Attention : ce document exprime l'idéologie des auteurs du génocide contre les Tutsi ou se montre tolérant à son égard.
Citation
Le juge Bruguière est mal. Depuis plusieurs années, il rate des coups, dans la chasse des assassinats du préfet Erignac, il a couru du mauvais côté. Son procès contre la filière Chalabi de soutien aux islamistes s’est terminé par l’acquittement de la moitié des emprisonnés. En Espagne, le juge Garzon lui a ravi son statut de star mondiale en lançant la procédure contre Pinochet. Et en plus, malgré tous ces efforts, Kadhafi revient sur la scène internationale.
Mais Bruguière tient enfin un bon dossier. Du genre qui fait trembler les puissants et mousser les télés : l’origine du génocide rwandais – ces trois mois du printemps 1994 où les milices fascistes hutu exterminèrent 800 000 personnes. Celui-ci a été déclenché par un tir de missile, le 06 avril à 20 h 25, percutant de plein fouet l’avion du président Juvénal Habyarimana (hutu), à bord duquel se trouvait aussi le président du Burundi voisin. Quelques heures plus tard, la boucherie commençait.
Pour le monde entier, les auteurs de l’attentat étaient forcement ces hutu extrémistes qui préparaient leurs crimes depuis des mois, parce qu’ils reprochaient à leur président une trop grande mollesse dans les négociations de paix avec les tutsi.
Le juge Bruguière possède aujourd’hui de très nombreux éléments qui prouvent exactement le contraire : l’avion a été abattu par un commando tutsi, sur l’ordre de l’actuel président du Rwanda, Paul Kagame, parfaitement conscient que cela entraînerait un massacre.
Saisi en mars 1998 de l’instruction de l’affaire, sur plainte de la veuve du copilote français de l’appareil, le juge Bruguière vient d’accélérer son enquête. Il s’est rendu en Tanzanie avant l’été, a lancé des commissions rogatoires, en Russie, en Suisse, au Rwanda. On s’attend, dans son entourage, à le voir délivrer d’ici six mois un mandant d’arrêt international contre Kagame en personne.
C’est la première fois depuis Milosevic qu’un chef d’Etat en exercice doit affronter pareille humiliation. Qu’on se rappelle la panique qui avait saisi les gouvernements européens après la demande d’arrestation d’Augusto Pinochet. Or rien, semble-t-il, ne pourra arrêter le juge français. Tous les éléments que, de notre côté, nous avons pu recueillir, indiquent qu’il pourrait lancer des mandats contre deux chefs d’Etat.
Kagame, le Khmer noir
Le dossier a été relancé cette année par The National Post. En mars, ce quotidien canadien a publié le contenu d’un document confidentiel de l’ONU, bizarrement oublié depuis août 1997 dans les tiroirs de Kofi Annan, le secrétaire général de l’organisation. ce document émane à l’origine de Michel Hourigan, un ancien responsable d’enquête du Tribunal international d’Arusha (chargé de juger les crimes contre l’humanité au Rwanda). Il avait pris l’initiative de rédiger trois pages à l’attention du bureau des affaires spéciales de l’ONU après avoir recueilli les « révélations » de « trois informateurs tutsi ». Ceux-ci venaient de lui livrer les noms des membres d’un commando baptisé Network qui, sur l’ordre de Kagame, avait tiré le missile, avec la « complicité d’une puissance étrangère ».
Ces informations recoupent celles que Bruguière, depuis deux ans, a collectées de son côté. Le juge avait déjà été alerté par le capitaine Barril, le fameux manipulateur de l’affaire des Irlandais de Vincennes, un temps mandaté par la veuve du président Habyarimana : pour s’être rendu deux fois à Kigali pendant le génocide, Barril avait rapporté des documents qu’il avait mis « à la disposition de la justice ». Le juge les a récupérés. Et depuis la publication du document de l’ONU, il a demandé à son ami, le commissaire Roger Marion (1), de lancer ses limiers aux quatre coins de la planète.
En marge de l’enquête, nous avons pu recueillir d’autres éléments. Des documents, des témoignages, avec des noms, des dates, et des précisions inédites.
Pour commencer, voici un homme dont il faut préserver l’anonymat. Africain, il fut militant « anti-impérialiste » de premier plan, avant de devenir homme d’affaires. Il a côtoyé nombre d’opposants des années 70 et 80 qu’il croise aujourd’hui sous les ors des palais. Il a rencontré plusieurs fois Paul Kagame qu’il désigne, comme ses amis proches, du surnom de « Peace ».
