Fiche du document numéro 27050

Num
27050
Date
Vendredi 25 septembre 2020
Amj
Auteur
Fichier
Taille
252602
Pages
2
Urlorg
Sur titre
 
Titre
Le génocide des familles tutsi du Rwanda raconté par des enfants rescapés
Sous titre
Une restitution remarquable de l’historienne Hélène Dumas qui a retrouvé, classé, traduit et analysé une centaine de cahiers écrits par des enfants et de jeunes adolescents rwandais racontant l’horreur, douze ans après le génocide.
Tres
 
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Nom cité
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Cote
 
Résumé
 
Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Declassification
 
Citation
Photo : TKnoxB – Flickr -Creative Commons

« Les enfants avec lesquels nous jouions et étudions, et qui étaient aussi mes voisins, étaient nombreux. Ils m’étaient très chers. Je ne peux pas les citer tous et terminer… Je demande à Dieu de sécher les larmes qu’ils ont versées et de les consoler du chagrin avec lequel ils sont morts ».

Hélène Dumas ne nous livrera pas le nom de ce scripteur, ni ceux des autres. Auraient-ils accepté de voir leur identité étalée sur la place publique lorsque l’association des veuves du génocide Avega a demandé à une centaine de jeunes orphelins de 1994 de rédiger leur récit sur des cahiers d’écoliers ? Ce travail, encadré de psychothérapeutes, devait aider les rescapés à se reconstruire, et aussi à témoigner pour l’Histoire. Ce n’est pas le moindre mérite de l’auteur d’avoir retrouvé et rassemblé ces cahiers, longtemps dispersés.

On connaît l’âge des scripteurs au moment du génocide, lorsque leur univers familier a explosé. Ils avaient généralement entre six et douze ou treize ans. Leurs récits dessinent des familles heureuses, même si le passé est forcément idéalisé au regard de l’horreur. Et même si la propagande raciste qui prépare au passage à l’acte avait commencé de déliter la sociabilité rwandaise, avec ses codes en apparence si rassurants pour l’enfance.

Au passage, Hélène Dumas recueille de précieuses narrations du racisme institutionnalisé au Rwanda sous le régime Habyarimana. C’est à l’école que les enfants tutsi découvraient brutalement leur « race » lorsque l’instituteur leur demandait de se lever pour s’identifier comme tels. Beaucoup ignoraient leur « appartenance ethnique » et étaient sommés d’aller la demander à leurs parents, qui avaient évité de leur en parler. Ces narrations rappellent celles d’enfants juifs obligés par le régime nazi de porter l’étoile jaune à partir de 6 ans, que rapporte par exemple Sabine Zeitoun dans Ces enfants qu’il fallait sauver (Ed. France Loisirs, 1990).

« Je suis rentré et j’ai demandé à Papa. Papa m’a dit que je suis tutsi. Le lendemain matin, je suis retourné à l’école et j’ai donné la réponse à mon enseignant. Il m’a fait répéter cela à haute voix afin que les autres entendent. A partir de ce moment, j’ai perdu l’estime de mes camarades qui me répétaient sans cesse que j’étais tutsi. »

Hélène Dumas n’est pas la première à avoir consulté de très nombreux témoignages d’enfants issus d’une « culture survivante sur les ruines du génocide ». Elle rappelle que l’association mémorielle Ibuka avait déjà recueilli en 1998 un millier de cahiers rédigés par des rescapés de la préfecture de Gitarama (au centre du Rwanda). Ceux rédigés en 2006 « dans une perspective de catharsis psychologique » par l’association des veuves du génocide articulent trois séquences : le monde « d’avant » entre tendresse familiale et racisme entretenu par des enseignants, le temps du génocide, et l’interminable effroi solitaire du temps « d’après ».

Hélène Dumas possède une connaissance rare et fine du kinyarwanda, la langue parlée par tous les Rwandais. Cependant, elle a voulu se faire accompagner par deux rescapés pour ne rien perdre des subtilités de la topographie et de l’empreinte politique laissée par le régime Habyarimana. Un travail dont on devine sans peine la charge de souffrance au regard des témoignages des enfants qui ne laissent rien ignorer du sadisme des tueurs.

« Alors le temps est arrivé et nous sommes entrés dans la vie du génocide », résume pudiquement un enfant. Nul besoin de convoquer le pathos pour exprimer l’horreur absolue. Les enfants souffrent en racontant par le détail le lynchage de Papa et de Maman, des frères et sœurs, de la parentèle. L’historienne française et ses deux assistants souffrent en feuilletant ces récits. Et le lecteur souffre aussi en apprenant ce qu’il faut qualifier, au plus profond, de « devoir » de mémoire.

La troisième partie du livre permet de bien comprendre la douleur de « survivre dans l’hostilité du voisinage ». Le régime qui a vaincu les forces génocidaires a choisi de sanctionner durement les vengeances individuelles et de forcer les Rwandais à revivre ensemble. On comprendra que le mot « réconciliation » est un slogan qui masque plus qu’il n’explique une lente reconstruction dont la plupart des rescapés se ressentent les exclus. « Après le génocide, écrit un orphelin sur son cahier, les Tutsi pensaient que leur vie n’avait plus de sens : ils étaient allés au-delà du désespoir ». Pour les rescapés, le plus difficile est de reconstruire l’estime de soi : « Le génocide m’a laissé beaucoup de séquelles. Quand vous voyez mon visage, on croit que je suis sain, pourtant mon cœur est une pourriture et ma tête est comme morte. »

Hélène Dumas a voulu accompagner la parole des jeunes survivants sans tirer de conclusions. Au lecteur de comprendre et partager l’effroi de l’abîme.

Jean-François DUPAQUIER

Hélène Dumas, Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006), Ed. La Découverte, coll. « A la source » Paris, sortie le 1er octobre, 19 euros.
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