Fiche du document numéro 26179

Num
26179
Date
Octobre 1985
Amj
Auteur
Fichier
Taille
1959174
Pages
25
Titre
Les Bantous, de la philologie allemande à l'authenticité Africaine. Un mythe racial contemporain
Cote
Vingtième Siècle. Revue d'histoire, No. 8 (Oct. - Dec., 1985), pp. 43-66
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Les bantous, de la philologie allemande àl'authenticité Africaine: Un mythe racial
contemporain
Author(s): Jean-Pierre Chrétien
Source: Vingtième Siècle. Revue d'histoire, No. 8 (Oct. - Dec., 1985), pp. 43-66
Published by: Sciences Po University Press
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3769205 .
Accessed: 13/07/2013 07:12
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LES
DE

LA
A

BANTOUS,

PHILOLOGIE ALLEMANDE

L'AUTHENTICITE
AFRICAINE
UN MYTHERACIALCONTEMPORAIN
Jean-Pierre Chretien

Le terme < bantu », forge a partir de
>,dans des langues africaines,
africaines oiu il signifie tout sim«
les
etres
hulangues
signifie simplement
mains >. Mais les Bantous, venus de plement , a une
partout et de nulle part, sont en fait resonnance plus exotique que d'autres
issus d'un etrange croisement de la denominationslancees par 1'ethnologiedu
philologie, de l'administration coloniale siecle dernier, telles que paleonigritique,
et de la sacristie. Cette domination par soudanais ou nilotique. II s'est pourtant
l'ethno-linguistique sent son racisme. diffuse de facon beaucoup plus large. II
Meme si la < negritude , appliquee semble coller a une Afrique profonde, a
aujourd'hui aux Bantous est plus proche la realite humaine des forets congolaises,
qu'il n'y parait des bonnes vieilles theo- des savanes du Kenya ou du veld sudafricain, a l'Afrique des < safaris > peutries blanches...
etre, mais aussi aux peuples noirs les
plus
L es Bantousexistent: qui ne les a au Zaire.
rencontres, dans son journal ou a
Pourtant, comme tout vocable ou toute
la t6levision, quand l'actualite se
image
charges de valeur mythique, la
porte sur la partie australe du continent notion de < bantou » a suscite les discours
africain ? Les homelands affectes par le
les plus contradictoires. Tantot, on voit
gouvernement de Pretoria aux differentes
des migrants en quete quasi perethnies qu'il distingue dans la population surgir
de terres nouvelles : < Une peupetuelle
noire ont ete baptises < bantoustans >. A
venue du Sahara », < des
plade
l'oppose, le president Bongo du Gabon,
venus du Tchad , '. Tantot,
touche par la grace du mecenat, fonde agriculteurs
ils se profilent comme l'incarnationd'une
en 1982 a Libreville un Centre des
vieille civilisation d'agriculteurs et de
civilisations bantoues (CICIBA) auquel a
forgerons sedentaires, bouscules par les
deja adhere une dizaine de pays d'Afrique chocs exterieurs
depuis le 16e siecle2.
centrale. Derision de l'apartheid d'un
En 1958, Janheinz Jahn, le specialiste
cote, grandeur et illustration d'un
ensemble culturel de l'autre: la vigueur
1.
Pasteur, « Les dossiers de l'ecran , (emission
de la realite bantoue semble attestee au sur lesJoseph
Zoulous), Antenne 2, 19 aouft 1975. P. Decraene,
article sur le Rwanda, Le Monde, 31 mars 1974.
regard meme de ces situations politiques
2. B. Davidson, L'Afrique avant les Blancs, Paris, PUF,
contrastees.
1962, p. 214-217.
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ARTICLES

Carte 1. Les grandes families de langues africaines
(d'apres J. Greenberg)

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LES BANTOUS

allemandde la negritude,intitulaitMuntu mand Wilhelm Bleek au milieu du 19e
(singulier de < bantu ») un ouvrage de
<
africain et la
synthese sur l'homme

culture neo-africaine >, comme si la realite

-ntu etait au cceur des sagesses africaines 1. Or le mot < bantou >, commente

siecle, le naturaliste et administrateur
britannique Harry Johnston au debut du
20e siecle, enfin le missionnaire flamand
Placide Tempels, il y a a peine cinquante
ans. Cette simplification un peu provocante designe les trois axes culturels
autour desquels s'est construit le modele
bantou : la linguistique du siecle dernier,
la raciologie de l'Pre coloniale et l'ethnophilosophie africaine contemporaine.

aujourd'hui dans tous les dictionnaires,
n'etait pas encore juge digne d'une entree
a la fin du 19e siecle dans la Grande
encyclopedie de Philibert Berthelot2. On
est donc amene a s'interroger sur les
modeles anthropologiques qui l'ont
marqueet sur l'historiographiedu concept 0 LE GROUPE BANTU: UNE DEFINITION
LINGUISTIQUE PIEGEE
qu'il recouvre. C'est une entreprise presla
de
ardue
reconstitution
aussi
que
que
l'histoire meme des populations regrou- L'heritage de Bleek : des langues a classes
pees sous cette etiquette.
Fils d'un exegete protestant, WilhemJan Vansinaa deja propose des elements Heinrich Bleek (1827-1875) soutient a
de r6ponse sur < le role des savants » l'Universite de Bonn en 1851 une these
dans le maniement de la < boule de de
philologie sur les langues africaines5.
cristal » ou se dessinent les Bantous3.
De cet opuscule de soixante pages en
Nous avons, quant a nous, ete confronte latin, il tire
peu apres deux articles, en
a cette question en travaillant sur la allemand et en
anglais, qui livrent l'esregion des grands lacs est-africains4. sentiel de ses idees6. Le jeune univerJamaisun paysan africaind'autrefoisn'au- sitaire rhenan semble persuade d'avoir
rait pu d6clarer: < Je suis un Bantou », decouvert, comme on dirait
aujourd'hui,
sinon pour se reclamer, avec un pluriel un nouveau creneau dans la recherche
maladroit, de l'espece humaine !
linguistique. Cette discipline etait alors
En fait, la paternite des Bantous est particulierement illustree dans les pays
a chercherdans les cabinets des linguistes, de langue allemande. Bleek se place tres
les bureaux des administrateurscoloniaux precisement dans la lignee de Friedrich
et les sacristies des missions chretiennes. von Schlegel qui, dans son ouvrage de
Nous leur attribuerions volontiers trois 1808 sur < la langue et la sagesse de
geniteurs successifs: le philologue alle- l'Inde >, avait lance l'idee de 1;ascendance
indienne des langues et des cultures
1. J. Jahn, Muntu, Paris, Le Seuil, 1961 (traduction).
europeennes. N'ecrit-il pas dans son
2. L'entree < Bantou , figure pour memoire, sans devearticle de 1853 (p. 37) : < Nous pourrions
loppement propre, simple renvoi aux articles « Afrique > et
< Anthropologie >, Paris, 1891 (voir vol. 5, p. 301).
presque dire que ce continent (l'Afrique)
3. J. Vansina, < Le phenomene bantou et les savants ,
in Le sol, la parole et l'ecrit. Melanges en hommage a
Raymond Mauny, Paris SFHOM, 1981, vol. 1, p. 495-503;
, Bantu in the crystal ball >, History in Africa, 6, 1979,
p. 287-333 et 7, 1980, p. 293-325.
4. < Les deux visages de Cham. Points de vue francais
du 19e siecle sur les races africaines d'apres l'exemple de
l'Afrique orientale >, in P. Guiral, E. Temime, L'idee de
race dans la pensee politique franfaise contemporaine, Paris,
Editions du CNRS, 1977, p. 171-199.

5. De nominum generibus linguarum Africae australis,
copticae, semiticarum aliarumque sexualium, these, Bonn,
1851.
6. ' Ueber africanische
Sprachenverwandtschaft ,
Monatsberichte iiber die Verhandlungen der Gesellschaft fur
Erdkunde zu Berlin, 1853, p. 18-40; , On the languages of
Western and Southern Africa >, Transactionsof the philloogical
society, 4, 1855, p. 40-50.

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ARTICLES

sembleappelea avoirla memeimportance < les gens , dans les langues de cette
pourles philologuesde la deuxiememoiti6 famille (ba etant le prefixe de la classe
du siecle que celle de l'Orient durantla plurielleaffecteeaux etres humains)2.
La lecture des sources documentaires
premiere moitie » ?
Estimantavoirdetecteen Afriqueaus- et intellectuellesdu jeune Bleek eclaire
trale deux langues, < le cafre» et < le la maturationde ce modele. II utilise les
hottentot>, susceptiblesd'avoirjoue un monographiespubliees depuis le 7I siecle
role historiqueanaloguea celui du sans- par des missionnairescatholiques ou procrit, il ne reve que d'aller travailleren testants : etudes de capucins italiens sur
Afrique du Sud. Il se fait recruterpar des langues du Congo et de l'Angola,

l'eveque anglican du Natal, Colenso, au
titre de conseiller linguistique, pour lui
rediger une grammaire zulu. Des 1855,
il arrive a Durban. A partir de 1857, il
passe au service de sir George Grey,
ancien gouverneur de la NouvelleZelande, devenu responsablede la colonie
du Cap: il gere la bibliotheque de ce
dernier et prepare differentes etudes sur
les langues d'Afrique et du Pacifique'.
C'est dans celle de 1858, consacree
aux langues d'Afrique du Sud, qu'il

propose d'intituler < famille Ba-ntu > le

groupe des
tous > ! Mais il precise et nourrit alors

travaux plus recents de pasteurs fran(ais
ou britanniquesen Afrique du Sud, enfin
les recherches sur le kiswahili menees
par Ludwig Krapf, missionnaire allemand
de la Church Missionnary Society sur la
c6te orientale3. En fait, depuis le voyage

de Vasco de Gama, on avait remarque
la parente etroite existant entre les langues
des cotes Ouest et Est du Sud du
continent. Mais la nouveaute en ce milieu
du 19e siecle tenait au comparatisme
systematique developpe dans des cercles
academiques europeens et americains a
partir des elements rassembles anterieurement par les voyageurs et les missionnaires.