« En tête-à-tête, nous dit-il, les dirigeants du FPR (Front Patriotique Rwandais) se ventent tous d’avoir abattu l’avion. C’est une de leurs fiertés. Depuis la mort, en 1990, de leur ancien chef tué sur une mine rwandaise, Paul Kagame s’était juré d’avoir la peau du Président Habyarimana. Le tir du missile, c’est d’abord et avant tout une vengeance !
Kagame avait-il mesuré les conséquences pour le peuple tutsi ?
Bien sûr. Sa stratégie pour prendre le pouvoir, c’était la guerre, le chaos, la déstabilisation. Fatalement, avant de gagner, il savait qu’il y aurait un massacre.
Il n’avait quand même pas anticipé le génocide ?
Tout le monde savait ce que préparaient les milices hutu. Mais c’est la guerre ! N’oubliez pas qu’il a grandi à l’école maoïste.
D’où son surnom ?
Le Khmer noir… Kagame a un côté pol-potien. Il a une dimension presque mythique pour ses hommes. Il ne boit pas, ne fume pas et peut se priver de nourriture pendant des jours. La troupe le prend vraiment pour quelqu’un de surnaturel. Il avait mis sur pied une dictature, version pure et dure. »
Les informations de cet ancien militant corroborent celles de Jean-Pierre Mugabe, ancien directeur de la rédaction du Tribun du Peuple et officier de renseignement du FPR, puis au bureau G2 de la gendarmerie nationale rwandaise. Lors de l’attentat du 06 avril 1994, Mugabe travaillait au quartier général de Kagame (situé à Mulindi, dans la zone contrôlée au Rwanda par le FPR depuis son offensive de 1990). Aujourd’hui qu’il a choisi l’exil, il parle :
« la décision de descendre l’avion d’Habyarimana a été le détonateur d’un drame sans précédent. Kagame l’a prise en son âme et conscience. Sa soif du pouvoir a été la cause de l’extermination de nos familles. Les naïfs l’ont loué comme notre sauveur. C’est pourtant lui qui est à l’origine de nos malheurs. Il avait déjà mis sous protection les quelques familles qui lui versaient des sommes plantureuses, tandis que nos parents ont été donnés en pâture aux interahamwe (2). »
Un troisième témoignage, recueilli à Kinshasa (capitale de l’ex-Zaïre), confirme leurs récits. Christophe Hakizabera, ex-officier de l’APR ( armée du FPR), se trouvait lui aussi au QG de Kagame.
« La source de tout, explique notre ancien militant, se situe à la fin des années 70, à l’université de Dar es Salam en Tanzanie. C’est là que se trouvaient les jeunes révolutionnaires de l’Afrique australe, en exil ou en formation. Plusieurs jeunes leaders y ont fait un pacte : chacun aidera l’autre à prendre le pouvoir. Parmi eux, Museveni, futur président de l’Ouganda. Il a embarqué Rwigema, Kagame, les leaders du FPR, le parti tutsi en exil. »
Tout au long des années 80, les tutsi encadrent l’armée de Museveni. En échange, devenu président en 1986, il met à la disposition du FPR son infrastructure, ses moyens financiers : services de renseignement, communication, hommes etc. L’armée ougandaise et les troupes du FPR partent ensemble en stage en Libye. A l’automne 1990, le FPR est prêt à envahir le Rwanda. C’est alors que Rwigema saute sur une mine et que Kagame jure à ses hommes de le venger.
Le Rwanda est alors dirigé par Habyarimana. Ce petit pays, majoritairement peuplé de hutu, a longtemps vécu sous la domination de la minorité tutsi, installée au pouvoir par le colonisateur belge. Effrayé devant la montée en puissance de ses voisins anglophones, qui ne cachent pas leur volonté de conquête, Habyarimana se rapproche de la France. Mais l’époque a changé. Au sommet franco-africain de la Baule, François Mitterrand tourne le dos à trente années de politique africaine : plus d’assistance sans démocratie. Mitterrand l’aidera, mais exigera un processus de paix. La France fournit les cadres militaires.
Les missiles livrés en pièces détachés dans la nourriture
Il faudra trois ans d’effort, de cessez-le-feu et de combats meurtriers pour arriver aux accords de paix dits d’Arusha, qui vont, hélas, sceller le destin du Rwanda.
