Citation
Que s’est-il passé dans la
tour de contrôle de l’aéroport
de Kanombe, le
mardi 6 avril 1994 aux
alentours de 20 heures, alors que
l’avion ramenant au Rwanda le
président Habyarimana et son
collègue du Burundi revenait de
Dar es-Salaam ? C’est à 20 h 26
que le Falcon, touché de plein
fouet alors qu’il achevait sa descente,
s’est écrasé comme une
boule de feu dans les jardins mêmes
de la présidence. Cet attentat
est généralement présenté
comme l’élément déclencheur du
génocide rwandais : les tueries
commencèrent dans les minutes
qui suivirent.
Depuis douze ans, en l’absence
de toute enquête internationale
fiable, toutes les spéculations se
sont croisées à propos des responsables
de cet attentat, attribué
par les uns aux extrémistes hutus,
peut-être assistés par des
mercenaires étrangers, et par les
autres, aux rebelles du Front patriotique
rwandais de l’actuel président
Paul Kagame.
Patrice Munyeaneza ne s’était
pas encore exprimé publiquement
sur le sujet. Diplômé en études
de navigation, il travaillait au
moment des faits à la tour de
contrôle, avec le titre de contrôleur
d’approche.
« Dans la soirée du 6 avril,
j’assurais le service de nuit, de
18 h 30 à 7 heures du matin. Je
savais que le président assistait à
une réunion à Dar es-Salaam et
vers 20 heures, alors que l’appareil
avait déjà décollé, le pilote
prit contact avec la tour de contrôle
pour m’annoncer le retour de
l’appareil présidentiel. Il avait
identifié l’appareil sous son nom
familier, « November November
» puisque son code était
9XRNN.Sans que je le lui demande,
le pilote me précisa que le président
du Burundi se trouvait à
bord et il me demanda d’avertir
Bujumbura car l’avion, après Kigali,
allait immédiatement repartir
pour ramener le chef de l’Etat
du Burundi. » Cette version du
contrôleur aérien dément certaines
hypothèses suivant lesquelles
le président du Burundi, un
Hutu, aurait pu être spécifiquement
visé, la tour de contrôle
ayant demandé à plusieurs reprises
si Cyprien Ntariyamira se serait
trouvé à bord.
Munyeneza poursuit : « A
20 h 26 exactement, alors que je
voyais les lumières rouges de
l’avion, je me préparais à donner
l’autorisation d’atterrir. Mon assistant
à la tour de contrôle a
éteint les lumières pour que l’appareil
ne soit pas ébloui par les
projecteurs. C’est à ce moment
que j’ai vu le départ de trois missiles,
tirés depuis la zone de Masaka.
Le premier est passé en dessous
de l’avion, le troisième est
passé au-dessus, mais le deuxième
l’a heurté de plein fouet. L’appareil
a été touché et je l’ai vu immédiatement
prendre feu. J’ai
d’abord cru que l’avion était tombé
tout au bout de la piste 28 –
NDLR : celle qui était normalement
empruntée par les avions
venant de Tanzanie – et j’ai appelé
les pompiers de l’aéroport pour
qu’ils éteignent l’incendie. En réalité,
l’avion était tombé au-delà
de la clôture, dans le jardin de la
présidence, mais cela je ne l’ai appris
que plus tard. »
Depuis douze ans, il a souvent
été dit que des Français ou des
Belges appartenant à la Mission
des Nations unies au Congo se
trouvaient dans la tour de contrôle.
Munyaneza dément catégoriquement
ces assertions : « Lorsqu’à
18 heures, j’ai pris mon service,
comme de coutume, je n’ai
trouvé sur place que des Rwandais,
membres de l’aviation civile.
Les Belges se trouvaient à l’aérogare
et les Français ne sont
arrivés à la tour de contrôle que
vers 22 heures, après la chute de
l’avion. Et je n’ai eu que deux contacts
avec le pilote. »
D’après toutes les reconstitutions
des faits effectuées depuis
douze ans, il apparaît que les tireurs,
embusqués à Masaka, ont
réglé leur tir en fonction du moment
d’atterrissage de l’appareil,
afin de l’atteindre alors qu’il se
trouvait à très basse altitude. Or
Munyaneza assure qu’il était le
seul à avoir réceptionné le message
précisant le moment de l’arrivée
de l’appareil. Le fonctionnaire
précise cependant que « comme
c’est la règle, j’avais transmis
cette information au commandant
de l’aéroport, Cyprien
Sindano, qui était membre du
CDR » – NDLR : Coalition pour
la Défense de la République, parti
extrémiste hutu qui n’avait pas
signé les accords de paix.
Le contrôleur aérien précise
aussi que « la fréquence de la
tour de contrôle pouvait être captée
par des personnes qui se seraient
trouvées à proximité de
l’aéroport, à condition qu’elles
disposent de matériel d’écoute
adéquat ». Cette précision fait
penser à la présence, dans une
maison proche de Kanombe, de
trois coopérants français, le couple
Didot et le gendarme Maier.
A l’époque, ils étaient décrits
comme des passionnés des écoutes
radio et leurs corps furent retrouvés
quelques jours plus tard
par les Casques bleus belges, ensevelis
dans le jardin de leur villa.
Le rôle de Munyaneza ne s’arrête
pas au moment de la chute de
l’avion présidentiel : « A ce moment-
là, j’étais mort de peur. Un
militaire de la garde présidentielle
a sauté sur moi et a placé son
revolver sur ma tempe. Le directeur
de l’aviation civile, Stany
Simbizi, est alors arrivé avec les
militaires. Les hommes de la garde
voulaient me tuer tout de suite,
mais Simbizi s’est interposé
car il voulait d’abord m’interroger.
Alors qu’ils me rouaient de
coups, les gardes se sont interrompus
car un avion belge entamait
son approche – NDLR : il s’agissait
d’un appareil C130 qui venait
apporter du matériel à la Force
de l’ONU, la Minuar, et dont
l’arrivée était prévue depuis le
matin. L’un des gardes, furieux,
m’a hurlé : “Dis à l’avion de ne
pas se poser, sinon on lui tire dessus.”
J’ai alors transmis l’ordre
de ne pas atterrir. Après avoir
longuement tourné au-dessus de
l’aéroport, le C130 belge est finalement
reparti vers Nairobi. »
Durant plusieurs jours, Munyeneza
demeura caché à l’aéroport,
craignant de se rendre en ville où
les tueries avaient commencé.
Douze ans après le drame, il conclut
: « Rien n’est arrivé par hasard,
pour moi, tout était préparé
d’avance et ceux qui ont tiré sur
l’avion savaient ce que cet attentat
allait provoquer. On sentait
que les jours d’Habyarimana
étaient comptés… »
Cette interprétation (qui désigne
les extrémistes hutus comme
les auteurs de l’attentat) nous a
été confirmée par le colonel à la
retraite Aloys Nsekalije, un ami
d’enfance du président défunt :
« Habyarimana avait été lâché
par ses proches, ils le considéraient
comme un traître car il
avait accepté d’appliquer les accords
de partage du pouvoir… »
Et à Arusha, devant le TPIR, le
colonel Bagosora, considéré comme
le « cerveau du génocide », a
confirmé qu’il avait bien demandé
les factures de missiles de type
Mistral, mais en ajoutant que
c’était uniquement à titre d’information…