Citation
· Mohammed VI, le roi imam
Si le modèle de gouvernance marocain demeure l’un des plus originaux au monde, c’est à l’existence d’un régime monarchique dont le souverain tire sa légitimité originelle en qualité de Commandeur des croyants qu’il le doit. Toute l’intelligence de Mohammed VI a été de pressentir que, face à l’extrême dangerosité de l’islamisme radical, ce concept, ainsi que le rite malékite sur lequel s’accordent les Marocains, ne devait pas rester immobiles, et qu’une politique de prévention--répression purement sécuritaire ne pouvait en aucun cas suffire.
Le Maroc est aux portes de l’Europe, ce qui est un avantage mais aussi un danger, car c’est de ce vieux continent en plein processus de sortie de la religion que souffle le grand vent de la mondialisation sur le royaume et c’est par lui que pénètre une modernité qui, quand elle est vécue comme une agression culturelle, fait le lit de l’extrémisme. D’où le double choix acté très tôt par le successeur de Hassan II de moderniser l’islam et d’islamiser la modernité en s’appuyant sur la commanderie des croyants.
Prise en charge et formation continue des imams, des oulémas et des mourchidates, restructuration de l’enseignement religieux, création d’un Institut de formation et d’une Fondation des Oulémas africains axée sur la propagation du malékisme au sud du Sahara : les choix ont été audacieux, mais somme toute conformes au caractère d’un souverain qui, tout en avançant ses pions avec prudence, sait prendre des risques calculés, comme on l’a vu dans la gestion de la pandémie de Covid-19, qui a durement frappé le Maroc, ou tout récemment dans l’ablation du kyste de Guerguerate, au Sahara.
Alors que la police marocaine démantèle presque chaque mois une nouvelle cellule terroriste, ce jihad éclairé pour un islam dynamique et innovant demeure plus que jamais à l’ordre du jour afin d’éviter le basculement dans un islam de rupture et de radicalité. L’expérience est-elle reproductible ailleurs ? En partie, oui. Mais Mohammed VI bénéficie pour la mener d’un avantage qu’il est le seul à posséder : le temps long d’un monarque de droit divin que nul ne met en équation.
· Paul Kagame, le « boss »
Sa devise pourrait tenir en un mot, à même de résumer la devise du pays qu’il préside depuis vingt ans : agaciro, qui signifie « dignité » en kinyarwanda. Pour Paul Kagame, les Africains doivent « comprendre que le temps du baby-sitting est révolu et que nous ne grandirons jamais tant que nous estimerons avoir un besoin éternel de baby-sitters européens, américains, asiatiques ou autres ».
Après avoir hérité, en 1994, d’un pays en miettes, laissé exsangue par le génocide contre les Tutsi, l’ancien maquisard impulse, pierre après pierre, la reconstruction du Rwanda et la réconciliation d’un peuple déchiré. Avec un objectif pour les siens : tracer leur propre voie sans se laisser dicter leur conduite par le paternalisme occidental.
Au cœur du projet présidentiel, l’éclosion d’une Afrique débarrassée des clichés qui lui collent à la peau en promouvant une gouvernance ambitieuse : lutte contre la corruption, reddition des comptes à tous les échelons administratifs, plans d’urbanisme rigoureux, protection de l’environnement, digitalisation tous azimuts, mis en place d’une mutuelle de santé, volontarisme économique, réduction de la dépendance à la coopération internationale, promotion du tourisme et d’une économie de services…
Au fil des années, le petit Rwanda est devenu un poids lourd de la scène africaine dont les indicateurs de développement et la modernisation spectaculaire sont salués par les grandes institutions internationales, les investisseurs et les partenaires.
« NOUS N’AIMONS PAS LES PRESCRIPTIONS, ENCORE MOINS LES ORDRES »
Une métamorphose à marche forcée qui génère aussi son lot de controverses. Car la gouvernance Kagame, fondée sur une adhésion collective de la population régulièrement mise en doute à l’extérieur, repose sur un leadership intransigeant. Pour les ONG de défense des droits de l’homme et l’opposition en exil, le « miracle rwandais » ne serait qu’un trompe-l’œil bénéficiant exclusivement à une minorité d’apparatchiks aisés, tandis que les libertés fondamentales du plus grand nombre seraient sacrifiées.
Des critiques face auxquelles le « boss » oppose invariablement la même ligne de défense : « Nous sommes ouverts à tous les conseils en matière d’évolution démocratique, à condition qu’ils soient de bonne foi, mais nous n’aimons pas les prescriptions, encore moins les ordres. »
· Patrice Talon, le manager en chef
En Afrique de l’Ouest, Patrice Talon détonne. Et le président béninois le sait. Son image de « président-patron », il en a fait une marque de fabrique, un slogan politique même, dès la campagne présidentielle qui l’a conduit au pouvoir. Celle d’un homme qui, avant de prendre ses quartiers au Palais de la marina, en 2016, n’avait côtoyé le marigot politique que depuis « l’autre côté », celui du privé.
Un homme qui a construit sa fortune grâce à ses talents de manager et son flair d’investisseur et qui a décidé, à l’orée de la soixantaine, de s’engager en politique. Mais, ici comme dans les affaires, en brûlant les étapes. Pour le premier mandat électif que Patrice Talon a sollicité auprès de ses concitoyens, il a visé au plus haut.
Dans son exercice du pouvoir également, le président a joué de sa fibre managériale. Tel un capitaine d’industrie, il a fixé « ses » objectifs, ambitieux, dans un Programme d’action du gouvernement devenu l’alpha et l’oméga de l’exécutif. Le Bénin doit se « révéler », c’est son credo, et les réformes – libérales, comme il se doit pour ce fervent adepte du développement par l’initiative privée – doivent être menées à leur terme. Et qu’importe si cela suppose de limiter le droit de grève ou de mettre en pièces une opposition quasi moribonde à l’orée de la fin de son premier mandat. Les indicateurs économiques sont bons, c’est ce qui compte.
Talon est un modèle de gouvernance pour certains, fatigués des jeux politiques dans lesquels les mêmes visages reviennent sous des étiquettes différentes. Il crispe, également, et il l’assume. Mais s’il affirmait à Jeune Afrique, à la fin de septembre, avoir « pris le risque d’être impopulaire », un virage semble se dessiner ces derniers mois dans la rhétorique et la posture du « patron-président ».
SON DISCOURS A CHANGÉ CES DERNIERS MOIS. CALCUL ÉLECTORALISTE OU PRISE DE CONSCIENCE ?
C’est que, contrairement à la promesse qu’il avait faite lors de la campagne de 2016, Patrice Talon devrait, sauf surprise, briguer un second mandat. Pour cela, et même si l’opposition semble bien en peine de mettre face à lui une candidature forte, il lui faudra donc à nouveau solliciter l’adhésion des électeurs béninois. Après l’épisode des violences post-électorales de 2019, et le dialogue politique qui s’est ensuivi, Patrice Talon a aussi pu observer que certains de ses alliés du moment, répartis dans les deux partis de la mouvance présidentielle, pourraient bien décider de briser le statu quo de crainte de perdre leurs bases militantes ou leurs bastions locaux.
Après avoir démarré son mandat bille en tête, persuadé qu’il était alors de ne pas en solliciter un second, Patrice Talon a marqué une inflexion dans son discours ces derniers mois. La grande tournée qu’il mène dans tout le pays, aux allures de pré-campagne électorale, en est le signe le plus patent. Partout, il s’emploie à se montrer empathique, à l’écoute. Calcul électoraliste ou prise de conscience du fait que l’on ne dirige pas (tout à fait) un État comme on gère une entreprise ?