les theses qu'il a, en fait, enoncees,
depuis 1851. L'ensemble des langues africaines parlees dans la moitie australe du
continent se caracterisent selon lui par
l'absence de genres: les substantifs y
sont en effet repartis de facon < non
naturelle >en un certainnombre de classes
(seize, ecrit-il au debut) dont deux sont
reservees aux etres humains (au pluriel
et au singulier). Ces classes sont marquees
par des prefixes a valeur pronominale,
puisqu'ils sont repris devant les verbes
et autres elements de l'enonce en concordance avec le sujet initial. Le vocable

2. A titre d'illustration, voyons le fonctionnement de
ces regles en kirundi (la langue du Burundi). Les substantifs
se repartissent en 17 classes (en incluant singuliers et pluriels)
marquees chacune par un prefixe, que nous isolons ici du
radical. Par exemple: umu-ntu, l'etre humain, aba-ntu, les
etres humains; igi-ti, l'arbre, ibi-ti, les arbres, etc. II n'y a
pas de genres: l'homme, au sens masculin, umu-gabo, a le
meme prefixe (umu) que la femme, umu-gore. Ce que Bleek
appelle la , valeur pronominale , et que l'on definirait plutot
r
>, apparait dans
aujourd'hui comme systeme de referents
la construction d'une phrase, par la repetition du prefixe
initial. Par exemple: aba-ntu ba-bi ba-raje, , des personnes
mechantes sont arrivees (repetition du prefixe ba, la voyelle

1. The library of His excellency sir George Grey.
Philology, vol. 1, South Africa, Londres, Leipzig, 1858,
p. 261 ; A comparative grammar of South African languages,
Londres, 1869, 322 p.

de ces langues suppose une rupture radicale avec nos usages
grammaticaux.
3. Nombreuses references dans J. Knappert, Un siecle
de classification des langues bantoues, 1844-1944, Bruxelles,
CRISP, 1970, 58 p.

Quatre articles parus dans la Zeitschrift
der deutschen morgenliindischenGesellschaft et dans le Journal of the American
Oriental Society entre 1847 et 1849 et la
compilation de geographie culturelle pu-

initiale a n'apparaissant

qu'en debut d'enonce).

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L'apprentissage

LES BANTOUS

bliee en 1850 par Gumprecht dans les
Comptes rendus mensuels de la societe
de geographie de Berlin ont particulierement nourri la these de Bleek'. On
y relevait deja la mention du systeme
des classes et de leurs prefixes, celle du
fonctionnement des concordances dites
ou repetition des referents a valeur dernier s'inscrivait d'emblee dans un
comparatismeplus vaste, tendant a situer
l'Afrique dans un ensemble mondial, celui
des langues dites < pronominales », caracterisees par des affixes a valeur grammaticale. De ce point de vue, les jeux
d'opposition qu'il etablit sont ideologiquement aussi revelateursque les parentes
qu'il souligne au sein des langues africaines.

Dans l'espece d'arbre genealogique des
langues qu'il propose dans ses ecrits de
1851 et de 1853 (voir graphique), la
,
divisee en un < rameau meridional > (les
futures < langues bantu >) et un < rameau

chaiques, des sortes de fossiles linguistiques. C'est ainsi que le parler < koi >
des Hottentots fait figure selon lui de
o langue originelle » (Ursprache)de toute
la famille des langues de haute culture
(celles d'Europe et du Moyen-Orient):
<... Quelques-uns de ses rameaux semblent etre restes attaches aux debuts du
developpement et peuvent encore offrir
une image assez fidele de la situation du
peuple originel d'ou sont sortis tous les
rejetons de la branche sexuelle , 2. Bleek,
parti en Afrique du Sud pour enqueter
sur les Bantous, s'interesse finalement
davantageaux groupes non bantouphones
(Hottentots et Bochimans) en lesquels il
croit decouvrir les locuteurs d'une sorte
de presanscrit, c'est-a-dire un rameau
lointain et comme exile de ses propres
ancetres ! Ce fantasme aura la vie dure:
nous verrons qu'il hante encore l'ideologie
officielle sud-africaine.
Quant a ceux qu'il intitule < Bantous >,
il les range, dans sa Grammairede 1869,
dans une < classe des langues intertropicales >> ou l'on trouve egalement la
>.
Face aux Hottentots census etre venus
jadis du Nord, les < Cafres >, temoins
d'une ancienne migration melanesienne,
seraient porteurs d'une autre Ursprache
antagoniste, a structure < non naturelle >
(puisque privee de genres sexues) et qui
n'a engendre aucune culture a < haut
developpement >. L'Afrique australe
devenait avec Bleek un foyer de dispersion
culturelle, une nouvelle Inde ou un nouveau Caucase, mais au prix d'un enorme

septentrional >, s'oppose a la langues sexuelles » (c'est-a-dire dotees de
genres masculin et feminin) dont le
o rameau septentrional> regroupe en fait
toutes les langues indoeuropeennes, semitiques et celles qu'on appellera plus tard
hamitiques, tandis que le < rameau meridional , n'abrite que les idiomes des
Hottentots et des Bochimans. L'axiome,
repandu a 1'epoque, selon lequel les
langues, une fois constituees, sont inalterables a travers les siecles, a la maniere
des especes vivantes nees au cours de quiproquo ideologique.
l'evolution, le conduit a discerner dans
certaines les traces de situations ar-

2. W. Bleek, « Ueber africanische Sprachenverwandtschaft , art. cite, p. 36.
3. W. Bleek, A comparative grammar..., op. cit., p. 13. Orientation favorisee par la documentation rapportee du
Pacifique par Grey.

1. Gumprecht, « Ueber den grossen siidafricanischen
Volks - und Sprachstamm,, Monatsberichte der Gesellschaft
fur Erdkunde zu, Berlin, 6, 1850, p. 142-191.

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ARTICLES

Repartition des langues selon Bleek (1853)
(tableau simplifie)
LANGUES
PRONOMINALES

I
GRANDE
FAMILLE
DESLANGUES
AFRICAINES

FAMILLE
DESLANGUES
SEXUELLES

11

!

