Fiche du document numéro 27652

Num
27652
Date
Dimanche 17 janvier 2021
Amj
Auteur
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Fichier
Taille
406663
Pages
3
Titre
Des archives sur le rôle de la France dévoilées
Sous titre
« Le Monde » publie une synthèse des dossiers déposés par François Mitterrand, dont le chercheur François Graner, spécialiste du génocide des Tutsi, a obtenu l’ouverture. Ils font état de la façon dont Paris a ignoré les alertes sur la montée de la menace.
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Commentaire
The interview transcript contains a clerical error: Admiral (and not General) Lanxade should be read.
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2021
77E ANNÉE – NO 23647
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L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT

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Vaccination : la campagne sous pression du variant
▶ Les modélisations du

▶ Le laboratoire Pfizer

▶ Des documents piratés

▶ En France, l’engouement

▶ L’OMS recommande aux

conseil scientifique souli­
gnent le rôle indispensa­
ble d’une campagne vacci­
nale rapide pour contrer
les variants du virus

a annoncé vendredi des
retards en Europe dans
la chaîne de production
du vaccin développé
avec BioNTech

de l’Agence européenne
des médicaments révèlent
les dessous de la course
aux autorisations
de vaccin de fin 2020

suscité par l’élargissement
aux plus de 75 ans fait
craindre un manque
de doses pour répondre
à la forte demande

pays un séquençage plus
systématique pour sur­
veiller l’évolution des va­
riants à travers le monde
PAGE S 5 À 7 ET ÉDITORIAL PAGE 26

Rwanda
Des archives
sur le rôle de la
France dévoilées

SUPPLÉMENT
« PRINTEMPS ARABES »
LA RÉVOLUTION
INACHEVÉE

« Le Monde » publie une
synthèse des dossiers
déposés par François Mit­
terrand, dont le chercheur
François Graner, spécialiste
du génocide des Tutsi, a
obtenu l’ouverture. Ils font
état de la façon dont Paris
a ignoré les alertes sur la
montée de la menace

▶ Dix ans après

la vague de soulève­
ments populaires,
le bilan apparaît
très contrasté
▶ Les répliques de 2019
prouvent que l’aspira­
tion à des changements
radicaux parcourt tou­
jours le monde arabe

PAGE S 2- 3

Royaume­Uni
L’amère réalité
du Brexit pour le
commerce local

SUPPLÉMENT – 1 2 PAG E S

Livraisons bloquées, pro­
duits périmés, pénuries…
les premiers effets de la
rupture avec l’UE se font
déjà ressentir

L’obélisque de la place
Tahrir, au Caire (Egypte).
ROGER ANIS POUR « LE MONDE »

PAGE 12

Chine
Pékin pose son
empreinte sur le
commerce mondial

Agnès Jaoui « J’aime l’idée
de consoler à mon tour »

PAGES 14-15

Culture
L’Institut
de France prend
la main sur
l’agenda mémoriel

Alors que la liste des pré­
tendants potentiels à gau­
che s’allonge, le seul can­
didat déclaré à l’élection
présidentielle tente de
se poser en rassembleur
PAGE 8

PAGES 16-17

Vendée Globe
Virtual Regatta :
des embruns
dans le salon

Education
Les universités
dans le flou sur
leur réouverture
PAGE 10

Economie
Mariage annulé
entre Carrefour et
le groupe canadien
Couche­Tard
PAGE 13

Politique
Mélenchon joue
l’apaisement
pour sa rentrée

A Cannes, en 2019. JEAN-PAUL PELISSIER

La réalisatrice et comédienne a
marqué le milieu culturel fran­
çais avec un discours dénonçant
le sexisme, lors des assises du
Collectif 50 /50 pour l’égalité, la
parité et la diversité, le 25 novem­

bre 2020. Elle raconte au Monde
l'importance qu’a eue son cadre
familial « anticonformiste » dans
sa construction et dans son désir
de laisser une trace artistique.
PAGE 21

La course en ligne, dont
les premiers concurrents
sont arrivés à bon port
samedi, a connu un en­
gouement inouï, avec près
de 1 million d’inscrits
PAGE 19

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INTERNATIONAL

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DIMANCHE 17 ­ LUNDI 18 JANVIER 2021

