La nouvelle était attendue depuis le mois d’octobre. Elle a été divulguée par Twitter, lundi 24 décembre, par le gouvernement rwandais lui-même. Les sept proches du président rwandais Paul Kagame poursuivis par la justice française dans l’enquête sur l’attentat contre le président Habyarimana, le 6 avril 1994, ne seront pas traduits en cour d’Assises.
Government of Rwanda
@RwandaGov
The Government of Rwanda has learned, through the accused, of the decision by Judges Jean-Marc Herbaut and Nathalie Poux to definitively close their investigation into the downing of President Habyarimana’s plane in 1994 without charges, due to lack of evidence. 1/4
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21:29 - 24 déc. 2018
Dans l’ordonnance de non-lieu que les juges d’instruction ont rendue le 21 décembre, ils expliquent avoir pris cette décision «
en l’absence de charges suffisantes ». Ils ont suivi en cela les réquisitions du parquet de Paris qui avait réclamé en octobre l’abandon des poursuites contre ces derniers.
Un attentat non élucidé
Le 6 avril 1994, le Falcon 50 du président rwandais, piloté par un équipage français, est abattu par un missile à son approche de l’aéroport de Kigali. Tous les passagers sont tués, dont le président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira. Au lendemain de cet attentat, l’appareil sécuritaire rwandais s’attaque aux Tutsis et aux Hutus de l’opposition. Les Tutsis sont victimes d’un génocide, le dernier du XX
e siècle.
Au même moment, le Front Patriotique rwandais (FPR), un mouvement armé composé essentiellement de Tutsis rwandais exilés en Ouganda pour échapper aux persécutions dont ils sont victimes depuis 1959, passe à l’offensive. Le FPR, dirigé par Paul Kagame, prend Kigali le 4 juillet 1994. Depuis, il dirige sans partage le Rwanda.
Ce 6 avril 1994, qui a abattu l’avion présidentiel? On ne le sait toujours pas.
Une affaire judiciaire vieille de 20 ans
En 1998, une information judiciaire avait été ouverte en France après la plainte des familles de l’équipage, composé de Français. Le premier juge saisi de ce dossier, Jean-Louis Bruguière, avait privilégié l’hypothèse d’un attentat commis par des soldats du FPR.
Il avait désigné Paul Kagame comme le principal responsable de cet attentat, assurant que pour lui, «
l’élimination physique du président Habyarimana s’était imposée à partir d’octobre 1993 comme l’unique moyen de parvenir à ses fins politiques », en l’occurrence « une victoire totale, et ce au prix du massacre des Tutsis dits de l’intérieur
».
Mais ses successeurs ne sont pas sur cette ligne. En janvier 2012, dans le rapport d’expertise des juges Marc Trévidic et Nathalie Poux, qui ont succédé au juge Bruguière sur le dossier, la piste d’un attentat perpétré par les extrémistes rwandais pour se débarrasser d’un président jugé trop accommodant avec le FPR, n’est plus écarté.
En décembre 2017, le juge Jean-Marc Herbaut décide de clore l’enquête.
Une affaire qui empoisonne les relations entre la France et le Rwanda
Le soupçon émis par le juge Bruguière, largement partagé par les militaires et les politiques français impliqués dans le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, a considérablement terni les relations entre les deux pays. Pour répondre à ces accusations, Kigali a chargé une commission de faire la lumière sur la responsabilité française dans le génocide des Tutsis au Rwanda, à partir de 2004.
Les relations diplomatiques entre les deux pays ont été rompues quand le juge Bruguière a émis neuf mandats d’arrêts contre des proches de Kagame. Deux ans plus tard, en 2008, c’est au tour du Rwanda d’accuser des politiques et des militaires français d’avoir participé à la préparation et à l’exécution du génocide contre les Tutsis.
L’élection d’Emmanuel Macron redistribue les cartes
Si sous Nicolas Sarkozy, les relations entre les deux pays s’étaient réchauffées, elles s’étaient de nouveau refroidies sous François Hollande. Son successeur, Emmanuel Macron, veut en finir avec ces années tendues. En proposant et en soutenant la ministre des affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, au poste de secrétaire de la Francophonie, il a manifesté son désir de nouer une nouvelle relation avec Kigali.
«
Le volet judiciaire de notre relation ne facilite pas les choses », confiait en octobre à
La Croix, un proche de l’Élysée. En promulguant cette ordonnance de non-lieu, les juges d’instruction français favorisent la politique suivie par l’Élysée : et sans doute un futur voyage du président Macron au Rwanda.