RAMEAU
GRAND
D'AFRIQUE
AUSTRALE

i

II

I

I

RAMEAU
MERIDIONAL

I

I

DE SENEGAMBIE
IDIOMES
LACOTE
OUEST

I

~ I~ 1

GRAND
RAMEAU RAMEAU
D'AFRIQUE SEPTENTRIONAL
SEPTENTRIONALE

I
DE
IDIOMES
LACOTE
EST

I'

~~~I

I

CAFRETCHWANA
HERERO KONGO
I

I

I

INDOGERI
AAINS

MITES
SEMITES

I

KOI
SAN
(Hottentots)
(Bochimans)

NIL

SEMITO
AFRICAINS

EGYPTI
ENS

BERBERESGALLA,
SOMALI
BERBERES
SOMALI
GALLA,

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LES BANTOUS

Un stade de l'evolution culturelle: les Son succes est d'ailleursloin d'etre eteint.
II hierarchisaitles langues en trois types:
languesagglutinantes

au stade « isolant > (radicaux juxtaposes
sans morphemes) aurait succede le stade
(morphemes sous forme
d'affixes), puis le stade < flexionnel >
(formes grammaticales etroitement liees
aux radicaux, sous forme de declinaisons
siecle sur les langues « indogermaniques >. et de
conjugaisons). Les langues de ce
Dans la preface a sa < Grammaire> de dernier
type, parlees en Europe, etaient
1869, notre auteur affirme que <comme
les plus parfaites, les plus
jugees
organiques > du langage eclairent , les et en meme temps les plus
tendances mentales originelles » des
adaptees a des Etats civilises. Les langues
peuples et que la philologie permet donc bantu au contraire, appartenant a la
de faire remonter le champ d'etudes de deuxieme categorie
(avec leur systeme de
l'ethnologie a des milliers d'annees en prefixes), pouvaient des lors etre presenarriere.On retrouve l'organicismeroman- tees comme moins <
organiques >, juste
tique qui marquaitla litteraturespecialisee bonnes pour des peuples instables et
allemande. L'accent y etait mis sur la
primitifs 2
morphologie et la structure des langues,
La vision
qu'avaitdes langues
censees refleter de facon plus profonde bantu leur pejorative
est developpee
que les lexiques les cultures nationales avec une particuliere virulence dans son
avec leurs qualites intrinseques 1. En fait,
etude de 1868 sur
l'origine de la
comme le montre le tableau genealogique
>>3.
Ernst
Preface
Haeckel, le
langue
par
propose par Bleek, cette perspective etait biologiste qui introduisit le darwinisme
surtout marquee par les classificationsdes en
Allemagne, cet ouvrage s'inspire d'une
biologistes et les raisonnements de l'evo- publication recente d'August Schleicher
lutionnisme.
sur < la theorie darwinienne et la linDans cette vision genetique, cette his- guistique ». Developpant alors les contoire naturelle des langues, differents clusions culturelles de son classement
stades pouvaient etre distingues. Jakob philologique, Bleek y explique que les
Grimm n'avait-il pas deja explique dans langues a genres sont les seules a permettre
sa < Grammaireallemande> de 1819 que la personnification des animaux et des
les trois genres (masculin, feminin, neutre) choses (en les masculinisant ou en les
de l'allemandtraduisaientun niveau cultu- feminisant) et, par consequent, la
rel particulierement eleve ! Pour le construction d'univers poetiques ou phidomaine qui nous retient ici, il existait losophiques. Les langues a classes, au
un schema evolutif, propose par les freres contraire, contraignent, selon lui, leurs
Schlegel et par von Humboldt et mis en locuteurs a rester bloques a une vision
forme par August Schleicher(un botaniste peu coherente du monde, a demeurer au
devenu linguiste...) au milieu du 19e siecle. ras du sol, sans jamais acceder a la vision
L'orientation apportee par Bleek a ce
premier africanisme linguistique ne peut
se comprendre hors du contexte scientifique allemand et en particulier des
travaux elabores depuis le debut du 19e

2. Voir M. Houis, Anthropologie linquistique de l'Afrique
noire, Paris, PUF, 1971, p. 26-34.
3. W. Bleek, Ueber den Ursprung der Sprache, Weimar,
1868.

1. Notamment W. von Humboldt, De l'origine des
formes grammaticales et de leur influence sur le developpement
des idees (traduction fran~aise par A. Tonnelle), Paris, 1855,
p. 1-47 (ouvrage allemand paru en 1836).

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ARTICLES

d'une religion celeste ni a l'articulation ete consideres avec faveur durant la
d'une pensee scientifique:
premiere moitie du 19e siecle. Dans les
classificationsanthropologiques,ils etaient
< Dans la grande masse des nations qui toujours distingu6s des o negres propreparlent des langues a prefixe pronominal et ment dits >. Ils etaient consideres comme
dont plusieursconstituent pourtant de grandes
beaux, plus evolues et moins aptes
entites politiques, aucune n'a apport6 de plus
la
servitude
a
que les Noirs du golfe de
contribution notable a la connaissance scienGuine
2. En 1872 encore, Littr6 isolait
tifique... Cette realit6 est sans aucun doute
la consequence d'une incapacite organique la « race cafre > au sein de < l'esp&ce
dont la base reside manifestement dans le negre>, alors qu'a la fin du siecle la
manqued'une conception poetique de l'essence Grande Encyclopedieincluait les Bantous
des choses. La forme grammaticalede leurs dans la < race negre >. Les missionnaires
langues n'offre pas a leur imagination l'elan en Afrique australe ne tarissaient pas
superieur que la forme des langues sexuelles d'eloges sur leur beaute physique, sur
imprime avec une force irresistiblea la pensee les qualites syntaxiques et phonetiques
de leurs locuteurs > .
de leurs langues, voire sur leurs traditions
bibliques !
Le ton raciste de cette discrimination
Avec Bleek, leur culture se retrouvait
culturelle etait donn6 par Haeckel dans dans
l'impasse des langues agglutinantes.
la preface oiu il affirmait que ces < races On
peut se demander si ce changement
arrierees > lui rappelaient davantage < nos de
portrait n'a pas ete favorise par les
ancetres animaux > que Kant ou Goethe ! modalites de
l'expansion europeenne en
Nous avons vu l'interet preferentiel Afrique du Sud a cette epoque. Apres
le < grandtrek > des Baersvers l'interieur,
porte par Bleek a la culture des Hottentots, beneficiaires d'une langue a les conflits avec les societes africaines de
genres. Paradoxalement, le p&refondateur langues bantu s'etaient en effet aggraves,
du groupe bantou s'est donc employe a alors que les Hottentots ou les Bochimans
devaloriser cette famille linguistique, en n'offraient plus de difficultes. C'est en
la situant a un echelon radicalement 1857 (Bleek etait au Cap) que les Xhosa,
inferieur a celui occupe par les eleveurs las des abus de l'administration britanet les chasseurs-cueilleurs du groupe koi- nique et decus par l'echec de leurs revoltes
san. Il renversait ainsi de facon etonnante pr&ecdentes,se rallierent a un prophete
le regard port6 jusque-la par les Europeens et abattirent tout leur betail pour hater
sur les peuples d'Afrique australe. Les le jour de leur liberation... Face a ce

Bochimans et les Hottentots avaient plutot
6te decrits, de maniere d'ailleurs tres
caricaturale, comme l'incarnation de la
primitivite brute : ils se retrouvaient eriges
au rang de cousins eloignes des Semites
et des Europeens. Les peuples de langues
bantu au contraire, malgre l'etiquette de
< cafres > (tir6e d'un terme arabe designant < les infideles >), avaient plut6t

desespoir, la linguistique, le darwinisme
et l'imperialisme colonial debutant se
conjuguaient pour denier aux < Bantous >
le droit de s'exprimer.
Le modele ethno-philologique mis en
2. Voir J.-J. Virey, Histoire naturelle du genre humain,
Paris, 1824, vol. 2, p. 13; J.C. Prichard, Research into the
physical history of mankind, Londres, 1837, vol. 2, p. 360370.
3. E. Casalis, Etudes sur la langue sechuana, Paris,
1841, J.W. Appleyard, The Kafir language, King William's
Town, 1850.

I. Ibid, p. XXII.

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LES BANTOUS

ceuvre par Bleek a ensuite influence
durablementla linguistiqueafricaniste.On
peut le suivre a la trace chez les auteurs
ulterieurs,meme s'ils en ont parfois oublie
la source. Friedrich Muller, en 1876, fait
coincider le classement des langues avec
celui des types physiques identifies par
la chevelure : < race cafre > et < race
negre > sont regroupees dans la branche
des < chevelures laineuses en toison >>,les
Hottentots etant classes parmi les < chevelures laineuses en touffes »... Richard
Lepsius, en 1880, se defend de confondre
race et langue, mais il considere les
< langues negres bantu > comme plus
primitives que les < langues n&gres
melees >>de l'Ouest africain. En 1883,
l'Anglais Robert Cust s'insurge contre
ces hierarchies: les langues bantu valent
bien les langues aryennes, ecrit-il. Mais,
comme les autres, il estime que le langage
reflete < les traits caracteristiquessociaux
et intellectuels du peuple qui s'en sert , .
Cet amalgame se pretait a toutes les
hypotheses (kulturhistorisch), aux reconstitutions de
o races historiques >, comme on disait en
France depuis Augustin Thierry. En fait,
meme si la nature purement linguistique
du concept de bantu etait repetee, son
rapprochement avec les termes
ou < malayo-polynesien > lui donnait a
la fin du 19e siecle une connotation
raciale, dont Leon Poliakov a bien montre
tous les prolongementsen ce qui concerne
le modele indo-europeen2.
Le cadre ideologique dans lequel les
< Bantous > se sont trouves pieges par