L E R Ô L E D E L A F R A N C E A U R WA N D A

Etape décisive dans
la lutte autour des
archives du Rwanda
Le chercheur François Graner a pu consulter
les documents de François Mitterrand sur le conflit,
en dépit des réticences des proches
de l’ancien président, décédé il y a vingt­cinq ans

A

u printemps 1994, le géno­
cide commis contre les Tutsi
au Rwanda a fait près de
800 000 morts. Pour avoir
formé militairement le ré­
gime hutu et l’avoir soutenu
politiquement, le rôle de la France demeure
un sujet de contentieux brûlant depuis
vingt­six ans. Il se noue autour d’une ques­
tion : les acteurs politiques et militaires fran­
çais peuvent­ils être accusés de complicité
dans ce génocide ? Au fil du temps, les dispo­
sitifs de justification et de déni de ces respon­
sables se sont craquelés, tandis que le travail
historiographique avançait, inexorablement.
En juin 2020, après cinq années de procé­
dures, le Conseil d’Etat a autorisé un cher­
cheur, François Graner, à consulter les docu­
ments déposés par le président alors en fonc­
tions, François Mitterrand, aux Archives na­
tionales. Sa demande a été acceptée en vue
de la publication d’un ouvrage sur la politi­
que de l’ex­chef de l’Etat en Afrique centrale.
Les cartons étaient en principe couverts par
un protocole ne permettant leur ouverture
au public que soixante ans après la fin de son
second septennat. « La protection des secrets
de l’Etat doit être mise en balance avec l’inté­
rêt d’informer le public sur ces événements
historiques », a estimé la plus haute juridic­
tion administrative, annulant deux précé­
dentes décisions du ministère de la culture.

Dans les cartons, dont une partie du con­
tenu avait déjà fuité, se trouvent des télé­
grammes diplomatiques, des notes destinées
au président, des synthèses sur la situation
au Rwanda, des annotations manuscrites de
conseillers à l’Elysée, des résumés de propos
tenus en conseil de défense restreint… Ces ar­
chives révèlent aussi des idées personnelles
du président, du premier ministre et de hauts
fonctionnaires. Il ne s’agit pas là de sources
exhaustives, loin de là, mais de documents
présentant un intérêt public évident, plus de
vingt­six ans après le génocide. Au cours de
l’été 2020 et sous certaines conditions – il est,
par exemple, impossible d’emporter des do­
cuments ou de les photographier –, François
Graner a pu s’y plonger, avant de transmettre
au Monde une première synthèse.
« ARRÊTONS CETTE FOCALISATION »

Le sort des archives de l’Elysée sur le
Rwanda constitue en soi un feuilleton. Il ra­
conte l’opiniâtreté de quelques chercheurs
et la résistance systématique des gardiens
du temple mitterrandien, refusant d’expo­
ser au grand jour tous les aspects de la poli­
tique de la France au Rwanda : son entête­
ment à soutenir le régime militaire hutu et
la protection accordée à ses dirigeants, ses
ambiguïtés autant que ses mensonges à
compter de 1990 jusqu’au massacre de près
de 800 000 Tutsi, entre avril et juillet 1994.

« Je suis perplexe à la fois sur la question des
archives sur le Rwanda, et sur celle de la pro­
tection générale des archives présidentielles
et ministérielles, souligne Hubert Védrine,
secrétaire général de l’Elysée entre 1991 et
1995. Sur le premier point, je rappelle que la
France est le pays qui a le plus ouvert ses ar­
chives. Arrêtons cette focalisation. Il faudrait
une commission internationale pour que
cela soit aussi fait aux Etats­Unis, en Belgi­
que ou en Israël. Sur le second point, la déci­
sion du Conseil d’Etat pose problème. Il

existe un enjeu sur le plan des données per­
sonnelles et de la sécurité nationale. »
Physicien et directeur de recherches au
CNRS, François Graner est également mem­
bre de l’association Survie, très critique de la
politique étrangère de la France en Afrique. Il
a consacré deux ouvrages au rôle joué par la
France au Rwanda : Le Sabre et la machette, of­
ficiers français et génocide tutsi (Tribord, 2014)
puis L’Etat français et le génocide des Tutsis au
Rwanda (Agone, 2020), qu’il a écrit avec Ra­
phaël Doridant. Dans le cadre de son travail,

Génocide des Tutsi : pour Paris, des alertes claires et régulières
La grille de lecture postcoloniale de la situation au Rwanda a conduit la France à ignorer la montée de la menace et la réalité des massacres