Nous sommes le 4 août, huit mois avant le génocide. L’accord de paix est pour la France un succès ; mais, pour les hutu comme pour les tutsi, un simulacre qu’ils ne comptent aucunement respecter. Chacun veut gagner le temps : les hutu pour se réorganiser, les tutsi pour infiltrer le Rwanda. Les accords prévoient un partage du pouvoir. La future armée rwandaise sera composée de 19 000 hommes, dont 40% de soldats du FPR. Celui-ci est autorisé à installer immédiatement un bataillon de six cents hommes dans Kigali. Une force internationale se déploie pour veiller à la bonne application des accords. La résolution 772, adopté le 05 octobre 1993 par le conseil de sécurité de l’ONU, crée la MINUAR, Mission des Nations unie pour l’assistance au Rwanda.
Du côté des extrémistes hutu c’est la panique. L’ennemi ancestral revient en force ! Le programme génocidaire se met au point. Côté tutsi, on cultive le double discours. « Pendant les négociations, précise notre ancien militant, Kagame expliquait à ces troupes : ”Conférence ou pas, notre objectif c’est d’abattre Habyarimana”. » Jean Pierre Mugabe confirme : « Après la signature des accords, Kagame a visité tous les unités de l’armée : ”Tenez vos armes à porté de main. N’ayez pas confiance à des accords d’Arusha”. Il savait que même si les accords étaient appliqués, le FPR ne pouvait gagner les élections. Mathématiquement, les hutu sont majoritaires, le FPR était perdant. Il était aussi au courant que la garde présidentielle et les milices interahamwe avaient reçu des armes et suivi un entraînement pour massacrer les tutsi, au cas où ceux-ci chercheraient à prendre le pouvoir par la force. Il n’ignorait que presque tous les tutsi étaient fichés et que les équipes chargées de les massacrer avaient été postées dans les quartiers. »
Radio mille collines, hutu attise la haine anti-tutsi et appelle chaque jour à créer des milices. Les hommes de Kagame en sont conscients. « Notre propre radio, radio Muhabura, ne cessait de le répéter, explique Jean-Pierre Mugabe. Nous savions que le pire se préparait… » Kagame avance quant même : il veut utiliser les six cents hommes envoyés à Kigali selon le stratagème du cheval de Troie :
« Kagame avait prévu plusieurs scénarios pour abattre Habyarimana, précise notre ancien militant. Sachant pouvoir envoyer ces hommes sur place, il a choisi l’attentat contre l’avion présidentiel. » Jean Pierre Mugabe illustre cette stratégie : « Le président du FPR Alexis Kanyarengwe rentrait d’une visite en Tanzanie. Nous étions en réunion au QG. Il nous rapportant un proverbe cité par le président tanzanien : ”Au lieu de se battre avec un chat en le lapidant de l’extérieur de sa maison, il vaut mieux y entrer et le tuer à l’intérieur.” »
« Tout le plan reposait sur des possibilités qu’offrait le stationnement des six cents hommes au centre de Kigali, explique l’ancien militant. L’idée géniale fut de prétendre que les hommes du FPR ne pouvaient manger que de la nourriture préparée par le FPR. Du coup, tous les jours, un convoi spécial partait du QG de Kagame, à Mulindi, pour ravitailler le bataillon de Kigali. Or dans chaque camion se cachait deux ou trois hommes, des soldats d’élite en civil. Et dans la nourriture, on camouflait du matériel de guerre en pièces détachées : c’est ainsi qu’entrèrent les missiles qui servirent à descendre l’avion. À la fin de l’hiver, il y avait 3200 hommes du FPR en civil dans Kigali, tous armés, en plus de six cents soldats déjà stationnés. »
Le troisième témoin, Christophe Hakizabera, précise que la cellule chargée d’organiser l’attentat était composée de trois hommes : Karenzi Karake, actuel patron des opérations de l’armée rwandaise ; Alphonse Mbayre, devenu premier secrétaire à l’ambassade du Rwanda à Nairobi (c’est lui qui fut chargé, à l’installation du FPR au pouvoir, d’organiser le tri entre hutu acceptables et « Français » qu’il faisait immédiatement exécuter) ; et James Kabarere, homme clé de l’affaire.