la linguistique a perdure jusqu'au milieu

du 20e siecle, notamment par le biais des
travauxdu pasteurprussien Carl Meinhof,
un des maitres de la bantouistique contemporaine . Sa < Grammaire comparee > de 1906 a encore ete r6editee en
1948. Or, en bon disciple de l'ecole
< indogermaniste», il reste attache a la
hierarchie des langues, a l'inferiorite des
classes sur les genres et a un modele
genealogique qui le conduit a rechercher
les caracteristiquesd'un < bantu originel >
(Urbantu). Ses oeuvres sont traduites en
anglais a partir de 19104. Jan Vansina
souligne a juste titre que durant un siecle
(1851-1959) pres de la moitie des travaux
sur les langues bantu ont ete publi6s en
allemand et que la < Grammaire> de
Meinhof n'a ete reellement depassee que
dans les annees 1960.
En fait, le comparatisme fit negliger
la description des langues en tant que
telles. On observe meme dans la premiere
moitie du 20e siecle un recul de la
publication de textes de traditions orales,
au profit de la theorisation anthropologique . Aujourd'hui, les linguistes
auraient peut-etre choisi une denomination plus neutre pour le groupe bantu,
par exemple un decoupage geographique
(an Vansina suggere < groupe VaalBenoue >). En adoptant une sorte d'ethnonyme, Bleek ouvrait la voie a une
confusion des analyses et a toute une
litterature raciologique.
3. Grundziige einer vergleichenden Grammatik der Bantusprachen, Hambourg, 1906 (3e ed., 1948). Sur l'importance
de l'oeuvre de Meinhof, voir J. Vansina, « Bantu in the
crystal ball>, art. cite.
4. Notamment par Alice Werner, linguiste britannique
d'origine allemande.
5. Voir R. Finnegan, Oral literature in Africa, Oxford,
Clarendon, 1970, p. 26-47.

1. F. Mueller, Grundriss der Sprachwissenschaft, Vienne,
1876, p. 74; R. Lepsius, Nubische Grammatik, mit einer
Einleitung uber die Volker und Sprachen Afrikas, Berlin,
1880, p. 12-27. R. Cust, Sketch of the modern languages of
Africa, Londres, 1883 (traduction franaaise en 1885).
2. L. Poliakov, Le mythe aryen, Paris, Calmann-Levy,
1971, 354 p.

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peuples dits caucasiens... 3.
Tres t6t l'identification se fait franchement biologique. C'est la craniologie qui
est mise en oeuvre a la fin du 19esiecle.
D'apr&sles mensurations6tudiees par un
medecin, HarryJohnston, commissairedu
gouvernement britannique pour le protectoratd'Ouganda, explique en 1902 qu'il
existe une unite physique bantoue, des

O LA RACE BANTOUE DANS LE MIROIR DE
L'IDEOLOGIE COLONIALE

Langue et race: les .. Negres bantous >
La complementarite etroite entre linguistique et ethnologie, et en particulier
l'assimilation de la langue a un des elements
du patrimoine racial d'un groupe de
peuples, represente le fil conducteur de
l'ceuvre des philologues africanistes, de
Bleek a Meinhof, et au-dela. La derive
raciale du terme < est sensible
des la fin du 19e siecle. Un ethnologue
< Les
allemand peut ecrire en 1895':
peuples bantous se presentent comme une
unite ethnique (ein Stamm) dans leur aspect
ext6rieur, leur langue et leur developpement
moral et social >. Les ouvrages de vulgarisation, non specialises en anthropologie, sont plus revelateurs encore. On peut
lire dans une encyclop6die religieuse parue

Baganda aux Zoulous4.

En Afrique du

Sud, les compilationshistoriques plusieurs
fois reeditees de McCall Theal signalent,
des 1888, que la capacite cranienne des
Bantous se situe entre celle des Europeens
et celle des Hottentots: les memes criteres
sont employ6s dans la synthese dirigee par
l'anthropologueSchapera(reeditee encore
en 1953)5. Dans les annees 1930, l'anthropologue anglaisSeligmanimposa cette
vision dans un manuel qui fit autorite jus6
a Edimbourg en 19092:
qu'aux annees 19606:
Malgre que les
Bantous soient d6finis d'apres des criteres
< L'emploi initial du terme , bantu > est
linguistiques, on peut trouver, la oui des
linguistique.Les languesbantoues... sont appa- tribus bantou avoisinent des tribus nonrentees les unes aux autres, a peu pres comme
les langues aryennes... Mais comme les popu- bantou, que certainstraitsphysiques caracterisent a tel point chacun des groupes
lation parlant ces langues appartiennent,
quelques exceptions pres, a un type anthro- linguistiques que, pour des aires partipologique bien caracterise,il est devenu habi- culieres, une terminologie basee sur la
tuel, par commodite, d'employerce termepour langue est aussi valable pour differencier
designer ce type. Les peuples bantous sont a les groupes somatiques>.
un stade culturel sensiblement uniforme, et
Mais, plus generalement,c'est le concept
peuvent etre decrits generalementcomme a la de race < culturelle >>ou < historique >,
fois pasteurs et agriculteurs>.
inspire par le modele indo-europeen, qui
Comme le notait un manuel de
Plus recemment, on pourrait ironiser s'imposa.
1885
7:
< Les historiensont imite les natu<

sur le fait que dans la serie des Dictionnaires du savoir moderne >, ce n'est
pas dans le volume consacr6 au < langage >>,
mais dans celui intitule , I'anthropologie >
que les Bantous ont droit a une rubrique:
1. K. Barthel, < Die Volkergruppe der Bantu-Neger ,
Aus alien Weltteilen, 26(6), 1985, p. 279-284.
2. E.S. Hartland, < Bantu and South Africa >, in
J. Hastings (ed.), Encyclopaedia of religion and ethics, tome
2, Edimbourg, 1909, p. 351.

3. A. Akoun (ed.), L'anthropologie, Paris, Retz, 1972,
p. 75.
4. H.H. Johnston, The Uganda Protectorate, Londres,
1902, p. 480-482.
5. G. McCall Theal, The beginnings of South African
history. Londres, 1888 (reed. 1907), p. 7. R.A. Dart, < Racial
origins,, in I. Schapera (ed.), The Bantu-speaking tribes of
South Africa, Londres, 1937 (reed. 1953), p. 1-31.
6. C. Seligman, Races of Africa, Londres, 1930 (reed.,
1939, 1957, 1966), trad. fr., Paris, Payot, 1935, p. 159-160.
7. P. Topinard, Elements d'anthropologie generale, Paris,
1885, p. 117.

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LES BANTOUS

le modele ethnographique
dominanta la
fin du 19e et audebutdu 20esiecle,a savoir
le diffusionnisme3 : le developpementdes
culturesetait analysespatialementcomme
le fruit quasi exclusif d'influencesexterieures, de migrationset de conquetes.
Toutel'histoireafricainedevintunehistoire
de la mise en place des peuples (Siedconque sur une grande
lungsgeschichte),
la
recette
en est donneeen France
echelle,
a 'Ecoled'anthropologie
de Paris4: La
distributiongeographiquedes vainqueurs
et des vaincus,surtoutle degr6de m6tissage, qui mesure la duree des rapports
forcesentreles autochtoneset les derniers
venus, finissentpar suppleerles donnees
historiquesabsentes>.

ralistes, ils ont emprunte le mot de race
au langage courant et l'ont adapte a leurs
besoins,.
Cela est encore plus exact en
ce qui concerne l'ethnologie. Les voyageurs
Stanley et Emin Pacha observaient en effet
vers 1890 qu'il n'existait pas de < type
bantou », mais plutot une famille culturelle
< ndgroide >>,tres melee sur le plan somatique et qui ne se distinguait parfois de
ses autres voisins < negres > que par la
langue .
Depuis Johnston, la caracterisation
essentielle attribuee la

est l'activite agricole. Ce portrait de paysan
se retrouve dans la plupart des encyclopedies. La comparaison des editions successives est revelatrice: par exemple, le
dictionnaire allemand de Brockhaus definit
en 1901 < les peuples bantous >>comme
une < unite linguistique », et, en 1953, f les
Bantous > comme des < tribus negres ,
unies par la culture a la houe, l'levage
du petit b6tail et le culte des ancetres, sans
doute ce qu'un manuel americain recent
resume sous l'expression de I'economie
et la culture bantoues 2.

II fallaitau prealabledefinirle berceau
ou les foyers successifsd'expansiondes
Bantous. Avant meme que Meinhof ne
s'interrogesurun Urbantu,Johnstonavait,
des 1886, suggereque le peuplementde
toute la moitie Sud du continents'etait
effectuedepuisla regiondes grandslacs.
Depuis le debut du siecle, des itineraires

et des cartesont donc ete proposesselon
le modele d'un reseauramifieprenantsa
sourcevers le Nord-Est . La varietedes
types humainsconduit a distinguer,jusqu'auxannees1950, des
Origines et metissages: la quete d'ancetres
orientaux
Si l'usage s'6tait etabli de parler de
peuples bantous, deux questions devraient
etre elucid&es: celle de l'homogeneite
culturelle d'un ensemble aussi vaste, d'autre
part la contradiction entre la vision negative
laissee par les linguistes (vue ci-dessus) et
les portraits physiques et culturels favorables livres par les explorateurs des annees
1850-1890. La reponse fut trouvee dans
1. H.M. Stanley, Dans les tenebres de l'Afrique, trad.,
Paris, Hachette, 1890, vol. 2, p. 350-352. Emin Pacha (alias
E. Schnitzer), aout 1888 (Nachlass Emin Pascha, Staatsarchiv.,
622-2, Hambourg).
2. Brockhaus' Konversations-Lexikon, vol. 1, Leipzig,
1901, p. 364-365. Der grosse Brockhaus, vol. 1, Wiesbaden,
1953, p. 613, R.W. July, A history of the African peoples, New
York, Scribners, 1970, p. 134.

tiers >, et des < Bantous des savanes ,>, des

3. B. Ankermann, < Kulturkreise und Kulturschichten in
Afrika ,, Zeitschrift fur Ethnologie, 1905, p. 54-84.
4. A. Lefevre, < Races, peuples, langues d'Afrique ,
Revue de I'Ecole d'anthropologie de Paris, 1892, p. 65-79.
