La nouvelle est tombée ce 5 décembre. Abrupte. Notre confrère, notre camarade, notre ami Jean Chatain a profité de la grève générale en France pour nous laisser. Au sein de la rédaction de
l’Humanité, son journal de toujours, la peine et la tristesse sont immenses. Aussi bien chez les jeunes journalistes que chez les plus anciens, tant le travail de « Jeannot » – ainsi que nous l’appelions – a marqué les pages de l’Huma.
Jean Chatain était un monument de l’Humanité. Un de ces journalistes si rares aujourd’hui qui avait une haute considération de cette profession et n’oubliait jamais la responsabilité qui lui était confiée, celle d’informer, parfois au péril de sa vie, comme au Rwanda.
Jean Chatain savait parler des petites gens, ceux qui souffrent et ceux qui luttent. Il avait ses convictions communistes chevillées au corps. Il ne les a jamais abandonnées.
Jean est né le 6 septembre 1942 à Argenton-sur-Creuse. Son enfance et son adolescence se passent à la campagne. Le père est meunier. Du collège d’Argenton, il passe au lycée de Châteauroux, étudie la sociologie à l’université de Poitiers puis obtient un certificat en ethnographie au musée de l’Homme. Il a 20 ans lorsque se termine enfin la guerre d’Algérie. À l’été 1964, il participe à un chantier de solidarité avec les jeunes algériens du Front de libération nationale (FLN). Il adhère d’abord au PSU, puis rejoint le Parti communiste français en 1966. Les luttes de libération dans le monde et l’anticolonialisme resteront ses boussoles. Y compris quand, en 1972, il devient secrétaire général de la revue
Économie et politique, poste qu’il occupera sept années. En 1980, il intègre le service politique de
l’Humanité comme journaliste parlementaire mais aussi en charge de la Nouvelle-Calédonie. En 1987, il publie un livre choc :
les Affaires de M. Le Pen (Messidor) puis, en 1991
Pitchipoï via Drancy : le camp 1941-1944 (Messidor).
Au début des années 1990, il rejoint le service international de l’Huma, où il va apprendre à connaître et aimer l’Afrique. En 1994, il est l’envoyé spécial du journal au Rwanda, où il va produire un travail extraordinaire sur les lieux mêmes du génocide contre les Tutsis. Il s’y rend à deux reprises. En avril, dans l’est du pays, à Mulindi, puis en juillet à Kigali et dans le Nord. «
On avait l’impression que la terre vomissait les corps, on marchait sur des cadavres. Et l’odeur ! Une des tactiques des tueurs : on tranchait le mollet, elles ne pouvaient ainsi plus se déplacer », témoigne-t-il alors. En 2007, il revient longuement sur ces questions dans
Paysage après le génocide (le Temps des cerises), ouvrage impressionnant qui fait de lui l’un des spécialistes de cette question. Surtout, il pointe du doigt la responsabilité de la France officielle. On le verra ainsi témoigner lors de différents procès et s’élever contre «
le négationnisme, une constante française », titre d’un article publié en décembre 2014 dans la revue
les Temps modernes. Il a déposé aux archives de la Seine-Saint-Denis ses centaines de négatifs, photos réalisées au Rwanda et utilisées récemment par le Mémorial de la Shoah pour son exposition sur les génocides. Les éditions
Izuba s’apprêtent à publier une compilation de ses articles sous le titre
Nuit et brouillard sur le Rwanda.
Amoureux du cinéma américain et de polars, bon vivant devant l’éternel, Jeannot nous a surpris une fois de plus ce 5 décembre. Sa voix rugueuse, son érudition, son humour pince-sans-rire nous manquent déjà.
Pierre Barbancey