U

n génocide n’est pas une
tempête inattendue. Il
se dessine, se prépare. Il
réclame une idéologie de haine,
des propagateurs et une logisti­
que, y compris des armes. Dès
octobre 1990, à la suite d’une at­
taque du Front patriotique rwan­
dais (FPR), formé par des exilés
tutsi en Ouganda, plusieurs cen­
taines de militaires français sont
déployés au Rwanda dans le ca­
dre de l’opération « Noroît ». A
l’époque, le gouvernement fran­
çais suit attentivement la situa­
tion, qui se dégrade au fil des
mois. Il n’ignore rien des mas­
sacres et des arrestations massi­
ves de civils tutsi qui se multi­
plient, comme le confirment les
nouvelles archives de l’Elysée,
auxquelles François Graner, phy­
sicien et directeur de recherches
au CNRS, a eu accès.
Un document daté du 6 février
1991 le prouve. Jacques Pelletier,
ministre français de la coopéra­
tion, ne cache pas son angoisse.
« Monsieur le Président, la situation
du Rwanda m’inquiète de plus en
plus, écrit­il à François Mitterrand,
qui paraphe le document. Le prési­
dent Habyarimana ne donne pas
les gages d’ouverture qui lui ont été
conseillés à plusieurs reprises… Les
modifications gouvernementales
semblent privilégier les éléments

DÉBUT 1992, UNE
NOUVELLE VAGUE DE
VIOLENCES SE PRODUIT.
GRÂCE AUX MILITAIRES
FRANÇAIS, PARIS SAIT
TOUT, MAIS S’OBSTINE
À SOUTENIR LE RÉGIME
durs hostiles à la discussion avec les
rebelles [du FPR]. Mme Habyari­
mana et son clan [autour de la pre­
mière dame s’est constitué un cer­
cle politique et financier composé
d’extrémistes hutu appelé l’Akazu]
ont repris les choses en main… Si
cette évolution se poursuit, je crains
que le régime ne puisse pas tenir
très longtemps. »
Début 1992, une nouvelle va­
gue de violences se produit.
Grâce aux militaires français pré­
sents sur place, Paris sait tout,
mais s’obstine à soutenir le ré­
gime de Juvénal Habyarimana,
proche de François Mitterrand.
« Des massacres interethniques
ont été perpétrés par des milices
proches du parti au pouvoir (…).
La présence de nos militaires, qui
évite le pire, contribue à la survie
du régime (…). Par contre, la proxi­

mité de nos troupes des zones de
massacre peut susciter des inter­
rogations », soulignent le général
Christian Quesnot, chef d’état­
major particulier, et Thierry de
Beaucé, chargé de mission à l’Ely­
sée, dans une note au président,
le 3 avril 1992.
« Une atteinte au prestige »
Dans un rapport de janvier 1993,
l’ambassadeur à Kigali, Georges
Martres, expose les ressorts de la
politique africaine de la France,
marquée par une obsession de
son espace d’influence franco­
phone, face aux puissances an­
glophones. Après octobre 1990,
écrit­il, « le Rwanda a été traité
comme l’aurait été dans un cas
analogue le Sénégal ou la Côte
d’Ivoire. Kigali a pris normalement
sa place sur un axe politique, éco­
nomique, militaire et culturel qui
va de Dakar à Djibouti, et sur le­
quel s’est fondée la politique afri­
caine de la France au cours des
trente dernières années ».
Dans une note à François Mit­
terrand, le 18 février 1993, le géné­
ral Quesnot emploie la même
grille de lecture post­coloniale. Il
met en cause le rôle joué par le
président de l’Ouganda, Yoweri
Museveni, en soutien politique et
militaire au Front patriotique
rwandais (FPR) de Paul Kagame.