5. H.H. Johnston, The Kilima-Njaro Expedition, Londres,
1886 (cite par J. Vansina, < Bantu in the crystal ball ,, art.
cite, p. 304-305). K. Barthel, V
Volkerbewegungen auf der Sidhalfte des afrikanischen Kontinents >, Mitteilungen des V'ereins
fur Erdkunde zu Leipzig, 1893, p. 81-87. Exemples de cartes:
S. Passarge, Sudafrika, Leipzig, 1908, p. 164 (grands axes venus
du Nord-Est) ; C.W. Stow, The native race of South Africa,
Londres, 1905, hors-texte (echeveau ou se croisent Cafres,
Pheniciens et Persans...) H.H. Johnston, British Central Africa,
Londres, 1897, p. 480 (sorte d'arbre, repris dans le tome 2 de
sa Comparative study of the Bantu and semi-Bantu languages,
Oxford, Clarendon, 1919).

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ARTICLES

Carte 2. Les migrations bantoues : le modele de Johnston (1897,1919)
Schema cartographique illustrant l'origine probable
et les migrations des langues bantu et semi-bantu

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vn
Vn

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ARTICLES

et des < jeunes Bantous

l.

Ces reconstitutions se nouerent autour
d'un a priori fondamental: la distinction
entrel'originedes Bantouset celle des Noirs
< soudaniens > (de l'Afrique de l'Ouest).
Cette dichotomie n'a de fondement ni linguistique ni anthropologique2, mais elle
s'inscrit - est-ce un hasard ?- dans l'histoire

rie d'influences asiatiques et. Correspondant a une < rameau plus r6cent > de la
grande famille > negre > 5, elle semblait

superieure a celle des Africains du golfe
de Guinee. Sous la plume des religieux
(peres catholiques ou reverends protestants), I'explication fut trouvee dans la
de la Bible : il suffisait
d'identifier les branches correspondantes
des < Chamites > que la chute de la tour
de Babel etait censee avoir disperses vers
le Sud. Les Bantous se retrouverent, par
exemple, descendantsde Kouch (les autres
Noirs etant rattaches a Pouth) ou d'un
autre fils de Cham6. Le < Pays de Punt >
frequente par les marins de la reine de
Saba fut identifie au locatif swahili pwani
designantle littoral de l'ocean Indien (chez
le reverendpere Torrendet chez Meinhof).
Theal evoqua meme des tribus coptes et
des mercenairesgrecs egares de l'armeedu
pharaon Psammetique Ier! De facon plus
realiste, Meinhof, Johnston et, en 1927,
Dietrich Westermann associerent langue
bantu et langue peul : les Fulbe habitaient
certes en Afrique occidentale, mais les fantasmes orientaux plaques a l'epoque sur
leursoriginesrenvoyaientencore a un hori-

contemporainede deux espaces coloniaux,
oriental (a dominante anglophone) et occidental (a dominante francophone).
L'originaliteet les particularitesde l'espace bantou furent donc renvoyees a des
references extra-africaines, plus precisement a des origines orientales, asiatiques
ou oceaniennes. Selon une premierehypothese (qui remontaitimplicitementa Bleek),
les ancetres des Bantous venaient d'Oceanie, l'AllemandFranz Stuhlmann(un naturaliste et administrateurcolonial comme
Johnston) developpa l'idee d'une premiere
vague nigritienne originaire de Melanesie.
Maurice Delafosse, bien connu dans le
milieu colonial fransais, s'y rallia: pour
lui, tous les Noirs etaient venus du SudEst et les Bantous abritaientdonc les elements les plus primitifs, avant les contacts
civilisateurs avec les peuples du Nord du zon nilotique7.
Toutes ces suppositions s'integraienten
continent3. Une idee repandue egalement
chez les missionnaires-historiens du fait au modele dominantdans l'africanisme
( Ruanda-Urundi> sous mandat beige 4. au debut du 20e siecle, celui de l'hypothese
Mais le plus souvent les regardsse tour- hamitique. Tout trait culturel et tout type
nerent vers le Nord-Est, vers le Nil et la humain ne repondant pas au stereotype
mer Rouge qui semblaient plus dignes de du o negre > et de la sauvagerie etaient
la culturebantoue. Celle-ci auraitete nour- attribues a la penetration, plus ou moins
ancienne et plus ou moins intense, d'ele1. Par exemple, dans C. Van Buick, , Les langues
bantoues », in A. Meillet, M. Cohen (eds.), Les langues du
monde, Paris, Editions du CNRS, 1952, p. 847-848.
2. Voir E. Strouhal, Problemes poses par l'etude des races
humaines. Contribution anthropologique a I'histoire generale
de l'Afrique, Paris, UNESCO, p. 27-33, multigraphie.
3. M. Delafosse, Les Noirs de l'Afrique, Paris, Payot,
1922, p. 13-19.
4. A. Pages, Un royaume hamite au centre de l'Afrique,
Bruxelles, IRCB, 1933, p. 11-13. L. de Lacger, Ruanda, Namur,
1939, reed. Kabgayi, 1959, p. 49.

5. F. Ratzel, Volkerkunde, Leipzig, vol. 1, 1885, p. 234.
6. J. Torrend, A comparative grammar of the South African
languages, Londres, 1891, p. XXXIII-XLII. W.A. Crabtree,
Zulu origins >, Bantu Studies, 22 (2), 1922, p. 5-7.
7. Sur cette hypothese, voir J. Vansina, < Bantu in the
crystal ball >, art. cite; D. Westermann, Die westlichen Sudansprachen und ihre Beziehungen zum Bantu, Berlin, 1927. 11 y
eut aussi une these sumerienne (!) A. Drexel, , Gliederung
der afrikanischen Sprachen », Anthropos, 24, 1923, p. 32.

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LES BANTOUS

ments <, biologiquementsupe- la litteraturecoloniale, de l'Afrique du Sud
rieurs et porteurs de civilisation.Nous au Congo beige, pour y retrouver, de
avons analyseailleursce schemagobinien 1.
Les citations ne manqueraientpas. Franz
Stuhlmann en 1910 : < I1 faudra toujours
se demander en presence de chaque trait
de civilisation en Afrique s'il ne vient pas
de l'exterieur, c'est-a-dire d'Asie >. Seligman en 1930 : < Les civilisations de
l'Afrique sont les civilisationsdes Hamites
... Les envahisseurs hamites etaient des
Europeens " pastoraux, arrivant vague
apres vague, mieux armes et d'esprit plus
vif que les agriculteurs negres a peau
sombre >>2

maniere lancinante, cette hypothese du
metissage oriental, permettant de rendre
compte en terme de races de la diversite
des peuples de langues bantu5.

Dosages raciauxdans les culturesbantoues:
negres et semito-hamites
Les Bantous apparaissentdonc au debut

du 20e siecle comme une <, conjuguant un mirage oriental et
le fantasme du < negre > herite de la tra-

L'application de ce modele au monde
bantouphone a ete lancee essentiellement
par les ecrits de Johnston : le dynamisme

dition esclavagiste du 18esiecle et d'une
imagerie caricaturaledu 19esiecle (avant
le < negre banania >,il y eut des enseignes

gration en Afrique est-centrale d'un type

deux elements est effectue dans le cadre
d'< concues precisement
selon un modele quasi geologique d'em-

bantou serait du, selon lui, < a l'immi-

superieur d'humanite >>, une race de semi-

Caucasiens
>, des Protohamites qui se
seraient infiltres peu a peu depuis pres de
10 000 ans3. Or son influence a ete
enorme, non seulement dans les milieux
coloniaux britanniques a travers ses
ouvragesde referencesur l'Ougandaet sur
les pays du Zambeze, mais aussi dans l'ensemble de la communaute scientifique par
ses innombrables articles dans les revues
specialisees, par son grand ouvrage sur les
langues bantu et, plus largement, par ses
articles de synthese parus dans les editions
de 1903 et de 1912 de l'Encyclopaediabritannica et dont le contenu, abrege, sera
reprisjusqu'en 19624. I1suffit de feuilleter
1. < Vrais et faux negres ,, Le Monde-Dimanche, 28 juin
1981.
2. F. Stuhlmann, Handwerk und Industrie in Ostafrika,
Hambourg, Kolonialinstitut, 1910, p. 77. C. Seligman, Races
of Africa, op. cit., p. 96.
3. H.H. Johnston, , A survey of the ethnography of
Africa », Journal of the Royal Anthropological Institute, 1913,
p. 413. Meme hypothese « protohamitique , chez Stuhlmann,
(Handwerk und Industrie..., op. cit.), mais son ceuvre, en allemand, a connu une moindre diffusion.
4. Voir J.A. Casada, Sir Harry Hamilton Johnston. A biobibliographical study, Bile, Basler Afrika-Bibliographie, 1977,
118 p.

de debits de tabac !). Le dosage de ces

pilement de < couches , successives 6. Les

variationssont expliqueespar l'importance
relative des differentes composantes
raciales, par la date plus ou moins recente
de leurpenetrationet parle poids specifique
du climat (la chaleurhumide des tropiques
etant vue, a priori, comme un facteur de
degenerescence).
A ce titre, les populations de l'Ouest,
en gros les societes du bassin du Congo,
sont generalement depreciees sous l'etiquette de .Les colonisateurs
franqais, belges et allemands convergent
pour deplorerque soient
des gens tres inferieurs aux Noirs < soudaniens>. Ne lit-on pas dans une guide
a l'usage des administrateursau Congo
5. Par exemple, W.G. Willoughby, Race problem in the
new Africa, Oxford, 1923, p. 38-39 ; G. Van der Kerken, Les
societes bantoues du Congo belge, Bruxelles, 1920, p. 6-8.
6. Voir notre introduction dans J.-P. Chretien (ed.), Histoire rurale de l'Afrique des grands lacs, Paris, Afera-Karthala,
1983, p. 16-17.

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ARTICLES

belge en 1925 : < Ce qui caracterised'une
fa;on particulierementmarqueela racebantou et qui derive de l'etat de somnolence
danslequel son intelligenceest restee, c'est,
a s'en rapporteraux auteurs les plus qualifies, le mysticisme » ?
Vers l'Est et le Sud du continent, ou
l'infusion de sang kamite qui les differenciedes vraisnegres a ete la plus forte >
