Citation
1. La manipulation des statistiques macabres
En 2004, probablement sur impulsion des acteurs internationaux qui voulaient avoir un droit d’ingérence au Congo pour des raisons humanitaires, une ONG américaine, International Rescue Commitee – IRC, avait publié des statistiques macabres montrant que depuis 1998, le Congo avait connu 3.800.000 morts ; ces chiffres publiés dans le Rapport Mapping sur la RDC de 2010, ont été balayés par des scientifiques démographes qui ont contesté la méthode statistique utilisée (LAMBERT A., LOHLÈ-TART L), tout en reconnaissant qu’il y avait des milliers de victimes :
« L’International Rescue Committee - IRC a mené quatre études sur la mortalité en RDC entre 1998 et 2004. Selon l’IRC, depuis le début de la deuxième guerre en août 1998 jusqu’à la fin du mois d’avril 2004, environ 3,8 millions de personnes auraient péri, victimes directes ou indirectes de la guerre et des conflits armés. Il est à noter cependant que la méthodologie retenue par l’IRC pour déterminer le nombre de morts indirects repose sur des études épidémiologiques et des estimations de croissance démographique qui ont pu être contestées. Compte tenu de son mandat, il ne revenait pas au Projet Mapping de se prononcer sur le nombre total de personnes mortes ou tuées du fait de la situation en RDC au cours de la période considérée » (RAPPORT MAPPING sur la RDC en 2010, page 49, note 87).
L’année 1998 coïncide au début des opérations de l’AFDL soutenu par le Rwanda et l’Ouganda accusés par leurs pourfendeurs de « pilleurs » des richesses du Congo. Le dernier Rapport Mapping soulève la problématique de la responsabilité des massacres dans les camps des réfugiés Hutu rwandais au Kivu ; que dire des Banyarwanda du Congo victimes des massacres dans le Kivu ? Pour ces crimes faut-il accuser les dirigeants de l’AFDL ou faut-il culpabiliser tous les pays de la région qui l’on soutenu ? Quid des puissances occidentales qui fournissaient des drones et des cartes aux alliés pour suivre les positions de ces réfugiés rwandais ?
Souvent les agitations des uns et des autres autours des massacres et des violences au Congo n’expriment même pas des émotions humanitaires mais plutôt de la haine et du mépris !
Les médias de communication
Quand le sujet des viols des femmes était en vogue, certaines médias de communication ne se gênaient pas de mener subtilement des campagnes de diabolisation contre les Tutsi, à l’exemple d’un organe comme CongoForum animé par un historien belge :
« Un certain nombre de viols (cette fois au sens sexuel du terme) ont concerné des hommes. Il est évident que cela renvoie à des sociétés où l’homosexualité est chose courante. Or, elle est rarissime au Congo. Elle est par contre bien tolérée, dès avant la colonisation, dans les civilisations des Grands Lacs, notamment au Rwanda et encore plus en Ouganda. Dans ces sociétés, elle était surtout l’attribut des classes dominantes, c'est-à-dire, pour le Rwanda, avant tout des Tutsi » (DE BOECK G.).
Il y a quelques années, nous avons ventilé sur les réseaux sociaux un document historique probant de 1904 du Musée de Tervuren afin d’éclairer l’opinion congolaise sur une vérité historique de la présence des populations d’expression kinyarwanda sur le territoire de l’Etat Indépendant du Congo – EIC (MUSEE DE TERVUREN, L’Etat Indépendant Congo. Document sur le pays et ses habitants, Annexe Annales Musée du Congo, Série IV, Fascicule 5, 1904). Ce document « a pour but principal de donner une idée de la condition des indigènes du Congo telle qu’elle apparait aux yeux de Stanley et de ses hardis compagnons belges, à l’époque où le Roi des Belges envoya une première expédition destinée à remonter le Congo et à jeter les bases initiales de l’empire africain qui, depuis, a pris le nom d’Etat Indépendant du Congo (page 163). D’après ce document « les indigènes des territoires de l’Etat Indépendant du Congo sont répartis entre un grand nombre de tribus, appartenant toutes à la race bantu, sauf vers la frontière orientale où l’on rencontre des populations se rattachant aux races nilotiques et chamitiques » (page 164).
Chose curieuse, c’est le même animateur du CongoForum qui va nous attaquer sur les réseaux sociaux en argumentant que ce document était probant mais que celui qui en fait mauvais usage (pour informer l’opinion) est un sympathisant d’un groupe rebelle diabolisé ! Voilà un exemple de manipulation de l’opinion congolaise par certains réseaux belges faiseurs d’opinions.
Conclusion
L’existence des contradictions et conflits internes (rapports d’inégalité, clientélisme...) ont permis à la colonisation d’imposer des valeurs qui ont désarticulé la structure sociale dans les pays des Grands Lacs. Certes au Rwanda et au Burundi, la colonisation n’a pas créé les catégories identitaires mais elle les a renforcé, structuré et exacerbé (cfr REYNTJENS F., p.12) ; mêmes si nous n’avons pas la connaissance des violences entre Hutu et Tutsi pendant la période précoloniale, la domination des uns et la subordination des autres ont certainement suscité des antagonismes entre les groupes. Il ne nous appartient pas de juger l’histoire, mais la responsabilité morale et politique de la Belgique est incontestable au regard des valeurs et des préjugés alimentés par la colonisation. Le pouvoir colonial avait recensé les populations en fonction de l’appartenance ethnique, négligeant toutes les dynamiques de ces communautés sur le plan culturel, politique et économique. Ainsi, toute la région a connu une nouvelle production d’identités sociales qui sont restées figées ; voilà comment le pouvoir colonial avait interrompu inconsciemment les interactions au sein d’une population en mutation à la fin du 19ième siècle. Aujourd’hui, nous sommes tous solidaires à travers le temps et à travers les sottises de nos ainés ; ainsi il nous faut trouver ensemble des solutions humainement et politiquement acceptables !
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L'auteur
Manzi-Ye
Consultant
Bruxelles - Belgium