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Le Brigadier général Nzabamwita, chef des services de renseignements du Rwanda n’a pas la réputation d’un homme expansif. Devant la presse, il s’est cependant réjoui ouvertement du « coup fumant » réalisé par ses services et s’est félicité de l’arrivée à Kigali de Paul Rusesabagina : cet ancien gérant de l’hôtel des Mille Collines qui inspira le film Hôtel Rwanda, était devenu par la suite l’un des principaux adversaires du régime de Paul Kagame.
Si le brigadier-général insiste sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un enlèvement, c’est parce qu’ un tel procédé rendrait caduque une éventuelle procédure judiciaire. L’officier rwandais a attribué le succès de l’opération à une « bonne coopération internationale », précisant que le chef de station de la CIA à Kigali et le patron des services de renseignements belges l’auraient personnellement félicité. Ce que les intéressés ont immédiatement démenti, le porte parole du SGRS (renseignement militaire belge) précisant qu’il n’avait jamais congratulé les autorités rwandaises.
Les proches de Paul Rusesabagina rappellent cependant que le renseignement militaire belge a déjà participé à des opérations aux côtés des services rwandais, en vertu d’un accord de coopération très discrètement conclu. Ils n’excluent pas que les communications téléphoniques de l’opposant, qui appelait fréquemment sa famille en Belgique, aient été écoutées et transmises. A La Chambre cependant, répondant à une question du député Ecolo Samuel Congolati, le Ministre de la Justice Koen Geens a formellement démenti toute collaboration avec Kigali.
Rusesabagina était donc suivi d’autant plus près que les chefs d’accusation énumérés par Kigali pèsent lourd : meurtre, vol à main armée, incitation à l’insurrection, incendie criminel… Et cela alors qu’aux Etats Unis, les actes de courage posés en 1994 lui avaient valu de recevoir la médaille de la liberté et un prix d’un million de dollars.
Comment cet homme, qui, au moment du génocide, avait accueilli et sauvé 1268 réfugiés tutsis en même temps qu’il accueillait dans son hôtel une partie des « services français » et des membres du gouvernement intérimaire (hutu) a-t-il pu se jeter ainsi dans la gueule du loup ?
Son « plan de vol » était pour le moins surprenant. Paul Rusesabagina après avoir créé en Belgique une prospère compagnie de taxis, passait beaucoup de temps à San Antonio, au Texas et c’est depuis Chicago qu’il s’envola pour Dubaï le 26 août dernier. S’entretenant avec sa famille en Belgique, dont il était séparé pour cause de pandémie, il s’était montré avare de détails à propos de son voyage, invoquant uniquement des raisons d’affaires. En réalité, il avait l’intention de répondre à une proposition de se rendre au Burundi, pour y rencontrer le nouveau président Evariste Ndayishimye.
A Dubaï, après quelques heures d’attente, il prit place dans un avion privé qui, croyait-il, lui avait été envoyé par ses hôtes de Bujumbura. Selon le New York Times, le vol était opéré par Gain Jet, une compagnie charter dont le président Kagame utilise régulièrement les services. La destination de l’appareil n’était cependant pas le Rwanda, mais le Burundi : s’expliquant devant la presse )à Kigali, M. Rusesabagina expliqua que l’invitation qui lui avait été adressée par un pasteur burundais, Constantin Niyomwungere. Ce dernier aurait souhaité t le présenter aux fidèles de son église. Embarquant volontairement à Dubaï, le héros du film Hôtel Rwanda croyait donc que sa destination finale serait le Burundi, mais il se retrouva finalement … à Kigali !
« Quelle opération magnifique » se réjouit le Brigadier général Nzabamwita, « il s’est livré lui-même ! » Sans démentir cette étonnante version, le prévenu a précisé qu’à son arrivée, il passa trois jours dans un lieu inconnu, ligoté et les yeux bandés, mais correctement traité.
A Kigali cependant, on est persuadé du fait que M. Rusesabagina ne se rendait pas au Burundi pour prêcher et prier, mais plutôt pour rencontrer des membres de l’opposition armée rwandaise, très affaiblie par des opérations menées au Kivu par les forces armées congolaises assistées par les voisins rwandais. Voici quelques mois, un autre opposant armé, Callixte Nsabimana alias « Sankara », arrêté aux Comores et transféré au Rwanda dans des circonstances peu claires, avait livré à Kigali le « modus operandi » de l’opposition armée et le rôle joué par Rusesabagina.
Cette hypothèse ne dissipe cependant pas d’autres points d’ombre : comment cet homme d’affaires avisé et débrouillard, a-t-il pu commettre l’imprudence de se rendre dans un pays voisin du Rwanda à bord d’un avion privé, au départ d’un pays, les Emirats arabes unis, entretenant d’excellentes relations avec Kigali ? Et surtout, comment a-t-il pu faire confiance à un homme se présentant comme le pasteur burundais Constantin Nyiomwungere ? Selon des sources burundaises, aucune des églises de ce pays n’aurait les moyens de s’offrir un jet privé et surtout, aucun pasteur officiant sous ce nom n’est connu sur la place. Par contre, en Belgique, un certain Nyiomwungere, un Tutsi né au Burundi, serait apparu comme demandeur d’asile voici cinq ans. On se souvient de lui à Aywaille et Louvain la Neuve où il se présentait comme un pasteur de l’église Goshen Holy Church International. Il fréquentait les milieux rwandais mais il était soupçonné de travailler pour le gouvernement de Kigali. Si tel est le cas, il recevra certainement une promotion pour avoir réussi à tromper Rusesabagina en lui inspirant confiance et en jouant sur la perspective de lui faire rencontrer à Bujumbura le chef de l’Etat lui-même…