« Kagame a confié toute l’opération à Kabarere, qui est l’actuel sous-chef d’état major de l’armée rwandaise, nous explique de son côté l’ancien militant. Vous n’ignorez qu’au FPR, comme chez les maoïstes, les véritables chefs sont toujours les numéros deux. James Kabarere s’était distingué dans le maquis. Un homme de renseignement. Très grand de taille, très fort, bon vivant, grande gueule. Un fidèle de Kagame. Il a conçu le plan de conquête du Rwanda. Il a choisi les hommes qui constituaient le commando chargé d’abattre l’avion. »
Il faut attirer le Président hors du Rwanda !
Aujourd’hui, les commissions rogatoires lancées en Russie par le juge Bruguière devraient permettre de reconstituer l’itinéraire emprunté par les missiles jusqu’en Ouganda, d’où ils furent livrés à Kagame avec l’aval de Museveni.
Sur ce point, l’enquête du juge pourrait se révéler explosive. Notre militant devenu homme d’affaire décrypte : « Museveni a respecté l’accord passé avec le FPR : il a donc bien co-organisé l’assassinat de son homologue rwandais. Et je pense que la Tanzanie a, elle aussi, trempé dans le complot. »
Et cela, Bruguière le sait aussi, ce qui devrait l’obliger à lancer deux mandats d’arrêt contre les deux autres présidents concernés. Et encore toute une kyrielle de ministres et de chefs militaires, au risque de provoquer avec les Etats-Unis, la Grande Bretagne et les Pays-Bas (principaux soutiens du Rwanda, de l’Ouganda et de la Tanzanie), une crise diplomatique majeure.
« Quatre militaires (formés au tir de missiles à l’étranger) ont été affectés à la section « missile » du maquis FPR de Mulindi commandée par le lieutenant Joseph Kamba, explique Jean Pierre Mugabe. Vers la fin du mois de février 1994, le lieutenant-colonel Kayonga, chef du bataillon des six cents, les a appelés auprès de lui à Kigali. Kayumba a obtempéré. Deux semaines avant l’attentat, Kagame a dépêché le colonel James Kabarere à Kigali avec les missiles. » Les quatre SAM-16 arriveront en pièces détachées, dissimulées dans les camions qui transportent les vivres.
Début avril, tout est donc en place pour un final d’apocalypse. il ne reste qu’à faire sortir Habyarimana du pays : Ougandais, Tanzaniens et délégués du FPR montent ensemble un scénario diabolique.
1) D’abord trouver un bon prétexte pour organiser une conférence réunissant les chefs de la région. Le président rwandais sortira forcement de chez lui.
2) Comme par hasard, la capitale du Burundi est voisin est soudainement à feu et à sang ; s’y affrontent des tutsi et des hutu… Fin mars, la Tanzanie, moins suspecte que l’Ouganda, propose donc d’organiser une conférence chez elle, pour évoquer l’ensemble des problèmes interethniques de la région.
3) Les hommes du FPR se rendent dans la capitale Dar es Salam et s’organisent pour informer minute par minute le QG de Kagame des moindres faits et gestes d’Habyarimana : informations transmises au commando de Kigali.
Ainsi, début avril, les chefs d’Etat de la région des Grands Lacs doivent se retrouver mais la suspicion est générale. Au point que, l’avant-veille de l’ouverture du sommet, Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, se rendent au Zaïre pour obtenir le soutien du « grand frère » Mobutu. Le maréchal les rassure : il envisage de les accompagner, mais il ne fera pas le déplacement : au dernier moment, on l’aurait averti du danger.
« J’ai discuté avec l’ancien conseiller spécial de Mobutu, précise l’homme d’affaires. Il savait qu’il allait se passer quelque chose. Peut être même un attentat. »
La réunion doit s’ouvrir le 06 au matin. Le 5, le président burundais apprend que son avion personnel est indisponible. Ce fait permettra d’affirmer que la mort du président burundais est un accident, puisque personne ne pouvait savoir qu’il monterait, au retour, dans l’avion rwandais. Or sur ce point aussi, de nouvelles informations que Bruguière possède bouleversent les idées reçues.
Nous avons appris que ce même 5 au soir, les douaniers français de l’aéroport de Genève-Cointrin ont contrôlé un certain Athemon Rwamigabo, lieutenant-colonel de l’armée burundaise, pilote de l’avion présidentiel du Burundi. L’homme disposait plusieurs visas diplomatiques, dont un pour la Suisse, mentionnant une première entrée à Genève pour le 30 mars 1994. L’officier affirmait qu’il convoyait l’avion présidentiel jusqu’à Genève pour des opérations de maintenance, et qu’il était accompagné du directeur de cabinet adjoint du président de la République du Burundi. Lequel directeur venait déjà d’effectuer un trajet Genève-Paris, le 2 avril précédent. Or qu’ont trouvé les douaniers dans l’attaché-case du pilote ? Une liasse de documents confidentiels, photocopiés, ayant trait à un projet d’attentat contre un avion en vol …
A l’évidence, certains savaient à quoi s’en tenir, et tout a été fait que le président Cyprien Ntaryamira se trouve dans le même avion qu’Habyarimana.