(Seligman),les limites geographiquesentre
Bantous sont remplaceespar des frontieres
sociales et politiques. Les aristocratesou
pretendus tels se voient crediter de plus
de sang maniement de l'iconographie serait de ce
point de vue tres interessanta suivre : les
< chefs > y sont volontiers representesdans
des postures nobles mettant en valeurleurs
< traits fins >, tandis que le peuple est

illustrepar des types humainsa la vulgarite
choisie, ce qui souligne l'opposition entre
< negres attenues > et < vrais negres ,

(selon les legendes des photos publiees par
Seligman)2.

Le Congres

universel des

races, tenu a l'Universite de Londres en
juillet 1911, enregistrele fait que 1 % des
Bantous aurait< des nez aquilinset etroits,
des levres minces et les beaux cranesvastes
et orthognathes de type hamitique >> !
L'anthropologiepolitique, depuisFriedrich
Ratzel, s'est engouffree dans cette voie.
En 1929, l'AllemandSpannausaffirmeque
dans les anciens royaumes africains gros du peuple en tant que tel est domin6
1. Recueil a l'usage des fonctionnaires et des agents du
service territorial au Congo belge, Leopoldville, 1925 (cite par
J. Kagabo, « Les mythes fondateurs du personnage de l'evolue »,
Culture et societe, 4, 1981, p. 124). Memes jugements dans
A. Cureau (medecin et gouverneur honoraire), La societe primitive de l'Afrique equatoriale, Paris, 1912, p. 13-20 et 6882; P. Daye, Le Congo belge, Bruges, Paris, Desclee de Brouwer, 1927, p. 75-76 ; A. Haenicke, « Land und Leute in unseren
Kolonien. Unser Kamerun », in Das Buch der deutschen Kolonien, Leipzig, Goldmann, 1937, p. 157-164.
2. C. Seligman, traduction citee de Races of Africa, p. 160
et planches photographiques 11 a 15.
3. F. von Luschan, , La race du point de vue anthropologique », in G. Spiller (ed.), Memoires sur le contact des
races, Londres, 1911, p. 22.

par une couche ethnique etrangere de
conquerants >4. Ce cliche de geopolitique
raciale est omnipresent dans la litterature
africanistede la premieremoitie du siecle:
les < conquerantshamito-semitiquesvenus
du Nord-Est de l'Afrique» ont partout
fait merveille. Les colonisateursen tirerent
meme des consequences tres pratiques:
la Deutsch-ostafrikanischeZeitung de Dar
es Salaam conseille, dans un article du 3
octobre 1903, de diversifier les punitions
selon les , races > : aux < Negres bantous >
les chatiments corporels, aux < Hamites >
et aux Hindous les amendes!
Le schema a fonctionne avec une sorte
de perfection dans la region des Grands
Lacs, en Ouganda et surtout au Rwanda
et au Burundi. Rappelons simplement ici
l'imageriesocio-racialestereotypeemise en
oeuvre5. D'un cote, des agriculteursindigenes, formantla masse, decrits en general
comme des negres sans qualites ni physiques ni morales, et voues a la servitude,
de ,vrais Bantous > selon la litterature
coloniale et missionnaire; d'autrepart, des
pasteurs d'origine ethiopienne, des
, Hamites > beauxet intelligents,faitspour
gouvernerde toute eternite. La fascination
suscitee par les categories tutsi ou hima
conduit certains auteurs a exclure cette
region de la zone culturellebantu au profit
d'une zone ,6. Le
neofeodalisme, mis en place par les differents colonisateurs, s'est calque sur ce
clivage congu comme racial. Le terme
< Bahutu > designant les agriculteursa ete
en general identifie a celui de

«

Bantu >

4. K.G. Spannaus, Zuge aus der politischen organisation
afrikanischer Volker und Staaten, these, Leipzig, 1929, p. 194.
e
5. J.-P. Chretien, Feodalite
ou feodalisation du Burundi
sous le Mandat beige ,, in Etudes africaines offertes a Henri
Brunschwig, Paris, Editions de l'Ecole des hautes etudes en
sciences sociales, 1982, p. 367-387.
6. H.L. Shantz, < Agricultural regions of Africa ,, Economic geography, octobre 1942, p. 347.

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LES BANTOUS

liserl'effetjugedangereuxdu livrede l'ar-

selon une etymologie implicite qui n'etait
en fait qu'un jeu de mots approximatif .
L'ambiguite de l'hypothese d'une origine
metisse des Bantous est eclairee par ces
exemples. Si les uns parlent d'un < affinement », d'autres insistent sur la degradation qui a accompagne la o negrification ». En fait, on voit se developper
au cours du 20e siecle le concept du < Bantou en tant que tel », auquel sont reserves
les traits negatifs, les ele6ments favorables
etant reserves aux mysterieux ancetres asiatiques. Cela explique l'acharnement avec
lequel les constructions de Zimbabwe ont
ete attribu6es a des Sabeens ou a des Pheniciens plutot qu'aux ancetres du peuple
autochtone shona: < II est difficile de
reconnaitre dans cette race timide d'esclaves
le peuple hardi et belliqueux qui fut durant
des siecles la race superieure et la plus
puissante du Monomotapa >, ecrivaient en
1902 les amateurs d'antiquites Hall et
Neal2. Malgre les conclusions contraires
de l'archeologue anglais Randall Maclver,
publiees en 1906 dans sa Mediaeval Rhodesia, on voit encore dans les annees 1920
le pere Schebesta proposer une origine
egyptienne ou le reverend Willoughby imaginer la presence ancienne d'une race superieure a peau claire dans ces parages. Mais
n'a-t-on pas soutenu en 1977, devant une
Universite parisienne, une these d'ethnologie proposant le meme type de bricolage fantasmagorique3 ! Le debat fut
identique en ce qui concerne les ruines de
Mapungubwe au Transvaal. Pour neutra-

cheologue Leo Fouche paru en 1937 et
qui concluait a une parente entre ce site
et celui de Zimbabwe, le gouvernement
sud-africain fit appel a l'anthropologue
Galloway qui definit (en 1937 et encore
en 1959) les squelettes trouves dans ces
fouilles comme ceux des ancetres des Bochimans et des Hottentots. II ne fallait surtout
pas trouver de Bantous a une epoque si
ancienne4 !

Des grandes migrations aux Bantoustans:
des Africains etrangers a leur pays
En faisant des Bantous des sortes de
metis negro-hamitiques, l'ideologie raciale
suggerait en outre le caractere relativement
recent de leur implantation. Tout se passe
comme si, a l'epoque coloniale, on avait
situe l'histoire originelle de ces peuples a
peu pres a la meme periode que la traite
des esclaves et le peuplement noir de l'Amerique. Le portrait donne des Bantous est
celui de nomades belliqueux dont les deplacements et les conquetes auraient ete juste
interrompus par l'arrivee des Europeens.
Jusqu'aux annees 1950, il se trouve des
auteurs pour placer vers le 16e siecle la
penetration de la foret equatoriale et la
descente vers le Sud des peuples de langues
bantu 5.
Cette chronologie courte est fondee sur
un traitement naif (ou faussement naif) des
sources, ecrites ou orales. L'histoire du
peuplement est assimilee a la chronique
de quelques peripeties guerrieres modernes.
Les raids des Zimba du moyen Zambeze
et ceux des Jaga de l'Angola aux 16e et
17e siecles, evoques avec effroi dans les
sources portugaises de cette epoque, furent

1. Sur cet amalgame et sa critique linguistique, voir les
articles de J. Guilbert et de A. Coupez dans le revue Zaire,
1952, p. 901 et 1955, p. 707-708.
2. R.W. Hall, W.G. Neal, Ancient ruins of Rhodesia,
Londres, 1902, p. 114-115. Historiographie de la question dans
R. Summers, Zimbabwe, traduction franaaise, Paris, Planete,
1971, p. 37-85.
3. P. Schebesta, « Die Zimbabwe-Kulture in Afrika ,
Anthropos, 1926, p. 519-521. W.G. Willoughby, Race problem
in the new Africa, op.cit., p. 22-24. E.V. Bogomas, L'heritage
de Zimbabwe, these, Paris, Universite de ParisVII, 1978, multigr.

4. Voir Marianne Cornevin, L'apartheid: pouvoir et falsification historique, Paris, UNESCO, 1979, p. 90-92.
5. A. Moeller, Les grandes lignes des migrations des Bantous
de la Province orientale du Congo belge, Bruxelles, ARSOM,
1936, p. 29.

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Carte 4. Migrants blancs et bantous selon la theorie officielle sud-africaine
(Van laarsveld, 1975)

ancs et des Bantous sur la Fish River

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LES BANTOUS

erigeesen veritables< grandesinvasions>
bantoues1. Le modelepresentdansla tete
etaiten faitcelui
desauteurscontemporains
desconqueteszouloude lapremieremoitie
du 19e siecle : ce mouvement,ne chez les
Nguni du Natal, fut ressentijusque sur
les bordsdu lacTanganyika.
Soninitiateur,
un
des
comme
successeur
Chaka,apparut
la
aureole
cruaute
et
avec
meme
de
Jaga,
de sauvagerie2. Selon la meme myopie,

temps, et meme les premiers avant les
seconds. Le manuelde VanJaarsveldpublic
en 1975, dont 10 pages sur 480 sont consacrees aux Bantous, reconnait des traces de
leur presence au Transvaal au 5e siecle,
mais pour conclure que les « premieres
hordes de Xhosa-Bantu » et les Blancs se
sont rencontressur la Fish River vers 1770.
L'annuairedu ministere de l'Information,
South Africa 1977, exprimeplus nettement
cette ideologie de la simultaneitedes migrations : « Avant leur migrationen direction
du Sud, il semble que les ancetresdes Noirs
habitant aujourd'hui en Afrique du Sud
vivaient dans la region des grands lacs de
l'Afrique centrale. Leur entree sur le territoire de l'actuelleAfrique du Sud a coincide approximativementdans le temps avec
l'arrivee des premiers Blancs au Cap en

l'expansiondesFangauGabonau 19esiecle
