Sous titre
Jean-Pierre Cosse, éditions L’Harmattan, 570 pages, 32 euros.
Citation
Vingt années ont passé depuis le génocide perpétré au Rwanda en 1994. Deux décennies durant lesquelles les autorités françaises se sont obstinées à repousser toute interrogation sur le rôle qui fut le leur durant les trois mois de carnage planifié (un million de morts en une centaine de jours) ainsi que durant la période précédente, celle de la guerre civile amorcée en novembre 1990. La seule évocation des complicités diplomatiques et militaires dont bénéficia le régime clanique, raciste et mafieux, alors en place à Kigali, de la part du gouvernement de cohabitation Mitterrand-Balladur vient encore d’être dénoncée comme outrage à l’honneur national par Alain Juppé, ancien titulaire des Affaires étrangères. Une injonction au déni prononcée sur le mode théâtral et déjà utilisée à maintes reprises pour faire barrage à l’avalanche de publications révélatrices antérieures aux récentes déclarations du président rwandais Paul Kagame, en particulier de travaux d’investigation concernant certaine « opération Turquoise » (juin-août 1994)… Le négationnisme est en soi chose simple. Un exemple, expert dans l’art de rejeter sur les Nations unies la responsabilité de la résolution 912 décidant, le 21 avril 1994, du retrait de la majorité des casques bleus d’un pays en pleine fureur meurtrière, Alain Juppé « oublie » une seule chose : le représentant au Conseil de sécurité du gouvernement auquel lui-même participait, Hervé Ladsous, mettait alors tout son poids dans la balance pour obtenir la diminution des effectifs de la Mission de l’ONU (Minuar) en « la réduisant à un niveau minimal ». Autant dire que, sous prétexte de donner priorité à un éventuel et alors impossible cessez-le-feu, notre pays se prononçait officiellement pour que la Minuar cesse d’être opérationnelle afin de protéger les Rwandais de l’extermination raciste en cours !
La décision prise par l’Élysée à la veille du 7 avril 2014 d’annuler la participation de la ministre de la Justice aux cérémonies du vingtième anniversaire du génocide des Tutsi contraste avec le comportement du gouvernement belge, pourtant lui aussi mis en cause. Elle confirme l’entêtement des autorités nationales successives (François Hollande avait par avance entendu Alain Juppé !) à refuser d’assumer les fautes du passé et à tirer les leçons de l’histoire.
L’ouvrage de Jean-Pierre Cosse survient à point nommé : rendu inattaquable par sa documentation méthodique (sauf lorsque l’omerta générée par un « secret défense » nettement abusif n’a pu être contournée), il apporte l’objectivité de ce que Roger Vailland aurait appelé un « regard froid » sur l’action et la ligne de conduite du chef de la diplomatie française. Une action constamment réinscrite dans la stratégie mitterrandienne de soutien au système d’apartheid servant de base à un véritable fascisme tropical. Quel qualificatif juridique appelle aux yeux d’Alain Juppé une telle complaisance politique ?
Jean Chatain