« Si nous ne trouvons pas de
moyen de pression suffisant pour
arrêter Museveni, qui bénéficie du
soutien britannique implicite, le
front de la francophonie sera du­
rablement mis à mal et compro­
mis dans cette région », écrit­il.
Lors d’un conseil restreint
autour du président, le 24 février
1993, des divergences apparais­
sent. Deux pages manuscrites de
notes, rédigées notamment par le
général Quesnot, indiquent que
Pierre Joxe, ministre de la défense,
considère la France « dans une im­
passe » au Rwanda, et recomman­
de le départ des troupes. Pierre Bé­
régovoy, premier ministre à l’épo­
que, lui répond : « Il est impossible
politiquement que nous nous reti­
rions actuellement du Rwanda. »
Le président approuve : « Partir se­
rait une atteinte au prestige. » En
août sont signés les accords
d’Arusha, devant entraîner un par­
tage du pouvoir. L’espoir soulevé
va vite retomber.
Les livraisons d’armes se succè­
dent, même après la conclusion
d’un cessez­le­feu entre belligé­
rants, en juillet 1992. La mission
d’information parlementaire diri­
gée par Paul Quilès, en 1998,
l’avait déjà établi : l’armée fran­
çaise se tient aux côtés de son ho­
mologue rwandaise, contre le FPR,
la formant et la conseillant, tout

en prétendant sur le plan politi­
que favoriser une solution négo­
ciée. La montée en puissance des
extrémistes hutu, autour du prési­
dent rwandais, est ignorée. La mis­
sion « Noroît » s’achève en décem­
bre 1993. Sur le terrain, les ten­
sions se multiplient, les avertisse­
ments se succèdent début 1994.
Position intenable
Le 15 février, pourtant, deux re­
présentants de la société Thom­
son Brandt Armements (TBA)
sont reçus par l’ambassadeur de
France à Kigali, Jean­Michel Mar­
laud. Malgré les accords
d’Arusha, dont l’article II men­
tionne « la suspension des appro­
visionnements en munitions et en
tout autre matériel de guerre sur
le terrain », ils discutent de livrai­
sons d’armes. Celle du 21 janvier,
à destination des forces armées
rwandaises, comprenait 1 000
projectiles de 60 mm. Elle a été
saisie par la Minuar, la mission
des Nations unies. En 1993, TBA
avait livré 200 roquettes de
68 mm destinées aux hélicoptè­
res des forces armées rwan­
daises, précise le télégramme di­
plomatique. Les nouvelles dis­
cussions portent cette fois sur
2 000 projectiles de 120 mm,
pour mortiers. Une question de
moyens de paiement a retardé la

livraison. L’attaché de défense de
l’ambassade a une idée extrême­
ment précise, à l’unité près, des
stocks de l’armée rwandaise.
L’ambassadeur, lui, estime que
la livraison discutée pourrait
aboutir « dans les quatre semai­
nes suivant la mise en place du
paiement. » Mais l’attentat du
6 avril 1994 contre l’avion du pré­
sident Juvénal Habyarimana va
déclencher la mécanique du gé­
nocide, assemblée patiemment
au cours des années précédentes
par le régime.
Le 2 mai, alors que les massacres
se multiplient, la DGSE met claire­
ment en cause la garde présiden­
tielle et les milices hutu. Elle ré­
sume aussi, en termes polis, l’in­
tenable position de la France :
« Toute action spécifique au
Rwanda est en fait confrontée à
un véritable dilemme : comment
aider le Rwanda – notamment sur
le plan politique – alors que le seul
interlocuteur véritablement repré­
sentatif de l’ethnie majoritaire, le
gouvernement intérimaire, a une
responsabilité patente dans les
massacres actuels ? » Un gouver­
nement formé après la mort du
président Habyarimana, au sein
même de l’ambassade de France à
Kigali, et que Paris va soutenir en­
vers et contre tout. 
pierre lepidi et piotr smolar

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DIMANCHE 17 ­ LUNDI 18 JANVIER 2021

« Plus on avance, et plus
le tableau est accablant »
François Graner décrit une politique française au Rwanda
parfaitement maîtrisée, établie par un cénacle autour de Mitterrand

ENTRETIEN

P

hysicien et directeur de re­
cherche au CNRS, François
Graner a obtenu du Con­
seil d’Etat, en juin 2020, un accès
aux archives de François Mit­
terrand concernant la politique
de la France au Rwanda et le géno­
cide des Tutsi, qui a fait 800 000
morts en 1994. Egalement mem­
bre de l’association Survie, qui
vise à mettre fin « à toute inter­
vention néocoloniale en Afrique »,
François Graner est l’auteur de
deux ouvrages sur le Rwanda : Le
Sabre et la machette. officiers fran­
çais et génocide tutsi (Tribord,
2014) puis, avec Raphaël Doridant,
de L’Etat français et le génocide des
Tutsi au Rwanda (Tribord, 2020).