ou la descentedes Massaisur les plateaux
d'Afriqueorientaleau 18esiecledonnerent
surles migrations
lieu a des extrapolations
bantoues, L'interpretationdes traditions
orales,en particulierdes recitsd'origines,
sembla cautionner, jusqu'a une date
de ce genre:
recente,des anachronismes
d'unetraditionlocaledu Botswana,Theal
avaitdeduitque les Bantousetaientvenus 1652 >>4.
de au 15e
L'apartheid et l'attribution de Bansiecle ; de genealogieset de traditionsligna- toustans, concus comme autant de camgeresrecueilliesauRwandaou en Ouganda pements stabilises, sont au terme d'une
dans les annees 1960-1970, certains chercheurs se sont crus autorises a placer l'ar-

demarcheepistemologique et ideologique.
Ecrits scientifiques et ceuvres de vulgarivee de < defricheurs > bantous a des dates risation ont construit l'image reifiee, figee
beaucoup plus recentes que celles fournies et totalisanted'un groupede peuples definis
racialementmetis et instables a partir d'un
maintenant par l'archeologie . Quiproquos sur la nature des faits evoques ou vocabulaire de linguistes.
limites structurellesde la memoire orale ?
Les colons blancs d'Afrique du Sud, 0 MUNTU: LES QUIPROQUOS D'UN HUMANISME AFRICAIN
marquespar la durete de la resistancezoulou dans les annees 1870, ont particulie- Les hommes de
l'agriculture et du fer
rement cultive cette vision guerriere et
Le d6bat scientifique a pris un nouveau
recente du peuplement africain. La these
cours
dans les annees 1950: les travaux
officielle de cet Etat veut que les Europeens
des
linguistes et ceux des archeologues
et les Bantous soient arrives en meme
(capables depuis les annees 1960 de dater
1. Par exemple, R. Avelot, « Les grands mouvements de
peuples en Afrique », Bulletin de geographie historique et descriptive, 1-2, 1919, 144 p (numero special).
2. Par exemple, W.G. Willoughby, Race problem in the
new Africa, op.cit., p. 36-40 ; R. Verneau, L'homme. Races et
coutumes, Paris, Larousse, 1931, p. 80.
3. Par exemple chez C. Buchanan, The Kitara complex:
the historical tradition of Western Uganda to the XVIth century,
Ph.D., Indiana University, 1974, p. 27 et 98-99, multigr.

4. Cite par M. Cornevin, op. cit., p. 78. Voir aussi:
F.A. Van Jaarsveld, From Van Riebeck to Vorster, 1652-1974,
Johannesbourg, Perskor Publisher, 1975, p. 54-58 (voir la carte
reproduite ici); J. Leguebe, L'Afrique du Sud contemporaine,
Paris, PUF, 1978, p. 44-49. Paru dans la tres serieuse collection
« L'historien ", ce dernier ouvrage est un veritable pamphlet
au service des theses de Pretoria, qui affirme, entre autres, que
les seuls sedentaires en Afrique du Sud au 18' siecle etaient
les Blancs...

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les sites par le procededu radiocarbone) posa, dans les annees 1960, une synthese
ont recentrela questionsur les realitesdu qui fit autoritedurantau moins une dizaine
terrain.Ces nouvellesrecherchesn'ontpas d'annees, ce que Jan Vansina appelle < le
seulementinteresseles specialistes,elles paradigme de Londres ». II y reliait les
ont donne un nouvel elan a l'affirmation resultatsde l'archeologieavec les nouvelles
d'unecivilisationafricaineprecoloniale,et hypotheses du linguiste Malcolm Guthrie.
d'abordsurle plande la culturematerielle. Or ce dernier,a la suite d'un enormetravail
Les ceuvresconjugueesde deux uni- de comparaisons,venaitde localiserle foyer
versitairesamericains,le linguisteJoseph protobantouvers le Katanga,contrairement
et l'anthropologue
Greenberg
GeorgeMur- a Greenberg qui situait la cristallisation
dock, ont d'abordretablile lien historique de la famillebantuversle Cameroun.Oliver
entreAfriqueoccidentaleet Afriquecen- proposait donc qu'apres une premiere
trale et australe: les languesbantu s'in- vague de migrations prehistoriques du
tegraient a la grande famille < Niger- Nord-Ouest vers le Sud-Est (traversantou
bantoueetaitassocie contournant la grande foret congolaise),
Congo >>,
l'expansion
a une pression demographiqueet a une on ait assiste durant le premier millenaire
expansionagricolevers le Sud, paralleles de notre ere a une concentration demoau dessechementprogressif de l'espace graphique dans les savanes australes oi

avaient pu se developper la fonte du fer
et une agriculture riche, combinant
Puis l'importancede la metallurgiedu cereales, racines et bananiers(grace a des
fer, souligneedes 1959par le prehistorien influences malaises venues de l'ocean
sahariendepuisle IIIemillenaireavantnotre
ere.

DesmondClarkpour les sites anciensde Indien) . Cette hypothese, diffusee par
l'Afriquedu Sud, devint le coeur de la leJournalof AfricanHistory (creeen 1960),
definition archeologiquedes societes de reprise par les historiens africanistesfranlanguesbantua partirdesrecherches
paral- aaisde l'epoque, celebreepar Basil Davidleles menees au Kenya, en Ouganda,au son, le chantre de l'Afrique ancienne,
Rwandaet au Katanga(Shabaactuel): en consolidait sur de nouvelles bases la vision
effet, un type de ceramiquedite dimple d'une grande civilisation des agriculteurs
basedpottery (depuis 1948), ou poteries et forgerons bantous, dignes d'avoir ete
a < fossettebasale>,semblaitregulierement les batisseursdes forteressesde Zimbabwe.
associe au fer et a la presencede types L'interpretation economique et technohumainsprotobantousavant l'an 1 000. logique remplaaaitles reves de guerres et
La dimplebaseddevint la cartede visite de conquetes.
des Bantous2. L'historienRolandOliver,
Cependant, des critiques se firent jour
quienseignaplusieursanneesa l'Universite des les annees 1970. Les linguistes, peu
de Makerere(Ouganda)avantd'etrepro- convaincus en general par le schema de
fesseura la Schoolof Orientalan African Guthrie, insisterent sur les phenomenes
Studiesde l'Universitede Londres,pro- de contacts et de convergencesqui devaient
mettre en garde contre un passage trop
facile du comparatismea des modeles gene-

1. J.H. Greenberg, Languages of Africa, Bloomington,
La Haye, Mouton, 1966, 180 p. (1"e version parue des 1955);
G.P. Murdock, Africa. Its people and their culture history, New
York, McGraw-Hill, 1959, 456 p.
2. Voir la synthese recente de D.W. Philipson, The later
prehistory of Eastern and Southern Africa, Londres, Heinemann,
1977, 323 p.

3. Notamment, dans ' The problem of the Bantu expansion », Journal of African history, 7 (3), 1966, p. 361-376 (voir
carte).

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LES BANTOUS

Carte 5. Le "Noyau protobantou" du Shaba
(Oliver, 1966)

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lequel etait traitee en particulier la culture
africaine par les colons du Congo beige.
Quand on lit l'etude publiee encore en
1960, sous les auspices de l'Universite libre
de Bruxelles, sur < la morale bantoue >
(d'oiu la bonte, le courage, l'esprit critique,
l'hygiene, etc. seraient bannis...)3, on
comprend que ce missionnaire, familier des
population luba, ait cherche a faire entendre
un langage plus positif et plus chaleureux.
Alioune Diop avait eu du mal a recuperer
au Congo, en 1946, cet ouvrage semi-interdit. II en fut recompens : Gaston Bachelard, Albert Camus, Gabriel Marcel firent
Philosophie bantoue et negritude
l'eloge de cette oeuvre a l'egal de l'Orphee
noir
de Sartre publie en 1948 ! Senghor
Mais l'image de l'expansion bantoue
se
refera
a Tempels, lors des congres de
echappa de la plume des specialistes. Elle
Paris
et
de
Rome, pour definir son < humaeveillait trop d'echos dans l'Afrique des
nisme
>. Sans doute un tel livre etait
negre
independances, en reaction contre le deniattendu
chez
les intellectuels exasperes par
grement colonial, mais non sans quiprodiscours
le
du colonialisme. Mais
persistant
quos avec l'heritage intellectuel de ce
de
si
l'on
examine
plus
pres son contenu,
dernier. La science semblait fournir des
le
semble
quiproquo
incroyable.
armes a la renaissance culturelle incarnee
La grande idee de Tempels, celle qui
par les Congres des ecrivains et artistes
noirs tenus a Paris et a Rome en 1956 et repose selon lui au coeur de la philosophie
1959. La culture bantoue venait en effet informulee des Bantous, c'est l'affirmation
d'etre magnifiee pour sa < philosophie >,. ontologique de la force vitale : l'tre (-ntu)
est force, il est action et non substance
En 1949 (avant deux autres reeditions),
A cote d'analyses int6ressantes
immuable.
Alioune Diop, fondateur et directeur de
sur
la revue Presence africaine, avait preface
l'importance de la vie, des relations
la traduction francaise d'un opuscule publie interpersonnelles et des liens quasi affectifs
a Leopoldville en 1945 par un missionnaire entretenus avec l'environnement, cette
etude peche par la faiblesse des references,
flamand, Placide Tempels 2. La philosophie
bantoue representait une reaction contre de ses exemples et de sa base linguistique.
l'europeocentrisme et contre le mepris avec Les critiques emises dans Presence africaine
en 1968 par le jesuite camerounais Fabien
Eboussi Boulaga furent peu entendues4.
1. Sur les debats recents: B. Heine, « Zur genetischen
Gliederung der Banty-Sprchen >, Afrika und Uebersee, 61 (3),
Cette < ethnophilosophie > quelque peu
1973, p. 164-185. T.N. Huffman, tiques, a la maniere des arbres genealogiques de langues du 19e siecle, et contre
