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Vingt-cinq ans après les faits, le tribunal correctionnel de Paris a sanctionné par de la prison ferme l’exceptionnelle gravité d’un scandale où des dirigeants politiques ont commis l’inacceptable : financer une campagne électorale grâce à des ventes d’armement par l’Etat, mais aussi s’enrichir personnellement.
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Editorial du « Monde ». Des ventes d’armement à des pays sensibles ; des valises de billets remises par des intermédiaires douteux aux proches du favori à une élection présidentielle ; un attentat meurtrier. Rares sont les dossiers politico-financiers réunissant autant d’éléments funestes que l’affaire dite « de Karachi », dans laquelle le tribunal correctionnel de Paris vient d’infliger des peines de prison ferme, sanction rare pour de hauts responsables politiques. Un jugement qui, même s’il intervient vingt-cinq ans après les faits, marque l’exceptionnelle gravité d’une affaire où des dirigeants politiques français ont commis l’inacceptable : non seulement financer une campagne électorale grâce à des ventes d’armement par l’Etat, mais aussi s’enrichir personnellement par le même biais détestable.
Les juges ont conclu que les fonds détournés à l’occasion de contrats d’armement conclus, en 1994, par la France pour la fourniture de sous-marins au Pakistan et de frégates à l’Arabie saoudite ont bien contribué au financement occulte de la campagne présidentielle malheureuse d’Edouard Balladur, en 1995. Trois proches de celui qui était alors premier ministre de François Mitterrand et allait affronter Jacques Chirac ont été condamnés à deux à trois années de prison ferme pour « abus de biens sociaux », « recel » ou « complicité », pour avoir favorisé sciemment le versement de 10,25 millions de francs en liquide sur le compte de campagne de M. Balladur ; somme versée par un intermédiaire en remerciement de la signature des contrats d’armement, qui l’avaient enrichi.
Pressions politiques
Le message adressé par la justice aux milieux politiques est tardif, mais clair : ni les années ni les manœuvres dilatoires ne peuvent effacer la gravité d’un délit qui salit la démocratie, illustre des mœurs indignes et nourrit l’opprobre envers les responsables gouvernementaux. Même le pire ne peut être écarté dans cette affaire : que les contrats d’armement aient été signés, dès l’origine, dans le but de financer des proches de M. Balladur et de son ministre du budget, Nicolas Sarkozy. Quant à l’hypothèse selon laquelle l’attentat de Karachi, qui a visé, en 2002, des salariés de l’armement français, relève de la vengeance, après l’arrêt du versement des commissions par Jacques Chirac, elle n’est pas avérée mais apparaît comme crédible.
Paradoxe, cette affaire, l’un des plus graves dossiers de corruption de la Ve République, a eu un écho limité dans l’opinion depuis sa révélation par Mediapart, en 2008. Cela peut s’expliquer par sa complexité et par son ancienneté. Les errements de la justice après l’attentat, les manœuvres du parquet, nommé par le pouvoir politique, pour tenter d’enrayer l’enquête sous la présidence Sarkozy, constituent autant de manifestations préoccupantes de pressions politiques destinées à empêcher la manifestation de la vérité. Un constat conforté par la lenteur de la procédure parallèle menée devant la Cour de justice de la République, réservée aux membres du gouvernement, qui doit juger prochainement M. Balladur, 91 ans, et son ministre de la défense de l’époque, François Léotard, 78 ans.
On aimerait que les affaires de financement politique appartiennent à une époque révolue. Le dossier Bygmalion sur les comptes truqués de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2012 montre qu’il n’en est rien. Un procès est prévu, mais il n’est toujours pas programmé, au risque de conforter l’idée délétère selon laquelle la justice pour les puissants n’est pas la même que pour les citoyens ordinaires.