Des commandos
de marine
français,
à Butare,
au Rwanda,
le 1er juillet
1994.
JOSE NICOLAS/
HANS LUCAS/AFP

AU NOM DE
LA TRANSPARENCE,
M. MACRON AFFICHE
SA VOLONTÉ DE
DÉPASSER ENFIN
LE LOURD CONTENTIEUX
QUI A EMPOISONNÉ
LES RELATIONS
DIPLOMATIQUES
ENTRE LA FRANCE
ET LE RWANDA
François Graner s’est lancé dans une délicate
bataille judiciaire, riche de dizaines d’étapes,
pour obtenir la communication des archives
de l’Elysée sur cette époque.
En 2015, François Hollande avait accepté
d’en déclassifier une partie. Un geste en trom­
pe­l’œil. Des documents avaient déjà fuité.
Quant aux autres, ils dépendaient toujours
du bon vouloir d’une seule personne, Domi­
nique Bertinotti, mandataire exclusive du
fonds Mitterrand, qui pouvait accorder les dé­
rogations ou les refuser sans justification. Se­
lon la durée légale de protection, il était im­
possible d’ouvrir les cartons avant 2055. En
justice, François Graner est parvenu à la lever
grâce à un contexte politique favorable.
En avril 2019, deux jours avant les commé­
morations du 25e anniversaire du génocide,
Emmanuel Macron avait en effet annoncé
une démarche inédite : la constitution d’une
commission, composée de huit chercheurs et
historiens, présidée par Vincent Duclert,
chercheur au Centre d’études sociologiques
et politiques Raymond­Aron (EHESS­CNRS) et
enseignant à Sciences Po. Sa mission est
« d’analyser le rôle et l’engagement de la
France durant cette période », selon l’Elysée.
Celle­ci a accès à l’ensemble des fonds d’archi­
ves disponibles, relevant de toutes les admi­
nistrations concernées à l’époque – y compris
donc celles de François Mitterrand, mort il y a
vingt­cinq ans, dont la mémoire sera célébrée
lors de plusieurs cérémonies commémorati­
ves en 2021. Mais la composition de la com­
mission a fait polémique : dès son lancement,
en raison de la mise à l’écart de deux émi­
nents spécialistes du Rwanda, Stéphane
Audoin­Rouzeau et Hélène Dumas, puis avec

le départ controversé de l’historienne Julie
d’Andurain, auteure d’écrits très favorables
aux actions de l’armée française, notamment
lors de l’opération « Turquoise ».
C’est toutefois un geste fort qu’a consenti le
président français. Au nom de la transpa­
rence, M. Macron affiche sa volonté de dépas­
ser enfin le lourd contentieux qui a empoi­
sonné les relations diplomatiques entre la
France et le Rwanda et a eu un impact terrible
sur la réputation de l’ancienne puissance co­
loniale en Afrique. Malgré un calendrier de dé­
placements bouleversé par l’épidémie de
Covid­19, le chef de l’Etat espère toujours se
rendre à Kigali en 2021. La création de cette
commission, dont le mandat « ne vaut ni excu­
ses, ni glorification de notre rôle passé », selon
l’un de ses conseillers, doit déboucher sur la
remise d’un rapport le 2 avril. La date est con­
firmée au Monde par Vincent Duclert. La fa­
çon dont Emmanuel Macron s’emparera du
rapport, les mots qu’il choisira pour en com­
menter les conclusions, pourrait lui permet­
tre de laisser une empreinte majeure dans sa
politique mémorielle.
BALLADUR OUVRE SES PROPRES ARCHIVES

« Le rapport sera aussitôt rendu public et ses
sources intégralement accessibles, précise
l’historien. Bien évidemment, le texte n’aura
pas été relu préventivement par l’Elysée et ja­
mais une demande de cette nature n’a été faite
à la commission, qui est pleinement indépen­
dante : c’est la manière de travailler des cher­
cheuses et chercheurs qui la composent.
Quant au second objectif qui lui a été confié,
favoriser par son travail une large ouverture
des archives sur le Rwanda et le génocide des
Tutsi, il est en bonne voie. »
Premier ministre au moment du génocide
dans le cadre de la cohabitation, Edouard Bal­
ladur a pris les devants. Le 4 janvier, il a an­
noncé son intention d’ouvrir ses archives per­
sonnelles au public sur cette période. Il espère
ainsi contribuer à la réhabilitation de l’opéra­
tion Turquoise, lancée à la mi­juin 1994. Selon
lui, elle était destinée à des fins humanitaires
et à prévenir « la poursuite des violences ».
Pour ses pourfendeurs, s’appuyant sur des té­
moignages d’anciens soldats et des docu­
ments d’archives, cette opération visait à as­
surer un ultime soutien au régime hutu, qui
venait de perpétrer le crime des crimes. 
pierre lepidi et piotr smolar

Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

Vous avez eu accès aux archi­
ves de François Mitterrand,
dont une partie n’était pas
connue. Qu’en retenez­vous ?
Les documents que j’ai consul­
tés viennent renforcer les résul­
tats de nombreux travaux faits
depuis vingt­cinq ans. Plus on
avance et plus le tableau est acca­
blant. A aucun moment, de 1990 à
1994, on n’observe de panique ou
d’aveuglement à Paris. Des procé­
dures sont mises en place, des in­
formations et des analyses re­
montent. Les responsables politi­
ques jouent leur rôle. Quant aux
ordres donnés aux administra­
tions et aux militaires, ils descen­
dent. Bref, tout fonctionne. La po­
litique de la France qui est appli­
quée au Rwanda est celle des déci­

LES DATES
1990
Octobre A la suite d’une attaque du Front patriotique rwandais (FPR), composé d’exilés
tutsis réfugiés en Ouganda, la
France envoie des troupes au
Rwanda. L’opération « Noroît »
prend fin avec les accords
d’Arusha, en 1993.

1994
Avril à juillet Après l’attentat
contre le président Habyarimana, le 6 avril, débute le génocide des Tutsis : 800 000 personnes sont exterminées. La victoire
du FPR sonne la fin des combats.

1998
L’Assemblée nationale lance
une mission d’observation
présidée par Paul Quilès.

2015
François Hollande déclassifie
une partie des archives
de l’Elysée sur le Rwanda.

2019
Emmanuel Macron crée
une commission sur le rôle de
la France au Rwanda, présidée
par l’historien Vincent Duclert,
avec un accès total aux archives.

2020
François Graner, directeur
de recherche au CNRS, obtient
du Conseil d’Etat un accès aux
archives de François Mitterrand.

deurs, en particulier d’un petit
noyau autour de François Mit­
terrand. L’ancien président et
trois hauts gradés – le général
Christian Quesnot [conseiller mili­
taire], le général Jacques Lanxade
[chef d’état­major des armées] et le
général Jean­Pierre Huchon [chef
de la mission militaire de coopéra­
tion] – partagent une même ligne.
Ils fonctionnent en cercle vicieux.
Ils s’influencent mutuellement,
avec François Mitterrand.
Comment se définit
cette ligne ?
La politique qui est alors prati­
quée au Rwanda existe aussi dans
d’autres pays africains. Il s’agit de
préserver un régime au sein de la
zone d’influence française, sans
se préoccuper de ce qu’il inflige à
sa population. Le Rwanda est le
pays où les conséquences seront
les plus graves.
Les documents montrent com­
ment les généraux Quesnot et
Lanxade influencent Mitterrand
sur des points précis. Ils défor­
ment l’information reçue de leur
base, et ils la transforment en un
affrontement entre une zone d’in­
fluence française et une autre
d’influence anglo­saxonne. Ils dé­
signent les Tutsi et le Front patrio­
tique rwandais (FPR) de Paul Ka­
game comme des ennemis. Mit­
terrand et ces trois militaires sont
obsédés par l’influence anglo­
saxonne. Avec la cohabitation, à
partir du printemps 1993, les pro­
cédures changent un peu en ce
qui concerne la circulation de l’in­
formation, mais pas au niveau de
la prise de décision. Mitterrand
décide à peu près de tout.
Ces documents confortent­ils
l’hypothèse d’une complicité
de génocide, dont la France
se serait rendue coupable ?
Ce n’est pas la France en elle­
même. La politique française qui a
été menée est une complicité de
génocide, au sens précis de « sou­
tien actif, en connaissance de
cause », avec un effet sur le crime
commis. Pour moi, cela est déjà dé­
montré depuis un certain temps.
La question suivante consiste à sa­
voir si telle ou telle personne peut
être sanctionnée. A cela, la justice a
déjà répondu en disant qu’elle ne
souhaitait pas enquêter sur ces in­
dividus, malgré la plainte déposée
par des rescapés tutsi.
Quelles sont les procédures en­
core en cours en France concer­
nant le génocide des Tutsi ?
Il y a d’abord des plaintes contre
de présumés génocidaires rwan­
dais vivant en France. Les procé­
dures ont mis longtemps à être
déclenchées, la France ayant
même été condamnée pour sa
lenteur. Ensuite, il y a des plaintes
en diffamation. Elles ont connu
des issues diverses. Certaines
sont toujours en cours. Troisiè­
mement, il existe une plainte
contre X, qui vise en réalité l’ar­
mée française et concerne l’af­
faire de Bisesero [des soldats fran­
çais sont accusés de ne pas avoir
protégé près de 2 000 Tutsi massa­
crés du 27 au 30 juin 1994]. La jus­
tice a dit qu’elle ne voulait pas se
pencher sur les décideurs pari­
siens, sous prétexte que les mili­
taires sur le terrain étaient auto­
nomes. Il y a aussi une plainte
pour livraison d’armes contre
Paul Barril, ancien mercenaire et
gendarme de l’Elysée, des plaintes