la f6tichisation d'un < protobantou >>theorique. Les archeologues insisterent sur la
diversite des types de ceramiques au sein
d'un meme espace regional, sur la multiplicite des foyers techniques, sur les
emprunts, sur l'impossibilite de se contenter d'une equation simpliste entre
langue, type humain et culture materielle 1.
Bref, l'histoire de l'Afrique centrale et australe ne peut se reduire a une < migration
bantoue >, ni meme a une seule civilisation.

South African Archaeological Bulletin,
spread of the Bantu
,,
1970, p. 3-21. P. de Maret, F. Nsuka, « History of Bantu
metallurgy : some linguistic aspect >, History in Africa, 4, 1977,
p. 43-66. C. Ehret, « Agricultural history in Central and Southern Africa (ca. 1 000 BC to AD 500) >>,TransafricanJournal
of History, 4 (1-2), 1974, p. 1-26. L. Bouquiaux (ed.), L'expansion bantoue, Paris, Selaf, 1980, 3 vol., 848 p. (Actes du
colloque de Viviers, CNRS, avril 1977).
2. P. Tempels, La philosophie bantoue, Paris, Presence
africaine, 1949, 125 p. (reed. 1961).

3. J. Ruytinx, La morale bantoue et le probleme de 'education morale au Congo, Bruxelles, ULB, 1960, 126 p.
4. Critiques de Tempels : F. Eboussi Boulaga, « Le Bantou
problematique >, Presence africaine, 2, 1968, p. 4-40;
S.O. Okafor, , Bantu philosophy. Placide Tempels revisited >,
Journal of Religions in Africa, 13 (2), 1982, p. 83-100.
P. Hountondji, Sur la « Philosophie africaine ,, Paris, Maspero,
1977, 159 p.

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LES BANTOUS

rousseauiste renvoyait plut6t au principe
de selon Levy-Briihl, voire a l'elan
vital > de Bergson et elle se referaitexpressement au vitalisme biologique du docteur
Alexis Carrel(L'homme,cet inconnu, 1935)
et a l'experience d'un magistrat colonial,
E. Possoz, qui avait publiC en 1943 un

L'ideologie bantouiste et ses contradictions
L'ethnophilosophie bantouiste a fleuri
jusqu'a ce jour, notamment, et cela n'est
pas sans signification, chez des religieux
africains soucieux d'approfondirune synthese entre religion chretienne et culture
africaine. Ils mobilisent linguistique et
de
d'ailleursplus contraite de < droit coutumier ». En derniere anthropologie, fa;on
vaincante
Tempels. On pense aux
instance, comme le releve ironiquement oeuvres duque
Rwandais
Alexis Kagame, du
Eboussi, Aristote devait avoir ete bantou, ZairoisVincent
Mulagoou du KenyanJohn
ou plus exactement saint Thomas, qui fait
Mbiti . Mais l'heritage de l'ethnologie
intervenir la notion d'" acte participe >
est egalement recupere. Le mot
dans la definition de l'etre : une < meta- coloniale
< bantu >, ecrit le Zairois Balihuta6,
physique dynamique de l'etre comme <
signifie le type humain de la race noire
acte 1'.Tempels, impregne de thomisme,
en
subsaharienne».
cache mal que pour lui le ntu est une pierre predominante Afrique
la
semantique et la phod'attente de la Grace : < La civilisation Aujourd'hui,
le
ont
pris relais du role joue par
bantoue sera chretienne ou elle ne sera nologie
la craniologieau 19esiecle. II s'agittoujours
pas >.
une langue,
La motivation du livre est claire : il s'agit d'etablir une equation entre
une culture et un peuple originel. On
de < partir de la vraie coutume indigene
retrouve meme, dans des oeuvres recentes
pour conduire les negres vers une veritable a
pretention ethno-historique, les grands
civilisation bantoue > et leur eviter le
schemas
du 19e siecle : migrations trans< deracinement » et le <continentales
venues d'une lointaine Asie,
Ces phrases etaient ecrites quelques mois
illusion d'un foyer originel unique, voire
apres l'agitation qui avait secoue le milieu
comme dans une publides < evolues >, notamment a Lulua- greffes bibliques,
cation camerounaise ou les Bantous se
bourg . De ce point de vue, Tempels,

celebre ensuite par les prophetes du panafricanismeculturel, se situait d'abord dans
le droit fil de 1'< indigenisme >, dominant
dans l'ideologie coloniale belge4, tout en

voient appeles < Puta > (sans doute d'apres

Pouth, fils de Cham !) et sont supposes
avoir suivi de « Abakushi > (issus de
Kouch ?) venus de Mesopotamie7. Des

hypotheses invoquees au titre de < tra-

lui donnant un nouveau souffle plus humaniste.

ditions africaines authentiques », parfois

1. D'apres E. Gilson, Le thomisme, Paris, 1922. I1 existait
une tradition missionnaire valorisant les religions africaines et
leur monotheisme latent : voir A. Le Roy, , Les populations
de culture inferieure », in J. Huby (ed.), Christus, Paris, 1912
(5' ed.), p. 54-79 (sur les Bantous).
2. P. Tempels, La philosophie bantoue, op.cit., p. 17.
3. J.-L. Vellut, , Le Katanga industriel en 1934 : malaises
et anxietes de la societe coloniale >,, in Le Congo belge dans
la deuxieme guerre mondiale, Bruxelles, ARSOM, 1983, p. 495523.
4. Voir les etudes de B. Jewsiewicki sur cet aspect, par
exemple « African peasants in the totalitarian colonial society
of the Belgian Congo ,, in M. Klein, Peasants in Africa, Los
Angeles, Sage Publications, 1980, p. 45-74.

5. A. Kagame, La philosophie bantu comparee, Paris, Presence africaine, 1976; V. Mulago, Un visage africain du christianisme, Paris, Presence africaine, 1965; J. Mbiti, African
religions and philosophy, Londres, Heinemann, 1969.
6. K. Balihuta, , Langue et culture des Bantu ,, Presence
africaine, 2, 1975, p. 31-52.
7. Dika-Akwa, Les problemes de l'anthropologie et de
l'histoire africaine, Yaounde, Cle, 1982, p. 122-127.

non sans virulence nationaliste, peuvent
s'averer reprises directement d'auteurs
coloniaux des annees 1890-1930: ici l'assimilation Punt-Pwani que nous avons

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trouveechez le pereTorrend; l des recits cote d'un programmedont l'interetsciende migrationspuises dans l'ceuvred'un tifique est indiscutable(une banque de
anciengouverneurbeige (A. Moeller)1. donnees),ce centre(pourlequelle pluriel
Cetteconfusiondessourcesauseind'une a ete refuse
entiteintitulee et par ses promoteurs)se fixe un objectif
lue commeune Revelationa ete preparee politico-culturelevident: en faitparcinquanteans de manipulations conserverles valeursauthentiquesde la
des sources orales, notammenta travers civilisationbantu qui constituele patrila grillede lecturedes missionnaireseth- moine culturelcommunde 150 millions
nologues. Ce processusechappesouvent d'Africains» (communiquefinalsignepar
del'avant-projet
auregarddeschercheursactuels,caril s'est huitpays).Laconsultation
du
confirme
le souci legiessentiellement
au
niveau
des
programme
que
developpe
time
de
mettre
en
valeur
des
manuels
des
feuilles
roneopeuples et
scolaires,
petits
des
cultures
souvent
de
des
en
trop
meprises
typees dioceses, journaux langues
vernaculaires.
C'estainsiquedansle perio- debouchesur un melangede naturalisme
dique catholique Rusizira Amarembe, et de mysticismequi evoque moins les
publie en kirundi,on peut lire, dans les preoccupations scientifiques contemponumerosde juin 1943et d'avril1944, que rainesque les vieilles conceptionsdu Volkstous les Noirs sont issus de < Kami> et geist.
Ces conceptions< organiques> ne doique les Bantousen particuliersont venus
d'Oceanieou duMaghreb.Lesinstituteurs, ventpas etremisesau comptede la < speles catechistesou les chefs lettres du cificiteafricaniste>. II est tempsde sortir
Burundiqui lisaientcela etaientpersuades del'exotismeculturel.On retrouveen effet,
de se trouver en presenced'une verite a l'issued'unehistoireintellectuellecomauthentifiee
parla triplevertude l'imprime, plexe que nous avons essayede resumer,
d'un mode de conscience
de l'Eglise et de leur langue nationale2. la cristallisation
tente
collective
aujourd'huitoutes les
ce
ne
sont
les
qui
Aujourd'hui,
pas linguistes
ou les historiensafricains,formesa la dis- societes. Si, par exemple, en Afrique le
ciplinede leur secteurrespectif,qui sont structuralisme de Levi-Strauss peut-etre
le plus marquespar ce quiproquo,mais exploite en ce sens, comment oublier que
des philosophesou des theologiens,des les idees de Dumezil ont aussi ete utilisees
cadres administratifsou politiques, qui par les tenants de l'indo-europeanismele
n'ontpaseu l'occasionde remettreen cause plus ultra3 ! L'hyper-ethnisme bantou,
leurslecturesde jeunesseet qui, surtout, forge de l'exterieura partirde la linguistique
y voientun interetideologique.Lacreation et de l'anthropologiede la fin du 19e siecle,
en juillet1982a Librevilledu Centreinter- puis revigore de 'interieur comme une
nationalde civilisationbantu (CICIBA) variante de la negritude depuis le milieu
exprimeparfaitementcette ambiguite.A du 20e siecle, est ideologiquement plus
proche des grandes theories raciales occidentales que des anciennes solidarites africaines.

1. Mutuza Kabe, , Quelques reflexions sur les etudes
historiques de l'Afrique noire », Au cceur de l'Afrique (Bujumbura), 23 (6), 1983, p. 383-390.
2. Nous avons etudie ce processus dans le cas de l'Afrique
orientale: « Les historiens confrontes l'echange inegal de l'oral
et de l'ecrit ,, in B. Jewsiewicki (ed.), African historiography,
Los Angeles, Sage Publications (sous presse).

3. Voir B. Sergent, < Penser - et mal penser - les IndoEuropeens ,, Annales ESC, 37 (4), 1982, p. 669-681.

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