Conclusion : les commanditaires de l’attentat ont voulu faire d’une pierre deux coups. Le président burundais n’avait d’autre choix que de se rendre à Dar es Salam dans un Foker 28 réquisitionné, lent et peu confortable, le seul disponible.
Le 6 avril matin, la conférence s’ouvre à Dar es Salam. Elle commence très en retard. On attend encore Mobutu. Le président tanzanien Mwinyi ouvre les travaux. Soudain, Habyarimana étonne tout le monde. Il cède. Il accepte un gouvernement de transition, comme le prévoyaient les accords d’Arusha. Puis il décide de lever le camp, et de rentrer précipitamment à Kigali. C’est la stupeur. Tout le monde note alors les efforts du président ougandais Museveni pour le retenir. Le même convainc le Burundais de prendre l’avion du Rwandais, « plus rapide ». Tant et si bien que l’appareil ne peut décoller qu’à la tombée de la nuit. C’était impératif : le commando à Kigali avait besoin d’une nuit noire pour se déployer : le quartier où il devait agir était sous contrôle étroit des forces de sécurité rwandaise …
Kagame regarde un match de foot
Grâce à Museveni, lorsque le Falcon 50 d’Habyarimana décolle, tout est prêt à Kigali pour le « réceptionner ». Le commando se rend au lieu dit La Ferme, situé à Masaka, une petite colline aux abords de l’aéroport de la capitale. Jean-Pierre Mugabe explique : « Certains dirigeants du FPR, appartenant à l’armée d’Habyarimana, ont donné des conseils sur l’emplacement des missiles. Ils ont désigné le lieu où les avions amorcent leur approche pour atterrir à Kanombe. Ces personnalités sont les colonels Alexis Kanyarengwe et Théoneste Lizinde. »
A Kigali, l’épouse du copilote Jean-Pierre Minaberry a l’habitude d’écouter les communications radio de l’appareil (3). Son mari lui a donné les fréquences. Tout se passe comme d’habitude. Mais le rituel d’approche devient soudain anormal. La tour de contrôle demande à cinq reprises si les présidents rwandais et burundais sont bien à bord. Le pilote n’a pas pour habitude de communiquer les noms des passagers. Enervé, il finit par répondre : « Il n’y a personne dans l’avion. »
Cette conversation sera, pour beaucoup, la preuve que les Hutus sont les auteurs de l’attentat. Sinon, pourquoi cette insistance ? Le bon sens permet d’y répondre : Habyarimana a changé ses consignes. On imagine la panique du protocole, et celle des responsables de l’aéroport. Tapis rouge ou pas ? Fanfare ? Escorte ?
Nous savons qu’à cette heure précise, le commando Network est déjà en place, au pied des pistes, et qu’il dispose de quatre missiles pour réussir son coup.
Le premier missile rate sa cible. Un deuxième tir touche l’avion qui explose en vol avant de s’écraser. Mme Minaberry, voisine de l’aéroport, entend une explosion.
La carlingue tombe comme une boule de feu sur la résidence présidentielle. Elle s’écrase dans les jardins de la propriété. Il est 20h25 heure locale.
Au même moment, Paul Kagame se trouve dans la salle de télévision de son QG. En compagnie de plusieurs officiers, il regarde un match de foot : la demi-finale de la coupe d’Afrique des nations oppose le Mali à la Zambie. On vit les dernières minutes. Le Colonel James Kabarere entre dans la pièce et s’approche de Kagame. Il lui souffle que l’opération a réussi.