« IL S’AGIT DE PRÉSERVER
UN RÉGIME AU SEIN
DE LA ZONE D’INFLUENCE
FRANÇAISE, SANS SE
PRÉOCCUPER DE CE QU’IL
INFLIGE À SA POPULATION »
pour viols à l’encontre de militai­
res français et contre la BNP pour
le financement d’un achat d’ar­
mes pendant le génocide. Concer­
nant l’attentat contre le président
Habyarimana, un non­lieu [con­
tre des proches du président rwan­
dais, Paul Kagame, ancien chef du
FPR] a été prononcé. On attend la
confirmation en cassation.
Reste­t­il des zones d’ombre
sur la politique de la France au
Rwanda entre 1990 et 1994 ?
Il y en a plusieurs. Parmi elles, le
rôle de la France dans l’attentat
contre le président Habyarimana,
le 6 avril 1994. A­t­elle soutenu des
extrémistes hutu ou pris part à la
décision ? A l’exécution ? Est­ce
que des militaires français de l’ar­
mée régulière ou des mercenaires
liés à la France ont participé ? On
sait aussi qu’il y a plusieurs dizai­
nes de Français qui sont restés au
Rwanda, en zone gouvernemen­
tale, pendant le génocide. Ont­ils
fait seulement du renseigne­
ment ? De la formation ? Du con­
seil pour les combats ? Ont­ils par­
ticipé aux combats ? Il reste enfin
des zones d’ombre sur les ques­
tions de financement et sur le
soutien aux génocidaires rwan­
dais après le génocide.
Emmanuel Macron a mis en
place une commission d’histo­
riens, présidée par Vincent
Duclert, pour « contribuer à
une meilleure connaissance
du génocide des Tutsi ». Pour
la première fois, toutes les
archives leur ont été ouvertes.
En quoi est­ce important ?
Cette commission pourrait faire
avancer utilement la connais­
sance. Mais elle permet aussi de
gagner du temps et de reporter la
reconnaissance de la complicité
française dans le génocide. Em­
manuel Macron fait comme s’il
n’y avait jamais eu la mission
parlementaire de 1998, ni la
promesse de François Hollande,
en 2015, d’ouvrir toutes les archi­
ves aux chercheurs avant fin
2016. Et il décide royalement de
donner à sa commission l’accès à
des documents qui ont été refu­
sés même aux juges !
Or, concernant son indépen­
dance, les trois signaux que cette
commission a déjà émis sont né­
gatifs : elle s’installe dans des lo­
caux du ministère de la défense ;
elle publie, en avril 2020, une note
à mi­parcours dans laquelle elle
blanchit d’avance l’armée fran­
çaise ; et, à l’automne 2020, quand
les partis pris inacceptables et les
erreurs d’une de ses membres [Ju­
lie d’Andurain] sont étalés en pu­
blic, la commission ne s’en désoli­
darise pas. La rapporteuse publi­
que du Conseil d’Etat l’a bien sou­
ligné : ce dont a besoin le débat
démocratique, ce n’est pas une
commission choisie par le pou­
voir. C’est que ces archives soient
ouvertes à tous les chercheurs. 
propos recueillis par
p. le.et p. sm.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024