte.
Face aux événements qui se préparaient fin 1990, le président Mitterrand avait estimé :
– que la France ne pouvait pas, dans un pays d’Afrique lié à elle par de nombreux accords, laisser une toute petite minorité prendre le pouvoir par la force, depuis un pays étranger, et ceci contre la majorité de ce pays (il y a au Rwanda 85 % de Hutus) ;
– que, sinon, la garantie française de paix et de stabilité ne vaudrait plus rien dans la région ;
– que dans le cas du Rwanda, cette offensive armée conduirait inévitablement à de grands drames –- ce qui fut plus tard effectivement le cas.
En conséquence, la France devait s’engager activement pour rechercher une solution de paix et d’unité nationale.
François Mitterrand avait donc décidé, sans contestation aucune au sein du gouvernement, une action en deux temps :
– d’abord, fournir une aide et une formation à l’armée rwandaise pour qu’elle puisse tenir ses frontières et résister à l’offensive du FPR et de l’Ouganda ;
– ensuite, grâce au moyen de pression que cette aide donnait à notre diplomatie, imposer aux parties en présence une solution politique durable, c’est-à-dire un partage du pouvoir.
C’est cette politique qui conduisit, grâce aux efforts répétés de la France, aux accords d’Arusha d’août 1993. Conformément à ces accords, qui prévoyaient la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et l’engagement d’un processus de démocratisation du pays, les troupes françaises devaient se retirer pour être remplacées par une force internationale sous mandat de l’ONU.
Lors du déclenchement du génocide, en avril 1994, les soldats français engagés militairement sur le terrain s’étaient donc retirés.
Mais cette politique de compromis et de partage du pouvoir fut combattue avec acharnement dès l’origine par les factions extrémistes organisées des deux ethnies : Tutsis du FPR d’un côté (qui voulaient récupérer tout le pouvoir) ; extrémistes hutus de l’autre (qui, eux, ne voulaient rien lâcher). Tout au long des années 1990-1993, parallèlement aux négociations d’Arusha, on a donc assisté à une course de vitesse entre, d’un côté, la France qui cherchait à imposer sa solution et ces extrémistes qui cherchaient, par tous les moyens, à l’empêcher. Au final, cette course fut perdue pour la France puisque l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion qui transportait les présidents du Rwanda et du Burundi mettait un terme aux espoirs nés des accords d’Arusha et marquait le début du génocide.
Pendant des années cet attentat a été attribué :
– soit aux extrémistes hutus, qui ne pardonnaient pas au président Habyarimana d’avoir cédé aux pressions de la France et d’avoir accepté de partager le pouvoir avec les Tutsis ;
– soit aux extrémistes tutsis du FPR qui voulaient empêcher un compromis entre Hutus modérés et Tutsis de l’intérieur, ce qui les aurait privés de la reconquête de l’ensemble du pouvoir.
En ce qui concerne la responsabilité de l’attentat, le juge Bruguière, saisi par des familles de soldats français, a finalement conclu en 2006, à l’issue d’une enquête de plusieurs années, qu’il avait été organisé par Paul Kagamé actuel président du Rwanda. Depuis lors, le 6 février (voir dépêche AFP), l’“Audience nationale”, principale instance pénale espagnole, a lancé 40 mandats d’arrêt contre des militaires rwandais proches du Président Kagamé sur la base d’un argumentaire identique à celui du juge Bruguière. L’Audience nationale espagnole poursuit ces militaires rwandais pour “génocide, crime contre l’humanité et terrorisme”, de 1990 à 2002 soit avant, pendant et après le génocide de 1994.
Ce sont les conclusions et les réquisitions du juge Bruguière qui ont conduit le pouvoir rwandais à rompre ses relations diplomatiques avec Paris. Le voyage de Bernard Kouchner avait pour but de convaincre les Rwandais de ne pas confondre les deux niveaux — judiciaire et diplomatique — et de renouer le dialogue.
Rétablir une communication diplomatique avec Paul Kagamé n’est pas critiquable en soi. Hubert Védrine, actuel Président de l’Institut François Mitterrand, avait rencontré Paul Kagamé à Kigali en tant que Ministre des Affaires étrangères en 2000 et 2001, sans pour autant reconnaître une quelconque “faute” de la France.
Alors de quelle “faute politique” commise en 1990 Bernard Kouchner veut-il parler ? Estime-t-il que la France aurait dû laisser le FPR et l’Ouganda prendre le pouvoir à Kigali dès 1990 ? Cela aurait entraîné, à coup sûr, une guerre civile et de nombreux drames pour les populations. On aurait alors accusé la France d’avoir cyniquement laissé faire parce que le Rwanda ne présentait pas d’intérêt stratégique. Ou au contraire on ne lui aurait rien reproché. En tout cas, cela aurait été une autre histoire.
La France a donc essayé de 1990 à 1994 d’imposer une solution politique de compromis avant qu’il ne soit trop tard. Elle a cru y être parvenue avec les accords d’Arusha de 1993. Malheureusement l’attentat de 1994 a signé son échec. Ensuite avec l’opération Turquoise elle a essayé, seule, malgré la défection des autres membres permanents du conseil de Sécurité, de sauver ceux qui pouvaient l’être.
Cet échec ne justifie pas les accusations récurrentes contre sa “faute”. A fortiori sont dénuées de tout fondement les accusations folles de “complicité de génocide” lancées par de petits groupes fanatiques, dont Bernard Kouchner s’est heureusement clairement démarqué.
En tout cas, quelles que soient ces pénibles controverses il faut souhaiter à tous les Rwandais paix et développement.
Les Membres du Bureau
– Hubert VEDRINE, Président,
– Michel CHARASSE, Vice Président,
– Gilles MENAGE, Secrétaire Général,
– Jacques BONNOT, Trésorier.