« Après un court conciliabule avec Kagame, ils sortent ensemble, raconte Jean-Pierre Mugabe. L’unité du haut commandement tutsi prend immédiatement les dispositions pour le combat et attaque la nuit même les forces régulières rwandaises. Cette unité agit sous le commandement direct de Kagame et Kabarere. Toutes les autres unités du FPR passent à l’attaque sans autre préavis. »
Mitterrand n’y était donc pour rien
Les premiers massacres des milices hutu contre les Tutsi ne commenceront que le lendemain. Les trois mille Tutsi infiltrés à Kigali organisent, eux, le chaos. Ils veulent obtenir le départ des témoins occidentaux. Les Casques bleus, garants des accords de paix, sont pris pour cibles. Le FPR veut empêcher toute interférence occidentale. La guerre doit aller jusqu’au bout. Or « le bout », ce n’est pas le Rwanda, comme l’a prouvé la suite. Le pacte entre Ougandais et Tutsi rwandais était bien plus vaste. Il s’agissait de contrôler les pays des Grands lacs (Burundi compris) pour attaquer le Zaïre de Mobutu, en collaboration avec le principal opposant du maréchal, Laurent Désiré Kabila. Le Zaïre permet de contrôler l’Afrique équatoriale : le pétrole du Gabon n’y est qu’à une portée de canon.
Voilà pourquoi, alors que partout au Rwanda les milices massacrent le peuple tutsi au rythme hallucinant de mille morts toutes les vingt minutes, le FPR, lui, exige le départ des Casques bleus, puis tente d’interdire à la France l’envoi d’une mission humanitaire. En lançant, fin juin, l’opération Turquoise, la France a bien failli contrecarrer les plans de Kagame et Museveni …Trop tard en tout cas pour sauver le Zaïre de Mobutu. Kagame et Museveni ont organisé l’assassinat de deux présidents de la République pour conquérir toute l’Afrique équatoriale. Ils ont conçu leur guerre comme une épopée napoléonienne. Au prix de 70 000 morts par jours. Dans cent ans, cette boucherie sera peut être célébrée comme Austerlitz le fut en France : avec ce cynisme qui permettra de saluer la première tentative de redessiner les frontières d’un continent, tracées par l’Europe à la fin du XIXème siècle.
Le juge Bruguière est le seul capable de changer la morale de l’histoire. Ironie : lui qui détestait tant le pouvoir socialiste risque de devenir celui qui aura réhabilité François Mitterrand sur ce dossier. En plein génocide, le président français s’était vu accuser d’être complice des fascistes hutu.
Certains journalistes pensèrent avoir identifié « deux militaires français du DAMI » (détachement d’assistance militaire à l’instruction) qui auraient tiré sur l’avion(4). Le journaliste Pascal Krop alla jusqu’à préciser : « Bizarrement, très peu de temps après le crash, deux membres du DAMI, les adjudants-chefs René Maïer et Alain Didot sont retrouvés assassinés dans leur logement situé dans l’alignement de l’aéroport » (5) de Kigali, où eut lieu l’attentat. Forcement bizarre.
Cette thèse n’était alors contestée que par quelques voix isolées, dont Stephen Smith, le spécialiste de Libération, qui faisait remarquer seul le FPR disposait de missiles à guidage infrarouge(6). Mais le martyre du peuple tutsi noya cette évidence sous le flot du sang. On entendit André Glucksmann exiger, en direct sur la France Inter, la démission du Mitterrand, car « la France a mis la main dans une affaire absolument épouvantable, un abattoir, le pure des génocides… »
Mais l’hypothétique procès qui permettrait mettre un point final à cette affaire ne doit pas faire oublier ces mots de Jean-Pierre Mugabe :
« Les génocidaires hutu qui ont tué les tutsi sans défense ne devraient pas se servir du présent témoignage pour nier l’existence du génocide contre les tutsi et prétendre que le crime de Kagame perpétré contre Habyarimana donnait le droit de massacrer les tutsi. Les responsables du génocide de 1994 doivent être poursuivis conformément au droit international et national. »
Notes
1- Pour en savoir plus sur les méthodes de ce « rand flic », livre Le Vrai Papier Journal n°2 et l’enquête de Frédéric Charpier, « Ce flic que Pasqua a sacrifié », page 37.
2- Interahamwe : milices extrémistes hutu.
3- Information recueillie par Colette Braeckman, dans son livre Rwanda. Histoire d’un génocide, éd. Fayard.
4- Pascal Krop : Le génocide franco-français : faut-il juger les Mitterrand ?, éd. Jean Claude Lattès, 1994. Page 91 : sur ce point, Krop s’appuie sur l’enquête de Colette Braeckman, spécialiste mondialement respectée de l’Afrique, journaliste au Soir de Bruxelles, dans un article publié le 17/06/1994.
5- Idem, page 92.
6- Libération du 29/07/1994.